- Les vautours jouent un rôle écologique parfois méconnu des populations. Ils consomment les carcasses, recyclent les nutriments et limitent la propagation de maladies.
- L’espèce est cependant menacée par le trafic pour la médecine traditionnelle, les croyances mystiques et les empoisonnements.
- Irène Kenfack, ornithologue camerounaise, leur pose des traqueurs solaires pour suivre leurs déplacements, espérant ainsi identifier leurs zones de nidification, de repos et d’alimentation, afin de mieux les protéger.
- Kenfack sensibilise également les populations locales et le personnel des abattoirs, une action qui commence à produire des effets positifs. De plus en plus de personnes reconnaissent l’importance écologique des vautours, signalent leur présence et s’engagent à ne pas les capturer, ni les tuer.
Irène Blondelle Kenfack est une ornithologue camerounaise. Elle travaille actuellement sur un projet qui lui tient à cœur : placer des traqueurs solaires sur le dos des vautours charognards. Ces dispositifs vont ensuite transmettre des données géographiques via une plateforme en ligne, permettant à la chercheure de suivre, en temps réel, les déplacements des oiseaux.
Grâce à ce système, elle espère localiser les sites de nidification, de repos et d’autres sites d’alimentation de ces oiseaux, pour les sécuriser et mieux orienter les efforts de conservation, afin de stopper leur déclin. « On a des informations pour ce qui concerne les vautours africains, puisque j’ai eu à travailler dessus autour des parcs et dans les zones de chasse. Pour ce qui est des vautours charognards, qui est l’espèce ayant connu le déclin le plus accentué, on n’a pas assez d’informations », explique Kenfack à Mongabay.
En général, les journées de travail d’Irène Kenfack commencent à l’aube. Vers 6 h du matin, elle s’installe à proximité des abattoirs d’animaux, carnet à la main, le regard levé vers le ciel.
Depuis l’année 2021, elle s’est donnée pour mission de contribuer à la préservation des vautours, des oiseaux classés comme espèce en danger critique d’extinction dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). « J’ai commencé par travailler sur les oiseaux des montagnes. Chemin faisant, j’ai vu que la problématique des vautours s’est soulevée dans d’autres pays africains et j’ai constaté qu’au Cameroun, on n’en sait pas beaucoup, qu’il n’y a pas de travaux dessus. Ayant vu le champ vide, je me suis lancée sur ce sujet, pour essayer de combler le déficit d’information qu’on avait sur ce groupe », explique-t-elle.

Dans la grande famille des vautours, Kenfack observe particulièrement les vautours charognards (Necrosyrtes monachus), et ses sites de prédilections sont les abattoirs. Elle affirme que parfois, la journée entière s’écoule sans qu’aucun oiseau n’apparaisse. Alors, elle patiente jusqu’à ce que la foule se disperse, dans l’espoir que les charognards s’approchent enfin. Mais souvent, même à ce moment-là, aucun n’est aperçu. « Ils ont de plus en plus peur des hommes. Dans mes enquêtes, j’ai découvert que ça n’a pas toujours été comme ça, qu’il y a eu un changement de comportement. Les anciens que j’ai interviewés m’ont fait comprendre que, dans les années 80, quand on marchait dans l’abattoir, ils étaient nombreux au sol comme des poulets. On devait même parfois les pousser pour se frayer le passage. Mais aujourd’hui, ils ne descendent plus quand il y a des humains, ils sont devenus très méfiants », dit Kenfack.
Les vautours sont des rapaces, se nourrissant de carcasses d’animaux morts, qu’ils localisent grâce à leur excellente vue. Cette fonction naturelle fait d’eux de véritables éboueurs des écosystèmes. « Les vautours consomment d’énormes quantités de charognes, évitant ainsi l’accumulation de carcasses en décomposition et réduisant les mauvaises odeurs. De ce fait, ils contribuent à garder l’environnement propre en enlevant les chaires en décomposition dans les écosystèmes. Ils participent aussi au contrôle des maladies en limitant la prolifération des agents et bactéries pathogènes potentiellement dangereux pour les humains et les animaux », explique-t-elle.
