- La culture de l’anacardier, plante productrice de la noix de cajou, se situe au cœur d’un enjeu environnemental, entre risque de déforestation et réponse potentielle à la désertification venant du Sahara.
- Dans une interview accordée à Mongabay lors de la COP16 sur la désertification en décembre 2024, le député ivoirien Diakardia Bamba, explique que cette culture lutte contre la désertification au nord de son pays.
- Des recherches en Côte d’Ivoire et ailleurs sur la noix de cajou associent cependant cette culture à la dégradation des terres et des paysages.
- Mongabay a enquêté pour vous pour comprendre le lien entre la production de la noix de cajou et la dégradation des terres. Observations de terrain, avis d’experts et résultats des recherches scientifiques illuminent cette investigation.
Des anacardiers bordent la route, à l’entrée du village de Wora, dans le département de Kouto, dans la région de la Bagoué au nord de la Côte d’Ivoire. Ils dominent même le paysage relativement boisée et sèche. Ils cohabitent avec plusieurs essences locales : manguiers, karités, nérés, baobabs et d’autres arbustes.
Culture économique, la noix de cajou issue de cette plante génère un chiffre d’affaires annuel de 600 millions USD sur les exportations, d’après le gouvernement ivoirien, faisant d’elle l’un des produits agricoles majeurs de la Côte d’Ivoire.
Premier producteur de noix de cajou en Afrique, la Côte d’Ivoire affecte 1 400 000 ha (3,5 millions acres) de ses terres à cette culture, derrière le Ghana qui en occupe près du tiers, selon le Conseil international consultatif du cajou (CICC). Depuis 1990, ce pays connaît un essor ininterrompu de cette culture, avec une croissance de la production de 26,3 % en 2023 par rapport à l’année précédente, soit 970 000 tonnes en 2022 et 1,2 million de tonnes en 2023, selon les statistiques du Conseil international consultatif du cajou, un organe intergouvernemental ayant son siège à Abidjan, l’une des plus importante ville du pays.

En marge de la COP16 sur la désertification, tenue en décembre 2024 à Riyad en Arabie Saoudite, le député ivoirien Diakaridia Bamba, natif de Wora, a souligné dans une interview à Mongabay, les avantages environnementaux de la culture de l’anacarde pour sa région. Selon lui, cette culture constitue une réponse efficace à la désertification au nord de la Côte d’Ivoire. Koné Timan, chef traditionnel de cette partie du pays, partage le même avis : « Les plantations d’anacardiers font reculer le désert et amènent plus de pluie dans notre région », dit-il à Mongabay.
Un paysage dominé par l’anacardier
Mongabay a visité à mi-avril 2025 le village Wora, proche de la frontière avec le Mali. Cette localité située à 717 kilomètres d’Abidjan, est connue pour son climat sec. La zone dispose d’une végétation dominée par les anacardiers, assortie par quelques essences locales telles que les manguiers (Mangifera indica), les karités (Vitellaria paradoxa), les nérés (Parkia biglobosa), les baobabs (Adansonia digitata) et d’autres arbustes.
Pour les agriculteurs, cette culture a transformé, depuis 1990, le paysage du département de Kouto, menacé par la désertification. Le sol, bien que réputé aride, est humide, y compris en saison sèche, grâce aux plantations des paysans, estime Coulibaly Fatogoman, sexagénaire et agriculteur d’anacardier à Wora depuis 1996.
« Dans notre région, l’anacardier et le manguier sont les arbres fruitiers qui poussent le mieux. Et nous avons remarqué que depuis leur multiplication, la sécheresse semble reculer », ajoute-t-il.
Ce dernier signale que les anacardiers n’étaient pas étrangers à la région avant leur exploitation commerciale. « Ces arbres existaient déjà ici quand j’étais plus jeune, mais personne n’y prêtait attention comme culture de rente ».
Le basculement s’est opéré au courant de la décennie 1990, lorsque les planteurs ont découvert la valeur économique de cette ressource. « Depuis que les anacardiers se sont multipliés ces 15-20 dernières années, le climat a changé. Nous pouvons maintenant cultiver des plantes qui ne poussaient pas bien avant, à l’exemple du colatier », dit un habitant de Wora.

