- Lima, un système d’irrigation contrôlé à distance grâce à l’intelligence artificielle, est une solution locale proposée aux agriculteurs pour continuer de produire, même en période sèche, alors que les pluies se réduisent ces dernières années dans la région du Katanga, en République démocratique du Congo.
- Les technologies, telles que les serres intelligentes et l’agriculture de précision, se présentent en alternatives permettant aux producteurs d’améliorer leurs rendements agricoles et d'être résilients face aux effets du changement climatique.
- Pour les agriculteurs du Katanga, l'adoption de ces technologies représente encore un défi.
Les effets du changement climatique, tels que les perturbations des saisons de culture, ont accentué l’insécurité alimentaire dans le Haut-katanga, une province au sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), indique une étude de l’Observatoire africain des ressources naturelles (AFREWATCH), parue en décembre 2024.
D’après ce rapport, cette situation est aussi liée à l’exploitation minière, qui a des répercussions sur les terres arables, ce qui amoindrit la production agricole dans la région du Katanga, où 54 % des ménages vivent dans l’insécurité alimentaire, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS).
Face à la crise alimentaire, les agriculteurs peinent à combler le déficit agricole malgré la politique du gouvernement provincial de subventionner les producteurs en semence de maïs, afin d’accroître la production agricole.
Dans ce cadre, les technologies agricoles telles que les serres intelligentes, l’agriculture de précision ou encore l’agroforesterie et la culture hydroponique, sont présentées comme des solutions contre les faibles rendements agricoles et contre les effets du changement climatique sur les cultures. Lima, un système d’irrigation contrôlé, figure dans la liste.
Mongabay s’est entretenu avec Bob Lwapula, un ingénieur congolais en administration de systèmes et réseaux informatiques. En 2022, cet ingénieur, formé à l’école supérieure des Technologies de l’information et de la communication de Lubumbashi, a mis ses compétences en informatique au service de l’agriculture durable. De sa passion pour les objets connectés, il a développé Lima Africa [Ndlr : « Cultiver l’Afrique », en swahili], un système d’irrigation contrôlé à l’aide de l’intelligence artificielle.

Mongabay : Pouvez-vous nous présenter votre système d’irrigation ? Comment fonctionne-t-il ?
Bob Lwapula : Notre système s’appelle Lima Africa, c’est un système d’irrigation qu’on peut contrôler à distance à l’aide de l’intelligence artificielle, grâce à une application mobile manipulable de n’importe où dans le monde. En effet, nous allons aux champs et nous y installons tout ce qui constitue un système d’irrigation comprenant des pompes avec des générateurs ou bien avec des panneaux solaires en fonction des besoins. Pour rendre efficace ce système, nous y mettons une partie intelligente, constituée d’une série de capteurs, qui vont déterminer la température et l’humidité et même le pH du sol, pour évaluer les besoins de la plante, en fonction de la phase de croissance. Cette partie intelligente, à l’aide de l’intelligence artificielle, permet à un contrôleur de prendre des décisions sur le moment où il faut lancer l’irrigation et le moment où il faut l’arrêter. Ce même contrôleur peut être relié à internet, ce qui permet à une application mobile de se connecter à distance et de pouvoir interagir avec de façon directe.
L’idée derrière est, dans un premier temps, d’éviter le gaspillage de l’eau, quand on en met beaucoup trop ou quand on le fait au pif. Mais aussi de permettre à ce qu’on puisse lutter efficacement contre le changement climatique. Vous voyez quand on est en saison sèche et que l’on utilise beaucoup plus que nécessaire la nappe phréatique, même les puits sèchent plus vite. Ce système essaie de trouver un équilibre entre le fait de faire pousser nos plantes et celui de ne pas épuiser la nappe.
Mongabay : Qu’est-ce qui vous a motivé à adopter cette approche ? Et comment contribue-t-elle à la préservation de l’environnement ?
