- Étant donné que l’agriculture emploie plus de 60 % de la main-d’œuvre en Afrique, les experts soulignent que l’amélioration de l’accès à l’énergie représente une contribution essentielle pour augmenter la productivité et la sécurité alimentaire.
- Le World Resources Institute (WRI) a collaboré avec des partenaires et des décideurs locaux pour soutenir l’intégration d’énergie propre dans le secteur de l’agriculture à petite échelle.
- Le programme Productive Use of Renewable Energy (PURE) a pour objectif de soutenir les efforts visant à intégrer l’énergie renouvelable dans les chaînes de valeur agricoles.
- Des systèmes d’irrigation innovant avec des panneaux solaires deviennent aujourd’hui d’importants créateurs d’emplois en Afrique, pourtant l’investissement en capital nécessaire pour acquérir la technologie reste élevé pour les agriculteurs ordinaires.
KIREHE, Rwanda — Victor Ndwaniye, un petit exploitant agricole de Nasho, un village lacustre du district de Kirehe dans l’ouest du Rwanda, irriguait sa ferme maraîchère en recueillant de l’eau avec un seau et en le vidant dans les champs.
Cependant, depuis 2020, ce père de six enfants utilise un nouveau système d’irrigation solaire sur son terrain plat. « Cela fait longtemps que le vieux système d’irrigation n’arrivait plus à satisfaire les besoins de nombreux agriculteurs dans la région », a dit Ndwaniye à Mongabay.
Depuis, la situation a changé grâce à l’intégration de panneaux solaires dans les pratiques agricoles au Rwanda, dans le cadre d’un effort national visant à intégrer l’énergie solaire à différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement agricole. Les autorités ont fixé un objectif d’augmenter la surface irriguée, grâce à l’énergie solaire des 646 hectares actuels à 1 146 hectares d’ici à 2029. D’autres pays, comme le Bangladesh et l’Inde, ont des plans similaires.
Au cours de la phase de mise en œuvre, les agriculteurs doivent payer l’entretien des systèmes. Parallèlement, le gouvernement et les acteurs fournissent une aide financière qui participe à rendre l’énergie solaire plus abordable aux communautés locales. Cependant, l’investissement en capital nécessaire pour acquérir la technologie reste élevé pour les agriculteurs ordinaires.
Selon le Rwanda Agriculture and Animal Resources Development Board (Conseil du développement de l’agriculture et des ressources animales) du gouvernement, le projet a pour objectif de renforcer la résilience des petits exploitants agricoles aux catastrophes liées au climat et de promouvoir des pratiques agricoles durables pour stimuler la productivité. L’espoir est d’éviter les émissions associées aux pompes diesel, en particulier en zones rurales, où l’accès au réseau électrique est limité. Ces technologies solaires ne nécessitent pas d’apport continu en carburant qui augmente les coûts d’opération, et elles aident à s’attaquer au problème de la disponibilité en eau.

Plusieurs villages du Kirehe, un district qui est depuis longtemps sujet à la sécheresse, ont des difficultés pour tirer de l’eau de plusieurs lacs voisins de leurs champs. Pendant la longue saison sèche, qui dure de juin à septembre, Ndwaniye avait besoin d’eau pour arroser son champ de fruits et légumes au moins deux fois par jour, ce qui impliquait de passer beaucoup de temps à aller cherche de l’eau et de ce fait, du temps loin de son champ, ce qui limitait la quantité qu’il pouvait cultiver. Les nouveaux systèmes solaires utilisent la lumière du soleil pour alimenter des pompes d’irrigation, qui distribuent une quantité précise d’eau aux cultures, même lorsque l’eau est limitée.
Les systèmes solaires permettent également à Ndwaniye d’irriguer son exploitation rurale reculée efficacement avec de l’énergie propre. Avec l’accessibilité actuelle, un nombre croissant de petits exploitants adoptent ces solutions innovantes au Rwanda.
Les dernières estimations du Conseil du développement de l’agriculture montrent que 299 coopératives agricoles et 1 139 exploitants supplémentaires, qui utilisent des réseaux d’irrigation à petite échelle au Rwanda, exploitent des systèmes d’irrigation à grande échelle utilisant l’énergie solaire pour faire face au manque d’eau.
