- Les tortues marines ont connu un déclin dramatique pendant plusieurs décennies, mais les efforts de conservation ont finalement porté leurs fruits.
- L’état de conservation des populations s’est globalement amélioré, mais des défis tels que le réchauffement climatique et la pollution plastique subsistent.
- « Les tortues sont présentes sur Terre depuis environ 100 millions d’années et ont fait preuve de résilience face aux changements climatiques passés, mais pas nécessairement au rythme actuel ».
Une récente étude révèle que l’état de conservation des tortues marines s’est globalement amélioré au cours des dernières décennies, mais continue tout de même à faire face à des défis imprévisibles. Si les populations se montrent résilientes, elles restent tout de même vulnérables aux changements environnementaux accélérés, au nombre desquels le réchauffement climatique et la pollution plastique. Les données montrent clairement qu’elles sont résilientes à condition qu’on leur en donne l’occasion.
Les tortues marines figurent parmi les animaux marins, qui ont subi le plus de déclin en raison de pressions humaines. Des rapports historiques des Caraïbes indiquent, par exemple, que les tortues de mer y étaient si abondantes qu’elles maintenaient les marins éveillés, la nuit, en heurtant la coque des navires. Il y avait alors entre 16 à 33 millions de tortues vertes (Chelonia mydas) adultes dans la mer des Caraïbes, mais ce nombre a dramatiquement baissé à moins de 2 millions en 2000 (soit une baisse de 95 %).
De même, les nids de tortues luth (Dermochelys coriacea) dans la péninsule malaisienne sont passés de 1000 par an en 1953 à seulement un ou deux en 2003. En 2024, les nids étaient quasi-inexistants dans la région.

Au vu de ce déclin massif, de nombreux efforts de conservation, s’étalant sur plusieurs décennies, ont été initiés autant au niveau mondial que régional. Une étude, publiée fin janvier dernier, dans la Nature Reviews Biodiversity et dirigée par Graeme C. Hays du Centre de recherche et d’innovations marines de Deakin et de l’École des sciences de la vie et de l’environnement de l’université Deakin (Australie), indique que ces efforts ont été couronnés de succès, bien que des défis restent à surmonter.
Les auteurs n’ont pas donné suite à la demande d’interview de Mongabay, mais « étant donné que de nombreux efforts de conservation ont commencé dès les années 1950 et l’espoir d’une protection accrue des zones océaniques, dans le cadre du Cadre mondial sur la biodiversité de Kunming-Montréal, il est temps d’évaluer l’état de la conservation des tortues marines et de déterminer les endroits, où le déclin historique s’est inversé », écrivent-ils dans leur étude.
Des menaces décennales et persistantes
Présentes dans tous les océans du monde à l’exception de l’océan Arctique, les tortues de mer sont principalement menacées par la chasse, le braconnage et les prises de pêche accidentelles. Bien qu’une mortalité accrue se produise naturellement par prédation (plus de 50 % des œufs), les menaces anthropiques pèsent sur les tortues marines depuis des décennies et causent bien plus de dégâts. D’après l’étude, environ 1,1 million de tortues de mer ont été capturées, malgré l’existence de lois interdisant leur utilisation dans 65 pays et territoires différents.
La pollution plastique constitue également une menace omniprésente et persistante pour toutes les espèces de tortues marines. Les impacts vont de la noyade aux dommages au système gastro-intestinal, en passant par la famine et d’autres blessures physiques. Une analyse chronologique, s’étalant sur 30 ans, indique une augmentation de l’ingestion de débris plastiques par les tortues, parallèlement à la hausse des niveaux de plastique dans les océans.
Les impacts du réchauffement climatique, quant à eux, sont encore peu étudiés. « Les effets du changement climatique sur les tortues marines sont largement projetés ou prédits. La mortalité et le déclin des populations causés par le changement climatique, en particulier, ont été peu documentés à ce jour », explique, dans un courriel à Mongabay, Bryan Wallace, professeur adjoint au département d’écologie et de biologie évolutive à l’université du Colorado, à Boulder aux États-Unis, et fondateur d’Ecolibrium, une agence d’accompagnement personnalisé de conseil environnemental.
D’après l’expert, les effets du réchauffement climatique devraient en théorie avoir un impact sur le rapport des sexes. Des températures d’incubation plus élevées favorisent l’éclosion de plus de femelles et vice versa. Une évaluation mondiale, datant de l’année dernière et codirigée par Hays, indique que la plupart des plages de nidification des tortues marines, produisent un nombre plus élevé de femelles.
Toutefois, « il est important de noter que, bien que ces changements des rapports de sexes, dus à la température aient une incidence négative sur les populations, les ratios sexospécifiques de l’éclosion qui sont faussés par les femelles, pourraient entraîner une augmentation du nombre de femelles reproductrices et, par conséquent, une production d’œufs plus importante, pourvu qu’un nombre suffisant de mâles demeure », précise l’étude de Hays. Cela signifie que la manière dont ces changements influeront les populations de tortues de mer demeure une question ouverte.

