- Après la prise de Goma en RDC par les rebelles du M23 en janvier dernier, Mongabay Afrique vous fait vivre le quotidien des populations congolaises sous cette occupation entourée toujours de beaucoup d'incertitudes.
- Les conditions de vies des habitants de Goma après la prise de la ville et de ses environs par le M23 sont partagées entre précarité, manque des produits de premières nécessités et opérations militaires sporadiques sur fond de panique généralisée.
- Surveillées par les nouveaux « maîtres » de la région, les populations essayent de vaquer à leurs occupations la peur toujours dans l’âme.
C’était un certain dimanche 26 janvier 2025. Ce jour-là, de nombreux fidèles se sont dirigés à leurs églises respectives, comme il est de coutume chez beaucoup de protestants et catholiques à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu.
Trois jours avant, les autorités de la République démocratique du Congo (RDC) avaient annoncé le décès du Général-major Peter Chirimwami, qui était gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, une région sous état de siège depuis mai 2021.
Officiellement, le gouverneur est mort « arme à la main », alors qu’il était au front contre le groupe armé du M23, qui, selon les autorités congolaises, est soutenu par le Rwanda.
Ce dimanche, alors que les combats faisaient rage au Nord de Goma en territoire de Nyiragongo et à Sake, en territoire de Masisi au Nord-Kivu, d’intenses mouvements militaires avaient été signalés en ville de Goma. Des milliers de déplacés, qui étaient dans les sites dans la banlieue de la ville de Goma, avaient fui, une façon pour eux de ne pas se retrouver entre les deux feux des différentes parties prenantes dans les combats.
Beaucoup s’étaient dirigés dans la ville de Goma et ont été logés dans des familles d’accueil et d’autres par contre s’étaient entassés à certains carrefours, passant la nuit à la belle étoile. D’autres avaient trouvé refuge dans des écoles, dans des églises et dans des maisons inachevées, situées dans les faubourgs de la ville. La plupart étaient sans kits de survie nécessaires, dont les médicaments, l’eau et des sous. Certaines personnes avaient affirmé avoir fui la guerre au niveau de Sake, début 2024, et vivaient dans le camp de Mugunga.

Avec l’intensité des combats aux environs de la ville, elles avaient été obligées de fuir vers les familles d’accueil à Goma. Les familles qui les avaient accueillis n’avaient pas de choix que de manifester une hospitalité à l’égard des déplacés de guerre. « Je les ai accueillis ici chez moi, bien que je n’aie pas assez de moyens économiques conséquents pour répondre à leurs besoins. La même guerre qui les a faits quitter leurs domiciles peut également nous arriver. C’est une question de solidarité africaine », dit Nabintu Pamela, mère de 8 enfants, qui a logé du 23 au 28 janvier 2025, près de 30 personnes.
Avec peu d’eau, les conditions hygiéniques étaient limitées dans sa concession, de 15 m2. Peu avant la chute de Goma, l’eau, l’électricité et l’Internet avaient été coupés dans la capitale du Nord-Kivu. Ce qui avait mis à mal la vie quotidienne de nombreux habitants de la ville, qui étaient obligés d’allumer les groupes électrogènes, de se procurer des cartes téléphoniques pour avoir accès à Internet et d’aller puiser l’eau directement du lac. Un bidon d’eau de 20 litres se vendait alors à 1000 FC, soit 0.6 USD.
J’avais remarqué que dans presque toutes les familles environnantes, les gens ne se lavaient les mains que lorsqu’ils sont sur le point de passer à table. Personnellement, je me baigne deux fois par jour. Mais, j’étais contraint de me laver une seule fois, tous les deux jours, car la desserte en eau potable était devenue un véritable « casse-tête chinois ».
Alors que d’intenses mouvements militaires avaient été signalés dans les quartiers de la ville de Goma, une panique sans précédent s’emparait des populations civiles, qui ne savaient pas exactement ce qui se tramait dans la capitale du Nord-Kivu. Les autorités, à leur niveau, ne cessaient d’appeler les habitants de Goma au calme, affirmant que tout était sous contrôle. Et pourtant, c’était tout à fait le contraire. Les combattants du M23 progressaient à grand pas vers la ville « volcanique », frontalière avec Gisenyi, au Rwanda voisin.