Bob Luapula : Je suis au départ un informaticien ayant voulu mettre l’informatique dans l’agriculture pour résoudre des problèmes que j’ai vus dans mon quotidien. Vital Kamerhe (Vital Kamerhe, actuel président de l’assemblée nationale, ministre de l’économie en 2023, Ndlr) dit que 75 % du maïs que l’on mange dans le Haut-katanga proviennent de la Zambie, donc, on ne produit que 25 % de ce que l’on est en train de manger (Selon un rapport de la Banque centrale du Congo, paru en juillet 2024, 70 % de la farine consommée dans le Katanga proviennent de la Zambie, Ndlr). C’est ça qui a fait que je me penche sur cette situation-là, pour voir à mon niveau ce que je peux apporter pour la résoudre. C’est pourquoi, moi, j’ai voulu mettre mes compétences dans les objets connectés dans l’agriculture pour résoudre cela. Pour ce faire, je me suis entouré d’ingénieurs agronomes et d’autres personnes, chacun dans son domaine pour pouvoir réaliser cela, pour résoudre les problèmes de production au niveau local. C’est une solution locale qui répond aux besoins locaux. Si elle est mise en place à grande échelle, elle permettra à terme de réduire au maximum notre dépendance alimentaire aux importations.
Autre chose, la préservation de l’environnement fait aussi partie de ce sur quoi nous travaillons. À notre niveau, ce que nous visons, c’est surtout de ne pas abîmer les sols, c’est pourquoi nous recommandons de ne pas utiliser les engrais chimiques mais plutôt d’utiliser les engrais naturels. Pour la pulvérisation, nous privilégions les engrais issus de substances naturelles, c’est ça que nous faisons à notre niveau pour au moins permettre à ce que le sol soit préservé pendant longtemps et que l’on ne puisse pas par la suite le dégrader.
Mongabay : Avec votre système d’irrigation, quels changements visibles avez-vous remarqués en termes de productivité, d’efficacité ou de résilience ?
Bob Luapula : Nous avons pu avoir, avec cette technologie, des rendements quasi similaires à ce que nous avions eu pendant la saison des pluies. À peu près 90 à 95 % de la production, pendant la saison de pluie, est la même pendant la saison sèche. Notre système contrôle, de manière efficace, l’utilisation de l’eau et détecte quand la plante en a besoin et lui en donne et quand elle n’en a pas besoin, elle coupe. Voilà les résultats que nous avons pu avoir. Si notre système d’irrigation est adopté à grande échelle, ça permettrait à ceux qui n’ont pas de production, pendant la saison sèche, d’en avoir, ce qui pourrait quasiment doubler leurs revenus liés à la vente des produits agricoles. C’est le plus beau résultat que l’on peut avoir au niveau des agriculteurs. Si c’est fait à plus grande échelle, ça pourrait même permettre de réduire le prix des légumes sur les marchés pendant la saison sèche.
Mongabay : Quelle est l’importance de ces technologies, comme l’irrigation contrôlée, et à quel niveau, elles peuvent être utiles pour les agriculteurs, notamment pour faire face à la dépendance aux saisons de pluie ?
Bob Luapula : Les technologies agricoles peuvent intervenir à plusieurs niveaux. Concrètement, le constat est que les agriculteurs locaux ne travaillent que pendant la saison de pluie. Ils sont très dépendants de la saison de pluie. Ces 10 dernières années, les saisons pluvieuses se terminent beaucoup plus tôt que prévu, surtout l’année dernière. On a eu le même problème même en Zambie, qui a dû fermer ses frontières, parce qu’ils avaient moins de récolte que prévu. En fait, nous sommes très limités par rapport à la pluie, c’est là que les technologies agricoles peuvent intervenir. Par exemple, l’irrigation que nous faisons permet aux agriculteurs de pouvoir cultiver sur toute l’année, en fournissant des bonnes quantités d’eau pour les plantes.

Mongabay : Face à l’exploitation minière, quel avenir envisagez-vous pour les technologies agricoles dans le Haut-katanga ?