Les estimations compilées à partir de données administratives par le Conseil du développement de l’agriculture montrent que 87 coopératives agricoles, en particulier dans des zones sujettes à la sécheresse dans l’Est du Rwanda, utilisent l’irrigation solaire pour augmenter les rendements agricoles, en distribuant des quantités précises d’eau, et de ce fait, en préservant les ressources en eau.
Dans une récente étude se concentrant sur l’Afrique subsaharienne, des chercheurs de l’université britannique de Sheffield, ont montré que les systèmes d’irrigation alimentés par l’énergie solaire, représentent une approche transformatrice des pratiques agricoles en Afrique.

« La croissance de la population et l’insécurité alimentaire nécessitent une augmentation de la production agricole et de l’irrigation d’une manière respectueuse de l’environnement », a dit Saeed Mohammed Wazed, l’auteur principal de l’étude.
Pour mener l’étude, l’équipe de chercheurs a exploré comment différents pays d’Afrique subsaharienne utilisent des sources d’énergie renouvelable, pour annuler le besoin en moteurs alimentés par combustibles fossiles dans leurs systèmes d’irrigation.
Après diverses expériences, Wazed et son équipe ont identifié plusieurs tendances. Les études suggèrent que le meilleur moyen d’optimiser le coût et la conception du système solaire (en irrigation), est de comprendre les besoins de la culture et de réaliser des études approfondies sur le terrain, pour analyser les conditions de fonctionnement du système.
« La technologie est aujourd’hui une solution standard pour l’approvisionnement en eau dans les régions non raccordées au réseau au Rwanda », a dit Jerome Hitayezu, le chef du programme d’irrigation du conseil, à Mongabay.
Les agriculteurs comme Ndwaniye disent qu’ils voient des améliorations remarquables de leurs rendements, et lui-même explique que passer à l’irrigation solaire a transformé ses activités agricoles.
« Avant d’utiliser l’irrigation solaire, je ne pouvais récolter que une tonne de légumes par hectare. Après deux saisons avec l’irrigation solaire, mon rendement de carottes et de choux a triplé et atteint trois tonnes par hectare », dit-il.
Des estimations de la Banque mondiale montrent que sur les 183 millions d’hectares cultivés en Afrique subsaharienne, 95 % sont pluviaux (non irrigués), et moins de 5 % font l’objet d’une quelconque pratique de gestion de l’eau, « de loin le taux le plus faible d’irrigation de toutes les régions du monde ». Les agriculteurs doivent donc soit dépendre de l’agriculture pluviale, soit, pour ceux qui peuvent se le permettre, investir dans des systèmes coûteux d’irrigation à moteurs diesel.

Un objectif de stimuler l’accès à l’énergie et la production
Le World Resources Institute (WRI) dit que l’une des stratégies pour surmonter les difficultés liées à l’accès à l’énergie en Afrique subsaharienne rurale, où la plupart des gens n’ont pas l’électricité, est d’identifier les possibilités d’intégrer de l’énergie propre dans les secteurs de production, notamment dans l’agriculture à petite échelle.
WRI Afrique soutient activement des initiatives intégrant l’énergie renouvelable dans les chaînes de valeur agricoles dans différents pays africains, dont le Rwanda, en travaillant avec des petits exploitants, des administrations infranationales, des organismes financiers et des entreprises locales pour généraliser les solutions énergétiques durables.
Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), en Afrique, 600 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, ce qui représente un obstacle au développement économique agricole. Étant donné que l’agriculture emploie plus de 60 % de la main-d’œuvre en Afrique, les experts soulignent que favoriser l’accès à l’énergie, est une contribution essentielle pour augmenter la productivité et la sécurité alimentaire.
Benson Ireri, le responsable pour l’accès énergétique en Afrique à WRI, a expliqué qu’au-delà de l’irrigation (sur laquelle la plupart des initiatives en matière d’accès énergétique se concentrent dans le secteur agricole), une énergie propre est également nécessaire à toutes les étapes de la chaîne de valeur agricole. Il a ajouté que cela inclut le refroidissement et la réfrigération, l’ajout de valeur, la conservation et le transport des produits de la ferme vers les marchés et les centres d’agrégation.
