Nouvelles de l'environnement

Exploration d’un monde perdu en Asie

Abandonné des défenseurs de l’environnement et de la communauté mondiale, le Parc national de Virachey au Cambodge reste une étendue sauvage qui recèle pleins de surprises. Une interview de Greg McCann.



Haling-Halang and the barrier mountains separating Cambodia and Laos as seen from the Veal Thom grasslands, a place few outsiders have ever seen. Could tigers, Javan rhinos, or saola live in these mountains? No one knows. Photo by: Greg McCann.
Vue de Haling-Halang et de la barrière montagneuse séparant le Cambodge du Laos depuis les prairies de Veal Thom, un lieu que peu d’étrangers ont vu. Y-a-t-il des tigres, des rhinocéros de Java ou des saolas dans ces montagnes? Personne ne le sait. Photo de: Greg McCann.


Abandonné des ONG et de la Banque mondiale, découpé par le gouvernement cambodgien pour l’implantation de plantations de caoutchouc et de compagnies minières, en proie à un braconnage et à un abattage de bois illégaux et sauvages mais empli d’espèces menacées et d’endroits encore jamais explorés, le Parc national de Virachey pourrait bien être le plus grand parc au monde ayant été jugé perdu par la communauté internationale. Mais un nouveau livre de l’explorateur et doctorant, Greg McCann, a bien l’intention de changer cela. Intitulé Called Away by a Mountain Spirit: Journey to the Green Corridor (Appelé par l’esprit de la montagne: Voyage vers le corridor vert), ce livre met en lumière les expéditions entreprises par McCann en des endroits de Virachey rarement vus par les étrangers et jamais encore explorés scientifiquement, parmi lesquels de rares prairies qui abritaient autrefois des troupeaux d’éléphants d’Asie, des jaguars, des daims Sambar avant que les braconniers ne les poussent à se cacher et de lointaines montagnes se faisant écho des feulements des tigres et des barrissements des rhinocéros des plaines de Java.



“C’est l’endroit le plus surprenant que j’ai jamais vu de ma vie et pourtant je suis allé au Népal, en Alaska, en Indonésie et en bien d’autres endroits encore,” a déclaré McCann à mongabay.com dans une interview. “Après deux jours et demi d’une difficile marche dans la jungle, vous émergez de la canopée pour vous retrouver au haut des collines de la savane, des collines jaunes, brûlées par le soleil et adossées à une énorme chaîne montagneuse vert sombre […] Les prairies semblent inexplicables —un monde secret de lumière dorée et de vues ouvertes qui se découpe au milieu de la jungle, une immense zone de collines vallonnées et ambrées qui réclament une marche de deux jours pour en parcourir l’entière circonférence.”



Ce sont les prairies de Veal Thom, rarement vues par les étrangers mais où s’est rendu par trois fois McCann. Une rapide enquête d’évaluation (RAP) de l’Organisation Conservation International (CI), laquelle a passé beaucoup de son temps dans les prairies de Veal Thom, a enregistré la riche biodiversité du parc en 2007. Pendant 15 jours, elle a découvert 30 espèces de fourmis, 19 espèces de sauterelles, 37 espèces de poissons, 35 espèces de reptiles, 26 espèces d’amphibiens, 15 espèces de mammifères et a d’ailleurs vu un nombre surprenant de chiens sauvages d’Asie connus sous le nom de dholes (Cuon alpinus), un prédateur répertorié comme étant menacé par la Liste rouge de l’Union internationale pour la Protection de la Nature.



Au-delà des “inexplicables” prairies de Veal Thom s’étendent des montagnes inexplorées et d’autres prairies, encore plus lointaines, celles de Yak Yeuk.



“Aucune photo n’existe nulle part de Yak Yeuk sur Internet — quelque chose de rare aujourd’hui (vous ne pouvez même pas en voir une sur Google Earth car la couverture nuageuse en gêne la vue)” dit McCann, notant que cette région “n’a jamais été explorée par les scientifiques ni visitée par les touristes. S’il n’y avait eu un parrainage de la Banque mondiale de 2004 à 2008, les rangers n’auraient pas non plus visité l’endroit.”



Les rangers ont dû se frayer un chemin à travers la forêt pendant cinq jours pour atteindre ces prairies mais, dit McCaan, ils en ont été récompensés par de magnifiques endroits: “des gaurs ont été aperçus à découvert, des gibbons et des pygathrix les regardaient avec curiosité depuis les arbres se trouvant à la lisière des prairies avant de s’enfuir.”



Les rangers ont dû se frayer un chemin à travers la forêt pendant cinq jours pour atteindre ces prairies mais, dit McCaan, ils en ont été récompensés par de magnifiques endroits: “des gaurs ont été aperçus à découvert, des gibbons et des pygathrix les regardaient avec curiosité depuis les arbres se trouvant à la lisière des prairies avant de s’enfuir.”



“Le Parc national de Virachey a autant d’importance que n’importe quel autre endroit sur terre,” dit McCann en notant que, lors de ces marches, il a vu un certain nombre d’espèces menacées ainsi que les signes de nombreuses autres encore. “Si une grande zone centrale du parc pouvait être préservée […], alors les espèces auraient encore un grand et propice habitat.”



Le parc a été dénommé par les guides de McCann “la dernière forêt” de la zone sino-indonésienne.” En fait, selon l’Organisation Conservation International (CI), les forêts de cet endroit phare de l’ère Indo-birmane (qui inclut le Cambodge, le Vietnam, le Laos, la Thaïlande, la Birmanie et des endroits de l’Inde) sont les plus menacées au monde. Seuls restent cinq pour cent des forêts historiques.



