Nouvelles de l'environnement

Dernière bataille du Rhinocéros le plus rare

Le 5 juin, l’Indonésie déclarera 2012 Année Internationale du Rhinocéros



cet article est une version plus développée d’un article paru en avril dans Yale e360 intitulé: Fighting A Last-Ditch Battle To Save the Rare Javan Rhino. (Ultime bataille pour Sauver le Rare Rhinocéros de Java)


Vidéo autorisée du Parc National d’Ujung Kulon.


En randonnée à travers des terres de boue profonde et de marisque, nous débouchons sur un mottureau puant. Les rangers d’élite entièrement vêtus de noir malgré la chaleur tropicale, marquent le site à l’aide de l’appareil GPS, mesurent la profondeur de la mare boueuse et nous avançons. C’est le premier indice de la présence de l’un des animaux les plus rares de la planète, le Rhinocéros de Java. Environ 35 uniquement vivent encore, tous en liberté. Cette parcelle de forêt tropicale et marécageuse dans le Parc National d’Ujung Kulon, situé à l’extrémité occidentale de Java, constitue leur dernier et seul refuge.



Ce n’était pas le cas il y a deux ans encore. Il existait alors une seconde population de rhinocéros de Java au Vietnam, des survivants d’une espèce jadis largement répandue à travers l’Asie. Mais le rhinocéros vietnamien a été éliminé lorsque des braconniers ont fusillé le seul individu restant dans le Parc National de Cat Tien. Ces braconniers ont reçu leur récompense : la corne du rhinocéros qui, sur le marché de médecine traditionnelle chinoise, vaut 65.000$ par kilogramme, plus que son poids en or.



Le rhinocéros de Java n’est pas le seul à subir un tel sort. L’UICN a listé trois des cinq espèces de rhinocéros restantes comme terriblement menacées, au bord de l’extinction. Le rhinocéros de Sumatra et de Bornéo, le plus proche parent du rhinocéros de Java, est également en grave danger. Les experts estiment la probabilité de survie de l’une ou l’autre espèce dans les années à venir à 50 pourcents.



RPU ranger on Peucang Island
Un ranger de l’UPR sur l’île Peucang. Photo de: Rhett A. Butler.



La situation en Afrique, où survit la grande majorité des rhinocéros, n’est pas plus reluisante. La flambée des prix de la corne, boostée par une demande explosive de la classe moyenne vietnamienne et chinoise, a relancé l’abattage massif des rhinocéros. En Afrique du Sud par exemple, où vivent plus de 70% des rhinocéros en liberté du monde, 448 individus—un nombre record—ont été tués par des braconniers l’année dernière. Le taux de massacre a empiré en 2012. Pendant ce temps, le rhinocéros noir occidental, une sous-espèce du rhinocéros noir, a été déclaré éteint en 2011, également victime du braconnage.



Les facteurs à l’origine de l’extinction des rhinocéros sont divers. Pendant longtemps ce fut la perte de leur habitat. Cependant, avec la baisse de leur nombre, les menaces pour les populations individuelles se sont diversifiées. En Afrique, où les rhinocéros sont répartis à travers les vastes savanes et occupent parfois des terres non ou mal protégées, c’est la demande en corne de rhinocéros qui constitue la principale menace directe pour les populations. En Asie du Sud-est, où les rhinocéros survivent de manière précaire dans les aires plus ou moins protégées, surveillés par des rangers, ce sont l’absence d’un habitat approprié et la faible densité démographique qui constituent les plus grandes menaces.



One of the last Javan rhinos
L’un des derniers rhinocéros de Java filmé par une camera-piège à Ujung Kulon. Le WWF, l’International Rhino Foundation (Fondation Internationale de Défense des Rhinocéros), et la Fondation Aspinall ont fourni au parc plus de 100 caméra-pièges. Capture vidéo autorisée au Parc National d’Ujung Kulon.




La situation des rhinocéros de Java est particulièrement précaire. Leur unique habitat est une aire forestière créée uniquement à la suite d’une importante éruption volcanique. Lorsque le Krakatoa explosât en 1883, la chute de cendres et le tsunami qui ont suivi ont tué toutes les personnes vivant dans la zone qui abrite aujourd’hui le Parc National d’Ujung Kulon. La peur d’un futur désastre a rendu cette aire inhabitée, permettant la repousse de la forêt et fournissant au rhinocéros de Java un refuge sur une île presque entièrement transformée en habitat humain. Cependant, dans cette zone exposée à des bouleversements géologiques réguliers, le rhino de Java est vulnérable même face à un seul événement cataclysmique, que ce soit un tsunami ou une épidémie.



