- Malgré les prédictions alarmistes, la production globale de cacao pourrait augmenter d'ici à 2060, avec des rendements en hausse de 30-45 % en Côte d'Ivoire et au Ghana, contre 39-60 % au Cameroun et au Nigeria.
- La Côte d'Ivoire, premier producteur mondial, risque de perdre jusqu'à 11 millions d'hectares de zones propices à la culture, mais pourrait maintenir sa production, grâce à l'optimisation des pratiques agricoles.
- L'augmentation du CO2 atmosphérique pourrait compenser partiellement les effets négatifs du réchauffement, à condition de surmonter les contraintes nutritionnelles des sols pauvres.
- L'avenir de la filière repose sur l'amélioration des techniques de culture, le développement de variétés plus résistantes et l'adaptation aux nouvelles conditions climatiques pour préserver la position dominante ouest-africaine.
Une étude publiée, en janvier 2025, dans la revue Agricultural and Forest Meteorology révèle que le changement climatique pourrait redessiner la carte de la production cacaoyère en Afrique de l’Ouest d’ici à 2060, tout en maintenant ou en augmentant les rendements globaux. Réalisée par une équipe internationale comprenant Paulina A. Asante du Centre Senckenberg en Allemagne et plusieurs chercheurs de l’université de Wageningen aux Pays-Bas, dont le Professeur Niels P.R. Anten, l’étude s’appuie sur un modèle de simulation sophistiqué, pour évaluer l’impact futur du climat sur la production de cacao.
Le travail analyse l’impact du changement climatique sur les rendements du cacao sous stress hydrique. Cette approche montre l’importance des adaptations ciblées, pour maintenir la production dans une région représentant plus de 70 % de la production mondiale.
Les résultats nuancent les prévisions alarmistes habituelles. Les simulations indiquent des variations géographiques: les pays à l’Est (Cameroun, Nigeria) pourraient connaître des hausses de rendement plus importantes (39-60 %) que ceux à l’Ouest (Côte d’Ivoire, Ghana: 30-45 %). « Nous observons une baisse des précipitations annuelles, due uniquement à la réduction des pluies en saison humide. Nos modèles prédisent même une légère augmentation des précipitations en saison sèche », explique à Mongabay dans un courriel, le Professeur Anten.
Un déplacement progressif vers l’Est, mais une production maintenue à l’Ouest
La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, avec 43 % de la production globale en 2023, pourrait perdre 27 à 50 % de ses surfaces cultivables d’ici à 2060, en raison de sa position géographique vulnérable.
Selon le Professeur Anten, « la Côte d’Ivoire, située dans la partie plus sèche de la ceinture cacaoyère africaine, subira davantage les effets négatifs des réductions de précipitations que des pays comme le Cameroun ».
Paradoxalement, sa production pourrait augmenter de 20 %, grâce aux effets du CO2, voire doubler avec de meilleures pratiques agricoles ; un enjeu crucial pour ce pays, où le cacao représente 15-20 % du PIB et fait vivre plus de 6 millions de personnes.
À l’inverse, le Nigeria et le Cameroun pourraient bénéficier de conditions climatiques plus favorables, ce qui soulève des questions stratégiques pour maintenir la domination ivoirienne et ghanéenne (60 % de la production mondiale).

Le double effet du CO2 : opportunité et incertitude
Un aspect clé de l’étude concerne l’effet potentiellement bénéfique de l’augmentation du CO2 atmosphérique sur les rendements du cacao. Les simulations prédisent des effets plus positifs, lorsque l’impact du CO2 est pris en compte, avec des augmentations de rendement de 15 à 21 %, selon les scénarios climatiques.
Cependant, le Professeur Anten tempère cet optimisme : « Particulièrement dans les sols pauvres, la croissance des plantes tend à être limitée par la disponibilité des nutriments plutôt que par celle du dioxyde de carbone. Comme de nombreux sols de la région sont pauvres et que les agriculteurs n’ont souvent pas accès aux engrais, il y a de fortes chances que la limitation en nutriments atténue un possible effet CO2 ».
La gestion des sols est capitale pour optimiser les bénéfices. Selon le Professeur Anten, une meilleure application des engrais, démontrée chez 400 agriculteurs dans le cadre du programme CocoaSoils (une initiative internationale visant à contribuer à rendre l’approvisionnement en cacao plus durable), peut augmenter les rendements jusqu’à 40 %. Il recommande d’étendre cette pratique à une plus grande échelle, pour améliorer la durabilité de l’approvisionnement en cacao.
L’expérience des planteurs : entre observation et anticipation
Sur le terrain, certains producteurs commencent à anticiper ces changements, même si les effets ne sont pas encore fortement ressentis partout. Sévérin Kouhon, planteur de cacao, à Batiebly dans la région du Guémon, à l’ouest de la Côte d’Ivoire et propriétaire d’une plantation de 12 hectares, témoigne au micro de Mongabay : « Pour l’instant, dans notre zone, nous n’avons pas encore ressenti un impact direct du réchauffement climatique sur la production. Mais nous voyons ce qui se passe ailleurs : des sécheresses plus longues, des pluies irrégulières, des périodes de forte chaleur qui assèchent les sols ».
Cette situation pousse les agriculteurs à adopter des stratégies d’adaptation préventives. « Nous essayons d’anticiper en adoptant certaines pratiques, comme la plantation d’arbres d’ombrage pour protéger les jeunes cacaoyers de la chaleur excessive », explique Kouhon, qui cultive principalement la variété Forastero (Theobroma cacao), représentant environ 90 % de la production ivoirienne.
La gestion de l’écart de productivité représente également un levier important. « Sur mon exploitation de 12 hectares, ma production annuelle se situe entre 4 et 6 tonnes, ce qui est bien en deçà du plein potentiel. Avec de meilleures pratiques et un meilleur encadrement, je pourrais augmenter mon rendement sans forcément agrandir ma plantation », reconnaît le planteur.

