- La Centrafrique fait face à des épisodes pluvieux intenses, inhabituels, jusqu'au mois de juin, selon la direction générale de la météorologie.
- Près de 30 000 personnes sont menacées par cette catastrophe naturelle à Bangui, sur un total de 1 500 000 habitants, selon une estimation du ministère des actions humanitaires.
- Dans presque tous les quartiers de la capitale, les habitants se mettent en ordre de bataille : curage des caniveaux, renforcement des bâtiments, déménagement dans les quartiers riverains.
- À Bangui, la montée régulière des eaux détruit la biodiversité, des vies humaines, des moyens de subsistance, des infrastructures et occasionne des maladies épidémiologiques, selon les spécialistes de l'environnement.
Le soleil se lève tout doré au bord de la rivière Oubangui. Plus de 5 000 âmes vivent dans cette partie de la capitale, Bangui, précisément dans le quartier de M’poko Back, au bord de la rivière depuis plus de 60 ans. En cette saison pluvieuse, les eaux débordent et le quartier se transforme en lac.
Une partie de la maison en argile de David Balibara, un gendarme à la retraite, n’a pas résisté à la pluie torrentielle et aux vents violents de ce lundi 19 mai 2025. Les eaux ont envahi sa concession et celles de ses voisins.
Debout au milieu des décombres de sa maison écroulée, ce septuagénaire encourage ses enfants, appuyés par quelques jeunes bénévoles, qui tentent de créer des conduits pour évacuer l’eau.
« J’ai acheté cette parcelle en 1980, quelques mois après mon intégration dans la fonction publique. A l’époque, je ne pouvais pas imaginer qu’il s’agissait d’une zone inondable. Il n’y avait pas assez de monde et le secteur n’était pas exploité à outrance. Mais notre galère a commencé au début des années 2000. La ville s’est développée et de nombreuses personnes se sont installées de manière anarchique dans le quartier. C’est depuis plus de 24 ans que nous vivons au rythme des inondations. Parfois, c’est moins grave, d’autres fois, c’est compliqué ».
Selon David Rokoissé, de nombreux habitants souhaitent quitter le quartier, mais avec l’élargissement de la ville, les terrains sont devenus très chers. Un lot de parcelles d’une dimension de 25 m² qui coûtait 50 000 francs CFA (environ 86,45 USD), se vend aujourd’hui à 1 000 000 francs CFA (soit 1728,99 USD).
Ici à M’poko Bac, comme dans la plupart des quartiers riverains, des jeunes volontaires se lancent dans la construction de digues, de barrages ou encore le curage des caniveaux pour se protéger contre l’érosion et le débordement des eaux.
« Contrairement aux décennies précédentes, le phénomène des inondations s’est aggravé ces dernières années. Cela se justifie par l’accroissement de la population et surtout une forte expansion démographique. À cela s’ajoute l’incivisme de certains habitants qui déversent tous les jours des déchets dans les caniveaux, sans oublier ceux qui construisent des maisons en désordre sans le respect des normes », dit Balibara.
À quelques jets de pierres de là, au quartier de Sapéké, un groupe de jeunes volontaires a mis en place des initiatives citoyennes. Armés de balais, de pelles, de râteaux, de pioches et d’une forte dose de bonne volonté, ils essaient de ramener l’ordre dans le quartier en dépit de moyens très limités.

Le visage couvert de sueur, Marcelin Daya fait partie du groupe. Malgré les efforts déployés, il constate que les mêmes scènes de chaos se répètent. « À chaque pluie torrentielle, c’est la même désolation. Ces dernières années, pendant la saison des pluies, on enregistre dans notre quartier, une dizaine de morts par noyade ou lors de l’écroulement des maisons. Personnellement, mon enfant s’est noyé en 2022, alors qu’il revenait de l’école. Dans ce quartier, quand il pleut, on se promène avec la mort, car personne ne sait ce qui pourrait lui arriver. On ne sait pas pourquoi cette année les pluies sont aussi abondantes que les années précédentes », se demande-t-il.
Annonce de trois mois d’intenses pluies
Face à ces questionnements, la Direction générale de la météorologie centrafricaine a annoncé dans un communiqué en date du 15 avril dernier, que les pluies seront régulières jusqu’au mois de juillet.
« La RCA et certains pays d’Afrique centrale, devraient quitter le seuil de précipitations normales à excédentaire. Cette prévision concerne toutes les régions de la République centrafricaine dont la capitale Bangui », explique Rodrigue Lelong, le Directeur général de la météorologie centrafricaine.
Il souligne par ailleurs qu’il pleuvra plus que d’habitude : « Les trois prochains mois vont être très humides. On va vivre un grand bouleversement, une déréglementation des paramètres météorologiques. La pluviométrie a déjà atteint 1 806 mm. Pourtant, en temps normal, les précipitations annuelles moyennes sont de 1 369 mm. C’est le changement climatique qui est à l’origine de ce dérèglement ».
