- Le requin joue un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre des écosystèmes marins en régulant les populations d'autres espèces. Le déclin de sa population représente une menace sérieuse pour cet équilibre, pouvant entraîner une diminution des stocks de poissons régulièrement pêchés et consommés par l’homme.
- 80 espèces de requins fréquentent les eaux malgaches, dont 51 % sont considérées comme menacées, selon le ministre de la Pêche et de l’économie bleue, Paubert Tsimanaoraty Mahatante.
- Les données sur les stocks de requins, qu’ils soient capturés de manière ciblée ou accidentelle, restent rares. Toutefois, de nombreux témoignages font état d’une importante baisse des populations de requins au cours des 20 dernières années, selon le rapport technique commandé par la Commission de l’océan Indien (COI), et publié par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l’agriculture (FAO), en 2014.
- La hausse de la demande d’ailerons de requins sur le marché international a entraîné une exploitation intensive des espèces. Dans les années 1990 et au début des années 2000, le commerce international des produits dérivés du requin a connu une forte croissance. Les exportations sont passées de 1 300 à 20 000 tonnes par an, entre 1995 et 2003, avant d’atteindre jusqu’à 40 000 tonnes par an, entre 2004 et 2013.
Derrière leur image redoutée, façonnée par le cinéma, les requins cachent une utilité vitale. Ils jouent un rôle clé dans le maintien de l’équilibre de l’écosystème marin. Depuis plusieurs années, les requins deviennent de plus en plus rares dans les eaux malgaches. Le rapport technique sur une analyse préliminaire de la chaîne de valeur de la pêche au requin à Madagascar, commandé par la Commission de l’Océan Indien (COI), et publié par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), en 2014, indique une baisse des populations de requins au cours des 20 dernières années. Parmi les 80 espèces de requins présentes dans les eaux malgaches, la moitié sont menacées, selon le ministre de la Pêche et de l’économie bleue, Paubert Tsimanaoraty Mahatante.
À Madagascar, la capture de requins est une source de revenus aussi bien pour la communauté de pêcheurs que pour les institutions locales. À partir de 1995, la valeur des ailerons frais peut atteindre 52 dollars le kilogramme, selon l’étude sur les pêcheries traditionnelles de requins du sud-ouest de Madagascar, menée par les chercheurs associés à la Society for Environmental Exploration et publiée en janvier 2006, dans la revue Fisheries Research. Les pêcheurs artisanaux perçoivent entre 200 000 (42 USD) et 1 000 000 Ariary (214 USD) pour deux mois de pêche, tandis que les institutions locales en tirent en moyenne 1 600 000 Ariary (340 USD), selon le Plan national de gestion et de conservation des requins et des raies (PNGCRR 2022-2026), qui s’appuie sur une enquête socio-économique menée en 2018-2019, par la Wildlife Conservation Society (WCS). Bien que le secteur soit en déclin, la pêche aux requins reste une activité des pêcheurs traditionnels, car elle constitue une source de revenus supplémentaires.
La quantité de requins exportée par Madagascar varie d’une année à une autre. Les ailerons de requins, ainsi que leur viande, font surtout l’objet d’exportation, en particulier sur le marché asiatique. De 1995 à 2003, la quantité exportée n’a cessé de varier entre 1 300 et 20 000 tonnes. Cette tendance s’est intensifiée entre 2004 et 2013, atteignant entre 30 000 et 40 000 tonnes annuelles. Mais, à partir de 2014, cette tendance s’est inversée : les captures ont diminué de plus de moitié, ce qui constitue un signal alarmant quant à l’équilibre de l’écosystème marin. Cette baisse des captures de requins pourrait s’expliquer par une diminution de leur population.
Dans un entretien accordé à Mongabay, Paubert Tsimanaoraty Mahatante, ministre de la Pêche et de l’économie bleue, ainsi qu’océanographe et biologiste spécialisé dans la pêche, évoque l’impact écologique du déclin des requins sur la chaîne alimentaire marine, tout en expliquant pourquoi cela constitue une menace pour l’équilibre des écosystèmes marins et pour le secteur de la pêche à Madagascar.

Mongabay : Les requins sont des espèces migratrices. Pouvez-vous nous dire combien d’espèces de requins sont recensées dans le monde et combien fréquentent les eaux malgaches ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante, ministre de la Pêche et de l’Économie bleue : À l’échelle mondiale, selon certaines estimations avancées par des scientifiques, il existerait plus de 500 espèces de requins réparties en 35 familles. Pour ce qui est de Madagascar, on en recense environ 80 espèces, dont 51 % sont considérées comme menacées. Personnellement, je n’aime pas employer les termes « menacées de disparition » ou « menacées d’extinction », car nous n’en sommes pas encore là. Mais il est clair que la menace est bien réelle.
