Nouvelles de l'environnement

Contrôle de la déforestation : une interview avec Gilberto Camara, directeur de l’agence spatiale brézilienne INPE

DEGRAD, INPE's system for measuring forest degradation in the Amazon rainforest.
DEGRAD, le système de l’INPE pour mesurer la déforestation dans la forêt amazonienne


Peut-être est-ce logique, le système de contrôle de la déforestation le plus performant se trouve dans le pays qui a la plus grande surface de forêt tropicale : le Brésil.

Après l’indignation qui s’est exprimée dans le monde entier suite aux importantes déforestations dans les années 80, le Brésil a mis en place dans les années 90 un système de contrôle par satellite pour mesurer les changements dans la couverture forestière. En 2003, le Brésil a rendu le système accessible à tout un chacun via Internet, donnant ainsi une transparence totale sur un problème qui était vu jusque là par certains comme un sceau honteux.

Depuis, le Brésil est reconnu comme une référence dans le contrôle et le rapport de la déforestation — aucun autre pays ne rend disponible autant de données que le Brésil sur cette question.

Le Brésil a deux systèmes pour contrôler la déforestation : PRODES (programme pour calculer la déforestation dans la forêt amazonienne) et DETER (détection en temps réel de la déforestation), ce qui permet d’identifier très rapidement lorsqu’une déforestation est en cours. PRODES, qui a une sensibilité de 6,5 hectares, permet de fournir l’estimation de la déforestation annuelle du Brésil (mesuré en août chaque année) tandis que DETER, qui a une sensibilité de 25 ha, est un système d’alerte qui fonctionne toute l’année, et qui permet de mettre à jour la base de données d’IBAMA, l’agence de protection de l’environnement, toutes les deux semaines. Cela donne aux autorités la capacité technique (mais pas forcément la volonté politique) de combattre la déforestation au moment même où elle se produit.

Le système de contrôle de la déforestation au Brésil a été développé par l’INPE, l’Institut national pour la recherche aérospatiale, l’équivalent brésilien de la NASA, à travers son programme « Observation de la Terre ». L’INPE a aussi d’autre programmes sur les sciences de l’espace, la prévision météorologique, la modélisation du changement climatique, et l’ingénierie aérospatiale. Le Brésil construit actuellement 4 satellites d’observation de la Terre ; dont deux en coopération avec la Chine.

Gilberto Camara.
Gilberto Camara

L’ingénieur en aérospatiale Giblerto Camara a supervisé la plupart des travaux d’observations de la Terre de l’INPE, au début comme directeur du département de traitement des images, puis comme directeur du département observation de la Terre, et enfin depuis 2005 comme directeur de l’INPE. Sous sa direction, l’INPE a mis en place plusieurs nouveaux outils, dont DETER, un programme pour contrôler les écosystèmes en dehors de l’Amazonie, des outils pour mesurer la dégradation des forêts à cause de l’exploitation forestière et du feu, et une façon de mesurer les émissions de gaz à effets de serre dûs à la déforestation. L’INPE a récemment annoncé le lancement du programme LIDAR (télédétection par laser aéroporté) un système basé sur la lumière qui sera plus précis, et pourra détecter également à travers les nuages et la fumée.

Dans l’interview accordée en janvier à Mongabay, le Dr. Camara explique comment le petit garçon du nord-est du Brésil qu’il était est devenu le directeur de l’INPE et il nous parle des systèmes de contrôle de la déforestation de l’INPE ainsi que d’autres projets.




Une interview avec Gilberto Camara, directeur de l’INPE




mongabay: Comment est né votre intérêt pour la recherche aérospatiale?

Gilberto Camara: En 1969, alors que j’avais 13 ans, deux évènements ont décidé de mon futur : Apollo 11 est allé sur la Lune et le film « 2001, l’Odyssée de l’espace » est sorti. Je me rappelle être revenu bouleversé après avoir vu « 2001 ». A l’époque, je vivais à Fortaleza, une ville du brûlant et sec nord-est du Brésil. J’ai décidé que je voulais étudier pour devenir un ingénieur dans l’aérospatiale.

mongabay: Quel a été votre parcours pour devenir directeur de l’INPE?

