- En deux décennies, en République démocratique du Congo, deux parcs nationaux ont perdu 10 et 30 % de leurs couverts forestiers.
- Les activités agricoles et les feux de brousse en sont les causes principales.
- Deux études recommandent d’améliorer une meilleure surveillance des aires protégées.
Lubumbashi, 14 avril 2025. – Pour plusieurs personnes, qui dit aires protégées, dit espaces où des espèces fauniques et floristiques sont sécurisées contre la dégradation rapide. Mais ce n’est pas le cas des forêts primaires du Parc national de Salonga et celui de Kundelungu en République démocratique du Congo (RDC).
Deux études montrent, qu’entre 2000 et 2020, au centre-ouest de la RDC, le Parc national de Salonga (PNS), a perdu plus de 10 % de ses forêts primaires. Sur la même période, précisément entre 2001 et 2022, le Parc national de Kundelungu (PNK), situé dans le sud-est du pays, a perdu environ 32 % de sa forêt de miombo, une forêt claire de la savane.
Kundelungu a cependant connu une dégradation plus rapide, soit 743 km² (plus de 104 000 terrains de football) sur 21 ans, pour une superficie forestière de 1 596 km² soit environ 223 000 terrains de football en 2022. Elle était estimée à 2 339 km² en 2001, indique une étude menée par un groupe de chercheurs parmi lesquels figure le congolais Yannick Useni Sikuzani, professeur d’agronomie à l’université de Lubumbashi.
La proximité du PNK avec la ville de Lubumbashi explique en partie la plus grande pression qu’il subit. L’étude désigne aussi, entre autres moteurs de cette déforestation, l’agriculture sur brûlis et la production de charbon de bois. À ces facteurs, s’ajoutent, à Salonga, les feux de brousse tournés vers l’agriculture et la chasse, indique une autre étude publiée en juillet 2024, dans la revue Vertigo, et à laquelle a pris part Useni Sikuzani.
Mongabay a obtenu de ce dernier une interview. L’entretien a porté sur la compréhension des raisons de ces dégradations des écosystèmes supposés sécurisés dans des aires protégées.

Mongabay : Une perte de 10 % à Salonga, c’est important. Qu’est-ce que cela a comme incidence sur l’aire protégée. Y avez-vous pensé ?
Yannick Useni Sikuzani : Absolument, une perte de 10 % de forêt primaire dans le PNS est loin d’être négligeable. C’est aussi près du tiers du couvert forestier du PNK de perte. Cette perte a plusieurs incidences préoccupantes. D’abord, elle traduit une fragilisation de l’intégrité écologique du parc. La disparition de forêts primaires — qui sont les plus riches en biodiversité et les plus résilientes — entraîne une fragmentation des habitats, ce qui menace directement certaines espèces endémiques ou emblématiques. Ensuite, cette dynamique reflète une pression humaine croissante, principalement l’agriculture. Cela nous interroge sur la capacité réelle de l’aire protégée à remplir ses fonctions de conservation à long terme.
Nous avons bien pris en compte ces implications, et c’est pour cela que notre étude ne se limite pas à une quantification des pertes ; elle a aussi ouvert la réflexion sur les limites des mécanismes de protection actuels. Cela soulève la question d’un renforcement de la gestion participative, d’une meilleure surveillance par télédétection et d’un accompagnement des communautés riveraines dans des pratiques alternatives durables, telles que d’autres activités génératrices de revenu.
Mongabay : Quelles sont les variations et similitudes dans la dégradation de deux paysages ?
Yannick Useni Sikuzani : Entre 2002 et 2020, le Parc national de la Salonga a enregistré une perte de 10,4 % de sa forêt primaire, soit un taux annuel de déforestation estimé à 0,6 %. Dans ce parc, la proximité des villages constitue un facteur déterminant, la déforestation étant plus marquée à mesure que l’on se rapproche des zones habitées. Les principales causes identifiées sont les activités agricoles, notamment l’agriculture sur brûlis. En revanche, dans le Parc national de Kundelungu, le taux annuel de déforestation est plus variable, oscillant entre 0,8 % et 3,4 %. Cette dégradation est principalement liée à des activités humaines illégales, telles que les feux de brousse à des fins agricoles ou cynégétiques.
Malgré ces différences pour ce qui est des causes et de l’intensité de la déforestation, les deux parcs présentent des similitudes notables, notamment une dynamique marquée par la fragmentation du couvert forestier et des pratiques agricoles non durables, traduisant une altération croissante de l’intégrité écologique des paysages forestiers protégés.
Mongabay : L’agriculture extensive sur brulis et les feux de brousse, on en parle depuis des décennies. Quelles améliorations observez-vous depuis vos nombreuses recherches ?
Yannick Useni Sikuzani : Bien que la problématique soit connue depuis longtemps, les améliorations concrètes sont inégales et souvent limitées par des facteurs structurels profonds : pauvreté, insécurité foncière, faible accès à l’innovation, manque de volonté politique dans certains cas. Cela montre que la réponse ne peut pas être uniquement technique, mais qu’elle doit être aussi sociale, économique et institutionnelle.