Des réserves scientifiques
Mais au niveau de la recherche scientifique, la réserve émerge lorsqu’on aborde la question de la culture de cajou, tout en reconnaissant des transformations dans le paysage de la région. Contacté par Mongabay, l’ivoirien Donatien Guéablé, Docteur en agroenvironnement et management du sol de l’université polytechnique Mohammed VI au Maroc, explique que l’influence sur le cycle des pluies est envisageable avec les transformations en cours.
Guéablé considère qu’il est scientifiquement plausible que l’implantation massive d’anacardiers puisse réellement modifier le régime de pluie local.
« Même sans chiffres exacts sur la densité ou la superficie, plusieurs facteurs entrent en jeu, dont notamment la présence des arbres, leur densité et la topographie, qui constituent autant d’éléments qui peuvent modifier l’environnement et avoir un impact sur le climat, notamment en réduisant l’évapotranspiration et en augmentant l’humidité », explique Guéablé.
L’approche culturale des planteurs locaux reste simple. « Nous n’avons pas de techniques particulières. On se contente de labourer quand on peut, de semer, puis on attend que la pluie fasse le reste », explique l’un d’eux. Marcel Koné, planteur quadragénaire possédant à Kouto trois parcelles totalisant 14 hectares, ajoute : « J’ai personnellement constaté que quand mes anacardiers sont espacés d’au moins 10 mètres, ils produisent plus abondamment », indique Koné. Cette adaptation résulte d’observations empiriques et de recommandations techniques.

Guéablé explique en outre cette pratique d’espacement : « L’avantage principal est qu’il permet une meilleure circulation de l’air entre les arbres et réduit la compétition pour les nutriments. Cet écartement facilite aussi l’association culturale, permettant d’introduire d’autres cultures qui enrichissent naturellement le sol. Lorsque les plants sont très serrés, certains peuvent être plus faibles que d’autres. Avec un espacement plus important, comme ces 10 mètres, chaque plant capte les nutriments individuellement et a ainsi la possibilité de bien se développer ».
Cette dimension écologique positive se heurte pourtant aux conclusions des recherches, comme l’ont montré les études de Mighty Earth et du Centre international de recherche forestière (CIFOR). Selon une étude récente, certaines régions productrices ont perdu jusqu’à 25 % de leur couverture forestière primaire entre 2019 et 2023, créant des « déserts verts », c’est-à-dire des monocultures à biodiversité réduite.

Pour l’étude de Mighty Earth, par exemple, la culture de l’anacarde contribue à la destruction de l’habitat des espèces fauniques menacées d’extinction en Côte d’Ivoire. C’est le cas des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodytes verus), des léopards, des servals, des céphalophes et des outardes. On note aussi la destruction des arbres tels que le néré (Parkia biglobosa).
Quant au CIFOR, il montre également que les monocultures de noix de cajou sont responsables de la destruction des forêts en Côte d’Ivoire. Bien que l’anacardier reste également considéré comme solution face aux feux de brousse, les experts du CIFOR affirment que sa culture intensive a dépassé un certain nombre de limites avant d’entraîner la destruction des habitats naturels.
Comment donc expliquer que, tout en jouant un rôle reconnu dans la restauration des paysages savanicoles, cette plantation continue à être considérée comme un problème en Côte d’Ivoire et en Afrique de l’Ouest ? La seconde partie de cet article répondra à cette question. Elle montrera aussi l’ampleur de cette déforestation à l’échelle des principaux producteurs de noix de cajou en Afrique.
Image de bannière : De jeunes planteurs faisant sécher des noix de cajou. Image de Roland Klohi pour Mongabay.
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