- Marlyse Bebeguewa, au début, jeune porteuse dans les forêts tropicales du Sud-est du Cameroun, est aujourd’hui une pionnière dans le monitoring des activités de conservation du Parc national de la Lobéké.
- Elle est l’unique femme sélectionnée parmi des hommes lors d’une campagne de recrutement des assistants monitoring en 2014 par le parc, brisant ainsi les barrières liées au genre.
- L’histoire de cette dame de 38 ans est l’une des plus belles parmi celles des peuples autochtones Baka et des communautés locales Bantou, engagées dans la protection de l’un des paysages forestiers les plus riches en biodiversité du Cameroun.
MAMBÉLÉ, Cameroun – Lorsque la plupart des adolescents se projettent dans le futur, très peu se voient à l’âge de 18 ans, en train de transporter de lourdes charges à travers la forêt équatoriale camerounaise. Et, pourtant, pour Marlyse Bebeguewa, une assistante monitoring de 38 ans, en service au Parc national de la Lobéké, au Sud-est du Cameroun, ceci était le déclic d’une carrière très inspirante dans la conservation.
« Je me sens bien, comme d’habitude. Je ne suis pas fatiguée. En fait, je suis heureuse de travailler avec des gens, cela me donne de l’énergie », a dit Bebeguewa, à Mongabay, lors d’une interview, au terme d’une randonnée pédestre de 12 kilomètres, au cœur du Parc national de la Lobéké, début juin 2025. « Je ne me fatigue pas. Je suis toujours en forme et motivée ».
Née au sein d’une famille Bantou en 1987, Bebeguewa est l’une des huit enfants de la fratrie élevée par sa mère, après le décès de son père. Ce dernier est tombé malade et est décédé, alors qu’il assisait des scientifiques dans le cadre de leurs activités de recherche dans les forêts vierges du Sud-est du Cameroun, en octobre 1996, cinq ans avant la création du Parc national de la Lobéké. Cette tragédie a plongé la famille dans une situation financière précaire, et a forcé Bebeguewa à arrêter ses études en classe de 5ème, du cours secondaire.
« Après avoir abandonné l’école, je n’avais rien à faire », explique-t-elle. « Comme mon père travaillait dans la forêt, j’ai pensé que je pouvais suivre cette voie ».
Le parcours de Bebeguewa, qui a abandonné les études pour se consacrer à une carrière d’assistante de recherche dans la conservation, fait partie des histoires très peu connues, de nombreuses femmes travaillant dans la conservation de la biodiversité en Afrique. Elles s’emploient à réduire le fossé entre la recherche scientifique, les connaissances des communautés et la protection des forêts dans certains des paysages les plus reculés de la région.
En 2009, Bebeguewa est recrutée par le service de conservation du Parc national de la Lobéké, dans l’équipe des porteurs chargés d’accompagner les touristes en forêt. La même année, une opportunité s’offre à elle : les membres des communautés vivant autour du parc sont invités par le service de conservation à une session de formation de guides touristiques à Bayanga, en République centrafricaine.
« J’ai postulé et j’ai été retenue. Après ma formation, j’ai continué à guider les touristes et à travailler dans la forêt. C’est là que mon voyage a véritablement commencé ».

Briser les barrières
Pendant cinq ans, Bebeguewa a affiné ses compétences sur le terrain, jusqu’au recrutement en 2014 des assistants monitoring pour le suivi écologique du parc. Parmi la douzaine de postulants, elle fut l’unique femme retenue.
« J’ai posé ma candidature et j’ai été la seule femme sélectionnée », dit-elle avec une joie apparente dans sa voix. « Aujourd’hui, je suis consultante et je travaille dans le suivi écologique du parc ».
En 2020, elle poursuit son petit bonhomme de chemin, et est admise au sein de l’ONG World Wild Fund for Nature (WWF) comme stagiaire biologiste, avant d’occuper ensuite un rôle de consultante, qu’elle assume désormais. Au fil des années, elle a également brisé des barrières liées au genre dans un environnement dominé par les hommes, en chaperonnant des jeunes filles dans le domaine de la conservation.
« Grâce à ce travail que je fais, j’ai pu construire ma maison. C’est grâce à cela que je paye l’école à mes enfants et que j’ai également adopté d’autres enfants », dit Bebeguewa. « Je n’ai pas beaucoup fréquenté et je me suis engagée à aider les autres à aller plus loin ».
L’usage de la technologie au service de la conservation
Dans la région enclavée du Sud-est du Cameroun, l’époque de la recherche aux outils purement manuels est révolue. Grâce à la formation et aux équipements fournis par WWF, Bebeguewa déploie les unités acoustiques et les pièges photographiques pour la surveillance du parc, des éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis), aux gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla), en passant par les coups de feu des braconniers.
« Ces outils nous permettent de détecter la présence des espèces telles que les gorilles, ainsi que des animaux nocturnes. Et les données collectées orientent les patrouilles de lutte anti-braconnage et permettre de mieux planifier le tourisme », dit-elle.
Travailler en forêt dans des zones enclavées s’accompagne d’énormes risques. Au cours d’une mission particulièrement éprouvante, Bebeguewa a parcouru près de 70 kilomètres (43 miles) à pied en 24 heures, de l’intérieur du parc jusqu’au service de Conservation à Mambélé, dans le département de la Boumba-et-Ngoko à l’Est du pays, pour rapporter la nouvelle de la disparition de l’une de ses collègues. Ce fut l’une des expériences les plus difficiles pour elle, rendue compliquée par le déficit d’outils de communication fiables. Durant sa visite au Parc de la Lobéké, Mongabay a d’ailleurs remarqué que les écogardes n’utilisaient pas de radios portatifs pour communiquer entre eux.
« Nous avons besoin de plus d’outils pour communiquer. Pour le moment, nous n’avons que très peu de radios. Ce qui est insuffisant pour toute l’équipe », dit Bebeguewa.
Le Parc national de la Lobéké est confronté à d’importants défis qui entravent son potentiel en tant que hub écotouristique. En dépit de sa riche biodiversité, le parc reste sous-financé, et génère très peu de revenus grâce au tourisme. En 2016, seulement 96 touristes l’ont visité, selon une étude du Centre for Rural Development Berlin. Une statistique légèrement à la hausse six ans après, avec un peu plus de 100 touristes enregistrés au cours de l’année 2024, d’après les responsables du parc.
Faciliter la cohabitation entre Baka et Bantou
Contribuer à une meilleure cohabitation entre la mosaïque de peuples Bantou et Baka vivant autour du Parc national de la Lobéké est également un des challenges de Bebeguewa. Appartenant à l’ethnie Bantou, elle travaille inlassablement pour faciliter l’inclusion des membres de la communauté Baka dans les activités de conservation.
« Nous cohabitons dans la paix. Lorsque des problèmes surviennent, nous les résolvons par le dialogue », dit-elle.