Bob Luapula : Je prendrais ça plutôt comme une sorte d’opportunités. En effet, le Haut-katanga, voire le Lualaba [province voisine du Haut-katanga, située dans le sud-est de la RDC, ndlr] dépendent des minerais, (le cuivre, le cobalt, le zinc, l’étain, etc, ndlr) qui sont des ressources épuisables, au détriment de l’agriculture, qui pourrait assurer l’avenir. L’exploitation des minerais laisse des trous partout. Or, l’agriculture va nous permettre de subvenir à nos propres besoins. Ce n’est pas normal que dans un pays, la moitié de la population vit en insécurité alimentaire et pourtant, on a des terres. Les gens devraient tous penser à la terre, plutôt qu’aux minerais comme moyen de s’enrichir rapidement. En utilisant au maximum ces technologies dans la terre, ça peut permettre de changer le paradigme, en préservant nos terres pour une agriculture durable.
Mongabay : Les techniques telles que la culture sur brûlis sont critiquées pour leur mauvais impact sur l’environnement entraînant la déforestation ou la dégradation des sols par exemple. Comment ces technologies permettent d’allier « agriculture moderne » et « protection de l’environnement » ?
Bob Luapula : Les deux sont compatibles seulement si on les lie à d’autres choses. Par exemple, il y a un projet dans lequel on est censé faire de l’agroforesterie, la culture avec les arbres. Cette technique nous permet de réduire au maximum l’impact sur l’environnement. On a un système d’irrigation, mais l’agroforesterie, nous permet déjà de renouveler le sol de manière naturelle avec les feuilles qui tombent et on évite de trop déboiser avec la foresterie. C’est l’optique dans laquelle nous sommes en train d’aller.
Mongabay : Quelles sont les limites de ces technologies concernant leur impact sur l’environnement ? La promesse de protéger l’environnement en recourant à ces technologies peut-elle être tenue ?
Bob Luapula : Les technologies, en soit, peuvent tenir la promesse de protéger notre environnement. C’est plutôt leur utilisation qui peut ne pas être correcte. Les technologies sont des outils, elles ne sont pas mauvaises, elles dépendent de ceux qui les utilisent. Si l’utilisateur emploie la technologie pour déforester, la technologie va détruire l’environnement, mais si on la met dans le cadre de l’agroforesterie, par exemple, elle va vraiment permettre de maintenir cet environnement. Si on ne la lie pas avec des stratégies pour allier l’environnement, la technologie ne va pas changer les cultures des hommes. Si les hommes ont besoin de détruire, alors ils vont détruire (rires), c’est juste un outil à leur disposition.
Mongabay : Quels sont les défis que vous rencontrez ? Et comment vous le surmontez ?
Bob Luapula : Les agriculteurs locaux ont du mal à adopter les nouvelles technologies, c’est le plus grand défi que nous avons. Actuellement, nous sommes en train de travailler sur comment faire intégrer ces technologies aux populations, pour qu’elles comprennent ce que cela va leur apporter. Ce qui m’étonne, c’est que le gouvernement lui-même préfère réagir plutôt qu’agir face aux problèmes qui se présentent et qui ont des solutions, comme le cas ici. Le problème chez nous reste aussi celui de prévoir. Les dernières années, on a vu que les saisons de pluie étaient courtes, au lieu d’agir maintenant, on va attendre quand il n’y aura plus de précipitations pour le faire. L’adoption de ces technologies reste un grand défi mais il y a aussi ceux qui adoptent. Comme par exemple l’Université de Lubumbashi avec qui nous collaborons, il y a aussi quelques partenaires internationaux qui nous permettent de travailler petit à petit pour permettre leur adoption. Globalement, si tout le monde adopte ces technologies, on aura un grand impact sur la production, et si l’on arrive à généraliser cela au niveau de la province, je ne crois pas que le Haut-katanga ou même le Lualaba pourront manquer de nourriture, on ne sera plus obligé de pouvoir demander quoique ce soit à la Zambie. En effet, ça représente un milliard de dollars américains, des investissements alimentaires uniquement, c’est énorme.
Image de bannière : Bob Lwapula, ingénieur congolais en administration de systèmes et réseaux informatiques. Il a développé Lima, un système d’irrigation contrôlé à distance à l’aide de l’intelligence artificielle. Image de Saïbe Kabila pour Mongabay.