Alors, comment se fait-il qu’un endroit d’une telle importance mondiale aux merveilles inexplorées soit abandonné par les groupes de protection de la Nature tout comme de la communauté internationale, sans parler du gouvernement cambodgien?



Selon McCannn, cela a commencé en 2008 lorsque le gouvernement cambodgien a annoncé qu’il autorisait Indochine Mining Limited à explorer 90% du Parc national de Virachey pour l’exploitation de l’or, de la bauxite (pour l’aluminium) et d’autres métaux. La Banque mondiale qui avait investi des millions dans le parc, en état de choc, s’est conséquemment retirée.



Trail across Veal Thom that appears to lead directly to Haling-Halanga Mountain. Photo by: Greg McCann.
Un sentier à travers Veal Thom qui semble conduire directement à la montagne de Haling-Halanga. Photo de Greg McCann.

“Lorsque la Banque mondiale s’est retirée, le parc a plongé et connaît à présent une quasi anarchie: on voit des bûcherons et des chasseurs par dizaines dans Veal Thom et ses alentours ainsi que partout à l’est du Vietnam,” dit McCann.



Il y a eu ensuite les concessions au sein du parc pour le développement de plantations de caoutchouc et les propositions de réalisation de grands projets hydroélectriques.



“Une partie du parc — peut-être un tiers (on ne peut connaître les chiffres exacts car le gouvernement demeure discret) a déjà été cédé aux développeurs de caoutchouc,” note McCann, ajoutant que “les groupes de protection de la Nature regardent ces cartes de Virachey — celles qui partagent le parc en différentes zones à des fins diverses — exploitation minière, caoutchouc et autres projets de développement incluant des barrages – et cela les fait frémir.”



Entre les menaces d’exploitation minière et les plantations de caoutchouc auxquelles s’ajoutent la chasse et l’abattage de bois illégal, les groupes de conservation ne viennent tout simplement plus. Cependant, McCann insiste sur le fait que tout n’est pas perdu. A ce jour, aucune exploitation minière en fait n’a été entreprise et selon McCann, il semblerait que la compagnie n’ait pas encore trouvé de quelconque gisement qui vaille la peine. Il dit que bien que les plantations de caoutchouc soient chose regrettable, “il y a encore une immense zone du parc (sa superficie totale est de 3325 km²) qui peut être conservée en tant que grande zone centrale.”



“Si la WWF, la WCS, Panthera ou qui que ce soit venait là, prouvait, avec des pièges photographiques, l’existence de cette faune rare et essayait de travailler dans le cadre du programme de réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts avec une ONG engagée en la matière, le gouvernement, je pense, reporterait au moins temporairement les autres projets de développement,” dit McCann.



Renforcer la protection à Virachey aurait aussi des impacts positifs pour la région toute entière, selon McCann.



“On pourrait convaincre le Laos et le Cambodge de mettre en place un “parc pour la paix internationale” entre Virachey et Nam Kong PPA qui préserverait le grand bassin hydrologique de la zone, la vie sauvage et les territoires traditionnels de chasse des autochtones. Les possibilités en terme d’écotourisme, par ailleurs, sont infinies.”



Dans une interview de mai 2012, Greg McCann discute de son nouveau livre, de ses expéditions dans les étendues sauvages inexplorées de Virachey, de la passion qu’il éprouve à les protéger, de ses recherches sur les croyances animistes des peuples autochtones qui vivent dans les montagnes du parc.





INTERVIEW DE GREG McCANN



Greg McCann in the Thom Veal grasslands. Photo by: Greg McCann
Greg McCann dans les prairies de Thom Veal. Photo de Greg McCann.






Mongabay: Quel est votre parcours?



Greg McCann: Je suis doctorant à l’Université Tamkang de Taipei en Taïwan où j’étudie l’écocritique, un domaine où l’on cherche les résonances ou les “lectures environnementales” des textes littéraires, où l’on cherche ce qui pourrait servir de plaidoyer environnemental. Je suis intéressé par le biorégionalisme, ou si vous voulez, le mode de vie basé sur les écosystèmes. L’idée sous-jacente au biorégionalisme c’est qu’une société devrait pouvoir satisfaire tous ses besoins de base dans un bassin hydrologique ou une zone biologique donnés. En fait, selon les universitaires dont Kirkpatrick Sale et Jim Dodge, c’est ainsi que l’humanité a vécu pendant une grande partie de son existence. Lorsqu’une communauté ou une société a longtemps vécu dans une zone, elle connaît le potentiel de la terre, elle sait comment en utiliser les ressources sans provoquer des abus ou d’effondrement écologique et elle peut d’ordinaire prendre de meilleures décisions politiques sur la manière d’y gérer la vie contrairement aux ordres qui émanent d’un gouvernement central éloigné, lequel a en fait peu de connaissances des vrais besoins d’une communauté ou de son mode de fonctionnement. On peut trouver des exemples de biorégionalisme en littérature chez Aldous Huxley, dans son roman intitulé: “l’île” et dans “Orages solaires” de Linda Hogan.



PARC NATIONAL DE VIRACHEY



Waterfall on the Tak Mak River in Virachey National Park. Photo by: Greg McCann.
Chute d’eau sur le fleuve Tak Mak dans le Parc national de Virachey. Photo de Greg McCann.






Mongabay: Votre nouveau livre raconte vos voyages vers cette région éloignée et inexplorée du Nord-Est du Cambodge. Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer ce parc national de Virachey largement méconnu?



