La protection de l’Amazonie: Reconnaître la valeur des services des écosystèmes
La protection de l’Amazonie: Reconnaître la valeur des services des écosystèmes
Rhett Butler, mongabay.com
Traduction par Alexandre Hanin
7/7/2008
Les écologistes manifestent depuis longtemps l’inquiétude que leur cause la disparition de la forêt amazonienne, sans que leurs avertissements soient particulièrement efficaces pour freiner les pertes de surface forestière. En fait, malgré les centaines de millions de dollars de dons que la région a reçus depuis 2000 et l’établissement de plus de 100 millions d’hectares de zones protégées depuis 2002, les taux moyens de déforestation sont en augmentation depuis les années 1990, atteignant un pic de 73 785 kilomètres carrés de perte forestière entre 2002 et 2004. Avec la rapide croissance des prix des terrains, l’expansion de l’élevage bovin et de la culture industrielle du soja, et les milliards de dollars investis dans les projets d’infrastructure, on s’attend à une intensification de la pression de développement sur l’Amazonie.
Vu ces tendances, il semble évident que les efforts de préservation de l’environnement ne détermineront pas seuls le sort de l’Amazonie et des autres forêts tropicales humides. Certains avancent que les mesures de marché, qui évaluent les forêts selon les services d’écosystème qu’elles fournissent et récompensent les efforts environnementaux des entrepreneurs, seront la clef pour soustraire l’Amazonie à une destruction massive. Au bout du compte, les marchés, aujourd’hui causes de la déforestation, pourraient être ceux qui les sauveront demain.
Reconnaître la valeur des services des écosystèmes
Les espoirs de voir l’Amazonie échapper au pire scénario reposent de plus en plus sur la conviction que les marchés paieront bientôt pour les services fournis par les forêts tropicales saines. Ces services — au nombre desquels le maintien de la biodiversité, la génération de précipitations, la séquestration du carbone et la stabilisation des sols — ont toujours été négligés par les marchés, mais il semble que la situation soit en train de changer. Un signe majeur est venu des pourparlers des Nations Unies sur le climat, à Bali (Indonésie), en décembre dernier. La décision fut prise de reconnaître la préservation des forêts comme moyen de réduction des émissions des gaz à effets de serre provenant de la déforestation. Les changements de l’utilisation des terres et la déforestation représentent environ un cinquième des émissions de gaz à effet de serre — plus que la totalité du secteur des transports.
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Après s’être vu refusé l’allocation de crédits carbone sous le Protocole de Kyoto, le mécanisme de « réduction des émissions provenant de la déforestation et la dégradation » (REDD) a dernièrement été relancé suite aux efforts de la Coalition for Rainforest Nations, un groupe de pays des tropiques qui tentent d’être payés pour le carbone stocké dans leurs forêts.
Alors que l’idée est toujours source de controverses, les craintes que le REDD ne coule à pic le marché du carbone naissant avec des crédits d’émission bon marché sont à présent rendues caduques par la prise de conscience que le mécanisme pourrait financer la préservation de la forêt ainsi que les efforts de soulagement de la pauvreté à hauteur de milliards de dollars par an, tout en combattant le changement climatique. La REDD — qui d’après le Stern Review de 2005 du gouvernement britannique pourrait être un des modes de réduction des émissions de gaz à effet de serre les plus rentables — s’est gagné l’appui d’un large éventail de groupes d’intérêts, parmi lesquels le secteur financier, les compagnies énergétiques, les scientifiques, les experts du développement, les décideurs politiques et les écologistes.
D’après William F. Laurance, chercheur au Smithsonian Tropical Research Institute, « C’est potentiellement une situation gagnant-gagnant pour toutes les parties concernées. La forêt y gagne, l’atmosphère y gagne, la communauté y gagne, les pays en voie de développement qui luttent pour sortir de la pauvreté y gagnent. »
Le REDD fait cependant face à de nombreux défis, notamment en ce qui concerne les droits à la terre, l’établissement de références pour mesurer les réductions des taux de déforestation, les « fuites » survenant lorsque les mesures de préservation dans une région reportent la déforestation sur une autre, la mise en place d’incitations suffisantes dans les pays où la déforestation serait faible et l’assurance que les populations locales profitent du système. En outre, la REDD n’ayant pas encore été approuvé dans le cadre d’un accord international sur le climat, les crédits provenant de la déforestation évitée sont limités aux marchés volontaires où leur valeur est substantiellement inférieure à celle des crédits carbone traditionnels. Par exemple, les crédits sur des marchés volontaires tels que le Chicago Climate Exchange se négocient à un prix inférieur de 80-90 % par rapport aux allocations de l’Union Européenne.
