- En Guinée, la mécanisation de l’exploitation artisanale de l’or, se fait en violation de la législation nationale.
- Les exploitants miniers ont recours aux pelleteuses et aux substances chimiques pour chercher de l’or, et contribuent à la destruction de l’environnement.
- Face à ces menaces sur la biodiversité, une association locale nommée « N'fabada Tèdôtignela », s’est engagée à lutter contre la mécanisation de l’exploitation illégale de l’or, dans la préfecture de Siguiri au nord-est du pays.
- Selon l'État guinéen, la production artisanale de l'or génère un chiffre d’affaires annuel de près de 2 milliards USD, et représente environ 78 % des exportations de l’or dans le pays.
En Guinée, selon les statistiques du ministère des Mines et de la géologie, l’exportation artisanale de l’or se chiffre à 1,6 millions d’onces, soit 52 266 kilogrammes en 2024. Ceci représente une baisse de 10 % en glissement annuel, par rapport à 2023. Le pays dispose d’une réserve de 700 tonnes d’or, dont la grande partie se trouve dans les préfectures de Siguiri, Kouroussa, Mandiana, Dinguiraye et Kankan, situées à l’Est et au Nord-est du pays.
Dans la préfecture de Siguiri, l’exploitation de l’or se fait de façon artisanale, semi-industrielle et industrielle. Des exploitants munis d’outils artisanaux à savoir des pioches, des pelles, des appareils détecteurs d’or et des récipients, retournent le sous-sol à la recherche des pépites d’or. D’autres exploitants miniers, en l’occurrence des étrangers, ont recours aux pelleteuses, et ont choisi de mécaniser l’exploitation artisanale de l’or. Ceci alors que la législation guinéenne interdit, dans une certaine mesure, la mécanisation de l’exploitation artisanale de l’or, et n’admet que les engins dont la capacité de godet est inférieure ou égale à deux mètres cubes.
Selon les constats faits sur le terrain, l’exploitation artisanale de l’or contribue à la dégradation de l’environnement des localités où elle est pratiquée. Un groupe d’orpailleurs, réunis au sein de l’association « Nfabada tèdôtignèla », qui signifie « Ne pas accepter de détruire chez moi », a décidé depuis le 8 août 2024, de s’engager pour « défendre l’environnement en luttant contre l’utilisation des pelleteuses, c’est-à-dire des machines poclains dans l’exploitation artisanale de l’or pendant les phases d’exploration ». Mongabay a rencontré Keoulen Doumbouya, le président de Nfabada tèdôtignèla, pour évoquer le contexte de l’orpaillage artisanal dans la préfecture de Siguiri, et les actions entreprises par son association, décriées à travers le pays.

Mongabay : Pouvez-vous nous présenter votre structure et ses principaux objectifs ?
Keoulen Doumbouya : Ce nom, « N’fabada Tèdotignela », est dérivé de la langue locale malinké qui signifie « Ne pas accepter de détruire chez moi ». C’est tout un chacun qui est concerné. Le mouvement N’fabada Tèdotignela est une organisation qui est représentée dans 14 préfectures de la Guinée. On a créé ce mouvement suite aux constats de dégradation de l’environnement, qui n’est pas bon pour l’avenir de la Guinée et pour la future génération. Raison pour laquelle, on s’est donné les mains pour créer un mouvement, afin de lutter contre ces pratiques qui sont en train de dégrader la faune et la flore.
Mongabay : Pourquoi est-on tous concernés, selon vous ?
Keoulen Doumbouya : Que tu sois administrateur, paysan, agriculteur, si tu as de l’amour pour ce pays, tu es concerné pour sauvegarder l’environnement pour un meilleur avenir du pays.
Mongabay : Au sein de ce mouvement, vous luttez contre l’utilisation de pelleteuses et de produits chimiques dans l’exploitation artisanale de l’or par les entreprises n’ayant pas de permis ou d’autorisation d’exploitation, et pourtant, vous êtes vous-mêmes orpailleur. Vous vous battez donc contre vous-même ?
Keoulen Doumbouya : Je suis orpailleur, également chargé de la commercialisation du bureau préfectoral de l’Union nationale des orpailleurs de Guinée. Donc, j’ai constaté que c’est nous qui sommes les acteurs généralement de la dégradation de l’environnement. Mais est-ce qu’on peut accepter de continuer avec les mêmes méthodes ? J’ai constaté aussi que certains de nos amis orpailleurs négocient avec certaines sociétés chinoises, qui ne sont pas dans les normes, en prenant les pelleteuses. Ils dégradent les lieux cultivables juste à cause de quelques grammes d’or. Pourtant, l’agriculture est le premier facteur de développement d’un pays. Donc, quoi qu’on fasse, on doit d’abord sauvegarder ces zones agricoles. C’est pourquoi, j’ai jugé nécessaire de lever le ton pour que les gens puissent comprendre l’inconvénient de ce qui est en train d’être fait sur place. Cela a été un appel solennel et la majorité des Guinéens a compris. J’ai essayé de mener une sensibilisation dans tous les villages. Ce sont les villageois qui ont essayé de mettre fin à ce système, qui est en train de s’installer dans les différents villages.
