Lorsqu’on regarde la dernière vidéo de Paul Rosolie, explorateur de l’Amazonie, on se sent transporté dans un monde secret de jaguars à l’affût, d’imposants tapirs et de tatous géants parcourant la jungle en pleine journée. C’est l’Amazonie telle qu’on imagine lorsqu’on est enfant : encore pleine de créatures sauvages. En seulement quatre semaines, sur une collpa (dépôt d’argile où les mammifères et les oiseaux se rassemblent) située près du cours inférieur de la rivière Las Piedras, Rosolie et son équipe ont pu filmer 30 espèces amazoniennes, dont sept menacées. Mais l’endroit filmé est lui-même menacé : le cours inférieur de Las Piedras est envahi par les exploitants forestiers, miniers et agricoles depuis l’achèvement de la route transamazonienne.
« Lorsqu’ils pensent à la forêt équatoriale, la plupart des gens imaginent des animaux partout, mais en réalité, même dans une forêt en bonne santé, on peut marcher toute la journée sans jamais rien apercevoir » a expliqué Rosolie à Mongabay.com dans une récente interview. « Mais les pièges photographiques offrent une vue différente. Les vidéos nous permettent non seulement de mieux comprendre quelles espèces visitent la collpa et quand elles s’y rendent, mais aussi d’observer les comportements naturels : le tapir et le cerf visitant l’endroit avec leurs petits, les oiseaux et les cerfs partageant la collpa, ou l’ocelot traquant un agouti. »
Mais d’après Rosolie, le nombre d’espèces filmées dans cette collpa était surprenant, même pour lui.
« Nous n’avions encore jamais vu une telle abondance et une telle diversité dans un seul et même endroit de la forêt, sur une période aussi courte. »
En éditant ses prises et en y ajoutant de la narration, Rosolie a ensuite transformé plus de 2000 vidéos en un court-métrage racontant l’histoire de cet endroit où la vie est encore abondante. Les vidéos de la faune obtenues à l’aide de pièges photographiques sont souvent présentées avec très peu de contexte, et Rosolie pense que c’est une « opportunité manquée » de toucher un plus large public.
« Pour les gens qui ne connaitraient pas très bien les animaux d’un écosystème donné, ou qui n’auraient pas conscience des problèmes auxquels ces animaux sont confrontés ou de ce qui les rend uniques, il faut donner du contexte et présenter un peu les choses, pour leur permettre de participer aussi », explique-t-il.
Mais cet endroit sauvage est menacé. Bien que le cours supérieur de Las Piedras soit protégé, le cours inférieur reste négligé, et la très controversée route transamazonienne a entrainé « une augmentation massive de l’exploitation forestière, de la chasse, de l’extraction d’or et du trafic de drogue », selon Rosolie.
« Le mois dernier, un jaguar a été abattu à l’aide d’une arme à feu, un autre a été percuté par une voiture, et un membre de mon équipe a vu des bûcherons tuer un ara. C’est déplorable. Les gens ne réalisent pas à quel point la faune est sensible », explique Rosolie, ajoutant que « pour la faune de Las Piedras, celle qui apparait dans les vidéos, la situation est urgente. »
Rosolie pense que s’il était protégé, le cours inférieur de Las Piedras serait « la dernière pièce du puzzle » dans ce qui deviendrait sans doute le plus grand réseau de zones protégées du monde, reliant les parcs nationaux de Manu et d’Alto Purus au parc national de Bahuaja-Sonene et à celui de Madidi en Bolivie.
« Ces parcs renferment la plus grande biodiversité de la Terre (avec notamment des nombres record d’espèces d’oiseau, de papillon et de libellule) », explique Rosolie, qui a également filmé l’un des mammifères les moins connus de l’Amazonie, le chien aux oreilles courtes (voir la vidéo ci-dessous).
Mais obtenir la protection de la zone nécessitera une alliance de grande ampleur, incluant le gouvernement péruvien, les habitants et les ONG.