Mongabay : Qu’est-ce que cela implique précisément lorsque la réponse ne doit pas être uniquement technique?
Yannick Useni Sikuzani : Il s’agit d’un changement systémique et pas seulement d’un renforcement des moyens techniques. Une réponse strictement technique, comme l’intensification de la surveillance ou l’usage d’images satellites, reste insuffisante si on ne traite pas les causes profondes. La pression sur les ressources naturelles est intimement liée à la pauvreté, à l’absence d’alternatives économiques et à la faible implication des communautés locales dans la gestion des aires protégées. Une réponse sociale oblige à de sensibiliser, à éduquer, et à co-construire les solutions avec les populations, à créer des opportunités viables en dehors du parc, comme l’agriculture durable ou l’écotourisme.
Mongabay : De quoi s’agit-il justement, lorsque vous parlez de l’insécurité foncière. Pensez-vous aux accaparements des terres ?
Yannick Useni Sikuzani : Quand on parle d’insécurité foncière dans le contexte du Parc national de Kundelungu, on fait surtout référence à l’absence d’une démarcation claire et au manque d’application rigoureuse des statuts fonciers. Cette insécurité crée un flou juridique, qui favorise les intrusions illégales pour l’agriculture, la chasse ou l’exploitation des ressources. Il ne s’agit pas tant d’accaparements à grande échelle, mais plutôt d’un grignotage progressif du territoire par des usages coutumiers ou de survie.

Mongabay : En 2001, 309 km² ont été brûlés dans l’ensemble du PNK, tandis qu’en 2022, cette superficie est passée à 819 km². Comment l’expliquez-vous ?
Yannick Useni Sikuzani : Cette augmentation est attribuée à une pression humaine croissante, notamment à l’expansion des villages autour du parc et aux intrusions pour des activités agricoles illégales. Les feux de brousse dans le Parc National de Kundelungu proviennent des activités humaines illégales comme la chasse, l’agriculture et la production de charbon de bois. Ces incendies sont déclenchés pour ouvrir de nouvelles terres agricoles ou pour chasser, souvent de manière répétée dans les mêmes zones.
Entre 2001 et 2022, les forêts du PNK ont subi une régression significative, passant de 2339 km² à 1596 km², avec un taux de déforestation annuel variant de 0,8 % à 3,4 %. Les feux limitent l’évolution des savanes en forêts et fragmentent les écosystèmes forestiers, augmentant l’isolement spatial des parcelles boisées. Les jeunes pousses d’arbres sont détruites, empêchant la densification du couvert forestier.
Mongabay : Quelles mesures sont prises depuis qu’on en parle ?
Yannick Useni Sikuzani : Des initiatives telles que l’unification avec le Parc national de l’Upemba ont été mises en œuvre pour améliorer la gestion. Cependant, la faible capacité des écogardes et le manque de ressources techniques ont limité l’efficacité de la surveillance et de la prévention.
Mongabay : Pourquoi les parcs nationaux sont-ils particulièrement ciblés ?
Yannick Useni Sikuzani : Les parcs nationaux, comme le PNK, sont ciblés, parce qu’ils représentent une source importante de ressources naturelles (bois, terres agricoles, produits forestiers non ligneux) pour les populations locales. L’absence de démarcations claires et l’insuffisance des mesures de protection rendent également ces zones vulnérables.
Mongabay : Faut-il couper totalement le contact avec les parcs ou envisager des modèles plus collaboratifs et valorisants ?
Yannick Useni Sikuzani : Dans le document, nous recommandons des stratégies alternatives de subsistance comme l’agroforesterie pour réduire la dépendance aux activités illégales. Des modèles collaboratifs, qui intègrent les populations locales tout en valorisant leurs traditions culturelles ou culinaires, semblent prometteurs. Ces approches ont été efficaces dans d’autres contextes, pour réduire la pression humaine sur les ressources des parcs.
Image de bannière : Une vue du fleuve peu après le lever du soleil à Monkoto, siège du Parc national de la Salonga, en République démocratique du Congo. Image de Molly Bergen via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citations :
Sikuzani, Y. U., & al. (2023). « The Spatiotemporal Changing Dynamics of Miombo Deforestation and Illegal Human Activities for Forest Fire in Kundelungu National Park, Democratic Republic of the Congo », Fire, 6(5), 174, https://doi.org/10.3390/fire6050174.
Héritier Khoji Muteya & al. (2024). « Évaluation de la dynamique spatiale des forêts primaires au sein du Parc national de la Salonga sud (RD Congo) à partir des images satellites Landsat et des données relevées in situ », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement, 24
1. http://journals.openedition.org/vertigo/43980. DOI : https://doi.org/10.4000/124gl.
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