Gilberto Camara: Après avoir décidé de devenir ingénieur dans l’aérospatiale, j’ai dû beaucoup étudié pour entrer à l’institut technologique de l’aéronautique (ITA), qui est l’école d’ingénieur de l’aérospatiale la plus prestigieuse, située près de Sao Paulo, dans le sud-est. J’ai réussi à intégrer l’ITA, j’ai obtenu mon diplôme d’ingénieur électrique en 1979. Puis, j’ai rejoins l’INPE en 1980 en tant qu’ingénieur, et j’ai obtenu un master puis un doctorat en informatique à l’INPE. J’ai alors décidé de me concentrer sur les systèmes d’information géographiques comme thème de recherche. De 1991 à 1996, j’ai été le directeur de la division « traitement des images » de l’INPE. De 2011 à 2005, j’ai été le directeur de la division de l’INPE « Observation de la Terre ».En 2005, j’ai été nommé directeur de l’INPE par un comité de recherche pour un mandat de quatre ans. En 2009, j’ai été sélectionné (à nouveau par un comité de recherche) pour faire un second mandat de quatre ans.

mongabay: Quels sont les points importants des principaux programmes de l’INPE?

Detection of forest degradation.
Détection de la dégradation des forêts en Marcelandia, Mato Grosso, Brésil, image obtenue en utilisant CBERS-2B HRC. Prêt de l’INPE.

Gilberto Camara: Les domaines de recherche principaux de l’INPE sont l’aérospatiale, l’observation de la terre, les prévisions météorologiques,les sciences de la terre et l’ingénierie spatiale. Dans le domaine de l’aérospatiale, nous développons un programme de prévision météorologique de l’espace, dont le but est de fournir des informations sur les conditions de la magnétosphère et la ionosphère. Dans le domaine de de l’observation de la Terre, nous nous occupons principalement de l’observation de l’utilisation des terres agricoles, en particulier l’Amazonie et l’expansion des plantations de cannes à sucre dans le centre du Brésil. En ce qui concerne les prévisions météorologiques, nous sommes le principal centre brésilien de prévision météorologique numérique, grâce au super-ordinateur CRAY (actuellement classé au 29ème rang mondial des superordinateurs). Notre centre des sciences de la Terre travaille sur des prévisions des impacts du changement climatique au Brésil. Dans le domaine de l’ingénierie spatiale, nous construisons actuellement quatre satellites d’observation de la Terre (dont deux en coopération avec la Chine).

mongabay: Qu-est-ce qui a poussé le Brésil à développer son propre programme de détection de la déforestation au Brésil?

Gilberto Camara: Tout a commencé avec le besoin de répondre aux critiques internationales, en particulier dans les années précédant le sommet de la Terre à Rio en 1992. Puis, le système a commencé à être utilisé comme un outil pour aider à la création de politique, surtout après que l’ensemble des données ait été publié sur le web (après 2003).

mongabay: Comment le système de contrôle fonctionne-t-il?

Annual deforestation data from INPE's PRODES system.
Données annuelles de déforestation selon le système PRODES de l’INPE. Cliquez sur l’image pour agrandir.

Gilberto Camara: Nous fournissons actuellement trois types d’information :

(a) Feux : donnée journalière fournie par les satellites MODIS, GOES et NOAA. Un algorithme automatique détecte les zones susceptibles d’être en feu et trace puis publie sur le web les feux réellement survenus.

(b) Déforestation en temps quasi-réel (DETER) : donnée fournie tous les 15 jours par les satellites MODIS et AWIFS-ResourceSat. Les images sont comparées avec les cartes précédentes et interprétées par un analyste. Cela inclut une évaluation des zones défrichées et des zones en cours de déforestation.

(c) Estimations détaillées des zones défrichées (PRODES) : donnée annuelle fournies grâce aux satellites LANDSAT, CBERS et DMC. Les images sont comparées avec les cartes précédentes et interprétées par un analyste. Cela permet de fournir une indication du nombre de zones nouvellement défrichées sur une période de 12 mois s’étalant du 1er août au 31 juillet de l’année suivante.

DETER est utilisé pour aider à l’application de la loi, car les données sont fournies rapidement. PRODES est utilisé pour comptabiliser le carbone et pour comparer les années entre elles.

INPE's PRODES system.
Le système PRODES de l’INPE.

Note : Que ce soit pour PRODES ou pour DETER, la carte initiale est créée par une classification automatique, puis retraitée suite à une validation minutieuse par un analyste. Les cartes de changement sont obtenues par une interprétation visuelle. Nous utilisons des interprétations visuelles plutôt que des techniques automatiques à cause de la précision nécessaire pour le comptage du carbone par opposition à la précision obtenues par l’interprétation automatique des images. Pour la comptabilisation du carbone, nous devons fournir des taux de changement : quel changement est survenu d’une année sur l’autre. Les taux de changement sont généralement très petits.