« Pour l’instant, nous avons besoin de soutien public, et pour cela, il faut que les gens puissent en savoir plus sur cette rivière, et puissent soutenir le processus de protection », explique Rosolie, qui écrit actuellement un livre sur la région (et dont la sortie est prévue l’année prochaine). « Ces vidéos provenant de pièges photographiques ne sont qu’un petit élément de plus dans la première étape du processus visant à accroitre la visibilité de Las Piedras, et à garantir la survie de cette rivière. »
Rosolie considère que ses efforts en Amazonie jouent un rôle important pour veiller à ce que la nature sauvage — et des animaux comme les jaguars, les tamanoirs et les tapirs — soient préservés dans un monde où l’empreinte humaine semble s’étendre constamment.
« Notre génération a la chance de pouvoir réaliser une première historique : effectuer une conservation préventive — s’assurer que les endroits vierges le restent — et aider les zones habitées par des populations humaines à rester viables pour le maintien des écosystèmes », explique Rosolie. « Dans cinquante ou cent ans, cette opportunité aura disparu depuis longtemps. »
Ceux qui souhaitent en savoir plus sur la rivière Las Piedras ou qui aimeraient soutenir les efforts de conservation dans la région peuvent contacter Paul Rosolie à adventure@tamanduajungle.com. Adventure@tamanduajungle.com
INTERVIEW AVEC PAUL ROSOLIE
Paul Rosolie contrôlant les vidéos de son piège photographique sur un ordinateur portable en Amazonie. Photographie réalisée par Mohsin Kazmi.
Mongabay: Pouvez-vous nous parler de votre travail en Amazonie péruvienne ?
Paul Rosolie: Pendant ces sept dernières années, j’ai travaillé dans la région de la Madre de Dios au Pérou, étudiant l’écosystème et la faune. J’ai exploré des communautés naturelles isolées de toute interférence humaine ; et la partie occidentale de l’Amazonie possède encore de nombreuses zones de ce type si l’on sait où chercher. Pendant ces quatre dernières années, j’ai étudié avec mon équipe les relations entre les humains et les anacondas (un superprédateur important et menacé), ainsi que les changements auxquels la région est confrontée à cause de la route transamazonienne.
En tant que professionnel de la conservation et écrivain, je pense que mon rôle est de raconter l’histoire de cette région tant qu’il reste du temps pour agir. Notre génération a la chance de pouvoir réaliser une première historique : effectuer une conservation préventive — s’assurer que les endroits vierges le restent — et aider les zones habitées par des populations humaines à rester viables pour le maintien des écosystèmes. Dans cinquante ou cent ans, cette opportunité aura disparu depuis longtemps.
C’est pour cette raison que mes travaux se concentrent actuellement sur la rivière Las Piedras ; il s’agit de la plus longue rivière de la région, abritant une faune et une flore stupéfiantes, ainsi que des tribus isolées de tout contact humain. Je suis directeur de projet dans une station de recherche pour Tamandua Expeditions, l’une des rares sociétés d’écotourisme opérant près de la rivière Las Piedras. Depuis cette station, nous essayons d’appliquer les leçons tirées de la rivière Tambopata (une autre rivière de la Madre de Dios, où l’écotourisme à contribué avec succès à promouvoir la conservation de l’environnement). Actuellement, le cours inférieur de Las Piedras n’est pas officiellement protégé en tant que parc national ou réserve naturelle, et nous constatons une augmentation massive de l’exploitation forestière, de la chasse, de l’extraction d’or et du trafic de drogue, qui contribuent tous à une détérioration rapide de cette forêt très ancienne et de la faune incroyable présente dans de nombreux endroits de cette région.
DES PIÈGES PHOTOGRAPHIQUES AU BORD DE LAS PIEDRAS
Instantané tiré d’une vidéo d’un jaguar obtenue à l’aide d’un piège photographique installé par Paul Rosolie près du cours inférieur de Las Piedras.
Mongabay: Vous aviez laissé un piège photographique pendant quatre semaines près d’un dépôt d’argile salée dans l’Amazonie péruvienne. Quelles espèces avez-vous pu filmer ?
