Nouvelles de l'environnement

A la recherche d’étain hors zone de conflit en provenance du Congo

Mongabay.com ouvre une nouvelle rubrique dédiée aux supply chains durables, écologiques et socialement responsables. Dans ce cadre, nous avons le plaisir de publier le témoignage du Directeur du développement de solutions d’approvisionnement durables au sein de Motorola Solutions, Mike Loch, sur sa récente mission en République Démocratique du Congo. Dans un pays ravagé par la guerre, sécuriser une chaîne d’approvisionnement en matières premières pour la mettre hors d’atteinte des belligérants est un énorme défi.



Je suis heureux à l’idée de fouler à nouveau le sol de la République Démocratique du Congo (RDC) ce weekend. J’étais déjà venu en janvier et février 2012 avec une délégation dont la mission était d’analyser et d’auditer le premier approvisionnement en tantale non issu des zones de conflit en provenance de RDC, approvisionnement sécurisé par le «circuit fermé » du Projet « Solutions for Hope ». Les bons résultats du Projet Hope, cofondé par Motorola Solutions et AVX, ont montré qu’il est possible de s’approvisionner en minerais en provenance de RDC en respectant la traçabilité et une supply chain étanche, depuis la mine sécurisée jusqu’à la fonderie. Ma nouvelle mission est dans le prolongement des travaux précédents avec la Conflict-Free Tin Initiative (CFTI), qui concerne l’étain.



Le contexte


Le tantale est l’un des quatre minerais connus pour être une source de financement de la guerre civile meurtrière qui déchire la RDC. Des groupes armés contrôlent des mines et voies d’accès au nord et au sud Kivu ; ils rançonnent les convois en différents points de passage de cet immense pays. Les trois autres minerais affectés par le conflit sont l’étain, le tungstène et l’or. Le principal objectif de ma nouvelle mission est d’évaluer un projet pilote d’approvisionnement en étain « garanti hors conflit » (mais provenant de la zone de conflit) et sécurisé selon les solutions du ¨Projet Hope.



On peut se demander ce qui pousse une entreprise à s’impliquer dans une zone d’Afrique aussi troublée quand on peut aisément s’approvisionner ailleurs. La réponse tient au pays lui-même : il est beau, son sous-sol est riche, sa population attachante et hospitalière. La misère extrême (70 % de la population vit au niveau du seuil de pauvreté ou en-dessous, selon la Banque Mondiale), et les conséquences économiques de la guerre civile sont inacceptables dans un pays potentiellement aussi riche. La survie économique de la population et la stabilité future du pays exigent que les acteurs économiques puissent continuer à acheter ses minerais, mais cela n’est possible qu’à condition d’écarter les groupes armés qui prélèvent illégalement sur les ventes de cette production et que l’argent puisse être réinjecté dans l’économie et les infrastructures locales.



Avec la promulgation de la loi Dodd-Frank aux Etats-Unis d’Amérique, dès 2014, les entreprises américaines devront déclarer les matières premières issues de zones de conflit qui entrent dans leurs produits manufacturés. Or, on peut craindre que cette loi ne débouche de facto sur un embargo qui priverait la RDC d’une grande partie de ses ressources commerciales si l’on ne peut garantir des approvisionnements fiables, sécurisés, hors d’atteinte des belligérants. Voilà pourquoi il est essentiel d’agir dès maintenant.




Nord Kivu, RDC. Crédit photo : Google Maps.


Les objectifs de mon voyage


Des délégués d’entreprises, dont Motorola Solutions, et de groupements industriels, organisations gouvernementales et non-gouvernementales participent à ce voyage, organisé par le Ministère néerlandais des Affaires Etrangères. Nous nous rendrons sur le site minier de Kalimbi dans le sud Kivu, préalablement identifié comme étant un site « vert », c’est-à-dire « hors zone de conflit », par un groupe constitué de différentes parties prenantes. Cette évaluation a été validée par l’ONG Pact, qui est le partenaire chargé de la mise en oeuvre du programme régional de traçabilité l’iTSCi.



Bien qu’il ne s’agisse pas d’un audit formel, nous formons une équipe expérimentée qui regardera de près la condition de vie des mineurs ainsi que la chaîne de protection qui garantit que la production n’est pas mélangée avec du minerais provenant de zones de conflit voisines. Les mines contrôlées par les milices sont caractérisées par la mauvaise condition sanitaire et la défaillance des dispositifs de protection ainsi que par le recours fréquent au travail des enfants. Les conditions sine qua non de notre engagement auprès d’une mine hors conflit sont notamment : l’existence de mesures protégeant la santé et la sécurité sur le lieu de travail : d’aménagements éducatifs et sanitaires, financés par notre participation aux activités du site ; et l’absence de travail des enfants. Nous exigeons de voir les provisions allouées aux investissements au profit de la communauté locale sur le produit des ventes de la mine.