Néanmoins, pendant que les décideurs discutent des détails, certains investisseurs entrent déjà dans le jeu.
Les protagonistes
En décembre dernier, la banque Merrill Lynch a investi 9 millions de dollars pour la préservation de la forêt tropicale humide de Sumatra, dans l’espoir de tirer profit, par la suite, de la vente des crédits carbone ainsi obtenus. L’accord, négocié par la Carbon Conservation (Australie), pourrait générer jusqu’à 432 millions de dollars sur les 30 prochaines années grâce aux crédits carbone, en prévenant la coupe et la conversion de la forêt d’Ulu Masen (province d’Aceh) en cultures pour l’huile de palme. Les bénéfices de l’accord ne se limiteront pas à la banque, qui considérerait un financement de 3 millions de dollars pour protéger les forêts du monde entier. Irwandi Jusuf, gouverneur d’Aceh, voit en ces initiatives une étape capitale dans le processus de sauvetage de la région, après le tsunami de 2004 et les 30 ans de guerre civile.
« Le monde a besoin de plus de forêts pour stocker le carbone », a déclaré l’ex-rebelle Irwandi, un des 40 détenus qui réchappèrent de la destruction de la prison où ils étaient incarcérés, lors du passage du tsunami de 2004. « Ces forêts, la province d’Aceh les possède… La difficulté sera de financer et appliquer le projet prévu pour préserver la principale zone encore sans protection des forêts de Sumatra. »
Dans l’optique dudit projet, Irwandi a imposé un moratoire sur l’abattage et engagé plus de 1 000 ex-combattants convertis en rangers. Certains ont avancé qu’en fournissant des moyens de subsistance aux populations rurales, la REDD améliore la sécurité dans une région auparavant instable.
L’accent mis sur les bénéfices obtenus par les populations locales est particulièrement important. Les experts en développement affirment que les initiatives de la REDD sont condamnées si elles ne prennent pas ces populations en compte et ne résolvent pas les causes sous-jacentes de la dégradation et destruction forestière.
« Les politiques destinées à mettre un terme à la déforestation devront être pensées de façon à régler les divers problèmes locaux et se focaliser sur des activités des secteurs agricole, des transports et financier, notamment, qui dépassent largement les limites du secteur forestier », a dit Markku Kanninen, co-auteur d’un rapport du Center for International Forestry Research (CIFOR) sur la REDD.
« Les communautés rurales sont les gardiens de la forêt, parce qu’elles y vivent et y travaillent », écrivaient Rezal Kusumaatmadja, chargé d’un projet de la REDD en Indonésie, et Gabriel Thoumi, chercheur à l’Institue for Global Sustainable Enterprise de l’Université du Michigan, dans un éditorial publié dans le Jakarta Post. Et ils ajoutaient : « Les communautés locales doivent être engagées dans le processus de développement du projet [REDD]. »
Une REDD bien menée pourrait aussi aider à financer la préservation des écosystèmes et les initiatives de développement durable en Amazonie. Dans certaines zones, là où les infrastructures sont pauvres et le stockage du carbone est élevé, la REDD pourrait offrir des bénéfices attractifs par rapport à l’exploitation forestière traditionnelle et à l’usage agricole des terrains forestiers, spécialement pour des communautés rurales souvent négligées par le développement industriel des forêts tropicales humides. Par exemple, une étude du CIFOR et du World Agroforestry Centre (ICRAF) a montré que l’Indonésie obtient actuellement des bénéfices de 0,34 dollar par tonne de C02 — principalement de l’agriculture. En comparaison, les prix du carbone aux États-Unis sont aujourd’hui de plus de 32 dollars par tonne. Dans le même temps, les recherches menées par le Dr Daniel Nepstad au Woods Hole Research Institute indiquent un seuil de rentabilité d’environ 3 dollars par tonne de carbone pour le développement de la majeure partie de l’Amazonie. L’élevage de bétail — principal moteur de déforestation dans l’Amazonie brésilienne — n’a par le passé jamais pu approcher cette valeur. En outre, la compatibilité de la REDD avec la récolte durable des produits de la forêt, l’écotourisme de faible impact et d’autres services environnementaux pourrait lui permettre de devenir part intégrante des plans de développement rural. Si la REDD est appliquée, le Woods Hole Research Institue estime que la quasi-élimination de la déforestation dans l’Amazonie brésilienne en une décennie coûterait de 100 à 600 millions de dollars par an, une somme inférieure au coût d’opportunité des profits qui ont été tirés de l’agriculture et l’élevage dépendants de la déforestation. En d’autres mots, la REDD pourrait être le moyen le plus rentable de mettre un terme à la déforestation.