Greg McCann: Tout d’abord, la géographie – un immense parc national montagneux au sein d’une région frontalière de la province de Ratanakiri (J’ai adoré ce nom de Ratanakiri aussi qui se traduit par “Montagne des pierres précieuses”). Elle était supposée être une terre d’esprits des montagnes et d’arbres à fées, un segment oublié de la Chaîne annamite située entre le Laos et le Vietnam. Puis, j’ai pris un exemplaire de Lonely Planet et j’ai lu ce qu’il disait au sujet d’un trek de 7 jours vers de grandes prairies (celles de Veal Thom) au coeur de Virachey. Ce parc est bordé de jungles abruptes et de zones protégées tout à la fois au Laos et au Vietnam. Avec Virachey et les zones frontières, tout ceci constitue une immense étendue sauvage sur ce bras mystérieux de la chaîne annamite méridionale. La cerise sur le gâteau, ce fut ce que laissait entendre Lonely Planet, à savoir que le parc était si grand et relativement inexploré que l’on disait qu’il y avait encore des rhinocéros de Java au coeur de la jungle.



De plus, je voulais faire un recoupement entre le biorégionalisme et l’animisme; je pensais que ce que les sociétés autochtones avaient accompli pendant des millénaires était probablement très lié à cette philosophie environnementale. Or, j’avais lu que dans le nord-est du Cambodge – en particulier dans les provinces de Ratanakiri et de Mondulkiri, les autochtones ou “peuples des montagnes” qui vivaient là étaient pour la plupart animistes. En raison de décennies de guerres et d’instabilité, les missionnaires chrétiens étaient partis et les montagnards avaient conservé leurs croyances traditionnelles. J’étais conquis.



Mongabay: Quelle est l’importance mondiale de ce parc?



Greg McCann: Il a autant d’importance que tout autre endroit sur terre. Lors de mes trois expéditions de 2010 à 2012, nous avons trouvé des signes de la présence de léopards tachetés, de léopards, de chats dorés d’Asie, de chaus, d’ours malais, d’ours noirs asiatiques, de gaurs, de loutres à petite mâchoire, de pangolins, de civettes, de sangliers sauvages et de macaques ours. Nous avons vu de nos propres yeux des gibbons, des pygathrixs, des daims Sambar, des daims aboyeurs, de grands calaos, des calaos de Malabar, des dragons d’eau et un serpent venimeux dont mon guide ignorait le nom. Si une grande zone centrale du parc pouvait être préservée, (je dis “si” car d’immenses zones le long de la frontière vietnamienne ont déjà été vendues à des développeurs de caoutchouc) alors, il resterait un grand et convenable habitat non seulement pour les espèces mentionnées ci-dessus (plusieurs d’entre elles sont menacées) mais aussi pour les tigres d’Indochine dont on pense qu’il en reste quatre à cinq d’entre eux dans la zone frontalière et montagneuse entre le Laos et le Cambodge – une zone extrêment reculée et jamais auparavant étudiée. L’un de mes guides et plusieurs autres rangers ont un soir entendu le rugissement de deux tigres dans cette zones proche de la frontière vietnamienne qui a été concédée pour le développement des plantations de caoutchouc. Les guides qualifient Virachey de “dernière forêt” d’Indochine.



LES PRAIRIES



The Veal Thom grasslands. Photo by: Greg McCann.
Les prairies de Veal Thom. Photo de Greg McCann.






Mongabay: Le Cambodge est perçu comme un pays de jungles sauvages…. Dites-en nous plus sur les prairies de Veal Thom…



Greg McCann: C’est l’endroit le plus surprenant que j’ai jamais vu de ma vie et pourtant je suis allé au Népal, en Alaska, en Indonésie et en bien d’autres endroits encore,” a déclaré McCann à mongabay.com dans une interview. “Après deux jours et demi d’une difficile marche dans la jungle, vous émergez de la canopée pour vous retrouver au haut des collines de la savane, des collines jaunes, brûlées par le soleil et adossées à une énorme chaîne montagneuse vert sombre: celle-ci divisent le Laos et le Cambodge et constituent une ligne frontière arbitraire décidée en 1904 par les Français. Les prairies semblent inexplicables —un monde secret de lumière dorée et de vues ouvertes qui se découpe au milieu de la jungle, une immense zone de collines vallonnées et ambrées qui réclament une marche de deux jours pour en parcourir l’entière circonférence.



Selon les Braos, un peuple qui vit le long du fleuve Sesan, au sud du parc, le Veal Thom (qui signifie “praires sauvages”) aurait été façonné par une famille de géants qui utilisaient cette région comme terre agricole. Un jour, il y eu une dispute familiale et plusieurs d’entre eux, de colère, s’en allèrent et s’établirent dans les prairies de Yak Yeuk, qui sont à environ 15km à l’est de Veal Thom.



Mes guides disent qu’il y a 30 ans, les collines de Veal Thom étaient noires d’éléphants, de gaurs et de daims Sambar mais aujourd’hui, des trois seul reste le daim Sambar; les éléphants restants ont fui vers les barrières montagneuses et les gaurs se sont cachés dans les forêts septentrionales et méridionales de Veal Thom mais ne sortent que rarement à découvert. A cause des Khmers rouges, ils disent que tout le monde à Ratanakiri possédait un fusil et qu’ils allèrent dans les prairies et décimèrent les vastes troupeaux.



Mongabay: A quoi cela ressemble-t-il de visiter une partie du monde rarement explorée?