Face à cette situation, Lelong énumère quelques comportements à adopter. « Il est de notre devoir de continuer à sensibiliser les gens qui habitent par ignorance les zones à écologie fragile. Ils doivent comprendre que c’est impératif de quitter les zones inondables. Ceux qui n’ont pas la possibilité de partir, doivent entretenir les canaux d’évacuation et surtout renforcer les fondations de leurs maisons. Nous publions quotidiennement des bulletins météorologiques pour alerter le peuple sur ce qui se passe ».
Cette annonce de la Direction générale de la météorologie a plongé de nombreux habitants dans la peur. Depuis un mois, ils sont plusieurs centaines à plier bagages, quittant les zones inondables, situées au sud-ouest de la capitale.
Ici, au quartier de Kolongo, l’horloge affiche 10 heures. Un arc-en-ciel apparaît, alors que la pluie se pointe à l’horizon. Dans ce secteur, quand il pleut, Isabelle Sanze vit un calvaire. Sa maison n’a pas résisté à la pluie du 18 mai dernier sur la capitale. Les pieds dans l’eau, elle tente de sauver ce qu’il en reste, dans les décombres mélangés à la boue.
« La maison a commencé à s’écrouler aux environs de 1 heure du matin, alors que nous dormions. Ma famille est actuellement dans une situation critique. Nous avons perdu tous nos biens : télévision, congélateur, lits, valises de vêtements et même assiettes. J’ai perdu mes récoltes de maïs et même une dizaine de canards que j’élève ici dans la concession ». Des dégâts si importants que cette veuve et mère de six enfants, a dû partir. « Je n’ai plus de toit pour abriter mes enfants. Avec le peu d’économie que j’ai, je vais louer une maison dans le nord de la capitale pour éviter le pire. Je pars pour ne jamais revenir ».
À quelques centaines de mètres de là, se trouve un pont en béton qui relie le quartier de Kolongo à celui de Kpétènè. Mais les eaux l’ont détruit dans la nuit du 9 au 10 mai 2025. Hommes, femmes et enfants utilisent des pirogues pour traverser, mais avec une grande prudence pour aller à l’école, au travail, au marché ou pour diverses courses.
Assis sur un tronc d’arbre, Guillaume Mbaïmboum, un habitant du secteur se tient le menton et secoue la tête. Les yeux remplis de larmes, il regarde les carcasses de sa maison dévastée par la montée des eaux. « Je ne sais pas quoi faire, notre maison est irrécupérable. C’est très difficile. Pour l’instant, je dois trier ce qu’il reste dans les décombres. Après 10 ans de calvaire, je suis à bout de souffle. Je dois quitter le quartier pour aller refaire ma vie ailleurs. Avant d’acheter cette parcelle au début des années 2000, je n’avais pas pris le soin d’étudier la nature du sol. Aujourd’hui, je suis rattrapé par la réalité. C’est malheureux, mais je demande aux techniciens de ce domaine de prendre leur responsabilité en sensibilisant le peuple ».

La ville a été installée dans un endroit stratégique sur la rive droite de l’Oubangui, marquant la frontière entre la République centrafricaine (RCA) et la République Démocratique du Congo (RDC).
La majeure partie de la ville s’étend sur une plaine marécageuse, humide au sud-ouest de la colline du Bas Oubangui. C’est une succession de zones susceptibles d’être naturellement envahie par l’eau lors des crues importantes de la rivière Oubangui.
Entourée par des eaux, les inondations à Bangui sont naturelles. Mais avec l’évolution de la ville, les activités humaines ont aggravé la situation.
Un projet d’urbanisation des quartiers riverains a été initié, en juin 2024, par le ministère de l’urbanisme et l’ONG Water for Life afin de trouver des solutions aux problèmes d’inondations dans le pays.
« Après les études, nous allons mobiliser les fonds nécessaires. D’ici à la fin du mois de novembre, c’est-à-dire le début de la saison sèche, nous allons lancer les travaux. Il n’est pas question de déplacer la capitale dans une autre ville. Nous allons tout simplement détruire les installations anarchiques, tracer des routes, construire des caniveaux et des barrages. Le coût et les détails seront communiqués lorsque le projet sera en phase de lancement », explique Guy-Julien Ndakouzou, coordonnateur de la plateforme de gestion durable des ressources naturelles et de l’environnement, un organe de la société civile qui fait partie de ce programme.
De nombreuses victimes d’inondations
Mais en attendant, toutes les victimes d’inondations sont prises en charge par le ministère des actions humanitaires, le ministère de la santé, la Croix rouge centrafricaine (CRCA) ou encore l’ONG Initiative Développement Centrafrique (ICD). Cette année, selon le gouvernement, plus de 30 000 personnes sont touchées par la montée des eaux sur les 1 500 000 habitants que compte la capitale.