Mais le potentiel ne se résume pas à la REDD. Les investisseurs parient sur le fait que les forêts vaudront plus que le carbone qu’elles stockent.
En mars, un fond d’investissement privé prit l’initiative inédite d’acheter les droits sur les services environnementaux fournis par une réserve de 371 000 hectares, dans la forêt tropicale Le Canopy Capital de Londres mise en effet sur le fait que les services générés par une forêt équatoriale saine — notamment la génération de précipitations, le maintien de la biodiversité et le stockage de l’eau — seront en bout de compte rentables sur les marchés internationaux. L’opération est inhabituelle en ce que les profits iront à 80 % aux communautés locales. 4 % du reste iront au Global Canopy Program, une alliance de 29 institutions scientifiques visant à une meilleure compréhension des écosystèmes tropicaux.
Hylton Murray-Philipson, directeur du Canopy Capital, affirme que l’accord vise à développer un marché pour la « valeur d’utilité » des forêts tropicales humides fonctionnelles.
« On en finira avec le problème que si sa résolution est couplée à un profit économique. C’est nécessaire pour exploiter le pouvoir des marchés. Mais on ne peut s’arrêter aux simples profits — il faut aussi que nous assurions une meilleure qualité de vie aux populations locales », a-t-il expliqué, ajoutant que « Nous devons nous atteler à évaluer les parties intrinsèques de la forêt en tant qu’entité intacte, plutôt que de la transformer pour d’autres usages. »
Le Canopy Capital est en train de développer un index qui permettra d’évaluer la valeur en tant qu’écosystème intact des forêts du monde entier. La beauté du système est qu’il fournit des incitations directes pour faciliter les efforts de préservation de la forêt.
« L’index comprendrait tous les critères nécessaires à la création d’une référence d’après laquelle seraient évaluées toutes les forêts du monde, assurant ainsi l’uniformité chère aux investisseurs », a déclaré Murray-Philipson. « Un des avantages du système de notation, c’est qu’il pourrait promouvoir le développement de nouvelles réserves et zones de protection. Par exemple, si vous avez une vingtaine d’années, que vous aimez la nature et êtes doté d’un esprit aiguisé, cela vaudrait la peine de vous rendre à une partie du monde en difficulté pour tenter d’« améliorer » une zone forestière en vous mettant en contact avec les bénéficiaires locaux, pour qu’ils prennent part au projet, en arrêtant l’abattage illégal et en menant une étude sur la biodiversité. Ces actions feraient grimper la forêt dans le système d’évaluation, lui donnant ainsi une meilleure notation. C’est une manière de développer l’intérêt économique. »
Un autre exemple nous vient de l’île de Bornéo, où New Forests, un organe d’investissement de Sydney, a établi un système bancaire de préservation de la faune et de la flore basé sur la réhabilitation d’une réserve forestière dégradée. L’entreprise dit s’attendre à des rendements annuels de 15 à 25 % en vendant des « crédits de protection de la biodiversité » aux promoteurs de l’huile de palme, aux compagnies énergétiques et autres secteurs désirant fournir des produits respectueux de l’environnement aux consommateurs.
David Brand, P.D.G. de New Forest : « Via une approche commerciale de la préservation de l’environnement, nous espérons être capables de contribuer à un développement durable de Bornéo qui inclue la production d’huile de palme, l’industrie du bois et la conservation de la vie sauvage, le tout étant géré sur une base commerciale de façon harmonieuse. »
Les exemples suggèrent qu’un marché des services d’écosystème émerge bel et bien et pourrait se révéler être un modèle pour le financement de la préservation des forêts à grande échelle, tout en fournissant des perspectives de profit au secteur privé. Alors que les sociétés poursuivant des intérêts commerciaux pourraient en fin de compte protéger les forêts mondiales, les pays pauvres auraient un nouveau moyen de capitaliser leur patrimoine naturel sans avoir à le détruire.