Le Parc national de la Lobéké est co-géré par le gouvernement camerounais et le WWF. Selon Bebeguewa, le succès de sa gestion repose également sur l’implication des communautés Bantou et Baka. Elle confie que l’équipe dirigeante du parc associe très souvent les membres des deux groupes ethniques dans la prise des décisions, y compris ceux qui ne font pas partie du personnel du parc.
Malgré les efforts de Bebeguewa pour amener les deux communautés à travailler ensemble, les rapports entre les Bantou et les Baka restent tendus et marqués par d’importants défis à relever.
L’étude menée par le Centre for Rural Development Berlin en 2016, a révélé que les tensions entre les deux ethnies, constituaient des obstacles à l’épanouissement des Baka. Ces conflits inter-communautaires ont souvent sapé les efforts déployés pour répondre aux besoins et aux aspirations spécifiques des peuples autochtones, conclut l’étude.
L’étude a également suggéré des approches de développement, qui reconnaissent le désir d’intégration socio-économique des Bakas – comme l’accès aux écoles, aux soins de santé et à l’emploi– tout en respectant leurs liens culturels profonds avec la forêt. En outre, elle a souligné la nécessité d’inclure les communautés Bantou dans ces efforts, afin d’éviter de renforcer les divisions et de promouvoir une gestion plus équitable et inclusive autour du Parc national de Lobéké.

« C’est un environnement de travail difficile »
En dépit de ses réalisations, Bebeguewa parle librement des challenges à surmonter par le parc : la population des éléphants est tout juste en train de rebondir après un braconnage excessif et l’isolement du parc rend sa protection et le tourisme difficiles.
L’équipe de reportage de Mongabay Afrique a passé deux jours de voyage par la route pour rallier le Parc national de la Lobéké situé à un peu plus de 750 km (470 miles) de Yaoundé, la capitale camerounaise, un trajet qui pourrait s’avérer plus long avec le retour des pluies.
« Le tourisme est très prometteur à Lobéké. Nous avons enregistré 117 visiteurs l’année dernière », dit Donatien Joseph Guy Biloa, Conservateur du Parc national de la Lobéké. Cependant, il reconnait que le mauvais état de la route est l’un des obstacles majeurs au développement de l’écotourisme dans la région. Il ajoute : « Le mauvais état des infrastructures routières demeure un obstacle majeur. L’accès à Lobéké est difficile, les routes sont en très mauvais état. De nombreux visiteurs potentiels annulent leur voyage à cause de cette situation. Seuls, les touristes les plus passionnés, les plus engagés, parviennent à se rendre jusqu’au parc ».
Marlyse Bebeguewa renchérit : « c’est un environnement de travail difficile (…). Les menaces sont nombreuses, notamment l’isolement du parc ».
Elle nourrit pourtant l’espoir qu’un jour, ses enfants ou même ses petits-enfants, continuent le travail qu’elle a entrepris. « Même si je ne travaille plus là-bas un jour, j’espère que mes enfants ou petits-enfants continueront à travailler dans ce domaine ».
Les populations autochtones et les communautés locales ont souvent été marginalisées dans les débats nationaux et internationaux sur la gestion de leurs ressources, bien que leur rôle de gardiens soit de plus en plus reconnu. Si Bebeguewa a l’occasion de s’adresser à un public international, son message est simple : « Lobéké est notre patrimoine. Elle est riche en biodiversité, avec des espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Nous avons besoin de meilleures routes pour que davantage de touristes puissent le visiter. Je dirais au président [camerounais], Paul Biya, que nous avons besoin de meilleures infrastructures et de meilleurs hébergements pour les visiteurs ».
Image de bannière : Marlyse Bebeguewa installe un dispositif acoustique sur un arbre pour capter les aboiements des éléphants dans le Parc national de Lobéké. Image de David Akana pour Mongabay.
Citation :
Usongo, L., & Nkanje, B. T. (2004). Participatory approaches towards forest conservation: The case of Lobéké National Park, south east Cameroon. International Journal of Sustainable Development & World Ecology, 11(2), 119-127. doi:10.1080/13504500409469816
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