- À Goma, capitale de la province du Nord-Kivu en RDC, un ingénieur agronome transforme des larves en aliments pour animaux appelés « larves Bio-plus ».
- Ces larves de la mouche soldat noirs issues de la dégradation de contenu ruminal de vaches (c’est-à-dire les résidus retrouvés dans l’estomac des vaches après abattage).
- Une étude menée en 2023 sur la quantification et la gestion des déchets ménagers relève qu’en moyenne un ménage génère environ 3 kg de déchets par jour, dont environ 1,7 kg sont biodégradables et 1,3 non dégradables.
- Des expérimentations sur les poulets de chair montrent que, la substitution de la farine des poissons par la farine de larves de mouches soldats noires au taux de 75 % et 100 %, baisse la consommation alimentaire, l'indice de consommation, le coût alimentaire de production et le coût de production du poulet de chair.
À Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), peu d’informations sont disponibles sur le recyclage des déchets, alors que celui-ci présente de nombreux avantages environnementaux et économiques. Une étude sur la quantification, la qualification et la gestion des déchets ménagers dans le quartier Himbi à Goma, publiée en 2023, révèle que 56 % de la production de déchets sont biodégradables. Parmi ces derniers, 48 % proviennent des déchets de cuisine. En moyenne, chaque ménage génère environ 3 kilogrammes de déchets par jour, dont 1,7 kg sont biodégradables, d’après la même étude.
Dans cette optique, la valorisation des déchets organiques, notamment le contenu ruminal (c’est-à-dire les résidus retrouvés dans l’estomac des vaches après abattage), constitue une avancée dans la gestion des déchets et la protection de l’environnement. Une étude de 2016 sur des cas des pollutions, dans la commune de Karisimbi, toujours à Goma, indique aussi que des pollutions sont ignorées dans cette municipalité, à cause de la mauvaise gestion des déchets ménagers, des eaux usées, des sachets, matières plastiques et l’abandon des épaves le long des rues et des métaux usés.
En 2023, les recherches menées par Dr Camile Nyembo Kondo, enseignant et chercheur à la Faculté d’agronomie et environnement de l’université de Goma, ont porté sur le recyclage des déchets des abattoirs pour la production des larves de la mouche soldat noire en aliments pour les volailles, les lapins et les porcs. Il appelle cet aliment les « larves Bio-plus ». Dans une interview à Mongabay, Dr Kondo confie que cette revalorisation des déchets organiques contribue à la réduction de la pollution et diminue le coût de l’alimentation animale.

Mongabay : D’où vous est venue l’idée de votre innovation ?
Camile Nyembo Kondo : Larve Bio-Plus est un aliment utilisé dans l’alimentation animale (poulets, poules pondeuses, porcs, lapins) et sa particularité est l’ingrédient de la larve des mouches soldat noire, utilisée comme source de protéine dans l’alimentation animale. Larve Bio-plus substitue la farine de poisson par des larves de mouches soldats noires. Ces larves sont issues de la dégradation du contenu ruminal de la vache (c’est-à-dire les résidus retrouvés dans l’estomac des vaches après abattage). Les larves sont bien connues comme ingrédients pour les animaux.
L’idée m’est venue du fait que plusieurs déchets des abattoirs de Goma, lorsque l’on abat les animaux, sont jetés dans le lac et cela c’est une pollution de l’environnement, alors que ces déchets pourront être très bien utilisés autrement pour produire un ingrédient important dans l’alimentation animale, qui est la larve de la mouche.
Les déchets des abattoirs polluent le lac Kivu, car une grande partie est jetée dans le lac Kivu, mais ceux qui sont tassés quelque part polluent l’environnement en produisant des gaz à effet de serre, tels que l’ammoniac et le CO₂. Ce produit est composé de plusieurs ingrédients mais pour ce qui est de la larve uniquement, elle est constituée d’un taux important de protéine et énergie utile pour l’alimentation animale.
Mongabay : Comment se servir de votre produit ?