« L’utilisation de solutions reposant sur des énergies renouvelables comme le solaire pour alimenter l’irrigation et d’autres processus dans la chaîne de valeur agricole peut réduire les coûts de production en évitant les coûts élevés de fonctionnement et d’entretien associés aux générateurs diesel, comme les dépenses élevées de carburant. En retour, cela augmente les revenus des petits exploitants agricoles », a dit Ireri.
WRI s’emploie actuellement à promouvoir l’utilisation productive d’énergies renouvelables, grâce à son programme PURE, (en anglais, productive use of renewable energies), et explique que ces solutions peuvent permettre aux agriculteurs et aux entreprises de l’agro-industrie d’améliorer les rendements agricoles, de réduire les pertes après récolte et de stimuler les revenus en zone rurale. L’institut collabore avec des gouvernements et des administrations infranationales d’Afrique centrale et orientale, des partenaires en matière de développement, des organismes financiers et des entreprises locales pour généraliser ces solutions.
Une étude, publiée en août 2023, par l’International Institute for Applied Systems Analysis, montre que de nombreux systèmes d’irrigation alimentés par des solutions solaires décentralisées changent la donne pour l’Afrique subsaharienne, où les sources d’énergie renouvelable abondantes ne sont pas aussi utilisées qu’elles le pourraient.

Remplacer les solutions diesel coûteuses ?
Ireri est optimiste quant à l’utilisation de systèmes reposant sur des énergies renouvelables dans l’agriculture. Selon lui, elles ne vont pas seulement éliminer la dépendance aux générateurs diesel coûteux et polluants dans le secteur agricole, mais elles pourraient également stimuler la demande en énergie propre dans les zones rurales. Cela pourrait répondre à un enjeu majeur pour les programmes d’énergie abordable qui essaient d’atteindre des communautés rurales, d’après lui.
L’agriculture est le secteur qui produit le plus d’émissions de gaz à effet de serre au Rwanda, celles-ci représentant 70 % des émissions nationales totales, selon le rapport publié, en 2019, par l’Autorité de gestion de l’environnement du Rwanda (REMA).
« La communauté agricole doit adopter l’énergie renouvelable comme un moyen d’atteindre un avenir durable, bas carbone et économiquement viable », a dit Ireri.
En plus de stimuler la productivité agricole, les experts du WRI argumentent que la production d’énergie renouvelable pourrait créer des emplois pour des millions de jeunes sur le continent.
Un bilan de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, en collaboration avec l’organisation internationale du travail, indique que les technologies non raccordées au réseau créent des opportunités pour les habitants dans divers rôles, de postes techniques au service à la clientèle et à l’engagement communautaire en Afrique subsaharienne.
« L’intégration d’énergie propre dans le secteur agricole aux niveaux national et régional jouera également un rôle important dans la réduction des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre », a déclaré Ireri.
À Kirehe, les petits exploitants comme Ndwaniye disent que, grâce à l’introduction de systèmes d’irrigation solaires, ils peuvent maintenant cultiver une plus grande variété de cultures toute l’année.
« Ces solutions renouvelables nous aident à devenir moins dépendants de conditions météorologiques imprévisibles », a-t-il dit.
Image de bannière : L’utilisation de solutions reposant sur des énergies renouvelables comme le solaire pour alimenter l’irrigation et d’autres processus dans la chaîne de valeur agricole peut réduire les coûts de production, en évitant les coûts élevés de fonctionnement et d’entretien associés aux générateurs diesel. Un agriculteur de Kirehe, dans l’Est du Rwanda utilisant un système d’irrigation solaire. Image d’Aimable Twahirwa.
Citation:
Mohammed Wazed, S., Hughes, B. R., O’Connor, D., & Kaiser Calautit, J. (2018). A review of sustainable solar irrigation systems for sub-Saharan Africa. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 81, 1206-1225. doi:10.1016/j.rser.2017.08.039
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 31 mars, 2025.