- Les aires protégées attirent les groupes armés en RDC, depuis environ 30 ans.
- Ceux-ci s’y alimentent, y vivent parfois.
- Mais la sécurisation et la neutralité de ces espaces pose problème.
L’avancée du groupe armé M23, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), exerce une pression permanente sur les aires protégées de la région, riches en biodiversité. Alors que les combats sont signalés près du Parc national de Kahuzi-Biega, dans le Sud-Kivu, province dont le groupe armé occupe la capitale provinciale Bukavu, plus au nord, les conservateurs du Parc de Virunga vivent sous la menace du même groupe.
À Rwindi, dans le Rutshuru (Virunga), par exemple, le M23 a forcé les rangers à quitter leurs postes en avril 2024, alors que les May-May en avaient tué 6, la même année. À Upemba, l’épisode de 2004, où 7 agents de la conservation avaient perdu la vie après l’occupation du site de Lusinga par la milice May-May, est toujours dans les esprits, au Parc national du Katanga.
Les aires protégées intéressent plusieurs groupes pour leurs faunes et d’autres ressources telles que les minerais, le bois, que les gardes-parcs empêchent d’exploiter en temps normal. L’activisme des groupes armés en RDC correspond souvent avec les aires protégées et les gisements miniers.
À l’occasion de la cérémonie de remise à la retraite d’une vingtaine d’éco-gardes au Parc national Upemba, dans la Province du Haut-Katanga, en RDC, Mongabay s’est entretien avec Godefroid Mwamba Matanzi, directeur, chef du département des Ressources Humaines de l’ICCN, la structure congolais pour la conservation de la nature, l’institution responsable des aires protégées en RDC. Il parle de la protection des aires protégées, avec une insistance, sur leur neutralité et leur service universel. Il en appelle à la mobilisation internationale pour protéger le travail de conservation.

Mongabay : 23 éco-gardes vont ce 1er avril 2025 à la retraite, certains après 40 ans de service. Cela arrive-t-il souvent que des gardes-parcs soient mis à la retraite, dans le domaine de la conservation ?
Godefroid Mwamba : Oui, c’est régulier. Parce que nous n’avons pas que Upemba. Nous avons plus de 70 aires protégées et nous le faisons par aire protégée. D’ailleurs, il y a quelques jours, je venais du Parc de Salonga, pour la même raison.
Mongabay : Qu’est-ce qui explique qu’on prenne de temps en temps pour cible les éco-gardes ?
Godefroid Mwamba : C’est un métier noble, salutaire, mais difficile. Parce qu’à la base, il y a l’ignorance. Parfois, on confond l’ICCN avec une ONG, parfois on le confond avec l’armée et parfois même avec la rébellion. Vous avez appris dernièrement même que notre responsable de Virunga a été accusé comme soutenant la rébellion, alors qu’il est officiellement du gouvernement.
Donc c’est cette ignorance plutôt qui fait que nous sommes la cible des uns et des autres. Alors qu’on on est censé avoir une position neutre, dans la mesure où nous conservons la nature et la nature, n’a pas de couleur. La nature n’est pas de l’opposition, ni du pouvoir.
La nature n’est ni de la rébellion ni de quoi que ce soit. La nature est là, pour tout le monde. Qu’on l’éveille ou pas, elle nous sert. Quand il y a de l’oxygène qui est émis dans la nature, c’est au bénéfice de tout le monde. Pas seulement au service de la communauté locale, nationale, mais aussi de l’humanité tout entière.

Mongabay : Enrayer l’insécurité relève de la responsabilité de l’Etat, bien évidemment. Mais quelle est la position de l’ICCN à propos de l’insécurité qui vise les éco-gardes, notamment dans les parcs de Virunga et de Kahuzi Biega ?
Godefroid Mwamba : Aujourd’hui nos deux parcs sont assiégés par la rébellion, par les agresseurs. Nous ne pouvons pas y accéder. Nos hommes ne peuvent pas travailler. La conséquence, c’est que la biodiversité en pâtit, la nature en pâtit. Quand la nature est endommagée, elle ne l’est pas seulement pour le gouvernement. Elle l’est aussi pour les rebelles. Parce qu’ils respirent l’oxygène de la nature.
Nous sommes là, nos agents sont là mais ne travaillent pas. Parce qu’ils ne peuvent pas travailler dans ces conditions-là. Vous savez que nous utilisons l’arme. Aussitôt que les rebelles voient notre agent avec une arme, ils l’accusent de tout. Heureusement pour nous, jusqu’ici, il n’y a pas de dégâts humains, mais beaucoup de dégâts matériels, beaucoup de dommages en termes de conservation de la nature.
Nous demandons à tout le monde, à la communauté internationale, de s’impliquer pour protéger le parc. Upemba est ici à Mitwaba, par exemple. Mais les bénéfices écosystémiques, c’est le monde entier qui en bénéficie. Le Congo est le deuxième bassin du monde ; donc, si nous l’endommageons, ça ne sera pas seulement le Congo qui va en pâtir, mais le monde entier. Nous convions donc la communauté internationale à se pencher sérieusement sur cette question. Cela fait 30 ans que nos parcs sont en train de souffrir des affres de la guerre, des rébellions, des groupes armés.
Vous savez que nos parcs, c’est l’alma mater des groupes armés : c’est là qu’ils sont, c’est là qu’ils mangent, c’est là qu’ils vivent. Qui sait ? C’est peut-être que même les armes qu’ils ont, ils les achètent avec la production qu’ils font illégalement dans les aires protégées. Il y a lieu que cette affaire s’arrête pour que nous puissions retrouver la clé de notre vie, la nature.
Mongabay : Vous insistez sur le fait que les aires protégées doivent rester neutres. Comment justement garantir cette neutralité ?
Godefroid Mwamba : Oui. Il y a des mécanismes. Ils sont nombreux. Il y a notamment que le gouvernement a mis beaucoup de nos parcs sous le label de l’UNESCO. Avec cette étiquette, en tant que Patrimoine mondial de l’humanité, tout le monde est censé contribuer à sa protection.