Greg McCann: Une onde d’excitation me traversait à chaque méandre du fleuve (la section du fleuve Gan-Yu River, au nord des prairies), à chaque rocher, à chaque étang, à chaque cascade, à chaque rondin abattu qui se dévoilait à mes yeux. J’ai fait l’expérience d’une sensation merveilleuse comme celle que je ressentais enfant lorsque mes amis et moi-même, durant les vacances d’été où l’on pouvait s’adonner à l’aventure et aux explorations, explorions justement le ruisseau long d’une vingtaine de kilomètres à Hamburg dans l’Etat de New-York. A l’époque, j’avais l’impression que nous étions observés… Par quoi? Je ne sais pas. J’ai eu l’impression que nous étions des étrangers – pas nécessairement des étrangers indésirables – mais des invités inattendus.



Malheureusement, lors de mon dernier trek— le seul où nous nous sommes enfoncés loin – mon guide était presque totalement indifférent, regardait constamment son GPS et voulait rentrer. Mon guide habituel avait la malaria et mon emploi du temps était serré, alors, je ne pouvais pas attendre qu’il se rétablisse. Je suis sûr que j’aurais eu beaucoup plus d’histoires à raconter si mon guide habituel m’avait emmené.



Mongabay: Y-a-t-il dans le parc de possibles endroits que les braconniers auraient encore laissés intacts?



Top right is the enticing Yak Yeuk grasslands has never been explored by scientists or foreigners. Photo by: Greg McCann.
En haut à droite se trouvent les fascinantes prairies de
Yak Yeuk, lesquelles n’ont jamais été explorées par les scientifiques ou les étrangers. Photo de Greg McCann.

Greg McCann: Oui, les pairies de Yak Yeuk que j’ai précédemment mentionnées. Le Yak Yeuk (mot qui se prononce ‘yook’ et parfois s’écrit ‘Yok’) n’a jamais été exploré par les scientifiques ni visité par les touristes. S’il n’y avait pas eu un parrainage de la Banque mondiale de 2004 à 2008, les rangers n’auraient jamais visité le lieu. Les seuls gens qui pourraient avoir vu le Yak Yeuk à l’exception des deux expéditions de rangers qui ont participé à un trek-excursion de 15 jours pour visiter ce lieu, ce sont les ingénieurs de la compagnie minière Indochine Ltd, laquelle a une licence pour explorer les 90% de Virachey. Ils y seraient allés en hélicoptère. Aucune photo de Yak Yeuk n’existe nulle part sur Internet — quelque chose de rare aujourd’hui (vous ne pouvez même pas en voir une sur Google Earth car la couverture nuageuse en gêne la vue). Deux rangers ont des photos mais ils doivent encore me les envoyer par mail et en ce qui me concerne, je n’ai qu’une vue des plus hautes montagnes du Veal Thom que j’ai prise en utilisant le zoom maximal de mon appareil, un bon point de vue permettant un petit aperçu de Yak Yeuk. Les rangers qui y ont été disent que c’est même encore plus beau que le Veal Thom car ces prairies – qui sont presque de même taille que celles du Veal Thom— se situent presque sur le haut de la barrière montagneuse près du Laos. Les aventuriers n’ont nul besoin d’aller chercher plus loin!



Les rangers disent qu’il faut 5 jours (juste pour l’allée) d’une marche extrêmement difficile pour atteindre le Yak Yeuk et c’est pourquoi les braconniers n’y sont probablement pas allés; c’est tout simplement trop loin et il n’y a aucune garantie de trouver des prises abondantes. Aucun sentier ne mène là; il n’y a rien si ce n’est une importante brousse tout le long du chemin. Lorsque les rangers y sont allés lors de la présence de la Banque mondiale, des gaurs ont été aperçus à découvert, des gibbons et des pygathrix les regardaient avec curiosité depuis les arbres se trouvant à la lisière des prairies avant de s’enfuir.



La montagne de Ching-Yum — une partie de la chaîne montagneuse — est un autre endroit où les braconniers n’ont probablement pas réussi à aller. Les rangers y sont passés en allant, avec le soutien de la Banque mondiale, du Veal Thom à Yak Yeuk et ont observé d’abondants signes de la présence de carnivores. Il y a de nombreuses montagnes qui forment une frontière entre le Cambodge et le Laos et celles-ci servent de dernier refuge à la faune de la région. Je ne serais pas du tout surpris s’il y avait une population de saolas s’accrochant à la vie dans ces montagnes.



Mongabay: Reste-t-il des tigres dans le parc? Que disent les rangers ou les locaux de leur actuelle situation?