Paul Rosolie: La caméra a enregistré plus de 2000 vidéos de 30 espèces : 25 mammifères, 3 oiseaux et 2 reptiles (la liste des espèces se trouve dans la description de la vidéo sur YouTube). Pour un grand nombre d’entre elles, de nombreux individus ont visité l’endroit plusieurs fois pendant l’étude, et nous avons pu observer les interactions entre les membres de cette communauté à travers les vidéos prises par le piège. Nous n’avions encore jamais vu une telle abondance et une telle diversité dans un seul et même endroit de la forêt, sur une période aussi courte.
Mongabay: Quel est l’animal le plus surprenant que vous avez aperçu à l’aide du piège ?
Paul Rosolie: C’est le tatou géant qui m’a le plus surpris : ils sont très discrets, et je n’en avais jamais vu un sortir en pleine journée. Nous avons également pu apercevoir une minuscule tortue pleurodire (dont le cou se plie latéralement) se baignant dans la flaque de la collpa, ce qui était intéressant, car elle aurait facilement pu se faire croquer par un des gros mammifères !
Mais mon préféré était le tamanoir ! Ils sont tellement superbes. C’est ma vidéo préférée car quelques années plus tôt, j’ai passé cinq semaines à rééduquer à la main une femelle tamanoir orpheline de deux mois, à quelques kilomètres à peine de la collpa. Je me dis que c’est peut-être elle qui a grandit ! (Merci à Lucy Dablin de Fauna Forever pour celle-ci !)
Mongabay: Avez-vous fait des découvertes sur le comportement des espèces amazoniennes ?
Navigation sur un affluent de Las Piedras. Photographie réalisée par Gowri Varanashi.
Paul Rosolie: Oui, clairement. Lorsqu’ils pensent à la forêt équatoriale, la plupart des gens imaginent des animaux partout, mais en réalité, même dans une forêt en bonne santé, on peut marcher toute la journée sans jamais rien apercevoir. Dans la jungle, où chaque animal est pourchassé par un autre, seuls les plus silencieux et les plus furtifs survivent. En tant qu’humains, nous sommes désavantagés par rapport aux nombreuses espèces possédant une vue, un odorat, une ouïe et une furtivité plus développées que les nôtres. C’est pourquoi, même lorsqu’on finit par apercevoir un animal, il disparait en général au bout de quelques instants. Mais les pièges photographiques nous offrent une vue différente. Les vidéos nous permettent non seulement de mieux comprendre quelles espèces visitent la collpa et quand elles s’y rendent, mais aussi d’observer les comportements naturels : le tapir et le cerf visitant l’endroit avec leurs petits, les oiseaux et les cerfs partageant la collpa, ou l’ocelot traquant un agouti. Nous avons même une vidéo nocturne où l’on peut apercevoir un puma tapi dans le feuillage au bord de la clairière, attendant patiemment une proie sur la collpa. Après avoir observé des milliers de vidéos, on commence à reconnaitre les individus, et à avoir un aperçu de la vie de ces animaux, de la façon dont ils interagissent dans cette société forestière. C’est vraiment fascinant.
Mongabay: Votre vidéo avec les jaguars était vraiment impressionnante. Avez-vous déja rencontré ces géants, mis à part cette vidéo où l’un d’eux vous a manqué de peu ?
Paul Rosolie: Ça m’est souvent arrivé. J’ai déja campé dans des zones reculées avant de découvrir des empreintes de jaguar autour de ma tente le matin suivant. L’une d’entre elles se trouvait à une dizaine de centimètres de la tente. Une autre fois, j’ai été réveillé dans un hamac en pleine nuit par une femelle jaguar intriguée. Elle était si proche que je pouvais sentir sa respiration. Ce sont des animaux très curieux.
En allant examiner les pièges, j’ai plus d’une fois eu l’impression d’être observé, et plus d’une fois, les vidéos ont montré que des jaguars étaient effectivement dans les environs pendant que je travaillais. Bien que j’aie pu les voir de près de nombreuses fois, j’attends encore la vue parfaite : un jaguar installé sur un tronc flottant le long du fleuve, enveloppé par la brume matinale !
Mongabay: Contrairement à la plupart des vidéos provenant de pièges photographiques, vous avez beaucoup édité les vôtres, et ajouté de la narration et des éléments de contexte importants. Est-ce que vous espérez ainsi permettre à un public plus large de voir et de comprendre la faune de l’Amazonie ?
