- La culture de l’anacardier, arbre qui donne la noix de cajou, réjouit les agriculteurs en Afrique, région qui produit près de 60 % de cette amande.
- Mais l’expansion de cette culture exerce une pression sur la forêt et met en danger des espèces animales et végétales, notamment les léopards et les primates.
- Or, dans les régions productrices du cajou comme la Bagoué en Côte d’Ivoire, les agriculteurs assurent que les plantations d'anacardiers améliorent la végétation et le cycle des pluies depuis que se généralise cette culture.
- Dans ce cadre, le député ivoirien Diakardia Bamba explique dans une interview à Mongabay que cette culture lutte contre la désertification au nord de son pays.
Au moins 67,6 millions d’hectares de terres représente la superficie cumulée des plantations de l’anacardier dans 11 pays de l’Afrique de l’Ouest en 2023, la plante qui produit la noix de cajou, une graine des plus prisées dans la cuisine, notamment pour les alternatives végétariennes aux lactoses et pour sa richesse en protéines, acides gras insaturés, magnésium, cuivre, fer et zinc.
Au moins 57 % de la production mondiale provient d’Afrique, principalement d’Afrique de l’Ouest. Selon le Conseil international consultatif du cajou (CICC), basé à Abidjan en Côte d’Ivoire, cette région regroupe 11 pays producteurs : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, le Nigeria, le Sénégal et le Togo.
Cela représente une production de 2,2 millions de tonnes en 2022 de cette noix. En 2024, le chiffre d’affaires au niveau mondial était évalué à 7,82 milliards USD, d’après Mordor International, un cabinet indien de conseil et d’étude de marché.
La demande mondiale de cajou dépasse l’offre. Selon la base de données allemande Statista, elle est passée de 1,87 million de tonnes en 2000 à 3,71 millions en 2021. Cette même année, la production mondiale était estimée entre 3,5 et 3,8 millions de tonnes, d’après l’Alliance cajou africain, une organisation commerciale basée à Accra, au Ghana, qui œuvre pour la promotion du cajou. D’ici à 2029, le marché mondial du cajou devrait atteindre une valeur de 9,20 milliards de dollars américains, selon les projections.
Tournée vers l’exportation sur l’ensemble des producteurs africains, la culture du cajou demande davantage de terres. Quoiqu’encore loin du million de tonnes produites en 2023 en Côte d’Ivoire, le Bénin lui consacre 3,8 millions d’hectares et la Côte d’Ivoire 1,4 millions hectares, sur un total de 6 761 256,17 ha, soit à peu près comme le Sri Lanka ou légèrement plus petite que la Sierra Léone.

Une plante « robuste », en situation de sécheresse
À Maroua, dans le nord du Cameroun, Agolsala Alaoukissam, un ingénieur en agronomie, fait pousser des plants d’anacardiers en trois mois au profit des planteurs. Il explique au téléphone à Mongabay : « Au bout de deux à trois ans, la petite plante que je fournis au planteur commence à produire des fruits ». « Nous sommes dans une zone sèche, et à cause de la rigueur du climat, l’anacardier est considéré comme une plante de restauration parce qu’on l’utilise pour reboiser », ajoute-t-il.
Cette plante rustique, qui prospère dans un climat rigoureux, est pourtant au cœur d’un business effréné aux conséquences qui inquiètent des spécialistes.
L’étude « The Cashew Conundrum », publiée par Mighty Earth en novembre 2023, montre que la demande mondiale de cajou a des effets sur la déforestation et sur les espèces animales et végétales. En Côte d’Ivoire, par exemple, l’expansion des cultures de noix de cajou détruit l’habitat des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodytes verus), des léopards (Panthera pardus), des servals (Leptailurus serval), des céphalophes (Cephalophus spp.) et des outardes (Otis spp. et espèces apparentées), qui sont des espèces typiques des forêts claires et des savanes arborées.
Sont aussi menacées les plantes comme le karité (Vitellaria paradoxa), un arbre essentiel pour l’alimentation, la médecine et l’économie locale, ainsi que le néré (Parkia biglobosa). La perte de la biodiversité culmine jusqu’à 84 % dans certaines zones, concernant la croissance de certaines plantes, mais aussi les papillons, les oiseaux, les champignons et les mammifères, d’après cette même étude.
L’anacardier a pourtant été introduit dans le nord de la Côte d’Ivoire en 1960 pour sa croissance rapide, dans le but de restaurer les sols qui subissent les effets de la désertification à partir du Sahara. Devenue une culture de rente, elle remplace des écosystèmes naturels.