Pour prendre un exemple : 150 images ont été utilisées pour estimer la zone de déforestation en Amazonie sur la période 2008-2009. Le taux de changement pour chaque image varie de 4% à zéro. Le problème est le suivant : même dans les zones où le taux de changement est très élevé, comme en Amazonie, le taux de changement le plus élevé reste en dessous de 4%. Cependant, nous savons que la meilleure méthode d’interprétation automatique des images a une précision d’environ 90%. La conclusion est la suivante : aucune méthode d’interprétation automatique des images ne peut fournir la qualité nécessaire pour la comptabiliser du carbone. Ainsi, un bon système de contrôle de la déforestation doit utiliser des interprètes qui peuvent détecter les changements visuellement.

mongabay: Votre système d’alerte en temps quasi-réel (DETER) peut-il informer les autorités en un temps suffisant pour réagir contre les déforestations illégales?

Gilberto Camara: Effectivement, le but principal de DETER est d’informer les autorités pour leur donner la possibilité de faire intervenir la police. En 2009, 50% des opérations de police se sont produites sur 2% de la zone forestière.

mongabay: Y-a-t-il une controverse politique sur le fait d’avoir créé un outil aussi puissant et d’avoir rendu les informations disponibles au public ?

INPE's DETER system.
Le système DETER de l’INPE.

Gilberto Camara: Nous avons eu beaucoup de soutien du gouvernement fédéral, en particulier du ministère de l’environnement et du ministère des sciences et de la technologie. Le soutien des ex-ministres de l’Environnement Marina Silva et Carlos Minc et de l’actuel ministre Izabella Teixera, ainsi que de l’ex-ministre des Sciences Sergio Rezende ont été déterminant pour mettre à la disposition du public les données fournies par les cartes de PRODES et DETER. De plus, l’ancien président Lula a également reconnu l’importance d’être transparent pour construire une crédibilité internationale.

Nous avons eu un soutien considérable de la presse, de l’opinion publique et la communauté scientifique. L’opinion publique au Brésil est très concernées par les problèmes environnementaux. Comme vous les savez, un sondage réalisé en 2009 par le centre de recherche Pew a montré que 90% des habitants au Brésil sont inquiets à propos du réchauffement climatique, contre 67% en Inde, 60% en Allemagne, 44% aux États-Unis et en Russie et à peine 30% en Chine. C’est pourquoi l’opinion publique brésilienne est totalement en faveur du combat contre la déforestation.

Nous avons eu de nombreux problèmes avec certaines autorités locales et certains membres du Congrès, en particulier certains gouverneurs et leur représentants qui ont mal réagi lorsque l’INPE a publié des données sur des zones critiques de déforestation dans leurs juridictions. Certains gouverneurs ont exercé une pression très forte sur le président Lula, en affirmant que l’INPE induisait le public en erreur et exagérait les taux de déforestation dans leurs Etats. Cependant, le gouvernement fédéral nous a soutenu, et a reconnu le rôle important que l’INPE peut jouer pour soutenir l’ambition brésilienne de devenir un pays développé tout en respectant l’environnement.

mongabay: L’INPE a récemment étendu son programme de contrôle en dehors de la forêt amazonienne. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que l’INPE contrôle actuellement ?

Gilberto Camara: Nous contrôlons l’extension des zones de culture de la canne à sucre au Brésil, car nous voulons fournir une réponse à la question de savoir si le biocarburant a un impact la déforestation ou l’insécurité alimentaire. C’est pourquoi nous contrôlons les zones d’expansion de la culture de la canne à sucre pour savoir si d’autres cultures sont déplacées pour cette raison ou bien si cela cause de la déforestation de façon directe ou indirecte. Jusqu’ici, nous avons observé que la culture de la canne à sucre se fait au détriment de l’élevage extensif. L’élevage au Brésil est très inefficace. Nous avons 300 millions de têtes de bétail qui nécessitent 200 millions d’hectares, un taux de productivité très faible. L’efficacité de l’élevage au Brésil est l’un de nos problèmes environnementaux majeurs.

Before and after picture of a region affected by deadly land slides last month.

Photos avant et après d’une région affectée par des destructions le mois dernier. L’INPE a développé un partenariat avec Google Earth pour développer certaines applications.






mongabay: Le Brésil étant maintenu reconnu comme l’un des leaders dans le domaine du contrôle de la déforestation, l’INPE aide-t-il d’autres pays à développer des outils similaires?