Mongabay : Pourquoi mentionner les sociétés chinoises en particulier alors qu’il y a d’autres entreprises étrangères qui opèrent aussi dans le secteur minier ?
Keoulen Doumbouya : Elles [Les sociétés chinoises, Ndlr] sont très nombreuses, soit au nombre de 141. Ce sont des Guinéens qui sont en complicité avec les Chinois pour créer ces entreprises. C’est le cas de la société Djoma Mining, qui travaille à Mankity. Ce sont les Chinois qui y travaillent, mais le propriétaire de la société est un Guinéen. Comme les Chinois ont du matériel, ils travaillent avec les permis de recherche des Guinéens. Autre chose, on peut aussi voir un permis de recherche qui a 10 à 20 sites d’exploitation. C’est comme Siramamba mining, une société guinéenne qui, à travers son permis de recherche, exploite plus de 20 sites d’exploitation.
En ce qui concerne les permis, nous avons découvert qu’aucune de ces entreprises chinoises ne dispose actuellement de permis d’exploitation de l’or. Elles viennent, en complicité avec certains Guinéens, solliciter des permis de recherche. D’autres exploitent à travers un accord avec les villageois, en l’occurrence les patriarches et présidents de district.
Mongabay : Avez-vous essayé d’alerter les autorités ?
Keoulen Doumbouya : Quand on a soulevé ce problème, en août 2024, deux ministres sont venus à Siguiri. Il s’agit du ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation et son homologue des Mines. Le 16 août 2024, ils ont envoyé un courrier dans lequel ils nous ont informés que dans la préfecture de Siguiri, il n’y a que 4 sociétés ayant des permis d’exploitation industrielle. Il s’agit de la Société Ashanti Goldfield (SAG), la Société Guinean Gold Exploration (GGE), la Société minière de Dinguiraye (SMD), et Weily Mining. En dehors de ces quatre sociétés, il peut y avoir plus de vingt sociétés qui travaillent avec un seul permis de recherche. On a constaté ça aussi sur le terrain. Il y avait plus de 141 sociétés qui évoluaient sur place, mais seulement huit avaient des permis de recherche. Cela nous a beaucoup renforcés, car notre combat a été une sensibilisation auprès des villageois.

Mongabay : Comment se fait l’orpaillage artisanal mécanisé à Siguiri ?
Keoulen Doumbouya : La mécanisation de l’orpaillage était en train de se mettre en place à Siguiri et consistait à prendre des pelleteuses pour détruire l’environnement. Nous ne sommes pas totalement contre la mécanisation, mais à condition que l’environnement soit respecté. Comme on aime le dire : « L’art est à moi et la nature est à nous. » Personne ne peut détruire l’environnement. Pour le moment, s’il est question de mécaniser, il faut que la mécanisation soit sur le bon sens, c’est-à-dire conforme à la loi. Mais, si c’est pour prendre les pelleteuses et détruire là où on cultive, là, nous ne sommes pas d’accord. Il faut que la loi soit active sur ce domaine.
Mongabay : Pourquoi êtes-vous contre la mécanisation de l’orpaillage, mais moins critique envers l’orpaillage traditionnel à mains nues ?
Keoulen Doumbouya : Toutes ces méthodes [artisanale et artisanale mécanisée, Ndlr] présentent des conséquences. Sauf qu’avec l’exploitation artisanale de l’or classique, on peut faire 10 à 20 ans d’exploitation sur un lieu. Mais avec la méthode mécanisée, il suffit d’un mois pour que l’endroit se détruise. Parce que cette méthode est faite avec des machines pelleteuses qui ravagent la terre, notamment les parties cultivables. La méthode classique se fait de façon souterraine, c’est-à-dire en creusant des puits. Mais avec les pelleteuses, l’endroit est détruit complètement et cela devient difficile, voire impossible d’habiter les lieux ou d’y construire.
Mongabay : En quoi ces machines constituent-elles une menace pour l’environnement ?