Outre les opérateurs miniers, nous rencontrerons des fonctionnaires locaux et régionaux et des ONG locales. En effet, il est essentiel que le projet soit largement reconnu et soutenu afin de minimiser le risque d’interférence et de garantir la crédibilité et la fiabilité du système. Nous allons également évaluer le caractère reproductible du projet car l’effondrement estimé de 80 % du niveau actuel des exportations d’étain de RDC et du Kivu est imputable à l’absence d’un système crédible de validation de l’origine « hors conflit » du minerai.



C’est un honneur pour moi que de participer à des travaux de cette importance, et je suis très fier que l’entreprise à laquelle j’appartiens les soutienne activement. Si je peux me connecter sur internet, je ne manquerai pas de faire un compte rendu régulier de nos progrès depuis la RDC dès la semaine prochaine sur le Motorola Solutions blog.





2/15/13 – Premier jour en République Démocratique du Congo




Je fais partie de la délégation de la Conflict-Free Tin Initiative (CFTI) qui a pour mission d’établir une source d’approvisionnement d’étain en provenance de République Démocratique du Congo (RDC) qui soit hors d’atteinte des groupes armés.


Notre première étape se passe non en RDC mais au Rwanda, à Kigali, où j’ai échangé avec des mineurs et des traders. Aujourd’hui, le minerai en provenance de RDC passe au Rwanda en contrebande et est vendu dans d’autres pays, avec une fausse origine estampillée « hors zone de conflit ». Cette situation est dénoncée par les Nations Unies. La condition sine qua non d’un commerce garanti « hors zone de conflit » pour les minerais de RDC est de stopper cette contrebande. Pour y parvenir, les politiques et les industriels doivent soutenir les programmes de contrôle d’origine de tous les matériaux exportés par les pays voisins comme le Rwanda afin de créer les conditions d’un commerce légal au niveau international.




A notre arrivée en RDC, la délégation multipartite du CFTI rencontre le Gouverneur du sud Kivu et le Directeur Adjoint du Ministre des Mines. La réunion avec l’adjoint au Ministre est organisée dans la salle de conférence « Nyabibwe » du Musée de la géologie (sud Kivu) à Bukavu. Précisément c’est à Nyabibwe que se situe la mine de Kalimibi. L’adjoint au Ministre résume la situation : toute activité minière était pratiquement stoppée avant l’introduction de l’initiative CFTI. Cela confirme bien qu’il existait un embargo de fait et que notre initiative a permis de commencer à améliorer les choses.



La production de la mine de Kalimbi, isolée du conflit à partir d’octobre 2012, a produit depuis plus de 273 tonnes de minerai d’étain. Celui-ci, identifié et emballé de façon à empêcher toute manipulation frauduleuse, a pu être exporté, générant une manne de près de 1,7 million de dollars pour l’économie locale et qui a totalement échappé aux groupes armés. L’initiative est plébiscitée par la population qui a retrouvé l’espoir, et même la joie de vivre, quelque chose d’inimaginable dans une région minière aux Etats Unis. Cette population réalise pleinement l’importance de la mine pour le sud Kivu et elle fera tout pour la protéger.



Puis le gouverneur du sud Kivu nous a reçus chez lui pour une réunion de travail. Nous avons apprécié son exposé exhaustif des difficultés entourant le commerce du minerai, et en particulier les activités de contrebande à destination du Rwanda par l’armée de la RDC et le travail des enfants sur les sites miniers. Nous avons expliqué que notre principale motivation dans la CFTI est de faire en sorte que la population congolaise puisse bénéficier d’une source légale de revenus. Nous avons aussi exposé les risques encourus par les entreprises qui s’approvisionnent en RDC depuis la promulgation du Dodd Frank Act (Section 1502) et du fait de la forte mobilisation de l’opinion publique autour du financement illégal du conflit.



Faire en sorte que la fiabilité des approvisionnements et mines garantis « hors zone de conflit » puisse être reconnue est donc le seul moyen de continuer à commercer et cela aura pour effet de développer le marché pour les minerais extraits en RDC. Nous avons clairement expliqué nos contraintes et les avantages de notre démarche. Nous pensons avoir été entendus mais je crains qu’un doute ne subsiste quant à la mise en œuvre diligente des mesures. Leur importance et les conséquences d’un échec : l’arrêt total des échanges commerciaux avec la RDC dans le secteur minier ont-ils bien été mesurés ? Le risque demeure bel et bien.



La mission a été une nouvelle expérience enrichissante en Afrique et j’espère sincèrement qu’elle fera évoluer la perception des acteurs concernés.





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