Ces préoccupations, ajoutées à sa très faible population, ont poussé les agents de protection de la nature à faire de l’extension de l’habitat du rhinocéros de Java une priorité absolue. L’International Rhino Foundation (Fondation Internationale de Défense des Rhinocéros) travaille avec son partenaire local, la Rhino Foundation of Indonesia (YABI : Fondation Indonésienne de Défense des Rhinocéros), et la Direction du Parc National pour étendre le statut de zone protégée à 3.000 hectares de forêt adjacents aux 38.000 hectares que compte le parc. L’objectif visé est d’augmenter la population de rhinocéros de 70 à 80 individus d’ici à 2015 (la croissance démographique connait un statut quo depuis les années 80). Cette entreprise ne sera pas aisée. En effet, les rhinocéros doivent faire face aux colons qui empiètent sur la zone, défrichant les forêts pour pratiquer l’agriculture et organiser des jeux de braconnage à l’aide de collets qui mettent en danger les espèces non-ciblées à l’instar du rhinocéros.




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En 2010 et 2011, la direction du parc, en collaboration avec la YABI, a réussi à convaincre 70 agriculteurs d’abandonner des champs crées illégalement à l’intérieur du Parc National d’Ujung Kulon. Ces agriculteurs furent dédommagés et des terres à l’extérieur du parc leur furent fournies. Malgré cette initiative, les incursions de chasseurs dans le parc demeuraient un problème. C’est à ce moment là que l’unité de patrouille spécialement entrainée de la YABI est entrée en jeu.




Les unités indépendantes de la direction du parc mais qui coordonnent leur travail aux mesures de conservation prises par les responsables du parc, sont spécialement chargées de protéger et de surveiller les populations de rhinocéros de Java. Elles passent la majeure partie de leur temps à sillonner à pied la forêt, enregistrant tout signe de rhinocéros et d’activité illégale sans pour autant rechercher les rhinocéros eux-mêmes (l’année dernière, seul un rhinocéros avait été directement repéré par l’équipe après une patrouille sur 2.842 kilomètres). Les unités sont essentiellement constituées de villageois qui offrent l’avantage pour la YABI de maitriser les besoins et problèmes locaux liés aux programmes de conservation et de constituer un réseau d’informateurs sur le braconnage et autres activités illégales. Les emplois à la YABI sont bien rémunérés et sont devenus un symbole d’importance dans certains villages où les opportunités de travail sont réduites.



The rarest rhino captured on video.


The Javan rhino.


The Javan rhino captured on video.
Le rhinocéros de Java. Photo autorisée du Parc National d’Ujung Kulon

Le responsable de l’Unité de Protection des Rhinocéros de la YABI, Muhammad Waladi Isnan, affirme qu’une amélioration des moyens de subsistance locaux pourrait aider à réduire la pression du braconnage et de l’empiètement à condition que les initiatives en ce sens soient en accord avec les efforts de conservation. Il espère que le tourisme de nature puisse être une solution. Grâce à l’eau cristalline, aux plages de sable blanc, aux magnifiques récifs coralliens, et à la forêt verdoyante de l’île Peucang, située à moins d’un mile (environ 1,6km) au large des côtes d’Ujung Kulon, les attraits touristiques sont évidents. En réalité, la zone sert de retraite de pêche à l’ancien dictateur indonésien Suharto. Cependant, et à moins que vous ne soyez un membre de la jet-set ayant accès à un hélicoptère à l’instar du dirigeant déchu, rallier Ujung Kulon nécessite des moyens hors de portée de la majorité des touristes. Tamanjaya, le village le plus proche du parc, se trouve à six ou sept heures par route de Jakarta et il faut ensuite trois à cinq heures pour rallier l’île Peucang si les conditions océaniques et météorologiques sont favorables.



Waladi soutient que l’amélioration de l’état de la route de Tamanjaya faciliterait le tourisme et améliorerait l’accès aux marchés pour les agriculteurs, entrainant une hausse des prix de leurs denrées. D’un autre côté, une route en meilleur état attirerait également des colons dans la zone, augmentant ainsi la pression sur Ujung Kulon et ses rhinocéros.



