- De jeunes entrepreneurs, de la Coopérative Agro-Eco impulsent une « nouvelle » dynamique, dans la production maraichère au sud du Bénin.
- Leur ambition : adopter des méthodes et des techniques, respectueuses de l’environnement et de la biodiversité, face au changement climatique, pour assurer une saine alimentation des populations.
- Avec des semences certifiées, achetées, ou des pépinières réalisées par eux-mêmes, ils produisent des légumes feuilles, fruits et racines, agroécologiques, en toute saison.
- Par l’usage de la fumure organique, de la cendre, des insectifuges, des fientes de volaille, de lapin et de bœuf, ils fertilisent le sol et protègent les plants. Cependant, ils font face à des contraintes, au nombre desquelles l’irrigation et l’absence d’un marché agroécologique pouvant permettre de valoriser les fruits de leurs efforts ; mais aussi, l’inefficacité des intrants biologiques, pour lutter contre les ravageurs.
Une dizaine de jeunes étaient à la tâche, ce matin de mars 2025, à notre arrivée dans un espace tout verdi, frais et apaisant. En écho, des voix s’élèvent, pour se passer des messages. Nous sommes à la Ferme Agro-Eco, à 40 kilomètres de Cotonou, au milieu d’une végétation d’arbres, de palmiers et de champs d’ananas. Un site de 2,5 hectares, dont 1,5 exploité dans la commune d’Abomey-Calavi, dans le village de Ouèdo Ahouanssodja.
« Nous sommes une coopérative de jeunes. Nous produisons les légumes feuilles, fruits et racines, de façon biologique, sans intrants et pesticides chimiques. Nous utilisons des produits bio que nous achetons ou fabriquons nous-mêmes à base de neem, d’ail, de feuilles de papayer, etc », dit à Mongabay Carole Alimagnidokpo, agronome et Présidente de la Coopérative Agro-Eco.
Installée en décembre 2022, la spécialité Agro-Eco est la production de légumes locales : grande morelle, basilic, amarante, vernonia, crincrin… Avec la demande, a suivi la production de la laitue, du concombre, des carottes, etc.

Cette matinée-là, la dizaine de jeunes s’affaire à l’arrosage ou au désherbage de leurs planches. L’une pulvérisait des plants de basilic et une autre mettait de la cendre mélangée à la fiente, autour des plants de tomate.
« La cendre ne joue pas seulement le rôle de fertilisant, mais aussi de bio pesticide. Elle sert à fertiliser et protéger le sol contre les agresseurs. Pour nourrir les plantes, soit on fait les fumures de fond et on met les éléments fertilisant dans les poquets ; soit fait la fumure de surface et on met le fertilisant autour de la plante. Lorsqu’on fait l’arrosage, les nutriments pénètrent le sol. On utilise aussi le système intégré pour protéger notre espace. Vous allez voir des parcelles qui sont entourées de citronnelles ou de basilic. C’est des plantes exotiques et aromatiques qui dégagent des odeurs. Ces éléments sont intégrés sur notre site en vue de le protéger, en éloignant les agresseurs », explique Alimagnidokpo.
« Nous faisons la rotation des cultures. Après la culture de la grande morelle, qui est de la famille des solanacées, je ne vais plus refaire un produit de la même famille, comme le piment. Car ils sont attaqués par les mêmes ravageurs », dit Rivaldo Junior Acododja, membre de la coopérative, titulaire du Diplôme d’études agricoles tropicales (DEAT).
La parcelle octroyée à la coopérative dans cette commune, où l’accès au foncier limite l’entrepreneuriat agricole, est une friche. Pour installer des planches, les maraichers font le labour, « retourner la terre ». « Après une production, on retourne la terre. Les éléments préalablement utilisés sont retournés vers le bas, et on a une nouvelle terre pour de nouvelles productions. Avec nos apports, on a une bonne production, le long de l’année », dit Alimagnidokpo.

Engagement pour la santé, la biodiversité et l’environnement
Les membres de la coopérative ont opté pour l’entrepreneuriat agricole face au chômage ambiant. A la base, des formations académiques diverses, certains faisaient une production conventionnelle et d’autres s’étaient formés au maraichage, mais n’avaient pas de terres à exploiter. Au départ, une quarantaine dont une quinzaine active. Leur leitmotiv : produire des légumes feuilles, fruits et racines, sains et disponibles en toute saison, malgré le changement climatique, et protéger l’environnement.
« Plusieurs études révèlent que la plupart des maladies cancérigènes enregistrées au sein de la population est due à la consommation de denrées agricoles cultivées avec des intrants et engrais chimiques. Alors, il faut des aliments sains pour la population. C’est dans ce cadre qu’a été mise en place la ferme Agro-Eco », dit Alimagnidokpo.
Des propos que confirme l’inventaire des recherches conduites au Bénin portant sur l’impact des pratiques agricoles sur la santé humaine, effectué par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), un des partenaires de Agro-Eco.