Paul Rosolie: C’est précisément pour cette raison que la vidéo a été construite de cette façon. J’ai vu de nombreuses autres vidéos obtenues à l’aide de pièges photographiques où les espèces sont simplement listées, et je pense que dans certains cas, ce sont des opportunités manquées. Pour vous et moi et d’autres personnes travaillant dans le domaine de la conservation ou de la biologie, pas besoin de fioritures ou d’explications : dans la plupart des cas, je pense qu’on peut partir du principe que nous connaissons les histoires de ces espèces. Mais pour les gens qui ne connaitraient pas très bien les animaux d’un écosystème donné, ou qui n’auraient pas conscience des problèmes auxquels ces animaux sont confrontés ou de ce qui les rend uniques, il faut donner du contexte et présenter un peu les choses, pour leur permettre de participer aussi.
C’est ce que Steve Irwin a si bien réussi à faire avec les crocodiles (et tout autre créature imaginable). Il allait dans l’eau avec eux, vous racontait ce qu’ils pensaient, quels étaient leurs problèmes, et pourquoi il les aimait… et les gens ont adoré. Il su toucher des millions de gens en racontant une histoire. Aujourd’hui, je pense que les professionnels de la conservation devraient profiter de l’ère des réseaux sociaux pour véritablement impliquer les gens, pour les pousser à s’intéresser au sujet.
LE PLUS RARE D’ENTRE TOUS
Mongabay: Vous avez également fait la rencontre d’une curiosité amazonienne, sans doute le grand mammifère le plus rare de la région. Pouvez-vous nous parler de votre rencontre personnelle avec le chien aux oreilles courtes ? (voir la vidéo ci-dessus)
Paul Rosolie: Je marchais le long d’un sentier utilisé pour la récolte de noix du Brésil près de la rivière Tambopata, à la poursuite d’un morpho bleu. On trouve des dizaines de papillons bleus géants sur ce sentier, et j’essayais d’obtenir la photo parfaite. J’étais silencieux et immobile depuis plus d’une heure, lorsque quelque chose attira mon attention. C’est alors que j’ai aperçu cet animal qui me fixait, un animal que je n’avais jamais vu auparavant. J’ai été surpris, mais je n’ai pas bougé. J’ai même regardé ailleurs pour qu’elle ne sente pas que mon attention était tourné vers elle. J’ai essayé d’avoir l’air indifférent, ce qui n’était pas facile ! Comme j’étais calme, elle était calme, puis elle a commencé à s’éloigner en marchant le long du sentier, et c’est à ce moment que j’ai commencé à la suivre et à filmer.
Mongabay: Avez-vous immédiatement réalisé de quel animal il s’agissait ?
Paul Rosolie: C’est un peu embarrassant à admettre, mais j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un chien des buissons. Le chien aux oreilles courtes et le chien des buissons sont deux espèces cryptiques très rarement rencontrées. Elles n’apparaissent pas dans les livres photo ou dans les documentaires sur l’Amazonie car elles sont trop discrètes pour être filmées ou photographiées, et comme je n’en avais jamais vu un dans la nature auparavant, j’ai été un peu pris par surprise. L’essentiel de ma formation provient de chasseurs indigènes, mais même eux ne mentionnent cette espèce que rarement, et lorsqu’ils en parlent, ils mettent les chiens des buissons et les chiens aux oreilles courtes dans la même catégorie et parlent de « perro de monte » ou chien des forêts.
La seule chose dont j’étais sûr, c’est qu’il s’agissait d’un animal très important à filmer.
Mongabay: Que savent les scientifiques de cette espèce ?
Paul Rosolie: Cette espèce est rare sur toute son aire de répartition. Nous savons qu’ils vivent dans les basses-terres de l’Amazonie occidentale, et qu’ils peuvent prospérer sur la terre ferme, les plaines d’inondation et dans les forêts de bambous. Leur zone de plus forte densité semble être la Madre de Dios, bien qu’ils semblent n’être présents que dans les parties les plus inaccessibles et les plus reculées de la région. On ne sait pratiquement rien de leurs habitudes de reproduction ou de leur structure sociale. En fait, ils sont si rares que l’on ne sait même pas comment les classifier. Jusqu’à récemment, leur statut de conservation sur la liste de l’UICN était « Données insuffisantes ». Depuis, ils ont été listés comme espèce « Quasi menacée » pour refléter leur sensibilité aux perturbations d’habitat.