Malheureusement, même si les rhinocéros sont protégés du braconnage, leur survie ne peut être totalement assurée et ce pour des raisons autres que le risque de catastrophe. En effet, le principal habitat des rhinocéros à Ujung Kulon disparait à cause de l’invasion du palmier arenga connu localement sous le nom de langkap. Ce palmier, qui produit des semences toxiques d’aucune utilité pour les rhinocéros, détruit la végétation qui constitue une part importante dans la nutrition du rhinocéros de Java. Aussi, la YABI travaille en accord avec les responsables du parc pour éradiquer le langkap partout où ils le retrouvent. Malheureusement, le moyen le plus efficace d’éliminer ce palmier est de le déterrer à la main, une tâche extrêmement laborieuse. Par ailleurs, la population de rhinocéros à Ujung Kulon est si faible qu’elle est exposée aux épidémies qui surviennent de temps à autre.



Les défis auxquels est confronté le plus proche parent du rhinocéros de Java sont différents. Bien que son habitat ait été considérablement réduit par la déforestation et la transformation des pâturages et marécages en espaces agricoles, le principal problème pour le rhinocéros de Sumatra est sa faible densité démographique. Cette espèce est si faiblement répandue à travers Sumatra et la partie septentrionale de Bornéo que les individus ne peuvent se retrouver pour s’accoupler. Par conséquent, les agents de protection de la nature ont pris des mesures visant à rapprocher les éventuels partenaires pour procéder à un élevage en semi-captivité. On peut ainsi noter la capture audacieuse d’une femelle en liberté l’année dernière à Sabah, dans la partie malaysienne de Bornéo. Cette femelle a déjà été installée par transport aérien dans une zone forestière close où vit un rhinocéros de Sumatra mâle.



Un rhinocéros de Bornéo, sous-espèce du rhinocéros de Sumatra, en captivité à Bornéo. Photo de Jeremy Hance.

« L’époque où les rhinocéros de Sumatra étaient laissés et gardés dans leurs habitats naturels dans l’espoir qu’ils ne seraient pas victimes du braconnage et seraient paisiblement élevés est révolue, » admet John Payne de la Bornéo Rhino Alliance qui a dirigé les opérations l’année dernière. « Parmi les rhinocéros restants, très peu sont probablement féconds. Certains des individus féconds ne pourront se rapprocher d’un rhinocéros de sexe opposé car il n’y en a quasiment plus aucun. »



On espère qu’avec une bonne protection, un habitat approprié et en facilitant les rapprochements, les rhinocéros de Sumatra et de Java réapparaitront. Cela s’est produit par le passé. En effet, au Népal, les populations de rhinocéros indiens se sont réformées au cours des dernières années grâce à un ensemble de programmes qui procurent des avantages aux populations vivant à l’intérieur et autour des habitats des rhinocéros et grâce à une application stricte de la loi. Et ces programmes portent des fruits. En 2012, c’est avec fierté que le pays a annoncé qu’aucun rhinocéros n’était décédé de suite de braconnage en 2011. Pendant ce temps, le rhinocéros blanc du sud a échappé de peu à l’extinction et on en compte aujourd’hui plus de 17.000 en liberté.




Des rhinocéros unicornes. Photo de Rhett A. Butler.




Mais le cas réussi du Népal est particulier et les défis de la conservation du rhinocéros demeurent redoutables comme l’atteste la légère mais sensible hausse du braconnage des rhinocéros blancs du sud en Afrique du Sud. L’un des obstacles majeurs à la protection de ces animaux est le prix élevé de leur corne dont la demande provient principalement du marché de la médecine traditionnelle chinoise où elle est considérée comme un remède au cancer, aux inflammations et à d’autres maladies (le commerce des œuvres artisanales à base de corne au Yémen semble connaitre un ralentissement du fait de la guerre civile et des turbulences économiques actuelles dans le pays). Face à la flambée record des prix (une moyenne de 65.000$ par kilo en 2011) au Vietnam et en Chine, les agents de protection de la nature s’efforcent de trouver un moyen de réduire les mesures incitatives au braconnage. Le problème s’explique en partie par le fait que la rareté de la corne a conduit à une augmentation de son prix. Et cette rareté est due à celle des rhinocéros et à une interdiction de son commerce légal. Du moins est-ce l’opinion de Michael ‘t Sas-Rolfes, économiste spécialisé dans le commerce de la corne de rhinocéros. Ce dernier pense qu’un commerce mieux réglementé de la corne de rhinocéros “récupéré” chez ces animaux (sans les tuer) dans les exploitations agricoles en Afrique du Sud favoriserait une chute des prix et, par conséquent, réduirait la pression sur les rhinocéros en liberté.