Dans le cadre de la prévention et de la réduction des risques aux catastrophes naturelles, notamment les inondations, la CRCA a mis en place une panoplie d’activités. Le but est de recommander à la population riveraine d’être prudente et de veiller sur son prochain. La CRCA recommande aux enfants et même aux adultes de ne pas traîner le long des cours d’eau ou de la rivière Oubangui, de trouver des abris en dehors des zones inondables, d’éviter les traversées hasardeuses de la rivière pendant les crues et si nécessaire, de veiller à porter des gilets de sauvetage. En cas de montée des eaux ou d’inondations, les riverains doivent alerter les autorités et les services compétents pour un appui rapide.
« Ces dernières années, nous observons plusieurs effets négatifs liés aux inondations. Il s’agit entre autres de la destruction des infrastructures telles que les maisons d’habitation, des ponts et autres édifices publics. Nous enregistrons également la destruction des champs et jardins, les pertes en vies humaines, des blessures et des cas de fractures. En cette période de crue, nous notons régulièrement le déplacement massif de la population avec des conséquences directes sur la santé physique et psychique des victimes », affirme à Mongabay, Danielle Serefio Feindiro, Secrétaire générale de la CRCA.
En plus de ces activités, le ministère des actions humanitaires et la CRCA multiplient des sensibilisations dans tous les quartiers riverains. « Nous conseillons à la population de construire dans des zones non inondables. Pour ce qui est de quitter les lieux occupés, il est de la responsabilité du gouvernement de prendre un tel engagement officiel au préalable. Nous en tant qu’humanitaire, nous présentons les conséquences qui peuvent survenir dans de telles situations et il revient à la population de voir ce qui est très important pour elle », dit Feindiro. « Mais à chaque inondation, nous apportons une assistance humanitaire aux victimes. Il s’agit des kits tels que les bâches, les bidons pour le stockage de l’eau, les couvertures ou encore les moustiquaires. En produits de première nécessité, nous leur donnons le sucre, le savon, l’huile, le riz, le haricot, de l’eau etc. Chaque année, nous construisons des abris d’urgence pour les sinistrés et désinfectons les latrines et les maisons », précise-t-elle.
Après chaque inondation, des opérations de désinfection dans les secteurs les plus touchés sont menées, d’après Rustin Fred Rébénzi de l’ONG IDC.

Ces initiatives, selon Dr Jess Eliot Koch-Komba, épidémiologiste, visent à assainir les maisons d’habitation, les lieux publics et rendre potables les puits. « Après une inondation, il est important de remettre notre concession en bon état, afin de protéger notre santé. Ceci dans le souci de prévenir les risques sanitaires. Les eaux stagnantes et les matériaux mouillés permettront aux virus, aux bactéries et à la moisissure de croître. Ces organismes peuvent causer des maladies, provoquer des réactions allergiques et continuer d’endommager les matériaux pendant une longue période ».
Chaque semaine, Jean Jacques Urbain Matamale, coordonnateur du Centre pour l’information environnementale et le développement durable (CIEDD), sillonne à moto, les quartiers menacés pour évaluer l’ampleur de la situation. Au quartier de Landja-Mboko, dans le neuvième arrondissement, il note que cette année, les précipitations sont plus importantes que d’habitude. Tout autour de la rivière Oubangui, l’érosion gagne du terrain. Selon lui, cette situation est provoquée par les activités humaines et le changement climatique.
« Voyez vous-même ce qui se passe. Les inondations engendrent l’érosion, détruisent des sols, des vies et tous les moyens de subsistance. De nombreux champs de manioc, d’arachide, de maïs, et de mil ont été dévastés. A cause de ces dégâts, de nombreuses portions de terre ne sont plus cultivables à Landja-Mboko », dit-il à Mongabay.
Il ajoute par ailleurs que « les eaux de crue transportent une multitude de substances polluantes dans la nature. Cette pollution met en danger la santé des populations humaines et des organismes vivants. Si on ne fait pas attention, cette triste réalité va entraîner la disparition de certaines espèces dans les zones inondables. »
Cependant, un autre problème émerge, celui des assurances, très peu développées dans le pays. Selon une source au ministère des actions humanitaires, le gouvernement est en pourparlers avec des sociétés œuvrant dans ce domaine afin d’offrir aux Centrafricains des protections contre des dommages physiques, matériels et tout type de pertes qui peuvent survenir. C’est une lueur d’espoir pour certaines victimes d’inondations qui, chaque année, peinent à relancer leurs vies.
Image de bannière : Une cour privée inondée au quartier de M’poko Bac dans la commune de Bimbo, après la pluie diluvienne du 18 mai 2025. Photo de Rolf Stève Domia-Leu pour Mongabay.
Les inondations menacent la sécurité alimentaire en Afrique centrale et de l’Est