- Six étudiants de divers profils de l’université de Ngozi, au Nord du Burundi, se sont réunis pour développer un outil destiné à répondre aux défis du secteur agricole.
- Leur solution numérique en gestation, appelée « Agri-Hyphen AI », est une application actuellement capable de détecter 37 maladies affectant sept cultures vivrières, cultivées au Burundi.
- L’administration en charge de l’environnement et de l’agriculture dans la province de Ngozi affirme avoir découvert cette solution de prototype.
- Dans le secteur agricole, l’intelligence artificielle (IA) suscite de l’intérêt, non seulement au Burundi, mais aussi dans d’autres pays, bien qu’elle soit confrontée à l’accès limité à l’internet pour une grande partie de la population.
Dans les enceintes de l’université de Ngozi, située dans la ville de Ngozi, au Nord du Burundi, six jeunes étudiants se retrouvent chaque semaine, dans une salle équipée en matériel informatique. L’objectif de cette rencontre ne se limite pas à manipuler des ordinateurs, mais va bien au-delà : ils se réunissent pour explorer, innover et proposer des solutions durables aux défis agricoles.
Regroupés au sein de Hyphen Tech, une startup qu’ils ont créée pour proposer des solutions digitales, ces étudiants aux profils académiques complémentaires – deux en faculté des sciences et technologies (département de l’informatique), deux en faculté d’économie et deux en faculté d’agronomie – portent un projet commun : « Agri-Hyphen AI », une application conçue pour diagnostiquer les maladies des plantes.
À la tête de cette équipe dynamique et passionnée par les technologies et l’agriculture, se trouve Elie Bubuya, 23 ans, en fin d’année de son premier cycle universitaire (troisième baccalauréat) en sciences et technologies.
« Cette innovation est le fruit d’une collaboration multidisciplinaire. Nous avions besoin d’informaticiens pour développer les modules d’intelligence artificielle et les interfaces, d’agronomes pour apporter leur expertise technique et valider les solutions, et d’économistes pour assurer la planification, l’élaboration du plan d’affaires, la gestion financière et le marketing », explique-t-il.
Avec leur projet d’innovation, ces jeunes font aujourd’hui la fierté de leur université. « L’université, dans ses missions, vise à former des intellectuels capables d’apporter des solutions aux problèmes de la société. C’est une grande satisfaction pour nous, en tant qu’institution académique », affirme à Mongabay Armand Mfura, Doyen de la Faculté de sciences et technologies. Il ajoute toutefois que les étudiants ont besoin d’un soutien financier et matériel pour faire évoluer, vulgariser et affiner davantage leur projet.

« Agri-Hyphen AI », innovation inspirée par les défis agricoles
Lancé en novembre 2024, le prototype détectait 12 maladies affectant les plantes de la famille des solanacées, telles que la pomme de terre et la tomate. Six mois plus tard, Elie Bubuya dit que l’« Agri-Hyphen AI » serait désormais capable d’identifier 37 maladies touchant sept cultures vivrières : la pomme de terre, la tomate, le maïs, le manioc, le haricot, le poivron et la pomme. Elle fonctionne en quatre langues (Kirundi, Swahili, Français et Anglais), avec un taux de précision de 93,8 %, selon Bubuya.
Leur idée est partie du constat, selon lequel « 40 % des cultures vivrières sont perdues à cause des maladies et des ravageurs dans le monde, d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) », de « l’insuffisance d’agronomes au Burundi pour accompagner les agriculteurs » et « d’un manque criard de laboratoires spécialisés dans la détection des maladies des plantes ». « En dehors de l’Institut des sciences agronomiques du Burundi (ISABU) et de quelques universités, il est difficile de trouver des structures capables de diagnostiquer les maladies des plantes. C’est alors que nous nous sommes posé la question : Pourquoi ne pas créer une application capable de répondre à ces défis ? », explique Bubuya à Mongabay.
L’objectif de cette innovation est de contribuer à réduire ces pertes agricoles, améliorer les récoltes en donnant aux agriculteurs des recommandations en temps réel sur la situation de leurs plantations, pour minimiser les pertes agricoles et augmenter le rendement.
« Notre application analyse la feuille de la plante. Elle fournit ensuite à l’agriculteur un diagnostic de l’état de santé de la plante. Si celle-ci est saine, l’application lui propose des recommandations pour maintenir cet état. En revanche, si la plante est malade, elle suggère des produits adaptés, notamment des bio-pesticides ou des pesticides. Elle lui indique également la dose à utiliser, afin de prévenir ou traiter les maladies », dit-il.