Greg McCann: Les rangers pensent que quatre à cinq tigres rôdent encore dans les canyons inexplorés du parc. Des traces de pas ont été trouvées et photographiées à l’été 2010 et, en fin de cette même année, deux d’entre eux ont entendu des rugissements près de la frontière vietnamienne — les six rangers qui formaient l’équipe ont été si effrayés qu’ils ont dû faire un grand feu pour essayer de tenir éloignés les félins. Le lendemain, les rangers ont détruit un très grand piège, probablement posé pour prendre un tigre. Les forêts de Virachey, côté vietnamien (Parc national de Chu Mom Ray), ont probablement été vidées de leurs tigres mais le Laos a encore un habitat suffisamment convenable pour celui-ci dans la zone provinciale protégée de Nam Gong (Kong), laquelle enjambe Virachey au nord et Virachey lui-même possède encore des forêts et des proies de valeur. Si l’on plaçait des pièges photographiques dans ces montagnes reculées, les résultats seraient surprenants. Les rangers ne doutent pas de l’existence de tigres en ces lieux. Je trouve cela ahurissant que les ONG, “sachant” quelque peu qu’il y a des tigres ici, n’aient jamais étudié ces zones reculées de Virachey. Comme nous l’avons vu avec le Parc national de Thap Lan en Thaïlande et la réserve de tigres de Namdapha en Inde — deux parc supposés “vides” de tigres et d’autres espèces mais qui, en fait, pullulent de vie sauvage dont les tigres — à moins que des gens aillent installer des pièges photographiques dans ces zones reculées, nous ne pourrons jamais de manière définitive l’affirmer. Vu la taille de Virachey et le fait qu’il y existe un important habitat dans la zone frontalière du Laos, il est tout à fait probable que quatre ou cinq tigres rôdent encore dans ces derniers canyons.



Mongabay: Vous avez entendu parler des pygathrix dans le parc. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre?



McCann's guide believed this was clouded leopard dung. Photo by: Greg McCann.
Le guide de McCann a pensé qu’il s’agissait des excréments d’un léopard tacheté. Photo de Greg McCann.

Greg McCann: Je suis presque sûr qu’il y avait des pygathrix cinerea (dont on sait qu’il en existe dans la province voisine de Kontum au Vietnam mais pas à Virachey— j’y viendrai dans un moment). Nous venions juste de quitter les prairies et d’entrer dans les forêts lorsque nous avons entendu un caquètement fort et bizarre. Cela ne ressemblait à aucun des primates que j’avais entendus jusqu’ici. Sans hésitation, mon guide a dit: “pygathrix”. Nous avons laissé tomber nos sacs et avons couru en direction des branches qui s’agitaient dans la canopée. Durant une brève seconde, j’en ai vu un sauter d’une branche et disparaître dans les feuillages. Lorsque j’ai vérifié les photos des trois espèces de pygathrix sur Google Images à savoir, les rouges, les gris et les cenereas – j’ai établi que ce devait être le pygathrix cenerea car je ne me rappelle pas avoir vu ses pattes de couleur rouge et j’ai vu cet animal à deux reprises dans le parc. Entendre parler d’un primate en danger critique d’extinction et le voir dans la Nature a vraiment rendu ce premier voyage exceptionnel. Il était exaltant de savoir que l’on peut – si l’on a du temps, de l’argent et l’envie — découvrir des catégories d’espèces dont on ne prend seulement connaissance en temps normal que via des sites Internet comme ceux de la WWF, de la FFI ou de Mongabay.



Etait-ce vraiment des pygathrix cinerea? Leur présence est confirmée dans la province de Kontum directement à la frontière de Virachey et la région toute entière était autrefois couverte de forêts. Pourquoi des animaux ne traverseraient-ils pas les lignes de crête et ne se répandraient-ils pas au Cambodge? Les animaux ne reconnaissent pas les frontières politiques. Ce que ces cartes de répartition montrent c’est que les scientifiques ont travaillé à Chu Mom Ray mais pas à Virachey. C’est ce dont elles témoignent.



Mongabay: Croyez-vous qu’il y ait des espèces inconnues de la science dans le parc?



Greg McCann: Sans aucun doute. Les scientifiques ont récemment découvert de nouvelles espèces de blaireaux dans les forêts protégées de Voen Sai, à l’extérieur de Virachey. De nombreuses autres seront découvertes à Virachey si les ONG chassent leurs craintes de travailler en cet endroit.



QUESTIONS DE CONSERVATION



Illegal logging is a big problem in Virachey National Park, but that's not the largest issue. Instead mining rights and rubber plantations have driven conservation groups away. Photo by: Greg McCann.
L’abattage illégal est un gros problème dans le Parc national de Virachey mais pas le plus grand. En fait, les droits miniers et les plantations de caoutchouc ont fait partir les groupes de protection de l’Environnement. Photo de Greg McCann.






Mongabay: Quelles sont pour le parc les plus graves menaces à l’heure actuelle?



Greg McCann: Les ventes de terres, la conversion des forêts en plantations agricoles et les potentielles activités minières. Une partie du parc — peut-être un tiers (on ne peut connaître les chiffres exacts car le gouvernement demeure discret) a déjà été cédé aux développeurs de caoutchouc. Une grande partie de cette terre se situe le long de la frontière avec le Vietnam. La compagnie minière Indochine Ltd cherche de l’or, du bauxite et d’autres minerais depuis plus de trois ans maintenant et elle a le droit d’explorer 90% du parc (seules, les barrières montagneuses elles-mêmes sont en dehors des limites de l’exploitation minière). Toutefois, aucun forage n’a eu lieu et d’après ce que j’ai entendu dire des gens de Ban Lung, elle n’a rien trouvé — du moins pas suffisamment pour que cela vaille la peine de s’embêter à procéder à des extractions.



Encore avant les plantations et l’exploitation minière, il y a un projet de barrage sur le fleuve Sesan qui devrait inonder une partie du parc et submerger plusieurs villages de montagne. Et bien sûr, il y a le braconnage et l’abattage illégal rampants. J’ai entendu dire que la Chine veut acheter le parc tout entier (je ne sais pas si c’est vrai).



Mongabay: Pourquoi la Banque mondiale a-t-elle arrêté de financer le parc en 2008? Quelles ont été les conséquences d’une telle décision sur le parc?