L’implantation de la ferme vise la renaturation de la commune d’Abomey-Calavi en une commune nourricière, protéger la biodiversité et la promotion de l’agro-écologie, sous le leadership du Centre d’actions pour l’environnement et le développement durable (ACED), une organisation à but non lucratif basée au Bénin.
« Les insectes aussi ont leur rôle à jouer dans la nature ; de même que les oiseaux et autres. Quand on utilise des insecticides pour traiter des plantes, cela modifie un peu le climat et impacte négativement la biodiversité. Quand des oiseaux viennent picorer, ils meurent. Notre production vise à protéger l’environnement », dit Anne Badé, membre de la coopérative, formée en entrepreneuriat agricole et titulaire d’une Licence en sociologie.
« Je faisais la production conventionnelle. Actuellement, je vois que la production agroécologique est bonne pour notre propre santé et les consommateurs. On peut faire sept à huit coupes de la grande morelle, produite sans engrais chimique. Or, quand on en met, à peine c’est trois coupes », dit Ronaldo Noutaï, Technicien en aménagement territorial, maraicher depuis 9 ans et membre de Agro-Eco.
« Nos produits ont une longue durée de conservation. Ce qui prouve qu’ils ne sont pas regorgés d’engrais chimiques et qu’ils se développent naturellement », dit Alimagnidokpo.
Au début, leurs arguments passaient pour du markéting, confie Badé. Aujourd’hui, des bonnes dames en témoignent. Cela les encourage, même si elles achètent leurs légumes aux mêmes prix que ceux conventionnels.
« Comparativement à celui produit avec de l’engrais chimique, le crincrin que j’achète ici est plus gluant et abondant à la cuisson. Généralement, nos clients se soucient peu de la qualité que de la quantité à l’achat. Par contre, quelques-uns en font la demande, suite à leurs expériences. En plus, il s’écoule vite à la vente », dit Félicité Adibo, revendeuse venue acheter des planches.

Entraves au pari de la coopérative Agro-Eco
En milieu de journée, la chaleur se fait sentir sur la Ferme Agro-Eco. Des arbres, notamment des palmiers, y servent de lieu de repos. « On utilise les semences certifiées qu’elles soient locales ou améliorées. On s’en procure chez des vendeurs certifiés. A défaut, on achète les pépinières auprès des pépiniéristes », dit à Mongabay Scholastique Azoman, membre de la coopérative, chargée du marketing.
Toutefois, elle note des insatisfactions : « Nos attentes concernent les pépiniéristes, qui nous vendent parfois des plantules déjà malades. D’où la propagation de maladies, surtout des nématodes [Des vers qui attaquent les plantes, le sol, etc.]. Pour y remédier, il faut carrément faire soi-même sa pépinière sur son site ».
« Parfois, les ravageurs sont habitués aux insectifuges et sont indifférents à la pulvérisation. Il nous faut des produits de qualité. On est obligé d’en acheter beaucoup plus que la quantité recommandée pour un traitement », dit Brice Adjaka, historien de formation et membre de la coopérative.
Outre l’inefficacité des produits phytosanitaires qui les oblige à en fabriquer eux-mêmes, ce qui prend du temps, et l’inexistence d’un marché d’écoulement de produits bio, s’ajoute la disponibilité de l’eau. Le site dispose d’un forage, alimenté par un système solaire photovoltaïque, en attendant la construction d’un autre par leurs partenaires.

Perspectives d’une saine alimentation et de sauvegarde de l’environnement
Au Bénin, la Stratégie nationale de développement de l’agriculture écologique et biologique (SNDAEB, 2023-2030), précise les repères stratégiques pour l’action de développement de l’Agriculture Ecologique et Biologique (AEB). Selon le document consulté par Mongabay, en 2020, c’est seulement 38822 hectares, soit 1 % de la superficie agricole toutes spéculations confondues qui est consacré à la production végétale. Il s’agit des filières de cultures maraîchères, de riz, de soja, de coton, d’ananas et d’anacarde. Les pratiques agroécologiques en maraîchage sont catégorisées par une co-utilisation des engrais organiques (22,4 %) et de pesticides organiques (21,6 %).
« L’agroécologie permet d’avoir des produits de meilleure qualité nutritionnelle, exempts de résidus de pesticides et d’engrais chimiques. La consommation de produits maraîchers agroécologiques pourrait donc renforcer le système immunitaire, réduire l’exposition aux produits chimiques et les risques de maladies chroniques. De plus, en respectant les cycles naturels et en favorisant la diversité variétale, les pratiques écologiques permettent d’obtenir des aliments de goût meilleur », dit à Mongabay Capella Dovonou, Technologue alimentaire et entrepreneure.
« L’un des principaux défis est l’accessibilité des produits agroécologiques. Leur coût peut être plus élevé en raison de moyens de production qu’ils nécessitent. Il faudra donc encourager et soutenir les producteurs, de même qu’il faudra sensibiliser les consommateurs aux avantages des produits écologiques. À l’avenir, une meilleure structuration de la filière agroécologique et des certifications adaptées pourraient faciliter une adoption à grande échelle », dit Dovonou.
« Le maraîchage agroécologique est une pratique agricole durable, qui combine des techniques respectueuses de l’environnement pour préserver la biodiversité et la santé des sols. Ce type de maraîchage favorise la résilience des écosystèmes et une production de légumes sains. Promouvoir le maraichage agroécologique, c’est réduire les risques d’intoxication des consommateurs, des producteurs et contribuer à la protection de l’environnement », dit à Mongabay, Lucien Worou, Assistant de recherche au département de phyto-technique et amélioration génétique des plantes de la Faculté d’agronomie de l’université de Parakou, au Bénin.
« Nous devons de plus en plus orienter les producteurs agricoles et les maraichers vers la transition agroécologique pour s’adapter à la situation actuelle des changements climatiques, et permettre d’optimiser les rendements, d’une part ; mais aussi, minimiser les risques de perte de récoltes en cas de mauvaise saison, notamment les attaques d’insectes ravageurs, ou le manque de pluie », dit Worou.
Image de bannière : Pour perturber le cycle de développement des ravageurs, les maraichers utilisent des insectifuges et font la rotation des cultures. Image de Ange Banouwin pour Mongabay.
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