- Une étude révèle le paradoxe inquiétant de la région Ashanti, où l'amélioration du niveau de vie des communautés s'accompagne d'une dégradation accélérée du couvert forestier.
- La gestion inefficace des ressources forestières et la corruption persistante des gestionnaires forestiers compromettent la durabilité des écosystèmes, malgré un cadre réglementaire existant.
- L'agroforesterie émerge comme solution privilégiée, associant espèces à croissance rapide et cultures locales pour concilier bénéfices économiques immédiats et préservation de l’environnement.
- L'implication des communautés dans la gestion des ressources apparaît comme pierre angulaire d'une stratégie de conservation réussie, à l'image des modèles déjà éprouvés au Cameroun et dans le bassin du Congo.
Une étude publiée, en septembre 2024, dans la revue Frontiers in Forests and Global Change, examine l’impact des pratiques de gestion forestière sur l’économie et les moyens de subsistance des communautés rurales dans la région Ashanti, au Ghana. Les chercheurs ont combiné des approches quantitatives (questionnaires, statistiques) et qualitatives (entretiens approfondis) pour collecter des données auprès de 234 participants, dans trois réserves forestières : Tano Offin, Nkrabia et Afram Headwaters.
Menée par Prince Boateng Ampadu et Jiameng Yang du Collège d’Économie et de Gestion de l’université Forestière de Nanjing (Chine), l’étude fait ressortir un paradoxe préoccupant : une amélioration significative des conditions de vie des communautés parallèlement à une diminution inquiétante de la couverture forestière sur la période 2017-2022.
Selon les auteurs de l’étude, « il y a eu une amélioration significative des moyens de subsistance des communautés rurales autour des réserves forestières de Tano Offin, Nkrabia et Afram Headwaters dans la région Ashanti du Ghana. Cependant, la gestion des ressources forestières reste médiocre et inefficace, entraînant une perte substantielle de couverture forestière ».
Ce paradoxe inquiétant pose la question de la viabilité à long terme des pratiques actuelles. Pour Dr Chanceyambaye Ngarnougber, écologue-agroforestier et chercheur au Centre d’Études et de recherche pour la dynamique des organisations (CERDO), au Tchad, interrogé par courriel par Mongabay, « ce résultat montre clairement qu’il existe une corrélation entre la dégradation du couvert forestier et les activités humaines. Les populations locales dépendent directement de la forêt pour leurs besoins quotidiens ».

Une gestion forestière sous haute tension
L’étude montre que 76,5 % du bois des trois réserves forestières sert à divers usages, créant une forte pression sur ces ressources. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte de gestion défaillante, marquée par le non-respect des politiques et une corruption perçue comme généralisée parmi les gestionnaires.
Cette gouvernance inefficace a des conséquences économiques mesurables: la contribution du secteur forestier au PIB régional a chuté de 528,6 millions de cedis ghanéens (environ 110 millions USD) en 2018 à 470,7 millions (environ 82 millions USD) en 2020, illustrant l’échec du système actuel à assurer une exploitation durable.
Ampadu et Yang soulignent que « malgré ces améliorations, une diminution significative de la couverture forestière a été observée ces dernières années. Le déclin de la couverture forestière autour des trois réserves dans la région Ashanti du Ghana a été attribué à une mauvaise gestion ».
Les communautés expriment par ailleurs leur frustration, face à Leur exclusion des processus décisionnels. Les chercheurs révèlent qu’en 2022, 80 % des répondants souhaitaient participer à la gestion des ressources forestières, contre 78 % en 2017, témoignant d’une volonté croissante d’implication citoyenne.
« Plusieurs pays en Afrique subsaharienne font face à une dégradation accélérée des ressources forestières, qui nécessite une gestion durable pour maintenir les fonctions écologiques », souligne Dr Ngarnougber. Pour remédier à cette situation, il préconise la gestion communautaire des forêts, qui « permet à la communauté d’obtenir des titres de gestion, d’exploiter durablement les ressources et bénéficie des revenus, comme dans le cas des forêts communautaires au Cameroun ».