Ils semblent non seulement préférer mais aussi nécessiter un habitat isolé des humains. Les chiens domestiques présentent de nombreux risques pour les chiens aux oreilles courtes, à cause des maladies qu’ils peuvent transmettre et du danger physique qu’ils représentent pour ces derniers.
LA PRÉSERVATION DU COURS INFÉRIEUR DE LAS PIEDRAS
Grumier près du cours inférieur de Las Piedras. Photographie fournie par Paul Rosolie.
Mongabay: Est-ce que la zone dans laquelle vous travaillez est protégée ?
Paul Rosolie: Actuellement, elle ne l’est pas. La région de la Madre de Dios au Pérou abrite un système incroyable de gigantesques zones protégées telles que les parcs nationaux de Manu, de Bahuaja-Sonene, d’Alto Purus, et juste au-delà de la frontière, en Bolivie, le parc national de Madidi. Ces parcs renferment la plus grande biodiversité de la Terre (avec notamment des nombres record d’espèces d’oiseau, de papillon et de libellule). Bien que le cours supérieur de la rivière Las Piedras fasse partie du parc national d’Alto Purus et d’une réserve indienne isolée, le cours inférieur est actuellement non protégé et subit des taux d’exploitation forestière et de déforestation sans précédent.
Mongabay: Quelles sont les plus grandes menaces pour la région ?
Paul Rosolie: La route transamazonienne a récemment été bétonnée et terminée, et en conséquence, un certain nombre de chemins forestiers ont été taillés dans ce qui était jusqu’ici des forêts vierges très anciennes. Depuis la création de ces chemins, nous observons un afflux massif de colons venus des Andes. Des maisons et des fermes apparaissent chaque jour et la forêt est défrichée à une vitesse croissante. Les exploitants forestiers utilisent les chemins pour accéder au bois de fer, aux cèdres et au bois ancien désormais exposés.
Tout cette activité humaine a entrainé beaucoup de chasse. Le mois dernier, un jaguar a été abattu à l’aide d’une arme à feu, un autre a été percuté par une voiture, et un membre de mon équipe a vu des bûcherons tuer un ara. C’est déplorable. Les gens ne réalisent pas à quel point la faune est sensible. J’ai personnellement assisté à l’extinction locale d’une espèce toute entière par un seul chasseur. Pour la faune de Las Piedras, celle qui apparait dans les vidéos, la situation est urgente.
Mongabay: Qu’espérez-vous accomplir avec ces vidéos ?
Hurleur roux dans la région de Las Piedras. Photographie réalisée par Mohsin Kazmi.
Paul Rosolie: L’objectif est d’obtenir la protection du cours inférieur de la rivière Las Piedras. La Madre de Dios a une longue histoire dans le domaine de la conservation, et aux yeux d’un nombre croissant de personnes, le bassin versant de Las Piedras est la dernière pièce du puzzle. Protéger cette rivière formerait un réseau entre les écosystèmes de vastes et célèbres zones protégées telles que Manu, Bahuaja-Sonene, Alto Purus et Madidi.
Mais les espèces présentes dans ces vidéos sont représentatives de l’ensemble de l’Amazonie occidentale, une région du monde qui représente pour nous, en tant que société mondiale, une opportunité incroyable. Comme une grande partie est encore intacte, nous avons une chance de garantir sa survie. L’interface entre les Andes et l’Amazonie est le moteur qui alimente le reste de l’Amazonie, un système exerçant une influence incalculable, non seulement sur l’Amérique du Sud, mais aussi sur l’ensemble de la planète.
Je pense que ces vidéos ont le pouvoir de raconter une histoire, de faire entrevoir aux gens un monde qui n’a jamais été visible avant les pièges photographiques. Je veux les utiliser pour aider à protéger la région.
