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Espèces oubliées: l’escargot géant des bois qui n’a pas de nom

Tout le monde connaît le tigre, le panda, la baleine bleue, mais qu’en est-il des 5 à 30 millions d’espèces estimées qui habitent notre Terre ? Beaucoup d’entre elles sont merveilleuses, stupéfiantes et des espèces rares n’ont reçu que peu d’attention de la part des média, des groupes de conversation de la nature, et du public. Cette série d’articles est une tentative de donner à ces ‘espèces oubliées‘ un peu d’attention bien méritée.

Toutes les espèces connues de la science reçoivent un nom latin. Même si ce système d’appellation sert aux chercheurs, les noms en latin – c’est triste à dire – ne retiennent plus l’attention du public. Heureusement, la plupart des espèces ont aussi des noms communs – le renard roux, le Grand Pic, l’éléphant d’Asie et ainsi de suite. Certains de ces noms se révèlent même être merveilleux, comme le dauphin obscur (dusky dolphin en anglais, avec une belle allitération), la grenouille des fraises (mention spéciale pour l’imagination), le blobfish (si vous regardez une photo de ce poisson, vous comprendrez pourquoi il a un tel nom, blob signifiant en anglais quelque chose sans forme, aux contours indécis), et mon grand préféré : la mygale de Leblond, aussi appelée Goliath mangeuse d’oiseaux. Bien que ce nom soit un peu répétitif (toute araignée capable de manger des oiseaux est forcément géante), je ne le changerais pour rien au monde. Pourtant, certaines espèces, en particulier celles qui sont moins « charismatiques », n’ont rien de mieux que leur nom latin. Tel est le destin d’un escargot géant des bois connu des chercheurs sous le nom de Archachatina bicarinata Connu de nous sous le nom de… aucun, en fait. Ce qui amène à se poser la question : comment peut-on sauver une espèce si on est incapable de lui donner un nom?



« On a tendance à l’appeler l’escargot géant endémique » a indiqué Martin Dallimer, un conservateur de la nature, à mongabay.com. Non seulement cet Archachatina bicarinata est un gros escargot, mais il est endémique des îles de Sao Tomé-et-Principe au large de la côte ouest africaine, dans le golfe de Guinée.



The Archachatina bicarinata. L’Archachatina bicarinata. Photo publiée avec l’aimable autorisation de Martin Dallimer.

Dallimer, qui a récemment mené la première étude de l’espèce avec Martim Melo à Principe, prévient que l’escargot disparaît à un rythme alarmant, essentiellement parce qu’il est ramassé pour être mangé. L’espèce a aussi besoin d’une forêt primaire (ou forêt vierge) pour survivre, ce qui fait que la détérioration de son habitat a un effet grave sur Archachatina bicarinata. En raison de ces incidences, la liste rouge de l’UICN la classe dans la catégorie des espèces « vulnérables ». Chose rare pour les escargots : à ce jour, seulement 2% des escargots aquatiques d’eau douce et terrestres du monde ont fait l’objet d’études de l’UICN.



D’après l’étude de Dallimer et Melo, la majorité des Archachatina bicarinata survivent dans le parc national de Obo do Principe, bien qu’ils soient régulièrement ramassés pour leur nourriture.



« Les parties les plus accessibles de la forêt ont quasiment perdu la totalité de leur population d’escargots et les zones au coeur de la forêt, où les escargots étaient autrefois nombreux, ont des populations nettement moins élevées » écrivent-ils. Au cours de leur étude, les chercheurs sont aussi tombés sur des sambaquis d’escargots (littéralement « tas de coquillages ») contenant des centaines de coquilles, preuve de l’existence de collectes massives. Si de telles collectes continuent sans être encadrées, Dallimer affirme que l’extinction de l’espèce est imminente.



Afin de sauver ce mollusque, Dallimer appelle à un « moratoire sur la collecte d’escargots [au parc national de Obo do Principe] et que la vente soit interdite. Cette interdiction devrait rester en place jusqu’à temps que nous sachions dans quelle mesure cet escargot peut être ramassé de manière durable. »



Cependant, Dallimer ajoute que si un moratoire passe, « il sera très difficile de l’appliquer » vu que « les moyens pour gérer le parc sont limités. Nous aurions donc besoin de la coopération de ceux qui ramassent les escargots si ça se mettait en place. »


Les voyages dans les îles augmentent également, ajoutant sans doute encore un peu plus de pression sur l’escargot. Pour aider l’espèce, Dallimer pense que les touristes, scientifiques et ornithologues en visite dans l’île doivent être conscients que l’escargot est en danger.



« Nous appelons les personnes visitant les îles à ne pas manger d’escargots et à décourager leur guide forestier d’en ramasser et d’en manger. »



Prise d’escargots ramassés. Avec l’aimable autorisation de Martin Dallimer.

Cet escargot n’a toujours pas de nom, et c’est quelque chose qui me perturbe. Évidemment, donner un nom à une espèce n’assure en aucune façon sa protection. Pour sauver cet escargot, comme le fait remarquer Dallimer, des règles doivent être établies sur le marché de la collecte. Mais un nom donne quand même à une espèce quelque chose auquel le public, qu’il soit local ou international, peut s’identifier. Le « nom » n’est pas pour l’escargot après tout, mais pour les hommes qui vont décider de son sort. Il n’est pas étonnant que dans l’histoire du Jardin d’Éden, la première chose que Dieu a fait faire à Adam soit d’attribuer des noms aux animaux qui l’entouraient (et apparemment, il a oubliéArchachatina bicarinata). Sans ces noms, nous serions perdus dans une myriade de conventions floues, incapable de communiquer non seulement entre nous mais également avec nous-mêmes.



Je dois avouer que lors de ma recherche et de la rédaction de cet article sur Archachatina bicarinata, je n’ai pas pu m’empêcher de m’atteler à la tâche d’Adam et de penser à des noms pour cet escargot anonyme : l’escargot de 1792, l’escargot terrestre surconsommé, le succulent gros escargot (mais je crains qu’un tel nom n’aide pas à sa sauvegarde) et l’escargot clair. Mon préféré est quand même « le remarquable escargot géant » étant donné que Dallimer le décrit comme se distinguant même de la végétation dense de la forêt tropicale.
« Si vous vous rendez dans les bons coins de la forêt, alors l’escargot est assez facile à voir puisqu’il est gros et clair, ce qui veut dire qu’il se remarque du reste de la végétation de la forêt. C’est un escargot impressionnant quand vous vous approchez de lui ! »



De toute évidence, cet animal mérite non seulement un nom, mais également de ne pas être arraché à son existence.






Les montagnes boisées de l’île Principe. Avec l’aimable autorisation de Martin Dallimer.








Des centaines de coquilles d’escargots dans un sambaqui témoignent de sa surexploitation. Avec l’aimable autorisation de Martin Dallimer.








Gros plan de l’escargot sans nom. Avec l’aimable autorisation de Martin Dallimer.







SOURCE: Marin Dallimer and Martim Melo. Rapid decline of the endemic giant land snail Archachatina bicarinata on the island of Principe, Gulf of Guinea. Oryx. 2010. 44(2), 213–218. doi:10.1017/S0030605309990834.






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