Butterflies inspect McCann's socks on the Gan-Yu River. Photo by: Greg McCann.
Des papillons inspectent les chaussettes de McCann sur le fleuve Gan-Yu. Photo de Greg McCann.

Greg McCann: La décision du gouvernement cambodgien d’autoriser Indochine à explorer 90% du parc pour l’exploitation minière l’a prise par surprise. Elle venait juste de dépenser 5 millions de dollars pour la mise en place de programmes de protection et d’écotourisme et le gouvernement cambodgien lui a flanqué cela en pleine figure.



Lorsque la Banque mondiale s’est retirée, le parc a plongé et connaît à présent une quasi anarchie: on voit des bûcherons et des chasseurs par dizaines dans Veal Thom et ses alentours ainsi que partout à l’est du Vietnam. J’imagine qu’il y a pas mal d’activités illégales dans la partie ouest du parc près de Siem Pang aussi.



La Banque mondiale payait un salaire correct aux rangers mais lorsqu’elle s’est retirée, celui-ci a chuté d’environ 30 dollars par mois et beaucoup d’entre eux sont tout simplement partis. Le parc n’avait même pas de site Internet lorsque la Banque mondiale s’en est allée (et n’en a toujours pas). Plusieurs avant-postes de rangers et bureaux du parc dans les districts de Voen Sai et de Siem Pang sont à présent vides et à l’abandon.



Mongabay: Un certain nombre de groupes de conservation ont aussi renoncé à Virachey en raison de la prise de conscience de l’immensité des défis à relever concernant la protection du parc. Pensez-vous que leurs craintes soient justifiées? Virachey est-il une cause perdue?



Greg McCann: Tout d’abord, laissez-moi vous dire que je comprends parfaitement leur position. Toutefois, j’ai passé plus de temps dans le parc qu’aucun d’eux, du moins ces dernières années, et je sais deux choses:



1. La situation est en encore plus désastreuse qu’ils ne l’imaginent



2. Malgré tout, le parc vaut encore la peine d’être sauvé et on PEUT le sauver.



Les groupes de conservation regardent ces cartes de Virachey— celles qui divisent le parc en différentes zones pour différentes fins — exploitation minière, caoutchouc et autres projets de développement dont des barrages – et cela les fait frémir. Moi aussi. Cependant, une grande partie du plan de développement du parc est basée sur le secteur minier, or, Indochine explore depuis des années et aucune extraction n’a encore eu lieu. Comme je l’ai dit auparavant, beaucoup pensent que c’est parce qu’il n’y a tout simplement pas en cet endroit de motifs suffisants et valables pour que cela vaille la peine d’entreprendre quoi que ce soit.



Upper Gan-Yu River, north of Veal Thom, an area where no tourists had visited before. Photo by: Greg McCann.
Le fleuve Gan-Yu en amont, au nord de Veal Thom, une région qu’aucun touriste n’a encore visitée. Photo de Greg McCann.

L’abattage illégal de bois de rose est rampant et a lieu presque partout à l’exception des zones les plus reculées du parc. Ce n’est néanmoins qu’un abattage sélectif d’une petite espèce particulière d’arbres, aussi, lorsque vous vous trouvez à Veal Thom et regardez la jungle, vous ne voyez pas du tout d’endroits défrichés: elle ressemble en tout point à une foêt primaire.



Si une part regrettable du parc a été concédée pour le développement du caoutchouc le long de la frontière vietnamienne et qu’une grande fraction de cette zone a été condamnée au profit des plantations, il reste encore une immense territoire (sa superficie totale est de 3325 km²) qui peut être conservé en tant que grande zone centrale. Il y a aussi la forêt protégée de Voen Sai à l’extérieur de Virachey qui abrite de nombreux gibbons et autres espèces. Si l’on pouvait établir un couloir biologique reliant celle-ci à Virachey, alors, certaines des terres perdues près du Vietnam pourraient quelque peu être compensées.



De plus, on pourrait convaincre le Laos et le Cambodge d’établir un “parc international pour la paix” entre “Virachey et Nam Kong PPA qui préserverait le grand bassin hydrologique de la zone, la vie sauvage et les territoires traditionnels de chasse des autochtones. Les possibilités en terme d’écotourisme, par ailleurs, sont infinies.



Si la WWF, la WCS, Panthera ou qui que ce soit venait là, prouvait, avec des pièges photographiques, l’existence de cette faune rare et essayait de travailler dans le cadre du programme de réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts avec une ONG engagée en la matière, le gouvernement, je pense, reporterait au moins temporairement les autres projets de développement (vu qu’il ne va probablement rien obtenir de l’exploitation minière de toute façon et que les montagnes sont trop escarpées pour les plantations).



Enfin, l’une des principales raisons pour laquelle les groupes de conservation ont abandonné c’est que financer de nouveaux projets est une étape très difficile et je le comprends bien. Beaucoup se battent juste pour conserver leurs actuels engagements, alors, se lancer dans un nouveau projet et relever un immense défi comme celui de faire revivre Virachey est tout simplement trop difficile pour eux. Le fait que des gens étonnants comme Chut Wutty soient assassinés et que des groupes comme Global Witness soit tout bonnement mis à la porte du pays pour essayer de préserver l’héritage naturel du Royaume n’est pas non plus encourageant. Néanmoins, je crois qu’il y a d’autre moyens viables de sauver le parc: le Programme pour la réduction des émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts, l’écotourisme et éventuellement le paiement de petits salaires aux locaux pour qu’ils ne chassent pas — trois éléments auxquels viendrait s’ajouter la confirmation finale qu’il n’y a aucun minerais de valeur dans ces belles montagnes – Espérons que le Ratanakiri ne soit pas vraiment la montagne des pierres précieuses!