L’agroforesterie comme solution intégrée
Face aux défis identifiés, l’agroforesterie se présente comme une approche particulièrement prometteuse pour concilier développement économique et préservation de l’environnement. Cette pratique, qui consiste à associer arbres et cultures agricoles sur une même parcelle, offre une alternative viable à l’exploitation forestière traditionnelle.
Dr Ngarnougber propose plusieurs pratiques agroforestières adaptées à la région Ashanti. Il suggère d’associer les cultures locales comme le maïs, le manioc et la banane plantain avec des arbres spécifiques dans les plantations de cacao. Il recommande également d’intégrer l’élevage sous des arbres fourragers et de mettre en place des systèmes où les communautés peuvent cultiver leurs plantes annuelles tout en participant au reboisement.
Pour cette région, l’agroforestier conseille principalement des arbres qui poussent vite et offrent plusieurs usages, comme l’Iroko et diverses espèces locales adaptées. Il recommande aussi d’inclure des arbres fruitiers comme l’avocatier et le moringa, qui apportent à la fois nourriture et revenus aux communautés.
Ces systèmes agroforestiers présentent l’avantage considérable de répondre simultanément à plusieurs besoins : production de bois, amélioration de la fertilité des sols, fourniture de fourrage pour le bétail et génération de revenus diversifiés pour les communautés.
Lutter contre la corruption et promouvoir la traçabilité
Pour lutter contre la corruption forestière, Dr Ngarnougber recommande plusieurs approches simples, mais efficaces. « Au Ghana, un système garantit que les bois commercialisés proviennent de sources légales. Ce système suit le bois depuis l’exploitation jusqu’à son exportation, à travers une traçabilité électronique », explique-t-il.
Les auteurs de l’étude indiquent que « les communautés ont signalé une gestion et une application inadéquates des politiques forestières, les gestionnaires forestiers ne respectant pas les réglementations, montrant des niveaux élevés de corruption, une tendance constante en 2017 (58,9 %) et en 2023 (60 %) ».
L’expert suggère aussi de marquer les arbres et d’enregistrer leurs coordonnées GPS. Des codes-barres et puces électroniques permettent ensuite de suivre les grumes et de repérer les fraudes dans les déclarations de volume.
Les villageois peuvent également jouer un rôle clé. « Si la communauté est impliquée dès le départ dans la politique de conservation, elle pourra surveiller et signaler les exploitations illégales », affirme Dr Ngarnougber.
La technologie moderne complète ces solutions : « L’utilisation des drones, des images satellitaires, la digitalisation des permis et des applications mobiles peuvent être des solutions innovantes pour faire face à la corruption », ajoute-t-il.
Réduire la pression sur les ressources forestières
L’étude révèle que la demande en bois constitue un facteur majeur de dégradation forestière. Pour atténuer cette pression, Dr Ngarnougber recommande une double approche combinant alternatives techniques et solutions agroforestières.
D’abord, des alternatives techniques : « promotion de l’énergie durable avec la vulgarisation des foyers améliorés, l’utilisation du biogaz et de la biomasse, la promotion de l’énergie solaire en cuisson, et l’électrification rurale. » Il suggère aussi de transformer les « déchets agricoles (charbon vert, briquettes combustibles) comme alternative au bois de chauffe ».
Ensuite, des solutions agroforestières permettant de produire du bois directement dans les zones agricoles : « Grâce à l’agroforesterie, les communautés peuvent produire leur propre bois pour la cuisine et le chauffage, et pour la construction, directement dans leurs champs cultivés. Cela réduit considérablement le besoin de couper des arbres dans les forêts naturelles ».
Pour la région, il recommande spécifiquement « l’association arbre-cultures annuelles (maïs et Faidherbia albida) » et « l’introduction des arbres fourragers pour faire face à la pression sylvopastorale ».

Vers un avenir forestier durable au Ghana
L’avenir des forêts de la région Ashanti dépend avant tout d’une meilleure gestion. De bonnes pratiques agroforestières et une gouvernance plus transparente pourraient stopper leur dégradation.
Ampadu et Yang recommandent que « le gouvernement devrait mettre en œuvre des stratégies de gestion forestière proactives et promouvoir des approches communautaires pour améliorer l’implication de la communauté dans la gestion de leurs ressources forestières ».
Dr Ngarnougber est confiant : « Les systèmes agroforestiers peuvent contribuer substantiellement à l’économie des ménages, restaurer la couverture forestière, maintenir la biodiversité, améliorer la résilience des écosystèmes. » Il précise cependant : « Ces résultats seront atteints si l’agroforesterie est adoptée à travers les renforcements de capacités des paysans à la gestion durable des écosystèmes, l’accompagnement des producteurs avec des mesures incitatives et la valorisation des PFNL (Produits Forestiers Non Ligneux) ».
Plusieurs pays africains offrent déjà des exemples réussis : les forêts communautaires au Cameroun, les concessions durables dans le bassin du Congo et les aires protégées au Kenya, en Tanzanie, au Bénin et en Côte d’Ivoire. Ces cas prouvent qu’on peut protéger la nature tout en développant l’économie locale.
Pour sauver les forêts du Ghana, trois éléments sont nécessaires : une volonté politique forte, l’implication des communautés locales et l’adoption de techniques agroforestières adaptées. Cette approche permettrait de préserver les forêts en assurant un meilleur niveau de vie aux populations.
Image de bannière : Il ne reste plus de forêt autour des villages côtiers au Ghana. La déforestation est presque le problème environnemental majeur dans ce pays. Image de Addy Cameron-Huff via Flickr (CC BY 2.0).
Citation :
Ampadu, P. B., & Yang, J. (2024). The impact of forestry management practices on regional economic benefits and livelihood of the rural communities in Ghana: a case study of three forest reserves in the Ashanti region. Frontiers in Forests and Global Change, 7:1366615. DOI: https://doi.org/10.3389/ffgc.2024.1366615
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