Mongabay: Compte tenu de l’importance du cours inférieur de la rivière Las Piedras pour la préservation de l’Amazonie, que faut-il faire, à votre avis, pour convaincre le Pérou de mettre de côté ce pan de terre ?
Paul Rosolie: Créer un parc national n’est pas une mince affaire, mais comme je l’ai dit, l’aspect véritablement unique du projet Las Piedras est cette opportunité historique de protéger la zone avant sa dégradation, et avant qu’un trop grand nombre de personnes ne s’y installent et empêchent la création d’un parc viable.
Nous devons attirer l’attention sur Las Piedras, et l’identifier comme priorité de conservation à plus grande échelle. Nous devons attirer l’attention du gouvernement péruvien et de sa Direction des forêts et de la faune (DGFFS), de certaines grandes ONG ayant eu du succès dans la Madre de Dios par le passé, comme la Wildlife Conservation Society, WWF et Conservation International, ainsi que d’autres organisations plus petites.
La création d’un parc national impose de cataloguer des données biologiques et ethnographiques sur la zone et d’effectuer des études économiques poussées. Viennent ensuite les réunions aux niveaux local, régional et national pour discuter des termes, des limites et autres éléments du projet. C’est un processus très lourd, mais compte tenu de l’histoire de la région dans le domaine de la conservation, et des parcs alentours, nous avons déja beaucoup d’avance. La Madre de Dios est déja un symbole de la conservation de la nature, et je pense que connecter les parcs déja existants pour créer une méga-réserve serait quelque chose dont le Pérou pourrait être fier ; ce serait un exemple important pour le reste du monde.
Pour l’instant, nous avons besoin de soutien public, et pour cela, il faut que les gens puissent en savoir plus sur cette rivière, et puissent soutenir le processus de protection. Cette stratégie a connu un succès retentissant par le passé. (La création du parc national de Bahuaja-Sonene a été facilitée par l’intérêt international généré par le documentaire CANDAMO : La dernière forêt sans hommes. C’est pour cette raison que j’ai passé ces dernières années à écrire un livre sur mes aventures dans la région de Las Piedras (et dans d’autres parties de la Madre de Dios), un livre qui s’intitule Mother of God (actuellement en cours de publication chez Harper Collins, et qui devrait sortir dans environ dix-huit mois). De la même façon, ces vidéos provenant de pièges photographiques ne sont qu’un petit élément de plus dans la première étape du processus visant à accroitre la visibilité de Las Piedras, et à garantir la survie de cette rivière.
Mongabay: Comment les gens peuvent-ils aider ?
Montagnes de l’Amazonie occidentale. Photographie fournie par Paul Rosolie.
Paul Rosolie: En s’impliquant ! De nombreux efforts sont réalisés près de la rivière Las Piedras en faisant appel au tourisme et à la recherche pour promouvoir la préservation de la zone. Tamandua Expeditions (www.tamanduajungle.com) et Fauna Forever (www.faunaforever.org) utilisent la recherche et le tourisme pour protéger la faune aperçue dans ces vidéos, ainsi que le cours inférieur de la rivière Las Piedras. La conservation basée sur l’écotourisme dépend des voyageurs. Mais ce qui est unique ici, c’est que les activités organisées autour de Las Piedras le sont à une échelle si petite, et sont pourtant si cruciales, qu’une personne visitant la région ne participe pas simplement à une visite guidée : elle se joint aux efforts de protection de la forêt, de la faune et des habitants.
Même sans parler de voyage, il y a des centaines de façons de s’impliquer aujourd’hui. Grâce aux réseaux sociaux, les gens peuvent rester connectés à nos travaux sur le terrain et contribuer à les promouvoir, ils peuvent faciliter la prise de conscience, récolter des fonds, ou encore partager des ressources. Par exemple, ma station de recherche a récemment été sauvée de cette manière. Nous étions dans un état d’urgence car notre toit s’est effondré et la pluie était en train de détruire la station, mais grâce à une campagne Indiegogo, nous avons réussi à nous connecter à des gens du monde entier, qui sont intervenus pour nous aider. Ils nous ont aidé pour l’équipement, l’édition vidéo, la promotion, la communication, la conception graphique et d’autres compétences dont nous avions besoin. Au final, nous avons réussi à réparer le toit et à sauver la station, ce qui nous a ainsi permis de continuer à protéger ces terres et leur faune !