Mongabay: Quelles peuvent être les solutions aux problèmes de Virachey?



Bones of a recently poached Sambar deer. Photo by: Greg McCann.
Les os d’un daim Sambar récemment braconné. Photo de Greg McCann.

Greg McCann: Il n’y a pas de solution parfaite. Les locaux doivent se rendre compte qu’il y va de leur intérêt d’avoir une grande région protégée près de chez eux. Malheureusement, cela ne suffit pas de dire que les tigres, les pygathrixs et les éléphants sont des exemples de l’étonnant héritage naturel de cette région, qu’ils ont une valeur intrinsèque et doivent être protégés dans leur propre intérêt. Tout le monde a besoin d’argent maintenant et donc les gens doivent voir comment en profiter. L’écotourisme est une des choses qui me vient à l’esprit mais les touristes doivent ralentir, passer un temps qualitatif à Virachey et dans les zones avoisinantes. Quel que soit l’endroit où j’ai pu me trouver à Ban Lung (capitale de la province de Ratanakiri, j’ai remarqué que les touristes n’avaient toujours que “quelques jours” avant de “devoir” se hâter vers leur prochaine destination et ce, afin de cocher la liste des choses à voir telles que les cascades des 4000 îles (Si Phan Don) à la frontière du Laos et du Cambodge. Pourquoi ne pas faire un voyage plus intense et plus concentré. Si vous n’avez que 3 ou 4 semaines, alors visitez une région toute entière, explorez-la, allez au coeur des choses. Passez quelques nuits dans les villages montagneux le long du Sesan, buvez de l’alcool de riz avec les villageois et écoutez leurs interminables histoires sur les esprits des montagnes et des forêts puis faites un trek de 7 jours au Veal Thom et si vous recherchez vraiment l’aventure, alors, soyez un vrai pionnier et allez jusqu’à Yak Yeuk à travers la brousse pendant cinq jours, passez une nuit ou deux en terre inconnue puis retournez à la civilisation en descendant sur un radeau de bambou improvisé le fleuve O-Lai-Lai sur les rives duquel les empreintes d’un tigre ont été photographiées en 2010.



Mongabay: Quel équilibre devrait-on trouver entre les besoins de développement des provinces de Ratanakiri et de Mondulkiri et la conservation?



Greg McCann: Si le gouvernement veut développer la région (ce qu’il fait), alors, il doit comprendre les besoins des locaux avant de passer à l’action. La clé du problème consiste à découvrir ce que les locaux veulent puis à oeuvrer à partir de là mais ce n’est pas tout. Si le gouvernement élabore juste une carte (ou, ce qui est tout-à-fait probable, si une compagnie étrangère élabore une carte) de la région et dit: “OK, construisons des barrages sur ces fleuves, vendons cette terre et cette forêt, construisons un pont ici et deux routes là,” alors, ce n’est pas du développement, c’est de l’exploitation et de la dégradation – ce qui, dans ce cas, fait du développement quelque chose qui ressemble davantage à une tromperie aux yeux des locaux.



Il veut construire un barrage en aval du fleuve Sesan, un projet qui – s’il est mené à bien – inondera plusieurs villages. J’ai séjourné dans l’un de ces villages en février. Il s’appelait Kompong Commune. Un matin de bonne heure, je suis descendu au fleuve et j’ai vu un homme remontant la berge avec cinq grand poissons s’agitant dans un filet, leurs écailles mouillées brillaient sous le soleil du matin. Vingt minutes plus tard environ, j’ai vu ces mêmes poissons grillés sur des bâtons au-dessus d’un grand feu où bouillait une marmite de riz cultivé au jardin et un tas de légumes coupés, des légumes apparemment tout frais que je n’avais encore jamais vus auparavant. Ce fut le petit-déjeuner le plus sain que l’on puisse imaginer prendre et en plus, il ne coûte rien à cette famille. Comment “améliorer” cela? Les soins médicaux manquent assurément mais avons-nous besoin de construire des barrages et raser des forêts pour améliorer l’hygiène et la santé? Non.



ANIMISME



Brao villagers hold out a water dragon on the O-Pong River, Virachey. Photo by: Greg McCann.
Des villageois Brao extraient un dragon d’eau du fleuve O-Pong à Virachey. Photo de Greg McCann.






Mongabay: Parlez-nous de l’animisme au Cambodge!



Greg McCann: Les Braos, les Tampuans, les Kreungs, les Bunongs et autres groupes qui vivent dans les montagnes du nord-est du Cambodge croient que des esprits malveillants vivent dans l’environnement local. Nous risquons perpétuellement d’offenser ces êtres célestes invisibles et irascibles si certaines règles sont violées – si, par exemple, on se débarrasse d’un esprit de la forêt, si l’on chasse une mauvaise catégorie d’animal, si l’on ignore certains signes de la Nature ou si l’on fait des choses que l’on n’aurait pas dû faire – le châtiment encouru est habituellement de l’ordre des blessures, des maladies, ou de la mort. En tout cas, le “sorcier” du village ou le chamane est consulté, il ou elle va communiquer avec les esprits pour savoir ce qui ne va pas et dire à la victime ainsi qu’à sa famille comment remédier à la situation— ordinairement il faut un poulet ou un porc ainsi que plusieurs jarres d’alcool de riz.