Keoulen Doumbouya : Ce sont des conséquences néfastes très graves. Ces pratiques ravagent la forêt et polluent les cours d’eau. Et les produits chimiques utilisés détruisent l’élevage. La couleur de certains fleuves a changé en rouge. C’est parce que ces exploitants n’ont pas créé une réserve pour garder l’eau issue de l’exploitation et du traitement. Cette eau se dirige directement dans les cours d’eau.
Nous ne sommes pas contre les machines, mais leur mécanisation, c’est dans les cours d’eau et dans les lieux cultivables. C’est pourquoi, on n’est pas d’accord. S’ils veulent utiliser les machines, qu’ils s’éloignent des cours d’eau d’environ 5 km comme mentionné dans le Code minier guinéen.
Ils utilisent les produits chimiques qui tuent, non seulement les personnes, mais aussi l’élevage. Les produits principalement utilisés sont entre autres, le cyanure, le mercure et l’acide. Les poissons sont complètement envahis par ces produits. À Mankity, un district relevant de la sous-préfecture de Didi (environ 70 km, de Siguiri centre), où la société Djoma travaille, l’exploitation a, non seulement envahi la forêt, mais elle a aussi conduit au changement de couleur du Bafing, une rivière qui se jette dans le fleuve Niger. L’exploitation de l’or avec les machines par cette société a beaucoup affecté les zones cultivables. L’année dernière, quand il a plu, cela a influé sur les plaines. Certaines personnes avaient même porté plainte.
Et quand les produits arrivent dans les fleuves, les poissons et d’autres ressources en eaux sont touchés. Cette pratique a beaucoup joué sur l’élevage aussi. Nous avons constaté que dans certains villages, plus de deux cents bœufs sont morts, suite à la consommation d’eau polluée au cyanure. C’est la raison pour laquelle on est opposé. La pratique se fait beaucoup dans les villages. On ne peut pas rester dans les villes ou à Conakry pour comprendre l’ampleur de la chose.
Mongabay : Comment faites-vous pour mener votre lutte ?
Keoulen Doumbouya : C’est avec la sensibilisation dans les différentes radios locales, dans les différentes communautés. Même dans les kiosques à café, nous exposons notre volonté, parce qu’il faut extérioriser toujours sa pensée. Il ne faut pas se faire des illusions sous prétexte qu’ils ne vont pas tenir compte de ce que vous dites. Il faut toujours chercher à leur faire comprendre la vérité.
On a créé des groupes whatsapp, neuf au total. Ces neufs groupes regroupent présentement plus de 1024 membres. Quand j’ai créé le mouvement, j’ai compris qu’il fallait un système de communication. C’est ainsi que j’ai créé les groupes WhatsApp. Nous sommes actuellement au neuvième groupe qui regroupe des milliers de personnes. C’est en quelque sorte, une plateforme d’alerte, d’échange et de sensibilisation. Par exemple, quand on constate qu’il y a une société qui n’a pas de permis qui veut venir dans un village automatiquement, nos membres alertent sur les groupes WhatsApp. À mon tour, j’essaye d’intervenir, mais je ne suis pas seul. Les représentants du mouvement se trouvent dans les 14 préfectures, où l’exploitation de l’or s’effectue. Quand nous sommes sur WhatsApp, c’est comme si nous sommes dans un même lieu. Ça a beaucoup contribué à l’atteinte de nos objectifs. Car même certains cadres et ministres y sont membres. Une fois que le message est passé, chacun perçoit directement.
Mongabay : Depuis la création de votre mouvement, quelles sont les actions concrètes que vous aviez réalisées à Siguiri dans le cadre de la préservation de l’environnement ?
Kéoulen Doumbouya : Dans le cadre de la préservation de l’environnement, nous avons pu reboiser cinq hectares de sites à Fodéla. Il s’agit des sites qui étaient envahis par la société Siramaba Minnig. Nous avons planté des nérés (Parkia bligoboza), des manguiers (Mangifera indica).
En même temps, on s’est sensibilisés entre nous sur la nécessité de se lancer aussi dans l’agriculture dans le but d’avoir une autonomie financière, parce qu’il faut avoir d’abord son autonomie financière avant de compter sur les autres. C’est nous qui avons financé, car nous sommes un groupe. Chacun a envoyé des plants. Nous ne voulons pas compter sur un financement extérieur.
Mongabay : Avez-vous quelque chose à rajouter pour finir ?
Keoulen Doumbouya : Tout ce que je peux dire aux Guinéens, au monde entier, sauvons l’environnement. La nature, c’est la vie.
Image de bannière : Kéoulen Doumbouya, Président du mouvement N’fabada Tèdôtignèla. Image de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.
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