- Au Mali, le plastique constitue l’un des polluants les plus répandus jusque dans les cours d’eau.
- La loi de 2012, adoptée en 2013 et abrogée pour une autre en 2014, dans le but de réguler la production et la gestion du plastique, n’est toujours pas appliquée.
- Certains acteurs, à l'instar du Pôle environnement de la mine de Loulo, tentent de limiter les dégâts. Mais sans un cadre légal, leurs efforts restent insuffisants face au problème.
Selon un article du site Maliweb, publié en avril 2024, Bamako générerait à elle seule environ 320 000 tonnes de déchets plastiques chaque année. Une grande partie se retrouve dans la nature. Cette pollution obstrue les caniveaux, envahit les cours d’eau et menace la biodiversité.
Pour limiter l’impact des déchets plastiques sur l’environnement, le Parlement malien avait adopté, en 2014, une loi interdisant l’usage des sachets plastiques. Mais, plus de 10 ans après, cette loi n’a jamais été ratifiée par le président de la République en son temps (Ibrahim Boubacar Keita), ce qui laisse son application sans effet.
Dans les zones d’exploitation minière comme la mine de Loulo, située à Kaye, la première région du Mali, à 350 km à l’ouest de Bamako, près de la frontière entre le Mali et le Sénégal, cette pollution se fait fortement ressentir. En parallèle, la mine de Loulo a contribué, en 2023, à hauteur de plus d’1 milliard USD à l’économie malienne, selon le site Mining technology. Mongabay a rencontré Mohamed Keïta, Directeur adjoint du pôle environnement de cette mine, contrôlée par l’État malien. Dans cette interview, il partage ses constats sur les conséquences des déchets plastiques sur l’environnement et ce qu’il considère comme les défis de réglementation.

Mongabay : Vous êtes responsable du pôle environnement de la mine de Loulo, quel constat faites-vous sur l’usage des sachets plastiques dans votre zone d’intervention et au Mali en général ?
Mohamed Keïta : Je pense que l’usage des sachets plastiques constitue un enjeu majeur de manière générale. Malgré les risques environnementaux et sanitaires liés à leur utilisation, le problème est que, ces sachets sont tellement ancrés dans le quotidien des Maliens, qu’on a l’impression qu’il est impossible de s’en passer. Pourtant, les faits sont clairs lorsqu’on observe l’impact de ces plastiques sur notre environnement. Le phénomène est aujourd’hui généralisé. Plusieurs études montrent que 50 % des sachets utilisés dans les ménages ne sont pas collectés. Lorsqu’ils ne sont pas pris en charge, collectivement, cela signifie qu’il n’existe aucun système de gestion adéquat. Résultat : ces déchets finissent dans les rues, les caniveaux et contribuent à la dégradation de notre cadre de vie.
Quant à la mine de Loulo, d’abord, il faut faire une distinction entre l’intérieur et l’extérieur de la mine. À l’extérieur, on parle des communautés qui vivent autour du site minier. Le constat dans ces zones rejoint malheureusement celui qu’on observe dans la majorité des localités au Mali, voire pire dans certains cas. Autour de la mine, plusieurs commerces se sont développés, ce qui a entraîné une utilisation massive des sachets plastiques. Malheureusement, il n’existe pas de véritables systèmes de collecte, ni de gestion efficace des déchets dans ces communautés.
En revanche, à l’intérieur de la mine, la situation est différente. Nous avons décidé de respecter la loi qui interdit l’utilisation, l’importation et la transformation des sachets plastiques. Même si elle est encore très peu appliquée au Mali, la direction de la mine a adopté une politique de conformité. Nous nous sommes dit que le jour où il y aurait un contrôle, nous devrions pouvoir justifier nos pratiques.
Mongabay : Quelles conséquences directes de cette pollution plastique avez-vous observées sur l’environnement autour du site minier ?
Mohamed Keïta : L’une des conséquences les plus visibles de l’utilisation des sachets plastiques, se manifeste d’abord sur le plan esthétique. Sur certaine période de l’année, notamment lorsque le vent souffle fort, ces plastiques à faible densité sont facilement déplacés et éparpillés un peu partout. Le paysage en devient littéralement envahi. Mais les conséquences vont au-delà. Sur le plan environnemental, ces sachets finissent souvent dans les caniveaux ou les cours d’eau, emportés par le vent ou les eaux de ruissellement. Lorsqu’ils obstruent les caniveaux, cela pose de sérieux problèmes d’évacuation des eaux, notamment en saisons des pluies. Ce qui peut entraîner des inondations fréquentes.