Mongabay : Pourquoi les requins sont-ils menacés ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : Les requins sont menacés pour plusieurs raisons. D’abord, la pêche artisanale contribue largement à cette situation, notamment à travers l’utilisation de filets spécifiques comme les « jarifa » (Ndlr : Il s’agit d’un filet maillant dérivant, souvent utilisé de manière artisanale) conçus pour capturer les requins. Il y a aussi l’usage des filets ZZ (Ndlr : le filet ZZ, à mailles généralement de quatre doigts, a été distribué par un projet de la coopération allemande (GIZ) pour cibler spécifiquement les requins. D’où l’appellation ZZ, les pêcheurs ayant des difficultés à bien prononcer GIZ. La distribution de ces filets a commencé dans les années 1980, principalement autour des années 1990, au niveau du district de Morombe, dans le sud-ouest de Madagascar, avant de se répandre dans le sud), ce qui constitue l’un des facteurs évoqués comme contribuant à cette menace.
Le requin est également menacé par la diminution de sa nourriture, car les poissons dont il se nourrit sont capturés par l’homme. Cela le pousse à se retrouver dans une situation de plus en plus difficile, car ses proies naturelles deviennent de plus en plus rares.
Le requin est également menacé par le changement climatique. La température de la surface de l’eau ne cesse d’augmenter, ce qui fait partie du phénomène de réchauffement climatique. De plus, les ressources marines migrent elles aussi, se déplaçant des zones chaudes vers des zones plus froides. Le requin, quant à lui, doit suivre ces déplacements pour trouver sa nourriture. Ainsi, il se retrouve menacé, car son habitat est en constante évolution.
La pêche industrielle constitue également l’une des causes majeures de la menace qui pèse sur les requins. C’est notamment le cas de la pêche au thon, qui utilise des techniques comme les palangres ou les senneurs (filets). Les senneurs, par exemple, ne permettent pas toujours de distinguer les thons des requins, ce qui conduit parfois à capturer les deux. En conséquence, tout ce qui se trouve dans le filet peut être pris.
Mongabay : La pêche illégale a-t-elle pu contribuer à la diminution des requins ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : Ce n’est pas forcément le cas, mais il est possible que la pêche illégale ait contribué à la menace pesant sur les requins, notamment si l’on remonte dans le passé, comme en 2014. La pêche illégale reste une activité ponctuelle, ce n’est pas comme si quelqu’un avait construit un bateau uniquement pour pratiquer la pêche illégale. Par ailleurs, la pêche illégale ne constitue pas une menace si un système de surveillance des pêches performant est en place.
Mongabay : Quelle est la situation actuelle de la pêche illégale des requins à Madagascar ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : Aujourd’hui, on n’en entend plus parler. Après la saisie de trois bateaux sri-lankais opérant illégalement — ciblant spécifiquement les requins —, plus aucun incident n’a été signalé. Ces navires, d’environ 14 mètres de long (l’équivalent de palangriers), n’étaient pas de grande taille. Après leur saisie, ils ne sont jamais revenus, car ils ont compris que ces pratiques n’étaient pas tolérées : dès qu’un bateau illégal est repéré ici, il est saisi. Cette fermeté a eu un effet dissuasif. L’opération s’est déroulée entre décembre 2023 et mars 2024. Avant cela, il n’y avait eu aucun incident, et depuis, non plus.

Mongabay : Depuis 2014, les captures de requins ont diminué. Un rapport technique publié en 2014 par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à la demande de la Commission de l’Océan Indien (COI), portant sur une analyse préliminaire de la chaîne de valeur de la pêche au requin à Madagascar, rapporte de nombreux témoignages faisant état d’un déclin des populations de requins au cours des 20 dernières années. La baisse de la capture de requin serait-elle liée à une diminution réelle de la population de requins ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : Il est possible que la diminution des captures de requins depuis 2014 soit liée à une baisse réelle de leur population. À l’époque, des mesures de protection n’ont pas encore été instaurées et peu d’études scientifiques permettent de mesurer la baisse de leur population. Il suffit de faire un tour dans les marchés pour s’en rendre compte : les requins ont disparu des étals. En parlant avec les pêcheurs, certains ont dit : « après avoir posé des filets Jarifa dans des zones autrefois très fréquentées par les requins, nous n’en avons plus jamais capturé. Ces filets étaient pourtant appâtés comme d’habitude, avec de la peau de bétail à l’odeur forte, longtemps réputée pour attirer les requins, mais au bout d’un moment, ils n’y viennent plus ».
Mongabay : Quels sont les principaux facteurs responsables de la baisse des populations de requins à Madagascar depuis 2014 ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : L’utilisation excessive d’engins de pêche ciblant les requins, comme les filets ZZ et le jarifa, qui s’étaient répandus à travers l’île, a évidemment contribué à la diminution des captures. Il ne faut pas oublier qu’il y a des pêcheurs, parce qu’il y a des acheteurs. Lorsque les acheteurs disparaissent, la pêche diminue naturellement, d’autant plus que les Malgaches ne savent pas encore vraiment cuisiner la viande de requin.