Mongabay: Quelle est la relation existante entre l’animisme— la religion traditionnelle de ces peuples de montagne — et la santé de l’environnement naturel tant à Virachey que dans le nord-est du Cambodge?



Animist drinking vessel at Piang Village on the Sesan River. Photo by: Greg McCann.
Bateau marchand animiste du village de Piang sur le fleuve Sesan. Photo de Greg McCann.

Greg McCann: Il y a des personnes dans ces montagnes – en général les plus âgées – qui croient encore que certaines montagnes – telles que Haling-Halang au coeur de Virachey ou Krang Mountain à Veal Thom— voire certaines zones de forêts sont en dehors des limites de chasse et d’abattage de bois. Si cette règle est maintenue, alors, selon les croyances animistes, “les esprits de ces lieux” les protègeront. En ce sens, l’animisme est la plus ancienne forme de conservation environnementale: certains lieux sont en dehors des limites des activités humaines parce qu’ils sont considérés comme sacrés.



Ils croient que le dieu de Haling-Halang est si puissant que les avions ne peuvent franchir cette montagne et qu’il ne peut y avoir d’incendies. Les anciens Brao soutiennent que même lorsque les Américains ont lancé des milliers de bombes sur la région durant la guerre, Haling-Halang n’a jamais brûlé. Pour obtenir les faveurs de Haling-Halang, il faut accomplir un sacrifice humain c’est pourquoi les villageois ne requièrent pas son aide. De cette combinaison entre son caractère isolé et sacré, il en a résulté le fait que cet endroit est à ce jour un important écosystème relativement peu inquiété. Mais il existe d’autres endroits, plus petits tels qu’une forêt magique à l’extérieur du village de Kroala dans le district d’O-Chum, au-delà de Ban Lung. Les esprits de cette petite forêt de 300 m² sont si puissants que cinq hommes sont récemment morts juste pour s’être tenus sous son ombrage. Un autre est mort après avoir essayé d’abattre certains des arbres pour y bâtir une petite ferme. Les villageois en ont à présent si peur que même les Chrétiens ne s’en approchent pas. Résultat: les daims aboyeurs, les sangliers sauvages, les civettes, les écureuils géants d’Asie et les oiseaux y trouvent refuge au milieu d’une mer de plantations de noix de cajou.



Mongabay: Comment l’animisme traditionnel se rattache-t-il à la philosophie environnementale moderne?



Ants crawl over a pig jawbone from a sacrificed animal. Photo by: Greg McCann.
Des fourmis grouillant sur la mâchoire d’un porc sacrifié. Photo de Greg McCann.

Greg McCann: En fait, je crois que le biorégionalisme (mon domaine d’étude) n’est qu’un moyen de décrire ce que les autochtones ont toujours fait. L’idée de ma thèse est la suivante: le biorégionalisme est une théorie et l’animisme en est la pratique. Au lieu de prendre connaissance d’un dense jargon théorique – ce qui est le lot d’un grand nombre de textes universitaires – les étudiants qui veulent trouver leurs propres philosophies environnementales devraient chercher du côté des sociétés autochtones et voir ce qu’ils peuvent en apprendre puis recouper ces expériences avec ce qu’ils lisent pour leur travaux. Les philosophes environnementaux marquent de bons points mais leurs idées deviennent souvent un petit peu abstraites et se coupent des dures réalités du terrain.



L’animisme est un système de croyance qui est totalement issu de la relation entre l’homme et la Terre – quel terrain plus fertile les philosophes environnementaux modernes peuvent-ils espérer trouver? Au lieu de se dire pour le “savoir autochtone”, allez voir ce qu’ils savent vraiment.



Mongabay: Quels sont vos futurs projets? Des voyages dont nous devrions être tenus informés?



Greg McCann: Il est prévu un voyage en janvier 2013 au Parc national de Kercini Seblat à Sumatra en Indonésie. Quelque chose comme 150 tigres rôdent encore dans les profondeurs de cette jungle en plus de plusieurs espèces de gibbons et même des orang pendak (le yéti de Sumatra). Et comme à Virachey et partout ailleurs, Kercini est menacé. Des développeurs veulent faire traverser plusieurs routes au coeur du parc: un projet qui ouvrirait en premier lieu ce territoire inaccessible aux braconniers et aux bûcherons. Nous vivons dans une époque où presque tous les endroits naturels sont gravement menacés et si l’on veut voir quelques-uns des derniers endroits sauvages, on doit vraiment se hâter. En fait, beaucoup des lieux sauvages d’Asie du Sud-Est ont déjà disparus. Kercini est probablement le prochain selon moi mais toute cette conversation sur Virachey me fait sérieusement penser aux mystérieuses prairies de Yak Yeuk…



Pour contacter Greg McCann: greg.mccann1 @ gmail.com







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Veal Thom grasslands. Photo by: Greg McCann.
Les prairies de Veal Thom. Photo de Greg McCann.






Logger on the O-Pong River. Illegal logging is often done by locals for pittance, while those organizing the trade take the bulk of the money. Photo by: Greg McCann.
Un bûcheron sur le fleuve O-Pong. L’abattage illégal est souvent effectué par des locaux comme moyen d’assurer leur existence mais ce sont ceux qui en organisent le commerce qui en retirent le plus de profit. Photo de Greg McCann.






The O-Pong River. Photo by: Greg McCann.
Fleuve O-Pong. Photo de Greg McCann.






The view from Krang Mountain in Virachey National Park. Photo by: Greg McCann.
Vue de Krang Mountain dans le Parc national de Virachey. Photo de Greg McCann.





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