Camile Nyembo Kondo : La larve Bio-plus est un aliment complet et équilibré, déjà formulé pour répondre aux besoins nutritionnels des animaux. Ce produit est préparé à partir de larves mélangées à d’autres ingrédients de haute qualité, ce qui permet de l’administrer directement aux animaux. Ainsi, il est prêt à être consommé, garantissant une alimentation saine et nutritive.
Mongabay : Ces produits sont-ils déjà homologués par les services habilités ?
Camile Nyembo Kondo : Le produit n’est pas encore homologué, mais il est en cours de certification, car ce projet est l’un de ceux qui a bénéficié d’un financement de l’organisation International de la Francophonie. Dans la suite du programme, il y aura le brevetage du produit.
Mongabay : Comment évaluer la qualité nutritionnelle de ce produit ?
Camile Nyembo Kondo : La qualité nutritionnelle est intéressante, parce qu’avant de l’incorporer dans l’alimentation animale, nous avons fait des analyses au laboratoire pour doser son taux de protéines et d’énergies. Ces taux des protéines de la farine des larves est équivalent au taux de protéines de poissons, qu’on a souvent utilisé dans l’alimentation animale. C’est une protéine de haute valeur biologique.
Mongabay : Quelles mesures avez-vous prises pour garantir que vos produits sont sûrs pour les animaux ?
Camile Nyembo Kondo : Les produits sont sûrs pour l’alimentation animale car pour produire ces larves à partir de ces déchets des abattoirs (contenu ruminal de vache), nous les avons séchés dans les étuves, ce qui permet de tuer une bonne partie de microorganismes pathogènes.
La farine de ces larves se substitue de manière écologique et économique à la farine de poisson dans l’alimentation animale. Nous utilisons un processus de désinfection, parfois avec de l’eau chaude en quelques minutes, puis nous les séchons au soleil. Pour collecter les larves, on les met sur les tamis en haut et les bassines en bas pour permettre la conservation des larves. Nous les trempons dans l’eau bouillie de 100°C, pour tuer des micro-organismes avant de les sécher, une façon de désinfecter. L’étude était menée à Goma, dans une ferme du quartier Kyeshero et au laboratoire « Marc Laboratory », situé dans le quartier Ndosho.

Mongabay : Quelles principales difficultés avez-vous rencontrées lors du développement de votre projet et comment les avez-vous surmontées ?
Camile Nyembo Kondo : Nous faisons face à un défi lié à la collecte des déchets et à l’acceptation de certaines personnes. Certains se demandent comment des déchets des abattoirs avec tant d’odeur peuvent produire une alimentation animale si riche. Nous procédons à des explications pour clarifier cette situation et avons déjà identifié cette équivoque. Nous y travaillons et les gens commencent à comprendre.
Le financement est d’abord individuel, mais nous avions trouvé l’appui de l’université de Goma. Nous avons eu des défis de disponibilité des fonds par le projet valorisation des déchets pour un environnement sain en RDC piloté par l’université de Goma au moment voulu mais avons eu l’argent promis et tout s’est bien passé.
Mongabay : Existe-t-il une demande pour votre produit à Goma et en RDC ?
Camile Nyembo Kondo : Il existe déjà la demande à Goma et même à l’international, comme à Yaoundé, au Cameroun. Cependant, nous n’avons pas encore pu acheminer nos produits, mais nous comptons approvisionner toutes les régions de la RDC et même de l’Afrique. Nos produits sont d’abord disponibles aux éleveurs de poulets de chair, de porcs, de lapins de Goma.
Mongabay : Du 18 au 20 février 2025, vous avez exposé ces produits au salon des sciences et technologies, à Yaoundé. Quelles réactions et quel accueil avez-vous reçu pour le produit destiné à l’alimentation des animaux ?
