Nouvelles de l'environnement

Déforestation au Brésil

Déforestation au Brésil

Déforestation au Brésil
Déforestation de la forêt tropicale amazonienne
Rhett Butler, mongabay.com
Traduction par Alexandre Hanin
18/4/2008


L’Amazonie est à la croisée des chemins, mais les facteurs qui la mènent aujourd’hui à la destruction pourraient être ceux qui la sauveront demain


Après le déclin des trois années précédentes, le défrichage de la forêt amazonienne du Brésil a sévèrement augmenté durant les 5 derniers mois de l’année 2007, doublant pratiquement par rapport à celui de la même période de l’année antérieure. Cette augmentation, attribuée en grande partie au boom mondial des denrées, a fortement refroidi les espoirs de voir les initiatives de conservation et les efforts d’application des lois finalement soustraire le contrôle de l’exploitation de la forêt aux intérêts économiques de la région. Elle a également mis en évidence le rôle grandissant que la mondialisation et la croissance économique joueront dans le destin de la plus grande forêt tropicale humide du monde. Le futur est marqué par l’incertitude concernant l’inquiétant impact du changement climatique, des rapides bouleversements écologiques et du chambardement de l’économie globale ; c’est paradoxalement ces facteurs-là – de plus en plus globalisés et industrialisés – qui pourraient s’avérer vitaux pour le salut de l’Amazonie.



Moteurs de déforestation dans l’Amazonie brésilienne


La déforestation au Brésil

Année
Déforestation
[sq mi]
Déforestation
[sq km]
Changer
[%]
1988 8,127 21,050
1989 6,861 17,770 -16%
1990 5,301 13,730 -23%
1991 4,259 11,030 -20%
1992 5,323 13,786 25%
1993 5,751 14,896 8%
1994 5,751 14,896 0%
1995 11,220 29,059 95%
1996 7,012 18,161 -38%
1997 5,107 13,227 -27%
1998 6,712 17,383 31%
1999 6,664 17,259 -1%
2000 7,037 18,226 6%
2001 7,014 18,165 0%
2002 8,187 21,205 17%
2003 9,711 25,151 19%
2004 10,590 27,429 9%
2005 7,256 18,793 -31%
2006 5,421 14,040 -49%
2007 3,865 10,010 -47%

Tous les chiffres officiels provenant de INPE
.

La protection de l’Amazonie: Reconnaître la valeur des services des écosystèmes

Contrairement à ce qui se passait dans les années 1970, quand la déforestation était souvent liée à des projets de développement financés par un gouvernement promouvant une colonisation de subsistance, l’exploitation du territoire en Amazonie brésilienne est aujourd’hui marquée par une conversion à grande échelle de la forêt au profit de l’agriculture industrielle et de l’élevage extensif de bétail. L’Amazonie assimilée à un “désert vert” est une notion aujourd’hui dépassée : les Brésiliens considèrent à présent l’Amazonie comme la prochaine frontière agricole d’Amérique du Sud, qui rivalisera avec l’agriculture des USA, remplissant les réservoirs de carburant et couvrant les tables de nourriture dans le monde entier. Cette transition — et ses profondes implications pour le futur de l’Amazonie — a été permise par l’expansion des infrastructures, l’éradication de la fièvre aphteuse du bétail et les innovations agricoles qui ont converti les sols pauvres et acides de la région en terrains propices à la culture extensive du soja.



L’importance croissante que revêt l’Amazonie en tant que zone agricole lie de plus en plus son destin aux marchés mondiaux des denrées — l’augmentation des prix incite en effet à la déforestation. De nombreux facteurs stimulent les brûlis et le défrichage. Au nombre de ceux-ci, la récente augmentation des prix des denrées, donc, conséquence de l’augmentation de la demande internationale des denrées agricoles ; la croissance de la consommation de viande au sein des marchés en développement et émergents, qui stimule la demande de céréales; l’explosion de l’intérêt pour les biocarburants, nourrie par les pics records du prix du pétrole et les subventions à l’éthanol de maïs aux Etats-Unis.