« Lorsque les prix de détail sont en hausse, nous pouvons logiquement nous attendre à une intensification du braconnage si les coûts anticipés de braconnage demeurent inchangés, » confie l’économiste dans une analyse publiée sur son site internet rhino-economics.com. «De même, des prix de détail en chute devraient conduire à une ralentissement du braconnage »



Cependant, l’idée d’un commerce légal de la corne est un anathème pour bon nombre d’agents de protection de la nature.



« Un commerce ‘légalisé’ équivaudrait à encourager les personnes souffrantes à consommer de la corne de rhinocéros au lieu de solliciter des soins médicaux afin que certaines parties en tirent profit. Maintenant que les distributeurs et marchands de cette corne la présentent comme un « traitement contre le cancer », cela pose un grave problème éthique, » affirme Rhishja Cota-Larson de Saving Rhinos (Sauver les Rhinocéros), un groupe qui s’efforce de stopper le commerce des parties des rhinocéros et qui anime le blog Rhino Horn is NOT Medicine (La Corne de Rhinocéros n’est pas un médicament)



black rhino
Un rhinocéros noir en Afrique.

Cota-Larson craint qu’un commerce légal de la corne de rhinocéros ne parvienne pas à éviter le braconnage opportuniste de l’animal lorsqu’il est en liberté. Elle pense que la sensibilisation des chinois et des vietnamiens est une solution à long terme contre ce commerce.



Sas-Rolfes par contre émet des doutes quant à la capacité d’une initiative de sensibilisation à convaincre tous ceux qui utilisent actuellement la corne de rhinocéros en particulier lorsque cette pratique est vieille de plusieurs milliers d’années et est profondément ancrée dans les croyances culturelles.



« Qu’il puisse être scientifiquement prouvé que la corne de rhinocéros agit comme un médicament n’a très probablement aucune importance pour ses utilisateurs,” ajoute-t-il.



Quoi qu’il en soit, il est évident que la majorité des espèces de rhinocéros, en Asie comme en Afrique, est confrontée à de sombres perspectives compte tenu des tendances actuelles. Si nous voulons que les espèces rares fassent partie de notre avenir nous devons, assurément, agir maintenant aussi bien pour protéger les rhinocéros que pour créer activement des conditions favorables à leur survie.



« Il existe encore deux petites espèces qui pourraient survivre sans l’intervention énergique de l’homme, » déclare Payne de la Bornéo Rhino Alliance.



Si les agents de protection de la nature ne parviennent pas à sauver les rhinocéros, le monde sera un lieu pauvre, renchérit Susie Ellis, Directrice Générale de l’International Rhino Foundation (Fondation Internationale de Défense des Rhinocéros) qui œuvre dans la protection de toutes les cinq espèces de rhinocéros et est partenaire de la Bornéo Rhino Alliance et de la YABI.



« Je ne voudrais pas regarder mes enfants et petits enfants dans les yeux et leur dire ‘ nous aurions pu sauver le rhinocéros de Java si nous avions fourni un tout petit plus d’effort’. »



« Il est de notre responsabilité de préserver la biodiversité planétaire pour les prochaines générations. Le rhinocéros de Java représente une espèce phare et symbolise toute une surface balayée d’habitat forestier de basse terre en Indonésie. »






Message rédigé par Waladi dans le sable sur l’île Peucang. .



Photos d’Ujung Kulon


Lowland jungle stream in Java’s Ujung Kulon National Park




Javan rhino habitat




Rain forest giant




Peucang Island, West Java, Indonesia




Peucang Island beach



Rainforest of Ujung Kulon as seen from the sea




Gigantic strangler fig




Peucang Island beach




RPU patrol paddling toward Ujung Kulon




Ranger using a camera phone on patrol



Rhino Protection Unit on patrol




Rainforest creek in Ujung Kulon




Tall buttress roots of a rainforest tree




Rhino Protection Unit on patrol in Ujung Kulon’s lowland rainforest




RPU ranger in the rainforest on Peucang Island




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