- Certains pêcheurs de Bamako, la capitale malienne se plaignent de l’orpaillage par dragage sur le fleuve Niger. Cette activité perturbe leur activité de pêche. De plus, la pollution du fleuve par les plastiques plombe les écosystèmes aquatiques.
- Cette situation de pollution et de dragage semble rendre la pêche de plus en plus difficile pour les pêcheurs de la ville, qui subissent les conséquences directes de cette baisse des poissons.
- Les pêcheurs dénoncent la dégradation de l’environnement aquatique qui impacte négativement leurs méthodes de pêche.
- Ainsi, ils tirent la sonnette d’alarme. Avec une quantité de plus en plus faible, leur activité de pêche en particulier et la pêche en général au Mali est menacée.
BAMAKO, Mali — Bourama Traoré et son frère, deux Maliens de 20 et 29 ans, ont grandi au rythme du fleuve Niger. Leur quotidien ? Jeter leurs filets pour subvenir aux besoins de leur famille. Mais aujourd’hui, l’attente est longue et les prises sont rares. Six lancers de filets… et presque rien. Quelques petits poissons tout au plus. Parfois le filet remonte vide ou chargé de déchets plastiques.
Selon les pêcheurs dans la ville de Bamako, la capitale malienne, c’est la conséquence directe des activités humaines, notamment l’orpaillage par dragage et la pollution plastique qui dégradent l’écosystème du fleuve Niger. Ces pratiques ne sont pas sans impact sur la pêche : elles entraînent une baisse de rendement. Selon le ministère en charge de la pêche, « chaque année le Mali a besoin de 300 000 tonnes de poissons, alors que la production annuelle du pays est de 130 000 tonnes », soit un déficit de 170 000 tonnes à combler.
Le fleuve Niger, long de 4 200 kilomètres, dont 1 700 kilomètres traversant le Mali, est de plus en plus pollué à Bamako. L’eau est boueuse et remplie de sachets plastiques. Un article de l’ONG environnementale Greenpeace estime que ce sont 12 0000 tonnes de plastiques que les fleuves Nil et Niger transportent jusqu’aux profondeurs.
« Chaque nuit, les riverains profitent de l’obscurité pour venir jeter leurs ordures dans le fleuve », témoigne le jeune pêcheur Bourama Traoré. « Cet incivisme constitue une très grande difficulté non seulement pour nous, les pêcheurs, mais aussi pour la pêche », explique-t-il.

Bourama Traore déplore l’impact des déchets plastiques sur son activité : « Il y a beaucoup de sachets plastiques dans le fleuve ». Selon lui, la présence massive de sachets non biodégradable dans le fleuve perturbe l’écosystème aquatique et complique davantage le travail des pêcheurs. Bourama et son frère sont Bozo, une ethnie du Mali dont l’activité principale est la pêche. « Cette situation met en péril notre seule source de revenu », déplore-t-il.
« Avant on pouvait remplir plusieurs fois la pirogue »
Selon les études publiées en 2017 par la revue « Environmental Science & Technology », le fleuve Niger fait partie des dix fleuves les plus pollués au monde. Le plastique n’est pas leur seule inquiétude. L’orpaillage par dragage est désormais pratiqué en plein cœur de Bamako. Avec leurs dragues, les entreprises locales et les particuliers remuent le fond du fleuve à la recherche d’or. Cette activité détruit les habitats naturels des poissons. Au Mali, un rapport publié sur l’état du fleuve Niger en décembre 2018 par « L’agence du bassin du fleuve Niger », indique que les sources de pollutions sont présentes sur tout le parcours du fleuve. L’une des raisons de cette pollution est l’orpaillage par dragage. L’utilisation des produits chimiques comme le mercure, et le cyanure, lors des activités de dragage, contamine l’eau et empoisonne lentement ce qu’il reste de la faune aquatique.
« Je faisais cette activité de pêche il y a une quarantaine d’années. Avant on pouvait remplir plusieurs fois la pirogue. Aujourd’hui, avoir même la moitié d’une pirogue, relève être un parcours du combattant », témoigne à son tour le père de Bourama, Yamoussa Traoré. « L’orpaillage par dragage en est l’une des principales causes. Cette activité salit l’eau et la contamine. Résultat, nous avons de moins en moins de poisons. », regrette-t-il.
Face à cette situation, de nombreux pêcheurs n’ont eu d’autre choix que d’explorer d’autres horizons. C’est le cas de Mama Farota, un ancien pêcheur originaire de Mopti, la cinquième région du Mali, située à 633 km de Bamako. Cette activité de pêche est un héritage de son père et grand-père. Mais depuis des années à Mopti, la pêche ne nourrit plus comme avant. Confronté à la rareté des poissons, il a quitté sa ville natale pour Bamako. Mais au lieu de pêcher, il plongeait au fond du fleuve pour extraire du sable, avant de devenir lui-même un exploitant de sable. C’est une activité qui peut également perturber le fond du fleuve, détruire les habitats des poissons et altérer la qualité de l’eau, ce qui aggrave la situation pour les pêcheurs.