Ce même jour, soit le 26 janvier 2025, le M23 publie un communiqué, dans lequel il annonce la fermeture de l’espace aérien de l’aéroport international de Goma. Suite à cette annonce, je pris la décision de me diriger au centre-ville de Goma, histoire de me renseigner exactement sur l’atmosphère qui y règne.
Plusieurs agents de la MONUSCO et d’autres ONG travaillant à Goma avaient été évacués vers l’aéroport international de Goma via de gros bus. Ceux-ci sont partis le même après-midi, autour de 16 h heure locale, à bord d’un appareil de la compagnie éthiopienne.
C’est à ce moment précis où j’écrivais l’article que j’ai même vu pour la dernière fois, les derniers vols domestiques et internationaux depuis cet aéroport international.
Je vis de nombreuses de femmes des militaires prendre la fuite, les unes provenaient directement de la colline Goma connu comme Mont Goma, un lieu stratégique au centre-ville de Goma.
Cette colline abrite une position militaire importante et donne directement accès au port public de Goma, sur le lac Kivu, ouvrant également la route, qui mène vers le gouvernorat de la province.
Certaines de ces femmes quittaient le Mont Goma et d’autres le camp militaire de Katindo, elles étaient en débandade totale, transportant leurs biens, ainsi que leurs enfants vers un lieu qu’elles avaient du mal à préciser.

Se battre pour protéger Goma
Le gouverneur adjoint de la province, Ekuka Lipopo avait, dans un message, appelé tous les militaires, tous les policiers et tous les combattants d’autodéfense dits Wazalendo, à se battre pour protéger la ville.
À partir de 18 h, certaines vidéos avaient fait le tour des réseaux sociaux, montrant des colonnes de soldats, portant une tenue non habituelle dans la région, lourdement armés, qui descendaient au Sud du territoire de Nyiragongo, s’approchant de la ville de Goma.
C’était bien les soldats du groupe armé du M23, qui a resurgi en novembre 2021 dans l’Est de la RDC.
Le 25 janvier 2025, dans un communiqué, le M23 annonçait avoir « entendu » les cris de détresse de la population de Goma, appelant les forces armées de la RDC et leurs alliés à rendre leurs armes pour éviter toute « escalade ».
Tout l’après-midi du 26 janvier 2025, les coups de feu retentissaient dans les quartiers situés au Nord de la ville de Goma. Des scènes de pillages et d’extorsions avaient été signalées dans ces entités et certains habitants se dirigeaient vers le Sud de la ville. D’autres se sont dirigés vers des écoles et d’autres, dans des églises ou des familles d’accueil.
C’est ainsi que toute la nuit, les coups de feu avaient retenti dans de nombreux quartiers de la ville de Goma : des tirs à l’arme lourde et légère avaient été entendus dans presque toute la ville. C’était une véritable confusion qui avait régné dans le chef-lieu du Nord-Kivu.

Évasion à la prison de Goma
Le lundi 27 janvier, je me suis réveillé pour aller voir ce qui se passe sur les artères principales. Je vis beaucoup de personnes, cheveux ébouriffés, petits sacs en main : c’étaient les détenus à la prison centrale de Goma dite Munzenze qui se sont évadés.
Je vis de mes propres yeux les hordes des militaires FARDC, des policiers congolais et les combattants de l’autodéfense dits « Wazalendo » marcher, et d’autres à taxis motos, pour le stade de l’Unité, vers le centre-ville de Goma. C’est ce lieu qui avait été communiqué par le M23 pour désarmer ceux qui voulaient intentionnellement rendre leurs armes, sans combats.
Le mardi 28 janvier 2024, alors que les coups de feu sporadiques retentissaient encore dans Goma et ses environs, certains déplacés avaient inondé les rues de Goma. Les uns rentraient dans leurs lieux d’origine directement, et d’autres se regroupaient encore dans les camps aux environs de Goma, avant d’y sortir. Certaines sources de la société civile avaient affirmé que ceux-ci avaient été forcés à rentrer chez eux par les combattants du M23, cela sans encadrement.
Ces accusations étaient démenties par les « nouveaux maitres » de la ville, qui disaient que les déplacés de guerre eux-mêmes avaient estimé que leurs lieux étaient sécurisés et avaient décidé, de leur gré, de rentrer chez eux. « Habituellement, lorsque les déplacés de guerre rentrent chez eux, ils sont accompagnés par les autorités ou par les organisations humanitaires dont le HCR. Qu’allons-nous devenir ? », s’était plaint un homme qui a requis l’anonymat, alors qu’il était, avec sa famille, en route pour Karuba, à 40 kilomètres à l’Ouest de Goma, territoire de Masisi.
Celui-ci avait fustigé ce qu’il avait qualifié de « précarité » de la vie qu’il a menée dans les camps des déplacés autour de Goma et qu’il part mener désormais dans son village.
Toutefois, celui-ci gardait espoir qu’il pourra se battre contre la vie, une fois de retour chez lui, malgré ses craintes d’une possible crise identitaire.
La ligne haute tension de la société nationale d’électricité (SNEL), un des fournisseurs d’électricité à Goma, était endommagée, alors que les combats se poursuivaient en territoire de Kalehe, au Sud-Kivu.
Même situation au Nord-Kivu à Goma et ses environs, où la ligne de Virunga Energy, une filiale du Parc des Virunga, avait été touchée lors des combats. Une situation qui avait paralysé les activités socio-économiques dans la capitale du Nord-Kivu : les salons de coiffure, les hôpitaux et les autres entreprises ont été bloqués.
Un véritable cauchemar pour les populations du Nord-Kivu, qui ne savaient plus à quel saint se vouer, suite à cette coupure électrique. Beaucoup avaient des groupes électrogènes, mais avaient du mal à les alimenter, car le prix du carburant ayant doublé, voire triplé dans de nombreux coins de la ville de Goma.
Les plus chanceux sont ceux-là qui avaient des panneaux solaires sur les toits de leur maison. Ils pourraient charger les téléphones de leurs voisins, ainsi que d’autres appareils nécessitant de l’énergie électrique.
Un rappel sur l’importance à recourir à des énergies renouvelables au Nord-Kivu, où, selon l’Unité de Gestion du projet Carbonne, plus de 90 % de la population fait recours à la biomasse, principale source n’énergie dans la région.