Des données satellites brésiliennes de fin 2007 ont montré une croissance marquée du nombre d’incendies et de défrichages dans les plus importants états producteurs de soja et de bétail, le Pará et le Mato Grosso. Tous deux ont connu une augmentation d’au moins 50 % des pertes de surface forestière au cours de la même période l’an dernier, couplée à une forte hausse des brûlis : le nombre de feux dans l’état de Pará a bondi de 39-85 % au cours de la période des brûlis (juin-septembre), de 100-127 % dans le Mato Grosso, suivant le satellite considéré. Plus généralement, les 50 729 feux enregistrés par le satellite Terra et les 72 329 relayés par le satellite AQUA dans l’Amazonie brésilienne constituent des records pour des relevés basés sur des données disponibles depuis 2003. La déforestation entre août et fin décembre 2007 devrait dépasser les 7 000 kilomètres carrés. A titre de comparaison, la perte totale de forêt entre août 2006 et fin juillet 2007 s’élevait à 10 010 kilomètres carrés.



La politique et l’économie – tant au Brésil qu’à l’étranger — jouent un rôle clef dans l’expansion agricole que connait l’Amazonie. La politique énergétique des Etats-Unis, qui offrent de généreuses subventions à l’éthanol de maïs, y a eu pour conséquence la réduction de la production de soja, promouvant ainsi son expansion au Brésil.



« Nous assistons à une connexion entre le maïs et la déforestation amazonienne », a affirmé le Dr William F. Laurance, chercheur au Smithsonian Tropical Research Institute et auteur dans le numéro de décembre 2007 de la revue Science d’un article qui établit le lien entre les subventions à l’éthanol de maïs et le défrichage au Brésil.



« Nous voyons que les prix du soja augmentent en partie parce que moins de soja est cultivé aux USA suite à la hausse de la production de maïs en réponse au bond de la demande provoqué par le développement de l’industrie de l’éthanol », a ajouté le Dr Daniel Nepstad, directeur du programme Woods Hole Research Center’s Amazon de Belém. « Parallèlement, l’expansion de la production de la canne à sucre dans le sud du Brésil repousse la culture du soja vers le nord, celle-ci empiétant alors sur l’Amazonie ».



Bien que les plus importants cultivateurs de soja d’Amazonie observent actuellement un moratoire de deux ans interdisant tout défrichage supplémentaire au bénéfice du soja, il n’existe pas de moratoire dans le Cerrado voisin, un écosystème de savane dont le taux de conversion est trois fois supérieur à celui de la forêt tropicale amazonienne. L’expansion des cultures du soja et de la canne à sucre – sources de l’éthanol brésilien – les fait entrer en concurrence avec l’élevage de bétail, la principale forme d’exploitation des terres agricoles dans la région. L’élevage extensif, dont le rendement à l’hectare est significativement inférieur à celui de l’agriculture industrielle, est déplacé vers les zones frontalières, intensifiant ainsi la pression de déforestation.



« Les fermiers qui vendent leurs terres aux producteurs de soja ou de canne achètent des terrains 10 fois plus vastes le long de la frontière, grâce à l’important différentiel des prix de la terre », faisait remarquer le Dr Donald Sawyer, professeur associé au Center for Sustainable Development à l’Université de Brasilia, dans un article sur l’impact des biocarburants sur l’Amazonie publié en mars dans le Philosophical Transactions of the Royal Society B.



Comme la demande de biocarburants continue d’augmenter, il se pourrait bien que l’huile de palme — la graine oléagineuse au meilleur rendement- devienne une culture dominante en Amazonie. Les cartes de convenance des sols du Woods Hole Research Institute montrent que le Brésil possède 2 283 millions de kilomètres carrés de terrains forestiers adaptés à la production d’huile de palme. En comparaison, seuls 390 000 kilomètres carrés de terrain forestier sont adaptés au soja et 1 988 millions de kilomètres carrés à la canne à sucre. L’amélioration de l’autoroute transocéanique, qui relie le cœur de l’Amazonie aux ports sur le Pacifique du Pérou, devrait permettre l’expansion de toute culture entreprise en Amazonie.



Des routes telles que la Transocéanique aiguillonnent le développement forestier de l’Amazonie en permettant aux bûcherons, spéculateurs terriens, éleveurs, fermiers et colons d’accéder à des zones sinon isolées. Les routes sont construites, de plus en plus, par des groupes d’intérêt, particulièrement ceux des secteurs agro-industriel et du bois. Ces routes « officieuses » complètent les routes existantes, bâties par le gouvernement lors de plans de développement économique dans les années 1970 et 1980. L’industrie fait également pression sur les législateurs pour qu’ils financent une ambitieuse expansion des infrastructures et des projets d’amélioration, sous la forme d’un programme « Avanca Brasil ». Ces améliorations, d’un coût de plusieurs milliards de dollars, accentuent la promotion de la prolifération de réseaux routiers officieux, favorisant la viabilité économique de l’extraction des ressources et de la production agricole dans des zones autrefois inaccessibles.