Mongabay: Quelle est la prochaine étape pour vous ? Quand retournez-vous au Pérou ?
Paul Rosolie: Pendant la prochaine saison sèche (autour de mai), je veux continuer à travailler avec les pièges photographiques, mais cette fois-ci avec des vidéos HD ; je pense que ça serait vraiment passionnant. Je vais également continuer une étude en cours sur les anacondas.
Je termine actuellement la rédaction d’un livre intitulé Mother of God, pour Harper Collins. C’est un livre sur la Madre de Dios et la région occidentale de l’Amazonie, vue à travers mes expériences de conservation et d’exploration dans la jungle au cours des sept dernières années. Les anacondas, la conservation, les tribus, les braconniers, les jaguars, les tamanoirs et les forêts flottantes… c’est toute une aventure ! Tout comme dans les vidéos, je veux que ce livre rende la beauté et l’aventure de l’Amazonie plus accessible aux gens, et leur donner envie de s’impliquer !
Il existe des projets en cours d’élaboration visant à parcourir un méga-transect le long de l’interface entre les Andes et l’Amazonie, du sud vers le nord. Ça n’a encore jamais été fait et je pense que ça nous aidera à en apprendre plus sur l’état de la région, et à sensibiliser les gens.
Vidéo présentant Rosolie et ses travaux dans l’Amazonie péruvienne, ainsi que des opportunités de bénévolat.
Village près de Las Piedras. Photographie fournie par Paul Rosolie.
Exploitant forestier sur la rivière Las Piedras. Photographie réalisée par Mohsin Kazmi.
Ara. Photographie réalisé par Gowri Varanashi.
Collpa de Las Piedras — Espèces filmées à l’aide du piège photographique
1. Daguet rouge (Mazama Americana), Données insuffisantes
2. Daguet gris (Mazama gouazoubira), Préoccupation mineure
3. Pécari à lèvres blanches (Tayassu pecari), Quasi menacée
4. Pécari à collier (Pecari tajacu), Préoccupation mineure
5. Tapir du Brésil (Tapirus terrestris), Vulnérable
6. Ocelot (Leopardus pardalis), Préoccupation mineure
7. Puma (Puma concolor), Préoccupation mineure
8. Tamanoir (Myrmecophaga tridactyla), Vulnérable
9. Tatou géant (Priodontes maximus), Vulnérable
10. Tatou à neuf bandes (Dasypus novemcinctus), Préoccupation mineure
11. Écureuil roux du nord de l’Amazonie (Sciurus igniventris), Préoccupation mineure
12. Capucin à front blanc (Cebus albifrons), Préoccupation mineure
13. Hurleur de Bolivie (Alouatta sara), Préoccupation mineure
14. Paca (Cuniculus paca), Préoccupation mineure
15. Agouti ponctué (Dasyprocta punctata), Préoccupation mineure
16. Acouchi vert (Myoprocta pratti), Préoccupation mineure
17. Porc-épic à piquants bicolores (Coendou bicolor), Préoccupation mineure
18. Jaguar (Panthera onca), Quasi menacée
19. Martre à tête grise (Eira Barbara), Préoccupation mineure
20. Coati roux (Nasua nasua), Préoccupation mineure
21. Lapin du Brésil (Sylvilagus brasiliensis), Préoccupation mineure
22. Atèle à tête noire (Ateles chamek), En danger
23. Singe-écureuil de Bolivie (Saimiri boliviensis), Préoccupation mineure
24. Opossum d’Amazonie à flanc rouge (Monodelphis glirina), Préoccupation mineure
25. Opossum murin (Marmosa murina), Préoccupation mineure
26. Pénélope de Spix (Penelope jacquacu), Préoccupation mineure
27. Hocco tuberculé (Mitu tuberosum), Préoccupation mineure
28. Agami à ailes blanches (Psophia leucoptera), Préoccupation mineure
29. Tortue charbonnière à pattes jaunes (Chelonoidis denticulata), Vulnérable
30. Platémyde à tête orange (Platemys platycephala), Non évaluée