Fétichisme
Dans sa volonté de participer à la conservation des vautours, Kenfack a précédemment mené des recherches sur le commerce illégal de ces rapaces, notamment dans le nord du Cameroun, où ils sont chassés, pour répondre à des usages traditionnels et à des croyances associées à la richesse. Ses travaux montrent que leur rôle écologique reste largement méconnu et que ces espèces subissent diverses menaces.
Au lieu d’être protégés, ces rapaces sont fréquemment victimes d’empoisonnement et d’exploitation illégale. La scientifique explique à Mongabay que le déclin des vautours au Cameroun est dû à plusieurs facteurs.
Bien que la majorité des gens ne consomment pas ces oiseaux, considérés comme mystiques, certains les chassent pour la médecine traditionnelle et le fétichisme, alimentant un trafic illégal. Des croyances locales attribuent aux vautours des pouvoirs, comme celui d’apporter la richesse, ce qui encourage leur capture.
Les empoisonnements, volontaires ou involontaires, sont fréquents. Les bergers empoisonnent souvent les carcasses pour se venger des lions et autres carnivores qui attaquent leur bétail, ou pour éviter d’être repérés par les anti-braconniers, tuant ainsi les vautours, qui se nourrissent de ces restes.
André Botha est un scientifique sud-africain et coprésident du groupe de spécialistes des vautours de l’UICN. Il est d’accord avec les résultats de recherche de Kenfack. « On pense que l’utilisation des vautours par les croyants est la principale cause des déclins massifs observés en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, mais cette pratique existe également en Afrique de l’Est et en Afrique Australe », dit-il dans un courriel à Mongabay.

En parallèle, Kenfack mène une sensibilisation auprès des populations locales, des leaders traditionnels, des responsables des ministères en charge des animaux, ainsi que des travailleurs d’abattoirs, afin de leur expliquer l’importance de ces oiseaux dans le maintien de l’équilibre écologique. Peu à peu, ses efforts commencent à porter leurs fruits. « Parmi les gens que j’ai sensibilisés, il arrive que certains m’appellent pour me dire : j’ai vu ton oiseau là, à tel endroit. Beaucoup s’y intéressent. Ils observent les oiseaux et beaucoup arrivent même déjà à reconnaitre les différents types de vautours. Les responsables d’abattoirs et les chefs traditionnels relaient aussi le message de sensibilisation que nous transmettons et expliquent autour d’eux qu’il est interdit de tuer les vautours », dit Kenfack.
Tartare est boucher à l’abattoir de la ville de Guider, au nord du Cameroun et a plusieurs fois assisté à ces séances de sensibilisation. « Maintenant, je sais que les vautours sont importants. Ils aident à lutter contre les maladies. Nous ne devons pas capturer ou tuer les vautours. Parfois, quand je vois un vautour, je fais une photo avec mon téléphone et je l’envoie à Irène par WhatsApp et ça l’aide dans son travail », explique-t-il au téléphone à Mongabay.
Kenfack finance ses recherches grâce à des subventions obtenues auprès de différentes institutions. Son premier projet sur les vautours africains a été soutenu par la Fondation Rufford.
Son second projet, consacré au circuit de trafic des vautours, a reçu un appui du programme Aspire Grant CARN, basé aux États-Unis.
Quant à son projet actuel de traçage des vautours charognards, il est financé par un second Rufford Grant, obtenu, grâce au soutien de la plateforme Fridays4birds portée par l’Institut ornithologique suisse.
Elle souligne également l’aide précieuse de la chercheure Elizabeth Yohannes, Chercheure et Cheffe de projet à la Station ornithologique suisse, qui l’a accompagnée dans la préparation du projet.
Botha, qui connait bien Kenfack, dit apprécier son travail. « Irène et son équipe font un travail très important pour sensibiliser à la situation critique des vautours au Cameroun et en Afrique centrale dans son ensemble. Elle est une véritable championne pour les vautours dans ce pays », dit-il.
Il ajoute que des actions de conservation comme celles de Kenfack portent des fruits. « Par exemple, grâce à des actions de conservation concertées et soutenues en Afrique australe depuis plus de 50 ans, le vautour du Cap a récemment été déclassé de la liste des espèces en danger à celle des espèces vulnérables par l’UICN ».
Image de bannière : Deux vautours charognards observés par Irène Kenfack à Adoumri (nord Cameroun), en avril 2025. Image d’Irène Blondelle Kenfack avec son aimable autorisation.
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