Camile Nyembo Kondo : De nombreuses personnes qui ont visité notre stand ont été véritablement stupéfaites par notre capacité à valoriser les déchets abandonnés pour produire un ingrédient aussi riche. Leur intérêt était palpable et plusieurs d’entre elles ont passé une commande de nos produits. Nous avons également collecté de nombreux contacts, ce qui témoigne de l’engouement suscité par notre initiative. Cette expérience a non seulement renforcé notre conviction dans la valorisation des déchets, mais a également ouvert des perspectives prometteuses pour l’avenir de notre projet.
Mongabay : À ce stade, avez-vous pu mesurer l’impact de ces aliments sur la santé animale ?
Camile Nyembo Kondo : Notre article scientifique est en cours de publication, les résultats ne sont pas encore publiés mais dans cette étude, nous montrons que l’utilisation de sources de protéines non conventionnelles ne crée pas de concurrence avec l’alimentation humaine, tout en étant largement disponibles. Nous avons étudié la substitution de la farine de poisson par la farine de larves de mouches soldats noires, une source de protéines alternative, sur les paramètres de croissance et les coûts de production.
Nous avions substitué la farine des poissons par la farine de larve à 5 %, 10 % et 15 %. Nous avons trouvé que c’est à 10 % et 15 % qu’il y a de bons résultats. De plus, nous avons fait une expérimentation en valorisant cet aliment sur les poulets de chair et cela a donné de très bons résultats, parce que cela a baissé le coût lié à la consommation alimentaire, mais aussi maximisé les bénéfices aux entrepreneurs et augmenté le poids des animaux. Nous savons que dans l’élevage, le coût lié à l’alimentation prend jusqu’à 70 % du coût de production. Nous produisons des ingrédients à un prix très moins cher, c’est-à-dire que le coût de production sera faible.

Mongabay : Quel est le coût de production et de vente de votre produit ?
Camile Nyembo Kondo : Cela fait baisser le coût lié à la consommation alimentaire. Or, nous savons qu’en élevage, le coût lié à la production prend jusqu’à 70 %, donc si cela permet une réduction du coût de l’alimentation, il permettra aussi d’augmenter les bénéfices.
Le coût de production s’élève à 0,5 USD par kilogramme et nous vendons un kilogramme de cette alimentation à 0,7 USD. Nos clients sont des éleveurs locaux de poulets, de porcs et de poissons, qui représentent notre marché potentiel. Nous vendons nos produits d’abord aux éleveurs de la ville de Goma.
En utilisant la farine des larves d’asticots, cela permet de réduire le coût de l’alimentation pour les éleveurs, car cette source de protéines coûte moins cher que la farine de poisson, utilisée habituellement dans l’alimentation animale.
Mongabay : Comment évaluez-vous la durabilité de cette solution ?
Camile Nyembo Kondo : C’est une solution très prometteuse. Nous explorons actuellement des moyens d’étendre l’utilisation des déchets issus de l’abattage des animaux. Nous prévoyons de réduire considérablement les déchets. Bientôt, nous passerons à une production en masse, ce qui nécessitera une grande quantité de déchets pour lutter contre la pollution générée par les déchets des abattoirs. La durabilité c’est aussi que c’est une formule déjà bien développée et nous comptons garder la formule et produire aussi longtemps que possible.
Mongabay : Pensez-vous que cette valorisation contribue effectivement à la réduction de la pollution des déchets organiques à Goma ?
Camile Nyembo Kondo : Cette valorisation va contribuer à la réduction de la pollution des déchets des abattoirs, parce que plusieurs types des déchets, surtout organiques, ne sont pas valorisés, alors qu’il y a une façon efficace de valoriser avec les larves d’insectes. Nous devons tous donc travailler dans la gestion des déchets et développer des stratégies, pour rendre notre ville saine, en baissant le coût de l’élevage et rentabiliser la production.
Image de bannière : Dr Camille Kondo Nyembo, enseignant chercheur à la Faculté d’agronomie de l’université de Goma. Initiateur de la Larve Bio-Plus. Photo fournie par Camille Kondo Nyembo avec son aimable autorisation.