Simultanément à l’augmentation de la demande globale de denrées agricoles produites en Amazonie, la région est de plus en plus affectée par d’autres facteurs, tels que la sécheresse, la fragmentation et les feux de forêt – facteurs qui, tous, interagissent et créent un effet de rétroaction.



Ce sont ces effets synergiques qui soulèvent les plus importantes interrogations pour le futur de l’Amazonie.



Menaces synergiques



L’histoire a démontré la forte résilience de l’Amazonie au changement climatique, aux perturbations à grande échelle des populations précolombiennes et même aux périodes de feux et de sécheresse extrême associées aux phénomènes millénaires de type el Niño. Les forces qui assaillent aujourd’hui l’Amazonie sont cependant sans précédent. Jamais auparavant la région n’avait subi les impacts simultanés de pertes et dégradations forestières massives, de la fragmentation des forêts, des incendies et du changement climatique.



Les scientifiques sont à l’œuvre pour tenter de comprendre l’impact potentiel du changement climatique sur la plus grande forêt tropicale de la planète. Des modèles suggèrent que certaines régions amazoniennes seront soumises à des températures élevées accompagnées d’une réduction de la pluviométrie, alors que d’autres seront plus arrosées, mais le débat est loin d’être tranché lorsqu’il s’agit de prédire la sensibilité et la réactivité des écosystèmes de ces régions à de fortes concentrations de CO2.



Le peu que l’on sait du changement actuel en Amazonie est déjà préoccupant. Une zone déboisée suffisamment vaste pompe l’humidité des fragments de forêt environnants, les vents abattent les arbres, amincissant la canopée et permettant à la lumière solaire d’atteindre le sol de la forêt. Cette lumière sèche la couche de feuilles mortes et tuent les arbres. Les arbres morts perdent feuilles et branches, créant le combustible qui alimente des feux de surface rampants, qui se propagent à travers la forêt lorsqu’ils s’échappent des zones agricoles défrichées voisines. Bien que ces feux soient limités, ils causent des dommages significatifs dans un écosystème peu adapté à ce genre d’agression.



« Quand une forêt brûle pour la première fois, la hauteur des flammes excède rarement 30 à 40 cm, et le feu se propage lentement au travers du tapis de feuilles mortes », a expliqué Jos Barlow, chercheur à l’Université de Lancaster au Royaume-Uni et au Musée Paraense Emilio Goeldi au Brésil. « Ces feux, qu’on pourrait croire relativement inoffensifs, sont en fait ravageurs parce que la plupart des arbres des forêts tropicales ont une faible tolérance à la chaleur, et que leur lente progression expose les arbres aux flammes durant un temps prolongé. Des feux de faible intensité peuvent donc à tuer jusqu’à 40 % des arbres ».



Lorsque la végétation part en fumée, la forêt perd une partie de sa capacité de régénération par la pluie — jusqu’à la moitié de l’humidité est recyclée par évapotranspiration dans certaines zones de l’Amazonie. Moins d’arbres signifie moins de pluie, et il a été découvert que les épaisses fumées que dégagent les feux inhibent la formation des nuages et réduisent encore les précipitations. Ces effets ne se limitent pas à la forêt équatoriale ou au Cerrado voisin, aux zones agricoles du sud du Brésil et aux forêts atlantiques menacées. Des recherches menées par Roni Avissar, de l’Université de Duke, suggèrent que les perturbations en Amazonie pourraient avoir un impact encore plus étendu, la déforestation influençant les chutes de pluie du Mexique au Texas et dans le Golfe du Mexique.



Il est toujours difficile de savoir dans quelle mesure ces changement s’aggraveront et affecteront l’Amazonie à long terme. Certaines projections sont catastrophiques, d’autres moins. Mais toutes sont source d’inquiétude pour ceux qui luttent pour sa conservation.



