Nouvelles de l'environnement

Guinée : Le corridor ferroviaire du Simandou brise les habitats des éléphants et des chimpanzés

Eléphants de la forêt de Ziama, au sud de la Guinée. Image de Zaly merveilles fournie par Younoussa Naby Sylla.

  • Le corridor ferroviaire du Simandou, long de plus de 650 kilomètres, relie les mines de fer au port de Moribaya, mais traverse des zones forestières abritant les dernières populations d’éléphants et de chimpanzés de Guinée, provoquant une fragmentation dramatique de leurs habitats naturels.
  • Les bruits, les explosions et les terrassements perturbent les itinéraires migratoires des animaux sauvages et entraînent la disparition progressive des forêts. Les ONG alertent sur le risque d’extinction locale de plusieurs espèces, faute de mesures d’atténuation suffisantes.
  • Les communautés riveraines subissent la dégradation de leurs terres et la baisse de productivité agricole à cause de la pollution et de la poussière. Plusieurs paysans dénoncent des indemnisations incomplètes ou tardives pour leurs champs détruits.
  • Les experts et acteurs de la société civile appellent à une étude environnementale stratégique et à une meilleure application des plans de gestion environnementale et sociale. Le projet Simandou symbolise le dilemme guinéen entre croissance économique et protection durable de la nature.

Le jour se lève sur les collines verdoyantes du secteur de Bombia, sous-préfecture de Madina Oula, préfecture de Kindia, localité où les cris rauques des chimpanzés résonnent dans les forêts de la chaine montagneuse de Kankouyah, mêlés au vrombissement lointain des bulldozers. L’air, autrefois saturé du parfum humide des feuilles et du bois, s’imprègne désormais de poussière et de gasoil.

À quelques kilomètres au sud du village, un ruban de terre rouge fend la végétation : c’est le corridor ferroviaire du projet Simandou. Ce gigantesque projet minier doit relier les gisements de fer de Simandou au port en construction à Moribaya, dans la préfecture de Forécariah. Une artère économique pour le pays, mais une plaie béante pour la biodiversité.

« Avant, on voyait les animaux souvent traverser ici, surtout à la tombée de la nuit », raconte à Mongabay, Alhassane Sylla, chef de secteur de Bombia. Il indexe du doigt une trouée dans la forêt, autrefois habitat naturel des animaux, désormais barrée par un remblai ferroviaire haut de plusieurs mètres. « Les éléphants passaient par là pour rejoindre les petits marigots quand ils avaient soif. Maintenant, on ne les voit plus ».

Le corridor ferroviaire, long de plus de 650 kilomètres, traverse plusieurs zones sensibles, où vivent certaines des dernières populations d’éléphants (Loxodonta cyclotis) et de chimpanzés (Pan troglodytes verus) de Guinée. Selon les experts de l’Office guinéen des Parcs nationaux et réserves de faune (OGPNRF), ces pachydermes ont des routes migratoires ancestrales reliant les zones humides aujourd’hui fragmentées par le corridor ferroviaire.

« La Guinée regorge de plus de 5000 chimpanzés seulement au niveau du Moyen-Bafing, bien que son statut soit en danger critique », déclare, à Mongabay, Mamadi Tounkara, chef du département juridique et contentieux de l’OGPNRF. « Mais le passage des engins de terrassement, le bruit des explosifs et la fragmentation du couvert végétal bouleversent leurs itinéraires ».

Tounkara déclare que le développement économique ne peut se construire sur les ruines de la nature. « On ne peut pas développer un pays dont la biodiversité est complètement dégradée. L’exploitation minière détruit tout sur son passage : forêts, faune et habitats naturels. Les éléphants, les chimpanzés, les lions ou encore les singes sont particulièrement sensibles à ces activités. Le bruit du train, par exemple, peut suffire à faire fuir les éléphants », a-t-il expliqué.

Selon lui, le projet Simandou devrait faire l’objet d’une étude stratégique environnementale approfondie, afin que l’exploitation du minerai ne se fasse pas au détriment de la biodiversité. Il rappelle par ailleurs que la conciliation entre développement et préservation est au cœur de toute démarche environnementale. « Chaque projet minier doit faire l’objet d’une étude d’impact environnemental et social, assortie d’un plan de gestion environnemental et social et de mesures d’atténuation ».

Eléphants de la forêt de Ziama, au sud de la Guinée. Image de Zaly merveilles fournie par Younoussa Naby Sylla.

Des habitats naturels bouleversés

À Sékhoussoria, Amara Camara est le coordinateur du comité de suivi des victimes du projet Simandou ; il montre la colline de Gnèguèyah, autrefois refuge de nombreuses familles de chimpanzés, désormais en ruine. « Avant les travaux du corridor ferroviaire, les chimpanzés vivaient ici. Mais, les explosions liées à la construction d’un tunnel de plus de 11 kilomètres, les ont chassés. Ils ont fui vers la forêt profonde. Ce n’est que récemment qu’ils commencent timidement à revenir », témoigne-t-il.

D’après Camara, plusieurs espèces animales vivaient dans ces forêts, notamment les chimpanzés (Pan troglodytes verus), les singes (Cercopithecus campbelli), les gazelles (Gazella rufifrons), les éléphants (Loxodonta cyclotis), mais aussi de petits mammifères comme les aulacodes (Thryonomys swinderianus). La destruction de leurs habitats entraîne une augmentation des incursions animales dans les zones agricoles, où ils ravagent les champs de riz et d’arachide. « Ces animaux ne trouvent plus de quoi se nourrir dans la forêt. Ils se tournent donc vers les cultures. C’est la conséquence directe de la perturbation de leurs écosystèmes », dit Camara.