D’après Andrew Mitchell, directeur du Global Canopy Program, « Mettre fin à la déforestation, ce serait remporter une grande victoire contre le changement climatique. » Il affirme également que « Ces forêts assurent la subsistance de 1,4 milliard de personnes parmi les plus démunies au monde, et participent à la survie de l’humanité entière — générant précipitations et hébergeant la moitié des êtres vivants mondiaux —, bénéfices dont nous avons tous besoin, mais pour lesquelles nous ne payons pas encore.”
Incitations générées par le marché
Outre l’augmentation des rétributions pour les services d’écosystème, d’autres indices indiquent que la déforestation peut être ralentie : meilleure gestion des feux par les grands propriétaires terriens, préoccupation accrue pour les performances environnementales des promoteurs de certains secteurs des matières premières, nouvelles opportunités pour le développement durable, gains de productivité et établissement de zones protégées dans des régions où le développement est particulièrement rapide.
Le Dr Nepstad affirme que les propriétaires terriens de l’Amazonie — particulièrement ceux dont les investissements seraient mis en péril par le feu, tels que l’arboriculture fruitière, l’élevage intensif du bétail et la sylviculture durable — réduisent l’utilisation du feu comme outil de gestion, diminuant ainsi la fréquence des feux se propageant dans les régions forestières environnantes.
De l’industrie viennent également des signes encourageants. Les producteurs de soja et de bœuf répondent au nouvel accent que les acheteurs de matières premières mettent sur les performances environnementales — les producteurs de soja du Mato Grosso sont en train d’adhérer à un moratoire sur le défrichement de la forêt équatoriale pour la production de soja, pendant que les éleveurs de bétail établissent leur propre système de certification concernant les standards environnementaux. Le gouvernement brésilien a récemment apporté son soutien à ces efforts en sévissant contre la production illicite de denrées en Amazonie, envoyant des troupes sur place, infligeant des amendes et menaçant l’accès au crédit des propriétaires terriens qui achètent ou font le commerce de soja, bœuf ou autres produits provenant de terres défrichées illégalement. Il faut néanmoins que le gouvernement brésilien fasse plus d’efforts pour améliorer la gestion du problème en éliminant la corruption et en appliquant la législation existante. De tels efforts devraient tirer profit de la surveillance satellite de pointe dont le Brésil dispose pour examiner la forêt depuis le ciel. Le Brésil doit poursuivre l’application des lois sur le terrain pour être efficace, mais le système de certification des matières premières peut contribuer à prendre la relève du contrôle gouvernemental lorsque l’application des lois atteint ses limites.
Dans l’état du Mato Grosso, par exemple, certains éleveurs de bétail se sont tournés vers une initiative menée par Aliança da Terra, une ONG brésilienne, pour remplacer un régime de gouvernance défaillant. Aliança da Terra essaie de créer un système de primes pour les producteurs respectant les lois strictes, mais irrégulièrement appliquées du Brésil, incitant les propriétaires terriens à garder une couverture forestière sur 80 % de leurs terres — une exigence unique au monde. Aliança da Terra veut transformer cette restriction en un avantage marketing en garantissant aux acheteurs que son bœuf certifié est produit légalement et dans le respect de l’environnement, en allant parfois au-delà des exigences légales. Les primes pour les producteurs leur ouvrent un accès au marché : Aliança da Terra aide les fermiers et éleveurs brésiliens à obtenir de meilleur prix pour leurs produits, mais seulement s’ils respectent les règles. D’un côté, les producteurs vendent leurs produits à un meilleur prix ; de l’autre, les acheteurs peuvent se vanter de consommer du bœuf produit de façon légale et responsable. Le programme assure donc que plus de forêt tropicale est laissée sur pied, aidant à préserver les services offerts par les écosystèmes et la biodiversité.
Mais pour que de tels systèmes de certification fonctionnent, il faut qu’il y ait une demande de la part des consommateurs. À présent que la déforestation de l’Amazonie est de plus en plus le fait de l’industrie plutôt que de l’agriculture de subsistance, des groupes de défense de l’environnement peuvent profiter de la sensibilité des entreprises à l’image qu’elles donnent au public sans risque de mettre en péril la survie de millions de ruraux pauvres. Autrement dit, la transition économique dont l’Amazonie est le siège a en réalité donné aux ONG un nouveau poids dans leurs campagnes de conscientisation des consommateurs.