Sur le plan sanitaire, les impacts sont également notables. Il y a de plus en plus de cas signalés d’animaux morts après avoir ingérés de grandes quantités de plastique. Cela constitue une réelle menace pour la santé animale et, indirectement, pour les populations qui dépendent de ces animaux.
Mongabay : Le Mali avait adopté une loi en 2014 pour interdire les sachets plastiques, cependant elle n’a jamais été promulguée. Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à sa mise en application ?
Mohamed Keïta : Depuis longtemps, jusqu’à aujourd’hui, c’est celle de 2012 [Ndlr : qui interdit la production, l’importation, la détention, la commercialisation et l’utilisation de sachets plastiques non biodégradables, ainsi que des granulés non biodégradables destinés à leur fabrication], que nous consultons pour rappeler les règles et les normes à la population dans la mine de Loulo. Il faut aussi dire qu’autour des déchets plastiques, il y a un énorme manque de communication.
Mongabay : Comment percevez-vous le rôle des autorités dans la gestion de cette problématique de sachets plastiques dans les mines ?
Mohamed Keïta : Lorsqu’elles réalisent un audit, ce qui arrive avec les inspections trimestrielles, elles n’hésitent pas à signaler la situation non conforme à la loi en vigueur.
Mongabay : Quelle place cette question de pollution plastique occupe-t-elle, en particulier dans la politique environnementale de la mine de Loulo et plus largement dans les engagements de l’État, en matière de protection de l’environnement ?
Mohamed Keïta : En 2023, l’un des thèmes de la journée mondiale sur l’environnement portait sur « la pollution plastique ». L’idée était de réfléchir aux initiatives qu’on peut mettre en place pour lutter contre cette pollution. Dans le cadre de notre politique de prévention, nous avons pu mettre en place un programme pour quantifier les déchets générés chaque mois dans la mine de Loulo. Cette quantification nous permet de suivre l’évolution des résultats en matière de lutte contre la pollution de l’environnement avec des sachets plastiques. En plus, l’État initie des curages de caniveaux à travers le Mali et la majorité de ces déchets dans les caniveaux sont des sachets plastiques.

Mongabay : Certains pays africains comme le Rwanda et le Kenya, ont réussi à interdire totalement les sachets plastiques. Que peut-on apprendre de leur expérience pour le Mali ?
Mohamed Keïta : Alors, c’est de voir comment ces pays sont arrivés à ce niveau. Ces pays et même le Sénégal, tout près, ont interdit les sachets plastiques et appliquent la loi. La plupart ont commencé par faire un état des lieux de la production et de la consommation. Le Mali doit interdire déjà l’importation, mais avant, mettre des alternatives sur le marché, comme des sacs en papier ou en tissu fabriqués localement.
Mongabay : Si la loi de 2014 sur l’usage du sachet plastique était enfin promulguée, quelles seraient les mesures les plus urgentes à mettre en place pour assurer son application effective ?
Mohamed Keïta : Tout d’abord, ce serait d’interdire l’importation des sachets plastiques. Les sachets plastiques ne sont pas fabriqués ici au Mali, ils viennent d’ailleurs. Le problème est qu’au niveau de la douane, les agents ne font pas la différence entre les plastiques biodégradables et ceux non biodégradables. Ils se fient juste à ce qui est écrit sur la fiche. Nous devons renforcer la surveillance au niveau des douanes et former les agents pour qu’ils puissent faire la différence.
Mongabay : Quelles alternatives écologiques pourraient être envisagées pour remplacer les sachets plastiques tout en tenant compte des réalités socioéconomiques ?
Mohamed Keïta : Au niveau de la mine, nous avons mis en place une alternative pour diminuer l’utilisation des sachets plastiques, notamment dans les pharmacies, les cliniques. Nous avons introduit des sacs en papier et des sacs de tissu local. Ce sont des sacs qu’on vend aux patients. C’est une solution qu’on peut étendre dans tout le pays. Les tissus sont locaux et durables.
Mongabay : Avez-vous mis en place des actions concrètes comme le recyclage pour lutter contre la pollution liée aux sachets plastiques dans la mine de Loulo ?
Mohamed Keïta : Nous avons fait des recherches et trouvé qu’il y avait des alternatives d’utilisation des plastiques dans la fabrication de briques. On mélangeait les plastiques avec du ciment. On a même réalisé certaines briques et fait des tests pour comparer la résistance avec des briques réalisés qu’avec du ciment. Le résultat était prometteur et nous avions même avancé dans le projet. Nous avions malheureusement suspendu le projet, car la loi interdit également le recyclage.
Image de bannière : Mohamed Keïta, Directeur Adjoint de la mine de Loulo. Image fournie par Mohamed Keïta avec son aimable autorisation.
La pollution plastique, un fléau aux tentacules affectant toute la planète