Le rapport de Wild Chimpanzee Foundation assurant la protection des primates, daté de 2024, et qui travaille en étroite collaboration avec l’OGPNRF et la Brigade nationale, indexe la construction de la voie ferrée comme étant une menace importante pour les habitats des animaux sauvages de la région, notamment Mamou, l’une des localités traversées par le corridor ferroviaire.

Des terres agricoles complètement dégradées et polluées. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.
Des terres agricoles le long du corridor ferroviaire complètement dégradées et polluées. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.

Dans une publication de l’Elephant Protection Initiative (EPI), une coalition africaine intergouvernementale créée en 2014, estime que la population d’éléphants de Guinée se situe entre 64 et 138 individus. Pour elle, cet effectif traduit l’extrême vulnérabilité de l’espèce dans le pays et révèle l’ampleur du déclin des éléphants autrefois présents dans de vastes zones forestières et savanicoles guinéennes. Aujourd’hui, ces populations sont confinées dans quelques fragments d’habitats isolés, principalement dans le sud-est.

Le rapport de 2016 du African Elephant Specialist Group (AfESG) de l’UICN souligne l’urgence à mettre en œuvre des mesures de conservation rigoureuses, surtout face à l’expansion des activités minières et infrastructurelles comme le projet Simandou, qui aggravent la fragmentation des habitats essentiels à la survie des derniers éléphants sauvages de Guinée.

Chimpanzés des collines boisées de Bossou dans la préfecture de Lola, au sud de la Guinée. Image UICN fournie par Younoussa Naby Sylla.

Des paysans pris au piège

Le long du corridor, les champs autrefois productifs sont désormais jaunis, couverts de poussière rouge et imprégnés d’odeurs de gasoil et de terre humide, signe d’une forte dégradation des sols et d’une baisse sensible des rendements agricoles.

À Bombia, Alhassane Sylla reconnaît que le projet a apporté certains bénéfices, en termes de construction de forages, d’ouvrages de franchissement, de compensations pour les champs détruits, mais les impacts sur la production agricole demeurent préoccupants. « Plusieurs champs ont été touchés par la boue rouge issue des travaux. Cette pollution rend nos terres infertiles et compromet les récoltes », a-t-il expliqué.

Dans le district de Sékhoussoria, les plaintes se multiplient. Amara Camara cite plusieurs propriétaires agricoles, notamment Fodé Lansana Camara, Karamoko Yaya Cissé, Mamadou Samba Bah, dont les domaines sont devenus improductifs à cause des ruissellements pollués.

« L’eau charriant la boue rouge continue d’envahir les champs. Beaucoup d’agriculteurs ont dû abandonner leurs terres en attendant un dédommagement. Certains ont été compensés, mais une quinzaine attendent toujours le paiement. Les montants versés varient entre 50 000 000 francs guinéens [soit 5 800 USD] et 100 000 000 de francs guinéens [soit 11 500 USD], selon les dégâts », précise-t-il.

Une vue partielle du chantier du corridor ferroviaire du Simandou, long de plus de 650 kilomètres, relie les mines de fer au port de Moribaya, provoquant la fragmentation dramatique des habitats naturels des dernières populations d’éléphants et de chimpanzés de Guinée. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.
Une vue partielle du chantier du corridor ferroviaire du Simandou en construction, long de plus de 650 kilomètres, reliant les mines de fer au port de Moribaya, provoquant la fragmentation dramatique des habitats naturels des dernières populations d’éléphants et de chimpanzés de Guinée. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.

Mamadou Samba Bah, habitant de Sékhousoria, âgé de 32 ans, marié et père de cinq enfants, raconte sa détresse : « Je travaillais sur notre domaine familial, mais la boue déversée par la société sous-traitante, CRC16, nous empêche de cultiver. J’ai acheté du matériel agricole et des engrais, mais tout a été perdu. Aujourd’hui, je n’ai plus une activité. Je demande à être dédommagé à hauteur, de 150 000 000 de francs guinéens [soit 17 300 USD] ».

Nous avons essayé de rentrer en contact avec les responsables de la société Winning Consortium Simandou, société en charge de la construction du corridor ferroviaire, mais en vain. Alors que les rails avancent vers la côte, les ONG de conservation tentent de sauver ce qui peut encore l’être. Un acteur de la société civile, qui a préféré garder l’anonymat, reconnaît que « la pression économique autour du Simandou est énorme ».

« C’est un projet vital pour la Guinée, mais il faut aussi éviter qu’il devienne un désastre écologique. Nous avons exigé la mise en œuvre d’un plan de gestion environnementale et sociale, mais son application sur le terrain reste difficile à vérifier ».

Si le projet Simandou symbolise une opportunité économique majeure pour la Guinée, il incarne aussi des dilemmes environnementaux et sociaux d’un développement mal maîtrisé. Entre la promesse d’une prospérité et la réalité des champs dévastés, des habitats détruits et des animaux déplacés, la question demeure : à quel prix le progrès doit-il s’accomplir ?

Image de bannière : Les éléphants vivant dans le futur Parc national de Pinselli-Soyah-Sabouyah couvrant trois régions aujourd’hui fragmentées par le corridor ferroviaire. Image de WCF fournie par Younoussa Naby Sylla.

L’écocide pour préserver la biodiversité mondiale

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