En 2003, une simulation menée par Peter Cox et ses collègues au Hadley Centre for Climate Prediction and Research a suscité panique et controverse en prévoyant un dépérissement de la forêt amazonienne avant 50 ans et un collapsus virtuel de l’écosystème avant 2100. La projection, qui évalue seulement l’impact de concentrations de CO2 atmosphérique plus élevées sur la température et les précipitations dans cette région, a depuis été éclipsée par des modèles tablant sur une évolution encore plus rapide à cause de l’interaction entre le climat et la modification de l’utilisation des terrains. Dans un article du Philosophical Transactions of the Royal Society B de cette année, Daniel Nepstad et ses collègues estiment que 55 % des forêts amazoniennes seront « abattues, endommagées par la sécheresse ou brûlées » au cours des 20 prochaines années si la déforestation, les feux de forêt et les tendances climatiques continuent au même train. Les dégâts provoqueront la libération de 15-26 milliards de tonnes de carbone dans l’atmosphère, renforçant un cycle rétroactif qui aggravera aussi bien le réchauffement que la dégradation des forêts dans la région. Pour ne rien arranger, Nepstad affirme que ce scénario n’est qu’une projection conservatrice — la perte de forêt et les émissions pourraient être nettement plus sévères.



« Le modèle de Hadley [indique que] la fin du siècle sera marquée par un fort dépérissement forestier en Amazonie. Mais avant que le réchauffement global n’entre en scène, toutes sortes de dégâts seront provoqués par les sécheresses que nous constatons déjà aujourd’hui, ainsi que par la déforestation, l’abattage et les incendies qui font partie de ce régime », a-t-il dit. « Pour inclure ces effets, nous avons pris notre modèle de déforestation, notre modèle d’abattage et ce que nous savons de l’effet de la sécheresse sur la mortalité des arbres, et fait une projection pour l’année 2030 en utilisant les modèles climatiques actuels. Nous avons découvert qu’avant 2030, 55 % de la forêt sera ou défrichée ou endommagée — 31 % défrichée et 24 % endommagée par l’abattage ou la sécheresse, une grande partie de cette forêt abimée prenant feu. Ce qui est effrayant, c’est que certaines de ces suppositions sont franchement conservatrices ».



Nepstad et d’autres scientifiques considèrent que la sécheresse de 2005 est représentative du futur qui attend l’Amazonie. Cette sécheresse, récemment mise en relation plutôt avec le réchauffement de l’Atlantique tropical qu’avec El Niño, fut la pire dont on se souvienne. Lorsque les rivières se sont asséchées, les communautés éloignées se sont retrouvées isolées et le commerce a ralenti jusqu’à s’arrêter. Des milliers de kilomètres carrés de terre ont brûlé pendant des mois, libérant environ 100 millions de tonnes de carbone dans l’atmosphère.



Les perspectives sont sombres, mais l’espoir subsiste.



Les écologistes manifestent depuis longtemps l’inquiétude que leur cause la disparition de la forêt amazonienne, sans que leurs avertissements n’aient été particulièrement efficaces pour freiner les pertes de surface forestière. En fait, malgré les centaines de millions de dollars de dons qui ont été injectés dans la région depuis 2000, les taux moyens de déforestation annuelle sont en augmentation depuis les années 1990, les pertes de surface forestière atteignant un pic de 73 785 kilomètres carrés entre 2002 et 2004. Au vu de ces tendances, il apparaît que les efforts de conservation seuls ne suffiront pas à déterminer le destin de l’Amazonie. Beaucoup pensent que des mesures de marché, combinées à une meilleure gestion, seront les clefs permettant d’épargner à l’Amazonie les pires prévisions.



Nepstad, parmi d’autres, a bon espoir que des tendances émergentes puissent réduire la probabilité d’un dépérissement à court terme. Ces tendances comprennent une meilleure gestion des brûlis par les propriétaires terriens grâce à des investissements sensibles au feu, une préoccupation croissante des marchés des denrées pour les performances environnementales des éleveurs et fermiers, l’émergence d’un marché du carbone stimulant la plantation de forêts et l’établissement de zones protégées dans des régions au développement galopant.



Nepstad dit que les propriétaires terriens de l’Amazonie — particulièrement ceux dont les investissements seraient mis en péril par le feu, tels que l’arboriculture fruitière, l’élevage intensif du bétail et la sylviculture durable – réduisent l’utilisation du feu comme outil de gestion, diminuant ainsi l’incidence des feux se propageant dans les régions forestières environnantes. De l’industrie viennent également des signes positifs. Les producteurs de soja et de bœuf répondent au nouvel accent que les acheteurs de denrées mettent sur les performances environnementales – les producteurs de soja du Mato Grosso sont en train d’adhérer à un moratoire sur le défrichement de la forêt équatoriale pour la production de soja, pendant que les éleveurs de bétail établissent leur propre système de certification relatif aux standards environnementaux. Le gouvernement brésilien a récemment apporté son soutien à ces efforts en sévissant contre la production illicite de denrées en Amazonie, envoyant des troupes sur place, appliquant des amendes et menaçant l’accès au crédit des propriétaires terriens qui achètent ou font le commerce de soja, bœuf ou autres produits provenant de terres défrichées illégalement. Il faut néanmoins que le gouvernement brésilien fasse plus d’efforts pour améliorer la gestion du problème en éliminant la corruption et en appliquant la législation existante. De tels efforts devraient tirer profit de la surveillance satellite de pointe dont le Brésil dispose pour tenir la forêt à l’œil depuis le ciel. Le Brésil doit poursuivre son contrôle sur le terrain pour être efficace, mais le système de certification des denrées peut contribuer à substituer le contrôle gouvernemental lorsque l’application des lois atteint ses limites.



