- Le barrage hydroélectrique de Nachtigal, a entrainé la perte d’activités chez les pêcheurs et sableurs du fleuve Sanaga dans la localité de Batchenga.
- Ces travailleurs ont porté plainte contre la société Nachtigal Hydro Power Company (NHPC) auprès des bailleurs de fonds, en 2022, et ont perçu des compensations financières, jugées insignifiantes.
- Ils comptent exiger de nouvelles compensations, suite à l’échec de restauration de leurs moyens de subsistance, alors que la médiation a abouti à un accord confidentiel, en mai 2024.
- La Banque mondiale, l’un des partenaires financiers de ce barrage, a dit à Mongabay, qu’elle surveille de près les incidents survenus dans le cadre de ce projet.
YAOUNDÉ – À Ndji, de vieux câbles électriques accrochés sur des poteaux en bois brinquebalants, pendent à une hauteur relativement basse, et côtoient le sol par endroit. Ces installations de fortune permettent d’alimenter bon an mal an ce hameau d’un millier d’habitants. Mais Wilfried Eyebe, un pêcheur de la localité, rapporte que cette « énergie est de très mauvaise qualité. La tension électrique n’est pas bonne. On fait face à des coupures tout le temps ».
Le village Ndji se trouve pourtant à proximité du barrage hydroélectrique de Nachtigal, construit sur le fleuve Sanaga, à 65 kilomètres au nord-est de Yaoundé. La localité est connectée au puissant Réseau interconnecté sud (RIS), qui alimente sept des dix régions du pays, et qui tire sa production énergétique des centrales hydroélectriques d’Édéa (267 MW) et de Songloulou (384 MW), mises en service respectivement en 1954 et en 1981.

Hydroélectricité, clé pour l’énergie au Cameroun
L’hydroélectricité joue un rôle clé dans la chaine d’approvisionnement en énergie électrique d’un pays, et contribue à sa croissance économique. Elle est une source d’énergie renouvelable, avec une empreinte carbone beaucoup moins importante que les sources d’énergies fossiles. Les 420 MW d’énergie produite par le barrage de Nachtigal sont totalement injectés dans le RIS, depuis mars 2025, et correspondent à 30 % des besoins énergétiques du Cameroun. Autrement dit, trois ampoules sur dix au Cameroun sont éclairées grâce à ce barrage, d’après NHPC.
À Ndji, comme dans la plupart des villages voisins du barrage, la principale source d’énergie est le bois, coupé en forêt pour la cuisson. Mais la construction des barrages perturbe les écosystèmes aquatiques et entraine la perte des moyens de subsistance des communautés comme c’est le cas à Ndji. Et pourtant, les coupures d’électricité sont récurrentes dans le pays, en raison d’incidents survenus sur le réseau de transport de l’énergie, et aussi ceux enregistrés au poste de transformation construit à la périphérie de Yaoundé, pour permettre le transport de l’électricité produite par Nachtigal.
La répartition de l’énergie électrique n’épargne pas les villages environnants du barrage hydroélectrique de Nachtigal, et fait partie des dénonciations des communautés riveraines, déçues de ne pas pouvoir profiter de la matière première générée par cet ouvrage implanté dans leurs localités.
Au demeurant, la NHPC a réalisé de nombreux projets sociaux au profit des communautés touchées. Elle a construit 40 forages pour l’approvisionnement en eau potable dans les villages, construit et équipé des salles de classe ; elle revendique l’électrification d’établissements scolaires au bénéfice de plus de 1 000 enfants ; elle a construit une unité de prise en charge mère-enfant dans un centre médical à Batchenga et équipé un centre des urgences à l’hôpital de district d’Obala ; enfin, elle a soutenu les agriculteurs avec les intrants agricoles, etc.