Des efforts de conservation qui ont porté leurs fruits
Afin de remédier au déclin catastrophique des tortues de mer, de nombreuses initiatives ont été mises en œuvre, telles que l’interdiction régionale et/ou locale de la pêche directe, l’interdiction d’accès aux plages de nidification, la réduction des éclairages artificiels, etc. Le Cadre mondial sur la biodiversité de Kunming-Montréal figure parmi les efforts notables, à cet effet. Signé en 2022 par 190 pays lors de la COP15, il vise à protéger et à restaurer les terres et les mers du monde d’ici à 2030.
Pour évaluer l’efficacité de ces efforts, l’équipe de Hays a combiné les évaluations de la Liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) à une analyse des séries chronologiques de l’abondance des tortues marines à travers le monde. Leurs résultats révèlent, que dans l’ensemble, les efforts de conservation ont porté leurs fruits, le nombre de nids augmentant au niveau de nombreux sites de nidification.
Quatre populations régionales sur cinq sont en augmentation. Sur l’île de Sal, au Cap Vert, les nids de tortues caouannes (Caretta caretta) sont, par exemple, passés de 500 en 2008 à 35 000 en 2020. Et, bien que les données sur les autres espèces soient limitées, la majorité indique une croissance de leur population.
Wallace cite en outre un exemple direct sur les tortues vertes de l’Est du Pacifique, qui ont presque retrouvé leur abondance historique, grâce à l’interdiction de leur capture dans tout le Mexique. Après avoir décliné de près de 90 % entre 1960 et 1980, la région du Michoacán abrite désormais la plus importante colonie de nidification. « Le nombre de tortues vertes nichant aujourd’hui dans l’État du Michoacán est quasiment identique à celui d’il y a environ 50 ans (et même bien plus tôt, selon les habitants) », affirme l’expert.
Wallace n’a pas participé à l’étude de Hays, mais a récemment publié une autre étude (en cours d’évaluation par des pairs) concernant l’état et les tendances de conservation des tortues marines à l’échelle mondiale. Les résultats concordent avec ceux de l’équipe de Hays, indiquant notamment que 75 % des populations de tortues marines dans le monde ont connu une amélioration, que ce soit en termes de facteurs de risque, d’impacts des menaces ou de ces deux facteurs à la fois.

Une étonnante capacité de résilience, mais est-ce suffisant ?
Cependant, malgré ces succès, l’étude de Hays précise que des défis subsistent et que certaines populations continuent de connaître un déclin, telles que les tortues luth de l’océan Pacifique et de la mer des Caraïbes. Et, alors que les menaces, telles que la chasse directe, ont diminué de manière générale, celles liées au changement climatique et à d’autres menaces imprévisibles continuent de s’intensifier.
Ces constats concordent avec les résultats de l’étude de Wallace. « Selon nos analyses, les principaux défis pour la conservation des tortues marines sont la réduction des impacts des prises accessoires, une meilleure compréhension des effets des menaces pour lesquelles nous disposons de peu d’informations sur les impacts directs, comme le changement climatique et la pollution [plastique] », indique-t-il.
Les tortues marines peuvent parfois faire preuve de résilience, en programmant, par exemple, leur nidification, en fonction des conditions climatiques ou en sélectionnant les sites de nidification, pour optimiser les conditions d’incubation des œufs. Selon Wallace, « tant qu’elles sont en vie, même si une plage devient inutilisable ou sous-optimale, elles en chercheront une autre. » Cependant, « les tortues sont présentes sur Terre depuis environ 100 millions d’années et ont fait preuve de résilience face aux changements climatiques passés, mais pas nécessairement au rythme actuel ».
Par ailleurs, la conservation des tortues marines souffre d’une importante pénurie de données pouvant entraver les efforts de protection. « La disponibilité et la qualité des données se sont améliorées, mais de nombreuses populations représentent des besoins critiques en matière de données. Ces tendances varient au sein des espèces, entre elles et entre les régions », explique l’expert.
Dans l’ensemble, les études montrent que des défis urgents restent à surmonter. « Malgré quelques succès en matière de conservation, un optimisme prudent est de mise lorsqu’on envisage l’avenir des tortues marines dans un monde en évolution rapide », indique Hays et ses collègues.
Pour l’avenir, l’équipe recommande de promouvoir la résilience climatique et de se concentrer davantage sur la compréhension des défis actuels et à venir, notamment la pollution plastique et le changement climatique. La lutte contre la chasse et les prises accessoires doit aussi être intensifiée.
De son côté, Wallace souligne l’importance des efforts collaboratifs. « Les efforts de conservation doivent se concentrer sur les menaces les plus importantes pour chaque population et être conçus de manière collaborative, avec les partenaires concernés, dès le début et tout au long du processus, afin de garantir que les activités soient menées conformément aux meilleures pratiques et avec les bonnes personnes », conclut-il.
Image de bannière : D’après l’étude, environ 1,1 million de tortues de mer ont été capturées, malgré l’existence de lois interdisant leur utilisation dans 65 pays et territoires différents. Image par Mongabay.
Citations :
Hays, G.C., Laloë, JO. & Seminoff, J.A. (2025). Status, trends and conservation of global sea turtle populations. Nat. Rev. Biodivers. 1, 119–133. https://doi.org/10.1038/s44358-024-00011-y
Lutz, P.L., Musick, J.A., & Wyneken, J. (Eds.). (2002). The Biology of Sea Turtles, Volume II (1st ed.). CRC Press. https://doi.org/10.1201/9781420040807
Bryan P. Wallace et al. Updated global conservation status and priorities for marine turtles. ESR prepress abstract. https://doi.org/10.3354/esr01385
Laloë, J.-O., Schofield, G., & Hays, G. C. (2024). Climate warming and sea turtle sex ratios across the globe. Global Change Biology, 30, e17004. https://doi.org/10.1111/gcb.17004
Des tortues marines du Cameroun sauvées par des initiatives de conservation
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