Dans l’état du Mato Grosso, par exemple, certains éleveurs de bétail se sont tournés vers une initiative menée par Aliança da Terra, une ONG brésilienne, pour substituer un système de gouvernement défaillant. Aliança da Terra essaie de créer un système de primes pour les producteurs respectant les lois strictes mais irrégulièrement appliquées du Brésil, incitant les propriétaires terriens à garder une couverture forestières sur 80% de leurs terres — une exigence unique au monde. Aliança da Terra veut convertir cette restriction en un atout marketing en garantissant aux acheteurs que son bœuf certifié est produit légalement et de façon durable, en allant parfois au-delà des exigences légales. Les primes pour les producteurs leur ouvrent un accès au marché : Aliança da Terra aide les fermiers et éleveurs brésiliens à obtenir de meilleurs prix pour leurs produits, mais seulement s’ils respectent les règles. D’un côté, les producteurs vendent leurs produits à un meilleur prix, de l’autre, les acheteurs peuvent se vanter d’utiliser du bœuf produit de façon légale et responsable. Le programme assure donc que plus de forêt équatoriale est laissée sur pied, préservant plus efficacement les services offerts par les écosystèmes et la biodiversité.



Mais pour que de tels systèmes de certification fonctionnent, il faut que les consommateurs achètent. A présent que la déforestation de l’Amazonie est de plus en plus le fait de l’industrie plutôt que de l’agriculture de subsistance, les groupes de défense de l’environnement peuvent profiter de la sensibilité des entreprises à l’image qu’elles donnent au public, sans risque de mettre en péril la survie de millions de ruraux pauvres. Autrement dit, la transition économique dont l’Amazonie est le siège a en réalité donné aux ONG plus de poids dans leurs campagnes de conscientisation des consommateurs.



Les groupes écologistes peuvent aussi influencer les politiques contribuant à la déforestation. Par exemple, faire pression sur les législateurs des Etats-Unis pour qu’ils mettent fin aux subventions à l’éthanol de maïs, qui font peu pour lutter contre le changement climatique et causent des distorsions nuisibles aux pauvres dans le marché alimentaire global, peut aider à réduire la pression de développement en Amazonie. De la même manière, des accords visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre pourraient limiter le changement climatique et offrir des bénéfices secondaires s’étendant d’une moindre dépendance à des produits industriels provenant de terres forestières à des primes pour la conservation de la forêt.



« La seule bonne chose [que les Etats-Unis] pourraient faire serait de se convertir en leader dans le domaine du changement climatique », a affirmé Tom Lovejoy, directeur du Heinz Center, un groupe de pression écologiste. « Beaucoup de choses se mettraient alors en place ».



Au-delà de la politique des Etats-Unis, l’approche internationale pour régler le problème de la déforestation en Amazonie échouera tant qu’elle ne reconnaîtra pas au Brésil le statut de nation souveraine. En défendant fermement ses droits à développer ses ressources comme il le juge bon, le Brésil a fini par faire sienne l’idée que la préservation d’au moins une partie de l’Amazonie ne va pas à l’encontre de la croissance économique. En fait, l’intégration économique de l’Amazonie en tant qu’écosystème viable pourrait améliorer la subsistance de quelques-uns des peuples les plus démunis du Brésil.