Perte d’activités et compensations financières insignifiantes
Le barrage de Nachtigal, dont le coût global est évalué 1,3 milliards USD, est entré dans sa phase d’exploitation, et sera officiellement inauguré dans les prochains jours. En 2022, les communautés touchées par l’ouvrage ont porté plainte contre la société Nachtigal Hydro Power Company (NHPC) auprès des bailleurs de fonds qui ont imposé la médiation. Un peu plus de deux ans après le début de la procédure, les communautés ne semblent pas entièrement satisfaites par les solutions apportées par la société.
« Ils nous ont fait beaucoup de promesses qui ne sont pas tenues. Ils ont parlé de la restauration des moyens existants, en promettant de nous restaurer tous ce qu’on avait avant, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas », a dit Bruno Bikele Ambomo, chef du village Olembé et par ailleurs porte-parole des sableurs de l’arrondissement de Batchengalors d’un entretien avec Mongabay dans son village.
« Ils nous ont payé des compensations pour six mois, soit 6,6 millions de francs CFA [11,300 USD], alors qu’ils vont exploiter le barrage pour 35 ans. C’est de la duperie ! (…) À Batchenga, on avait 22 carrières de sable, mais aucun représentant de ces carrières n’a gagné un marché de sous-traitance dans la construction du barrage ; nos enfants ont les diplômes, mais ne peuvent pas travailler comme cadres à NHPC. Nous ne bénéficions rien du barrage », a renchéri l’autorité traditionnelle.
Les pêcheurs, quant à eux, redoutent une perte définitive de leur activité phare, alors que les poissons se font rares dans le réservoir aménagé par NHPC pour la pêcherie. Depuis le début du projet en 2019, ils ont reçu chacun un cumul de 2,7 millions de francs CFA (44,600 USD) pour compenser leur perte d’activité, soit 1,5 millions de francs CFA (2,500 USD) en 2022, et 1,2 millions de francs CFA (2,000 USD), en 2024. Ils comptent exiger de nouvelles compensations financières à l’entreprise si cette situation perdure.
« Les compensations financières ont été minables, même si on les a reçues à deux reprises déjà », dit à Mongabay, Wilfried Eyebe, coordonnateur de l’Association des pêcheurs de Nkol-Ndji et Batchenga (APEN.NBA).
« Mais nous sommes confrontés au problème de pénurie des poissons dans le plan pêche aménagé par NHPC (…) Dès qu’on aura définitivement constaté que ce plan pêche n’est pas prometteur, on va se réunir à nouveau pour exiger de nouvelles compensations », dit le porte-parole des pêcheurs au processus de règlement des différends entre les communautés et la société.
IFI Synergy, une plateforme des organisations de la société civile camerounaise, à l’initiative de la plainte des communautés en 2022. Elle a assisté ces communautés dans le processus de règlement des conflits avec la société. Danielle Mba, coordonnatrice de cette plateforme, pense que la situation des pêcheurs reste sujette à caution à la médiation, parce qu’elle a été isolée des autres problèmes.
« La situation des pêcheurs est un cas qui a été plus ou moins détourné du processus de médiation pour être résolue à part. Mais les communautés l’ont accepté. Nous aurions souhaité que tous les problèmes qui avaient été soulevés dans la plainte, soient résolus lors de la médiation. Lorsqu’on déposait la plainte, le plan d’action pêche n’était pas encore disponible, et NHPC en a profité pour séparer le problème des pêcheurs et des mareyeuses des autres problèmes en disant que ça nécessitait un accent particulier.
Le 30 mai 2024, NHPC et les communautés ont signé un accord de règlement total et définitif de leurs différends, et ont choisi de garder ledit accord confidentiel. Au demeurant, Mongabay a appris que, compte tenu des insatisfactions exprimées par les communautés au cours du processus de règlement des conflits entamé en 2022, notamment les compensations financières insignifiantes versées aux corps socioprofessionnels, une nouvelle évaluation des impacts du projet achevé, est en cours de réalisation, et est conduite par le cabinet français Artelia Group.

Les bailleurs de fonds ont-ils respecté leurs principes de durabilité ?
La Banque européenne d’investissement (BEI), l’un des partenaires financiers du projet, soutient que ses normes en matière de mitigation des impacts environnementaux et sociaux, ont été respectées dans le cadre du projet de Nachtigal. Elle dit qu’elle a veillé à la mise en œuvre par son client, NHPC d’un plan d’action de réinstallation, un plan de gestion de la pêche et un plan de rétablissement des moyens de subsistance approuvés par tous les bailleurs de fonds ; et qu’un mécanisme de réclamation pour tous ceux qui estiment que leurs préoccupations n’ont pas été correctement prises en compte a été également mis en place.
Un porte-parole de la banque a dit à Mongabay par courriel que : « Si une partie prenante dispose d’informations ou s’inquiète du fait que les normes de la BEI n’ont pas été respectées dans le cas d’un projet spécifique, elle peut en faire part au mécanisme de règlement des griefs de l’emprunteur et/ou de la BEI ».
La BEI dit ensuite que « l’examen indépendant réalisé ultérieurement par [son] mécanisme de traitement des plaintes, a indiqué que le projet Nachtigal avait des incidences limitées sur l’hydrologie en amont du fleuve Sanaga ». Et pourtant, c’est dans cette zone que les pêcheurs déplorent la raréfaction des poissons, tout comme dans la zone verte située en aval du barrage, où l’activité de pêche est autorisée.
Pour sa part, la Banque mondiale, l’autre partenaire financier majeur du projet, par la voix de Caitlin Berczik, Chargée des affaires externes pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale du groupe, a confié à Mongabay dans un courriel, au sujet du processus de mise en œuvre de résolution des conflits dans le cadre de ce projet, qu’elle « surveille de près tous les incidents survenus dans le cadre des projets qu’il finance, en étroite collaboration avec les agences de mise en œuvre/clients, en l’occurrence le NHPC ».
Image de bannière : Extraction de sable aux chutes de Nachtigal en 2013, en amont du site où le barrage a été construit plus tard. Image de Jbdodane via Flickr (CC BY-NC 2.0)
Un barrage camerounais en construction se trouve sur le gril des mareyeuses indignées
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