À l’époque, il y avait de nombreux acheteurs, ce qui entraînait une pêche intensive et, par conséquent, une forte pression sur la ressource. Cela a conduit le ministère à suspendre l’octroi des autorisations d’exportation de requins. Actuellement, l’exportation d’ailerons de requins est interdite. Cette mesure est en vigueur depuis un certain temps, bien avant mon arrivée au ministère. Une fois l’exportation des ailerons suspendue, les acheteurs ont disparu.
Mongabay : Quelles sont les conséquences de la baisse des populations de requins sur l’écosystème marin ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : Le requin joue un rôle écologique important dans la chaîne trophique (Ndlr : la chaîne trophique est une suite d’organismes dans laquelle chaque maillon se nourrit du précédent). N’oublions pas que si un maillon de cette chaîne disparaît, c’est tout l’équilibre qui est perturbé. Lorsque la chaîne alimentaire marine est déséquilibrée, les conséquences sont évidentes : certaines espèces peuvent se multiplier de façon excessive, au détriment d’autres. Il s’agit d’un équilibre parfait, naturellement établi, et dès qu’il est rompu, cela entraîne inévitablement des impacts. Toutefois, pour le moment, ce déséquilibre n’est pas encore visible à Madagascar.
Les requins sont des prédateurs. À ce titre, ils occupent une place cruciale dans l’équilibre de l’écosystème marin, notamment en régulant les populations d’autres espèces. Je vais donner un exemple très concret : le requin fait partie des prédateurs qui se nourrissent de thon, de mérou, de capitaine et d’autres espèces de poissons. Si les requins disparaissent, ces poissons – comme le thon, le mérou et le capitaine – risquent de se multiplier de manière excessive. Or, ces espèces se nourrissent elles-mêmes de sardines et de sardinelles. Si leur population augmente trop, elles consommeront davantage de ces petites proies. Et si les sardines et les sardinelles disparaissent, qu’est-ce qu’il restera aux humains à manger ?
Mongabay : En cas de déséquilibre de l’écosystème marin, quelles peuvent être les répercussions sur les activités de pêche ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : Si l’écosystème est déséquilibré, il ne faut pas s’étonner de voir apparaître une pêche monospécifique. Cela signifie que les captures concernent principalement une seule espèce, devenue dominante, parce que ses prédateurs ont disparu. Cette espèce prolifère alors au détriment des autres, car elle trouve plus facilement de quoi se nourrir. Bien qu’elle soit surabondante, elle peut devenir plus accessible pour les humains. Autrement dit, il est essentiel de préserver l’équilibre écologique pour éviter un effondrement à long terme. Dès que cet équilibre est rompu, nous nous exposons à de grandes difficultés.
Mongabay : Quelles initiatives le gouvernement malgache a-t-il mises en place pour faire face au déclin de la capture de requins ?
Paubert Tsimanaoraty Mahatante : Je pense que Madagascar fait partie des pays qui prennent réellement des initiatives concrètes en faveur de la conservation des requins, à la fois comme ressource et comme espèce. La principale mesure est, bien sûr, l’adoption de l’arrêté portant interdiction de l’exportation des ailerons de requins à Madagascar. À cela s’ajoute l’interdiction de la pêche ciblant certaines espèces de requins, notamment celles qui sont fortement menacées.
De plus, Madagascar a officiellement présenté, en septembre 2024, son Plan national de conservation et de gestion des requins et des raies (PNCGRR 2022-2026). Le plan vise à sensibiliser tous les acteurs, en particulier les communautés de pêcheurs, sur l’importance de la fonction écologique des requins et des raies dans le milieu marin et les différentes espèces de requins et de raies en voie de disparition.
On pose la question à la communauté des pêcheurs : « Remarquez-vous que les sardines et les sardinelles sont de plus en plus rares ? Quelles en sont les raisons ? » La réponse pourrait être liée à la disparition des requins, qui sont des prédateurs naturels du thon, du mérou, du capitaine et d’autres poissons. Or, ces espèces se nourrissent également de sardines et de sardinelles. Si leur population augmente de manière excessive, elles consommeront davantage de ces petites proies, ce qui pourrait entraîner une rareté des sardines et des sardinelles.
Ce plan a également pour objectif de renforcer les mesures de conservation et de gestion, de renforcer la réglementation et le suivi des activités de pêche, ainsi que de promouvoir la recherche scientifique.
Image de bannière : Paubert Tsimanaoraty Mahatante, ministre de la Pêche et de l’Économie bleue, évoque les menaces qui pèsent sur les requins présents à Madagascar et rappelle leur rôle essentiel dans le bon fonctionnement des écosystèmes marins. Photo prise par Nirina Rakotomiarintsoa, journaliste-photographe, avec son aimable autorisation.
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