L’anacardier crée un microclimat favorable à la biodiversité, mais…
De l’avis de Dr Alex Etchike Dong, enseignant-chercheur en agroécologie et agroforesterie tropicale à l’université de Dschang au Cameroun, la production de noix de cajou en Afrique, y compris en monoculture, ne contribue pas à la dégradation des terres, ni à l’insécurité alimentaire. Il faut, dans ce cas, qu’elle n’empiète pas sur les espaces naturels, précise-t-il. Elle peut alors jouer un rôle positif dans la reforestation et la lutte contre les changements climatiques.
Bien plus, selon Etchike Dong, l’anacardier améliore la fertilité des sols dans la zone sahélienne, son feuillage persistant et robuste crée un meilleur microclimat local et attire une diversité faunique. Comme il l’explique à Mongabay, « plus la culture de la noix de cajou sera intensive, plus son feuillage sera aussi intensif et va donc permettre d’améliorer le climat local ».
Or, les plantations se sont parfois davantage rapprochées des aires protégées en Côte d’Ivoire, indique l’étude « At the tipping point : Can biodiversity and rural livelihoods endure uncontrolled cashew expansion in West Africa ? », publiée dans Biotropica en 2024. « Certaines espèces végétales ont disparu à un rythme effréné pour laisser la place à la noix de cajou, malgré ses bénéfices économiques », explique à Mongabay Dr Christophe Kouame, responsable du Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIFOR), en Côte d’Ivoire.
Mongabay a pu établir, à partir des superficies cultivées dans 11 pays de l’Afrique de l’Ouest, que la culture de la noix de cajou couvre 1,4 millions ha.
Sur l’ensemble des producteurs, en outre, cette tendance à consacrer plus de terre est portée par l’augmentation des producteurs et des productions. À titre indicatif, les productions passent de +1,1 % au Burkina Faso à +1 669 % au Sénégal, entre 2022 et 2023, soit un cumul général de +784 377,70 % pour les 11 producteurs de l’Afrique de l’Ouest, selon le CICC.
Le paradoxe de la production de noix de cajou
Le paradoxe de la production de noix de cajou est cependant saisissant, comme l’explique à BBC Bright Simons, entrepreneur et commentateur économique basé à Accra : « Les torréfacteurs et les détaillants achètent les noix aux agriculteurs pour 500 USD la tonne et les vendent aux clients, dans le pays et à l’étranger, pour des montants compris entre 20 000 et 40 000 USD la tonne ».
Pour la campagne 2025, le gouvernement ivoirien a fixé le prix du kilogramme à 425 francs CFA, contre 275 l’année précédente, soit moins d’un dollar (0,73 USD). Selon Koné Timan, représentant des chefs traditionnels du département de Kouto, dans le nord de la Côte d’Ivoire, ce prix ne libère pas les cultivateurs des dettes. Puisque, dans la région, « les acheteurs accordent des prêts en fixant leur remboursement, non pas en argent, mais en kilogrammes de noix. Par exemple, explique Timan, un planteur devra rembourser 100 kg de cajou pour 25 000 francs empruntés, quelle que soit l’évolution du prix officiel ».
Pour sa part, Coulibaly Bakary, planteur, dénonce un système injuste : « Le prix de notre anacarde augmente considérablement une fois qu’elle n’est plus entre nos mains. Les acheteurs nous prennent nos noix à 400 francs, voire moins, puis les revendent bien plus cher ».
Or, la production de l’anacarde reste éprouvante pour les paysans, notamment l’accès aux intrants. Le prix de l’azote est passé de 4000 francs CFA (environ 7 USD) à 18000 francs (environ 31 USD), selon Coulibaly Zondégué, point focal de l’Agence nationale d’appui au développement rural (ANADER) à Wora. « Cette hausse rend les intrants inaccessibles, limitant davantage les pratiques agricoles durables ».

À Wora, village du département de Kouto, il devient ainsi difficile pour plusieurs agriculteurs de soigner leurs plantes et d’améliorer leurs rendements. « On n’utilise aucun engrais, ni pesticide. On n’en a simplement pas les moyens. Nos arbres souffrent des parasites, mais on doit laisser faire la nature », explique Marcel Koné, planteur.
« Dans tout le village de Wora, il n’y a qu’une seule machine à labourer », ajoute pour sa part Coulibaly Bakary. Il explique, en outre, que sans labour adéquat, il y a une faible infiltration d’eau, ce qui peut compromettre la résilience des plantes.
L’anacarde attire cependant de grandes firmes, comme en témoigne l’ouverture, en avril 2025, à Kouto, d’une agence de la banque AFG Bank par le milliardaire ivoirien Koné Dossongui.
Par ailleurs, la convention de financement de 15 milliards de francs CFA (environ 27 millions USD) signée, le 4 avril 2025, entre Bridge Bank Group Côte d’Ivoire et le Conseil du Coton et de l’Anacarde, démontre une dynamique économique en évolution qui s’inscrit également dans cette logique.
Mais, pour les experts, une gouvernance agroécologique devrait pallier les risques du modèle courant de la production de cajou en Afrique. Il s’agit, selon Coulibaly Zondégué, de généraliser une assistance avec des machines, mais aussi avec des conseils.
Quant au Dr Kouamé, il souligne qu’il est important de procéder à « la planification de l’utilisation des terres qui incombe aux pouvoirs publics et s’avère une solution indispensable en privilégiant des espaces pour d’autres cultures ». Cela implique, en outre, selon lui, de diversifier les cultures au lieu de privilégier uniquement les cultures pérennes.
Image de bannière : Des pommes de cajou bien mûres dans une plantation du département de Kouto, dans la région de la Bagoué au nord de la Côte d’Ivoire. Image de Roland Klohi pour Mongabay.
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.