Limiter les nouveaux défrichages ne veut pas nécessairement dire entrer en conflit avec la croissance économique par l’expansion agricole au Brésil. D’après les estimations gouvernementales, le pays possède une cinquantaine de millions d’hectares de prairies dégradées mais arables qui pourraient être consacrés à la culture du soja et de la canne à sucre. Une utilisation plus rationnelle des zones déjà défrichées et dégradées, combinée à une intensification de la production de soja et de bétail, contribuera à réduire le besoin de défrichages supplémentaires. Une voie particulièrement prometteuse pour stimuler la fertilité et la productivité en Amazonie sont les techniques employant le biochar, un charbon de bois tiré de la biomasse qu’utilisaient déjà les populations précolombiennes. La« terra preta », terre contenant le biochar, offre le bénéfice additionnel d’emprisonner le carbone, aidant donc à réduire les concentrations atmosphériques de CO2.



La participation des indigènes dans la réduction des pertes de la forêt amazonienne passe par la « terra preta », mais ne s’y résume pas. Les groupes indigènes contrôlent plus d’un quart de l’Amazonie et seront une composante essentielle de toute « solution » à la déforestation. Ces groupes ont lutté pendant des décennies pour arracher des droits sur la terre forestière qu’ils utilisent depuis d’innombrables générations. S’ils choisissent de la préserver, ils doivent recevoir une juste compensation. Comme le dit Daniel Nepstag, la REDD (Réduction d’Emissions provenant de la Déforestation et la Dégradation), pour laquelle un accord de principe a été trouvé aux pourparlers sur le climat des Nations Unies à Bali, Indonésie, pourrait être le vecteur idéal d’une telle compensation.



La REDD pourrait aussi aider à financer la conservation et les initiatives de développement durable en Amazonie. Depuis 2002, le gouvernement brésilien a mis de côté plus de 100 millions d’hectares du bassin amazonien pour le protéger d’un développement futur. Des études ont montré que les parcs — et les réserves indigènes — ont des taux plus bas de perte et dégradation forestières, et qu’ils peuvent pour cette raison jouer un rôle important dans la préservation de fragments de forêt dans des régions qui seraient sinon complètement défrichées. Cependant, comme l’ont montré les plus de 150 000 kilomètres carrés de perte de forêt au cours des 7 dernières années, les parcs seuls ne seront pas suffisants pour conserver la plus grande part de l’Amazonie. Les forêts doivent offrir des bénéfices économiques tangibles afin de pouvoir être préservées en tant qu’écosystèmes intacts. Le marché du carbone pourrait être le meilleur mécanisme à court terme pour y parvenir.



Selon des estimations du Woods Hole Research Institute, l’élimination pratiquement totale de la déforestation de l’Amazonie brésilienne en dix ans au moyen des programmes de REDD coûterait de 100 à 600 millions de dollars par an. Ces chiffres sont inférieurs au coût d’opportunité des profits obtenus dans le passé par l’agriculture et l’élevage dépendants de la déforestation. En résumé, la non déforestation constituerait la manière la plus efficace économiquement de mettre un terme à la déforestation. La REDD aiderait également à combattre le réchauffement global et à fournir des bénéfices économiques durables aux populations rurales. En outre, parce que la REDD est compatible avec la récolte durable des produits de la forêt, l’écotourisme de faible impact et d’autres services environnementaux (dont bon nombre sont actuellement utilisés ailleurs dans le monde), elle pourrait devenir une part intégrante des plans de développement rural.



Alors qu’il peut sembler qu’une grande partie de l’Amazonie sera mise en coupe réglée au bénéfice du pâturage du bétail et de la culture industrielle du soja, brûlée ou convertie en savane par le changement climatique, ces développements montrent qu’il y a des raisons de croire que l’Amazonie peut échapper à son pire destin. Les mesures politiques pour gérer la transformation économique que connaît la région, combinées avec des initiatives de conservation et des mécanismes de marché innovants, pourraient conduire à un contrôle de la déforestation amazonienne en moins de dix ans. Même si les coûts n’en seraient pas négligeables, les bénéfices offerts à l’humanité et aux écosystèmes du monde entier seraient substantiels.



– – –



NOTE : Il est important de différencier la déforestation de l’Amazonie brésilienne, qui représente 60% de l’Amazonie, de celle des autres pays amazoniens. Les différences sont significatives pour de nombreuses raisons, mais peuvent se réduire à cause de l’augmentation du prix des denrées. Alors que les taux de déforestation dans des pays limitrophes tels que le Pérou et les Guyanes ont toujours été faibles, les prix élevés des biocarburants et du bois offrent de nouvelles opportunités aux investisseurs. Nous nous limitons cependant ici à la situation que connaissent aujourd’hui les vastes territoires de l’Amazonie brésilienne.



La protection de l’Amazonie: Reconnaître la valeur des services des écosystèmes

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