« Il n’y avait plus assez de poissons à cause des activités humaines » reconnaît-il. « J’ai donc quitté mes parents pour l’extraction du sable dans le fleuve ici à Bamako. Aujourd’hui j’ai pu construire ma maison grâce à cette activité. »
Les lois existent, mais ne semblent pas être mises en application
Pourtant, l’ordonnance numéro 02019-022\P-RM faisant partie du code minier du Mali, interdisait formellement l’orpaillage dans le fleuve Niger. Son article 44 stipulait que « l’exploitation de substances minérales dans les lits des cours d’eau par dragage ainsi que par toute autre méthode est interdite ». Cette ordonnance a été ratifiée par la loi n 2020-007 le 30 janvier 2020 qui a officialisé et intégré cette ordonnance dans le cadre législatif malien.
Toutefois, cette ordonnance a été abrogée par la loi n 2023-040 du 29 août 2023, qui établit le nouveau code minier en République du Mali. Ce nouveau texte, promulgué par le président de la transition, le Général Assimi Goïta, interdit également l’orpaillage par dragage.
Mais sur le terrain, ce nouveau texte n’est pas mis en application. L’orpaillage par dragage se poursuit en amont de Bamako et fait peser une menace grave sur l’environnement aquatique. Le spécialiste en pêche et pisciculture indépendant Seydou Kanté affirme que « les dragues menacent l’environnement aquatique si elles sont nombreuses, car elles soulèvent la boue qui détruit la qualité de l’eau. Certains produits de la drague, comme l’huile de vidange, peuvent aussi tuer les poissons. »

Yamoussa Traoré est également président de l’association BOZO KO, créée en 2016, avec l’objectif, non seulement de rassembler les Bozos, mais aussi de préserver leur patrimoine commun : le fleuve Niger de Bamako. Il exprime son désarroi : « Nous avons signalé cette situation déplorable à la mairie, à la direction des eaux et forêts, mais rien n’a changé. Nous sommes dans un désespoir total. »
Des solutions possibles
Selon M. Mohamed Keita, Directeur Adjoint du département de l’environnement de la mine de Loulo, la loi numéro 2014-024 du 03 juillet 2014 qui interdit l’utilisation des sachets plastiques non biodégradable, peine toujours à être appliquée sur l’ensemble du territoire Malien.
Il affirme que « la ratification de cette loi pourrait constituer une solution pour protéger le fleuve Niger et valoriser l’essor de la pêche au Mali ». Toutefois il insiste sur la nécessité d’adapter cette loi au contexte du pays afin d’éviter que la population ne revienne à l’usage du plastique.
De son côté Yamoussa Traoré, propose une alternative pour faire face à la baisse des prises : « La pisciculture pourrait être une solution pour compenser le manque de poissons dans le fleuve. Malheureusement tout le monde n’a pas les moyens pour adopter cette alternative ».
Image de bannière : Une vue du fleuve Niger à Bamako. Image de Mariam Sanogo pour Mongabay.