Gilberto Camara: Durant le « COP-15 » à Copenhague, l’INPE a signé un accord avec la FAO pour aider les autres pays tropicaux à construire leurs propres systèmes de contrôle, avec l’aide du programme de l’ONU REDD. Nous avons établi un nouveau centre régional de support de la FAO en Amazonie qui donnera des formations et tout autre forme d’aide nécessaire aux pays intéressés. Notre accord avec la FAO inclut dans pays de l’Amérique Latine et du bassin congolais. L’INPE transferra gratuitement notre logiciel TerraAmazon, qui est le système qui supporte PRODES et DETER.

mongabay: Le contrôle de la déforestation a toujours été limité par la couverture nuageuse. Pouvez-vous nous dire comment INDICAR pourrait étendre vos possibilités?

Gilberto Camara: Je ne connais pas en détails le système INDICAR qui a été développé par l’IBAMA. Nous savons que le facteur limitatif est l’accès en temps réel aux images radar obtenues par le satellite japonais ALOS. Nous sommes actuellement en cours de négociation avec l’agence spatiale japonaise (JAXA) pour recevoir les images radar de ALOS en temps réel au Brésil, mais pour l’instant aucun accord final n’a été obtenu.

mongabay: Comment le satellite qui doit être bientôt lancé aider-t-il la recherche ou le contrôle ?

INPE's mapping of the Atlantic forest or Mata Atlantica ecosystem.
Les cartes de l’écosystème de la forêt atlantique (ou “Mata Atlantica” par l’INPE.

Gilberto Camara: CBERS-3
comprend quatre capteurs : (a) un capteur « CCD » d’une résolution de 20 mètres et 120 km de largeur de champ, (b) une optique PANMUX avec une résolution de 5 mètres et une largeur de champ de 60km, © une optique AWFI (Advanced Wide Field Imager) avec une résolution de 70 mètres et une largeur de champ de 860 km, (d) : un capteur infrarouge d’une résolution de 40 mètres avec une largeur de champ de 120 km qui peut détecter sur les ondes courtes et l’infrarouge thermique. Ainsi CBERS-3 permettra à la fois de faire des évaluations rapides avec l’optique AWFI, des estimations détaillées avec l’optique CCD et de vérifier ces estimations avec l’optique PANMUX. Cela nous permettra d’améliorer significativement notre système DETER et nous permettra également d’avoir une meilleure idée de sa précision.

CBERS-3 est ainsi totalement fournir ce qui est nécessaire au MRV (contrôle, rapport et vérification) qui est l’une des exigences du programme REDD.

mongabay: En vous projetant dans le futur, quelle est la plus grande avancée possible dans le domaine du contrôle de la Terre ? Quel est le plus grand obstacle pour réaliser cette objectif?

Gilberto Camara: Actuellement, les systèmes en opération tels que PRODES et DETER ne peuvent fournir des informations que sur les changements de couverture forestière. Nous avons besoin de bien plus. Nous avons besoin de systèmes d’information qui peuvent nous informer sur l’utilisation des terres et la fonction des terres. Maintenant que le Brésil réussit à tenir ses engagements à réduire la déforestation, nous devrions nous concentrer sur la façon d’utiliser nos terres. La production efficace et durable de nourriture requiert des informations de bonne qualité. Quand nous considérons la ceinture tropicale dans son ensemble, l’Afrique et l’Amérique latine ont besoin de bons systèmes de contrôle pour améliorer leur productivité agricole sans mettre en danger l’environnement.

Ainsi, l’évolution des systèmes de contrôle de la couverture des terres aujourd’hui en opération (PRODES et DETER) vers des systèmes de contrôle de l’utilisation des terres est l’un des challenge majeurs dans l’observation de la terre pour la décennie à venir. Cela nécessitera l’utilisation de plusieurs satellites, dont l’information recoupée devrait fournir des données de résolution moyenne tous les 2 à 4 jours. Nous avons appris beaucoup de MODIS, dont les données ont changé la philosophie mondiale du contrôle à distance. Nous savons que nous avons besoin d’image de classe LANDSAT de façon journalière. Explorer les données spatio-temporelles obtenues en combinant les différents satellites de résolution moyenne est le plus grand challenge auquel est aujourd’hui confronté la communauté scientifique d’observation de la Terre.



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