Bubuya évalue à 10 % le potentiel de l’objectif visé. « Actuellement, nous souhaitons intégrer d’autres maladies, ajouter davantage de variétés de plantes et améliorer la précision de l’application. Tout cela nécessite des ressources financières, car nous en sommes encore au stade « prototype ». Nous avons la capacité de faire mieux, mais ce qui nous fait défaut, ce sont les moyens financiers ».
« Les pertes agricoles dues aux ravageurs et aux maladies des plantes, sont évaluées, généralement à 40 %, et notre objectif est de les minimiser jusqu’à, au moins 10 %, au Burundi. Cela va booster particulièrement les économies des agriculteurs, et celles du pays », dit Bubuya.

Solution peu connue aux résultats encourageants
« Nous avons testé Agri-Hyphen IA en accompagnant quelques agriculteurs sur tout le cycle de culture. Nous avons suivi leurs champs depuis la préparation du sol jusqu’à la récolte. Grâce à notre application, les cultures sont restées en bonne santé et aucune baisse de rendement n’a été constatée. Les récoltes ont été satisfaisantes », confie Don-Divin Matemere, étudiant en master dans la faculté d’agronomie et membre de l’équipe Hyphen Tech.
Matemere partage ce sentiment de satisfaction avec l’agriculteur dont les champs ont servi de terrain d’expérimentation pour l’application, en novembre 2024.
Didace Ningabira, agriculteur de Ngozi, témoigne l’efficacité de « Agri-Hyphen AI » : « Je suis agriculteur. Je cultive principalement des pommes de terre, du maïs et du haricot. Ces jeunes sont venus me voir en novembre 2024 pour me demander l’autorisation de tester leur technologie sur mon champ de pommes de terre situé sur la colline de Kinyami, à la périphérie de la ville de Ngozi. J’ai constaté que leur technologie est fiable, car il est difficile par exemple de détecter, à l’œil nu, une maladie sur une plante qui semble encore en bonne santé. Mais, en prenant simplement une photo de la feuille de la plante avec le smartphone, l’application l’analyse, vous indique la maladie détectée et vous conseille aussi sur les moyens de traitement. J’ai eu confiance en cette technologie, car elle fonctionne bien ».
Il confirme recourir à l’application le plus souvent possible. « Je l’utilise beaucoup pour surveiller les cultures de pommes de terre. Je prends des photos de la plante, chaque fois que nécessaire, pour vérifier si les plantes sont atteintes de maladies ».
Quant au fonctionnement, insiste Ningabira, « ce n’est pas compliqué d’utiliser cette technologie moderne. Il suffit simplement d’avoir un smartphone et une connexion internet, et suivre les indications de l’application. Ce qu’il faut aussi apprécier davantage, c’est qu’on a rendu l’application disponible en Kirundi, ce qui la rend accessible même aux agriculteurs qui ne comprennent pas les autres langues ».
Cet agriculteur recommande vivement à ses confrères d’adopter cette nouvelle technologie. « Nous, les agriculteurs, avons l’habitude d’ignorer le suivi régulier de l’évolution des cultures de nos champs. Moi, je peux témoigner que cette technologie fonctionne. Si les agriculteurs s’y intéressaient vraiment, cela ferait une grande différence, car elle leur permettrait de détecter les maladies des cultures très tôt et leur indiquerait les moyens de lutte avant que les cultures ne soient gravement endommagées.»
Hidja Niyonkuru, l’autre agriculteur de la province de Ngozi, a lui aussi testé l’application sur la culture des haricots dès le début de la saison culturale B de cette année. « Je l’ai utilisée pour le suivi phytosanitaire de ma culture de haricots et j’ai constaté qu’aucun signe de maladie n’était présent. L’application a confirmé que les cultures étaient saines et m’a recommandé de maintenir les bonnes pratiques culturales déjà mises en place », dit-il par téléphone à Mongabay.
Cependant, des agriculteurs rencontrés à la colline Kinyami, le vendredi 16 mai 2025, disent ne pas connaître cette technologie de diagnostic des maladies des plantes. « Nous constatons les maladies des cultures lorsqu’il est déjà trop tard. Pour le maïs, par exemple, on remarque que les feuilles sont déjà trouées. Les pommes de terre, on les voit commencer à pourrir. Pour d’autres cultures comme les haricots, c’est seulement quand les feuilles jaunissent qu’on se rend compte qu’il y a un problème », explique Alphonse Sikobizama, agriculteur de la colline de Kinyami, à Mongabay.