Mongabay : Plus clairement, qu’est-ce que cela veut dire précisément quand vous dites « tout le monde » ?
Godefroid Mwamba : La communauté internationale, y compris nous-mêmes. Et chez nous, les efforts sont manifestes. Aujourd’hui, notre gouvernement a promis de convertir au moins 17 % du territoire national en aires protégées. C’est 10, 20 fois plus que d’autres pays. Il faut que nous soyons soutenus par la communauté internationale, ne fût-ce pour le fait que nous avons la survie de l’humanité entre nos mains. C’est déjà une grande contribution. C’est notre gouvernement qui prend en charge tout ce qu’il faut pour payer les agents et consorts. Ce sont des efforts louables. Il faudrait que les autres nations, la communauté internationale d’une manière générale, interviennent également. Parce que quand il y a rébellion, quand il y a agression, tout le monde la condamne. Mais la condamnation verbale ne suffit pas. Il faudra que tout le monde mette la main à la pâte pour que l’on arrive à mâter ce genre de rébellion, ce genre d’agression, pour que le Congo puisse bien protéger la nature.
Mongabay : Nous sommes au Parc Upemba. Par sa position géographique, le parc se trouve au départ de plusieurs sources de cours d’eau, qui alimentent le fleuve Congo. Cette région est sous pression des envies d’exploitation du bois mais aussi des minerais. Que faire pour une meilleure gestion de ces ressources ?
Godefroid Mwamba : Votre question est une belle surprise. Vous le savez déjà : c’est un berceau pour le bassin hydrographique important, pour le bassin du fleuve Congo. Et donc, ça veut dire qu’on ne conserve pas seulement la biodiversité. Un parc c’est une banque naturelle, où il y a tout, même les mines. Pourquoi veut-on venir exploiter les mines dans le parc, alors qu’à l’extérieur, on n’a pas tout terminé ? Que réserve-t-on aux générations futures ? Ça, c’est une réserve. C’est une banque naturelle.
Et il y a tout dans cette banque. Les mines, il y en a ; les eaux, il y en a, vous l’avez dit. Et la biodiversité, il en a et nous conservons tout ça. Qu’est-ce que l’État congolais a fait ? Justement, l’État a créé l’ICCN pour soutenir la conservation. C’est comme ça qu’il a doté l’ICCN des éco-gardes, des armes, des moyens de protection pour qu’on ne vienne pas faire n’importe quoi.
Parce que nous, avec la logique de développement durable, on n’a pas le droit de tout consommer, nous la génération actuelle. Il nous faut penser aux autres. Et donc le parc, la réserve, c’est une banque naturelle pour l’avenir. Et nous sommes là pour ça.
Mongabay : Au niveau de l’ICCN, quel travail faites-vous pour convaincre l’État et d’autres acteurs pour qu’on ne vienne pas perturber l’équilibre de cette région ? Je pense ici aux tentatives visant à produire de l’électricité ou à exploiter des minerais dans la région.
Godefroid Mwamba : Il faut savoir que nous ICCN, nous ne sommes que des exécutants. Tous les instruments de travail, que nous avons viennent du gouvernement, du parlement et sont publiés par le président de la République. La loi qui a créé l’ICCN est là ; elle donne le droit de conserver la nature. Nous sommes un organe d’application de la loi.
Si quelqu’un, un minier veut interférer, eh ben, nous sommes là pour lui dire qu’il ne peut pas être là, ce n’est pas sa place. C’est vrai. Il y a de petits bandits par-ci, par-là, qui veulent faire ce qu’ils veulent, mais nous, notre rôle c’est de faire appliquer la loi et nous la ferons appliquer.
Image de bannière : Godefroid Mwamba Matanzi, Directeur, chef du département des Ressources Humaines de l’ICCN. Image de Didier Makal pour Mongabay.
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