Incertitudes et pistes d’adaptation
Malgré les prévisions relativement optimistes de l’étude, plusieurs incertitudes demeurent. « Les prévisions de précipitations sont notoirement incertaines », dit Anten. « De plus, nous ne savons toujours pas quel sera l’effet du réchauffement sur la floraison et la pollinisation du cacao. Enfin, et c’est le plus important, nous avons besoin d’une meilleure compréhension de l’impact du changement climatique sur les maladies ».
Ces incertitudes font écho aux préoccupations des producteurs. « Nous nous demandons si nos terres resteront propices au cacao dans les décennies à venir. Si le climat change trop brutalement, nous risquons de voir nos rendements baisser et nos revenus diminuer », dit Kouhon.
Pour s’adapter, diverses solutions émergent. Au niveau agricole, les techniques traditionnelles prouvent leur utilité : « Nous utilisons des arbres d’ombrage pour protéger nos plantations et maintenir l’humidité. Certains diversifient aussi les cultures en associant le cacao avec le bananier ou le manioc », indique Kouhon.
La recherche développe des variétés plus résistantes, mais avec des limites. « Les variétés plus résistantes au climat prennent du temps à développer et présentent souvent des inconvénients concernant la résistance aux parasites et la qualité du cacao », dit le Professeur Anten.
L’accès aux technologies et aux savoirs est également important. « Nous avons besoin de variétés de cacao résistantes aux sécheresses et aux maladies. La gestion de l’eau est devenue essentielle ; des techniques d’irrigation adaptées aux petites exploitations nous aideraient », dit le planteur ivoirien.

Un avenir entre adaptation et transformation
Le maintien de la production cacaoyère en Afrique de l’Ouest et particulièrement en Côte d’Ivoire, dépendra de la capacité d’adaptation des différents acteurs de la filière. Pour la production 2023/2024, estimée à environ 1,76 million de tonnes en Côte d’Ivoire (soit une baisse de 24 % par rapport à la saison précédente), les défis sont déjà perceptibles, principalement en raison de conditions météorologiques défavorables.
L’avenir de cette filière stratégique repose sur plusieurs piliers : l’amélioration des pratiques agricoles pour réduire l’écart de productivité, l’adaptation des zones de culture aux nouvelles conditions climatiques, le renforcement de la gestion des solset le développement de systèmes plus résilients.
Le Professeur Anten évoque l’irrigation comme la solution la plus simple, mais peu accessible aux petits exploitants, qui cultivent actuellement la majeure partie du cacao.
Pour les petits producteurs, l’adaptation pose un défi économique. « Une autre inquiétude, c’est le coût des solutions d’adaptation. Nous savons qu’il faut moderniser nos pratiques, mais si cela demande trop d’investissements, beaucoup de planteurs auront du mal à suivre », dit Kouhon.
Les résultats de cette étude offrent une perspective nuancée sur l’avenir du cacao en Afrique de l’Ouest. Contrairement aux scénarios catastrophistes, ils suggèrent que la production pourrait être maintenue ou augmentée dans de nombreuses régions, à condition d’adopter des stratégies d’adaptation appropriées. Cette vision plus optimiste invite les acteurs de la filière à transformer ce défi climatique en opportunité pour une cacaoculture plus durable et plus productive.
Image de bannière : Des fèves de cacao en cours de séchage dans le village Bété Ziplignan, dans la région de Gagnoa, en Côte d’Ivoire. Image de Arno B via Wikimedia Commons (CC BY 3.0).
Citation :
Asante, P.A., Rahn, E., Anten, N.P.R., Zuidema, P.A., Morales, A., & Rozendaal, D.M.A. (2025). Climate change impacts on cocoa production in the major producing countries of West and Central Africa by mid-century. Agricultural and Forest Meteorology, 362, 110393. DOI: https://doi.org/10.1016/j.agrformet.2025.110393
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