Les groupes écologistes peuvent aussi influencer les politiques contribuant à la déforestation, en faisant par exemple pression sur les législateurs des États-Unis pour qu’ils mettent fin aux subventions à l’éthanol de maïs. Celles-ci sont en effet peu efficaces dans la lutte contre le changement climatique et sont source de distorsions nuisibles aux pauvres dans le marché alimentaire mondial. Ils favoriseraient ainsi la réduction de la pression de développement en Amazonie. De la même manière, des accords visant à abaisser les émissions de gaz à effet de serre pourraient limiter le changement climatique et offrir des bénéfices secondaires s’étendant d’une moindre dépendance à des produits industriels provenant de terres forestières à des primes pour la préservation de la forêt.
« La seule chose valable [que les États-Unis] pourraient faire serait de se convertir en leader dans le domaine du changement climatique. Beaucoup de choses se mettraient alors en place. », a dit Tom Lovejoy, directeur du Heinz Center, un groupe de pression écologiste.
Au-delà de la politique des États-Unis, l’approche internationale pour régler le problème de la déforestation en Amazonie échouera si elle refuse au Brésil le statut de nation souveraine. En défendant fermement ses droits à exploiter ses ressources comme il le juge bon, le Brésil a fini par adopter l’idée que la préservation d’au moins une partie de l’Amazonie ne va pas à l’encontre de la croissance économique. En fait, l’intégration économique de l’Amazonie en tant qu’écosystème viable pourrait améliorer la subsistance de quelques-uns des peuples les plus désespérés du Brésil.
Limiter les nouveaux défrichages ne veut pas nécessairement dire entrer en conflit avec la croissance économique par l’expansion agricole au Brésil. D’après les estimations gouvernementales, le pays possède une cinquantaine de millions d’hectares de prairies dégradées, mais arables, qui pourraient être dédiées à la culture du soja et de la canne à sucre. Une utilisation plus rationnelle des zones déjà défrichées et dégradées, combinée à une production de soja et de bétail plus intensive, contribuera à réduire le besoin de défrichages supplémentaires. Une voie particulièrement prometteuse pour stimuler la fertilité et la productivité en Amazonie sont les techniques employant le biochar, un charbon de bois tiré de la biomasse qu’utilisaient déjà les populations précolombiennes. La « terra preta », terre contenant le biochar, offre le bénéfice additionnel d’emprisonner le carbone, aidant donc à réduire les concentrations atmosphériques de CO2.
La participation des indigènes dans la réduction des pertes de la forêt amazonienne ne s’arrête pas à la terra preta. Les groupes indigènes contrôlent plus d’un quart de l’Amazonie et seront une composante essentielle de toute « solution » à la déforestation. Ces groupes se sont battus pendant des décennies pour arracher des droits sur la terre forestière qu’ils utilisent depuis d’innombrables générations. S’ils choisissent de la préserver, ils doivent recevoir une juste compensation. La REDD pourrait constituer le vecteur idéal d’une telle rétribution.
Comme l’ont montré les plus de 150 000 kilomètres carrés de perte de forêts au cours des 7 dernières années, une approche économique classique ne sera pas suffisante pour conserver la plus grande part de l’Amazonie. Les forêts doivent offrir des bénéfices économiques tangibles afin de pouvoir être préservées dans un état d’écosystème intact. Le marché des services d’écosystème pourrait être le meilleur mécanisme à court terme pour y parvenir. En même temps, une meilleure gestion, un nouveau système de rétribution récompensant les performances environnementales basé sur le marché et la poursuite de l’expansion des zones protégées seront la clef du sauvetage de forêts comme l’Amazonie.
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NOTE : Il est important de différencier la déforestation de l’Amazonie brésilienne, qui représente 60% de l’Amazonie, de celle des autres pays amazoniens. Les différences sont significatives pour de nombreuses raisons, mais peuvent se réduire à cause de l’augmentation du prix des denrées. Alors que les taux de déforestation dans des pays limitrophes tels que le Pérou et les Guyanes ont toujours été faibles, les prix élevés des biocarburants et du bois offrent de nouvelles opportunités aux investisseurs. Nous nous limitons cependant ici à la situation que connaissent aujourd’hui les vastes territoires de l’Amazonie brésilienne.