Goreth Bucumi, agricultrice habitant cette même colline, approchée par Mongabay, confie manquer d’accompagnement pour suivre de près ses cultures. « Nous voyons nos cultures ravagées par les maladies, mais nous n’en savons pas les causes, non plus comment les prévenir ou quels traitements utiliser pour les soigner. Il nous manque des moniteurs agricoles pour nous accompagner, afin que nos cultures soient bien suivies et puissent produire de bonnes récoltes ».
Moïse Bizimana, agronome chargé de services d’« informations agricoles et environnementales » au Bureau provincial de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage (BPEAE), dans la province de Ngozi, affirme ne pas être informé de l’innovation développée par ces jeunes étudiants.
« J’ai entendu parler de l’existence de ces étudiants qui ont développé une intelligence artificielle capable de détecter les maladies des plantes, par les réseaux sociaux. Mais, jusqu’à présent, personne n’est venue nous en informer ou nous a contactés pour que nous puissions vérifier le fonctionnement et l’efficacité de cette application. C’est probablement parce qu’ils en sont encore à une phase embryonnaire. J’espère que, lorsqu’ils auront finalisé leur solution, ils se rapprocheront de nous pour envisager la vulgarisation de cette technologie agricole », dit-il à Mongabay.
« Maladies et ravageurs abondants, mais difficiles à traiter »
Dans la région de Ngozi, comme dans d’autres provinces du Burundi, les maladies des plantes sont fréquentes. Ce responsable explique que les cultures céréalières, notamment le maïs, sont principalement attaquées par les ravageurs appelés chenilles légionnaires d’automne.
Pour le riz, il cite d’abord la « pyriculariose », puis la « chenille africaine », un ravageur qui, selon lui, a décimé il y a deux ans de vastes étendues de champs rizicoles, avant que le ministère compétent ne soit alerté pour prendre des mesures de lutte efficaces.
Il évoque également le « mildiou », une maladie qui sévit particulièrement sur la pomme de terre, ainsi que les « pucerons noirs », identifiés comme principaux ravageurs du haricot.
Pour ces principaux ravageurs et maladies identifiés à ces principales cultures vivrières cultivées à Ngozi, Bizimana dit que la lutte est mécanique, biologique ou chimique.
Il reconnaît toutefois que la lutte chimique n’est pas sans conséquences sur l’environnement. « La lutte chimique n’est pas toujours notre premier recours. Cela dépend du type de maladie. Pour certaines attaques des ravageurs, lorsqu’elles apparaissent avec une faible virulence, nous privilégions la lutte mécanique. Mais pour d’autres maladies, ni la lutte chimique, ni la lutte mécanique ne sont efficaces. C’est notamment le cas des maladies bactériennes et virales, qui ne disposent d’aucun traitement curatif. Lorsqu’une plante est infectée, la seule solution consiste à l’arracher et à l’éloigner du champ ».
Pour ce dernier cas, il prend l’exemple du bananier : « Face à la maladie BXW (Xanthomonas wilt), lorsqu’une bananeraie est contaminée, il faut arracher tous les bananiers malades, les enterrer, puis attendre au moins six mois avant de replanter les nouveaux plants de bananiers. Cette période permet d’éliminer complètement la maladie du champ », explique-t-il à Mongabay.

L’accès limité à l’internet : une épine dans le pied des technologies agricoles
En septembre 2024, le Burundi comptait 3 002 592 abonnés à l’internet mobile, avec 32,18 % de la population couverte par au moins un réseau mobile 4G, d’après l’Agence de régulation et de contrôle des télécommunications (ARCT).
Selon Elie Bubuya, ce faible taux de couverture internet dans le pays entraîne des difficultés à l’utilisation et l’adoption effective de leur solution technologique agricole.
Dr Michèle Mukeshimana, chercheure à l’université du Burundi, considère également que « le domaine des nouvelles technologies, comme tant d’autres domaines, est touché par le faible taux de couverture d’internet à haut débit ».
Néanmoins, elle précise que le gouvernement a mis en place une composante visant à assurer la connectivité dans les zones rurales. Elle espère que l’ensemble du pays bénéficiera d’une meilleure couverture de connexion internet.
Selon le chercheur Fahd Azaroual, l’adoption de l’intelligence artificielle est entravée par deux éléments principaux en Afrique : les inégalités structurelles, telles que l’accès restreint aux ressources socio-économiques et politiques, et également l’insuffisance de l’accessibilité réseau.
Pour ce dernier élément, il explique que « la technologie mobile est lente, avec un pourcentage considérable de la population africaine non connectée et sans accès à l’internet ». De plus, ajoute-t-il, « les coûts élevés d’accès à l’internet et de large bande, entravent l’adoption généralisée de l’IA, avec des dépenses atteignant jusqu’à 44 % du Produit intérieur brut (PIB) dans certains pays africains ».