Pillage et menace sur la biodiversité
Le 28 janvier 2025, un des entrepôts du programme alimentaire mondial (PAM), situé au quartier Katindo, non loin du centre-ville, était vandalisé par les habitants de la ville de Goma.
Des produits pharmaceutiques, des produits alimentaires, d’autres effets y avaient été pillés par les populations civiles. Les portes de cet entrepôt étaient cassées et certaines personnes avaient laissé leur peau là-bas, suite à une grande bousculade.
Plusieurs activistes de la biodiversité et de la gestion des ressources naturelles, dans l’Est de la RDC, estiment que cette guerre est économique, suite au potentiel minier dont regorge la partie orientale du pays.
C’est le cas de Crispin Ngakani, activiste pro-environnemental basé à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu, dans l’Est de la RDC. « Les réserves forestières et minières se localisent dans l’Est de la RDC. Nous sommes en train de subir des guerres à cause de nos ressources minières. Les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda nous mènent une pression, ils prennent nos ressources naturelles de manière illégale avec la complicité de la communauté internationale ».
Celui-ci croit que la RDC, en tant que pays en guerre, court un risque de la destruction de ses écosystèmes, appelant ainsi à des actions urgentes pour prévenir tout désastre. « Des guerres engendrent d’énormes pertes en ressources naturelles, d’énormes destructions de l’environnement, de la biodiversité, de l’écosystème en général. Actuellement, le Parc national des Virunga subit des conséquences des guerres atroces au Nord-Kivu. Au Sud-Kivu, il y a le risque de l’envahissement du Parc national de Kahuzi-Biega », dit Crispin Ngakani.
Un habitant de Rubaya, considéré comme la capitale mondiale du coltan, au Nord-Kivu a révélé que groupe du M23 sont impliqués dans l’exploitation des mines, bien que les M23 nie ces allégations.
Bintou Keita avait, fin 2024, souligné, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, à New-York, que l’exploitation des mines à Rubaya faisait entrer mensuellement plus ou moins 300000 USD à la rébellion du M23.
Le mercredi 12 février 2025, l’Abbé Donatien Nshole, responsable adjoint de la Conférence épiscopale congolaise (CENCO), avait devant la presse à Goma, révélé que les responsables de l’AFC, plate-forme au sein de laquelle le M23 fait partie, lui avaient confié qu’ils ne sont aucunement impliqués dans l’exploitation des ressources naturelles dans l’Est de la RDC.
Les responsables des rebelles qualifient les accusations de pillages des ressources naturelles comme une « propagande » orchestrée par les autorités de Kinshasa.
Corneille Nangaa Yobeluo, coordonnateur de la plate-forme Alliance Fleuve Congo, avait, lors d’une conférence de presse tenue à Goma, le 7 février, accusé le clan de l’actuel président de la RDC, de s’être « accaparé » des concessions minières pour leurs « propres » intérêts.
Le jeudi 13 février, le ministre congolais de la santé, Roger Kamba, a annoncé qu’un corridor humanitaire avait été ouvert, sous la facilitation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en vue d’acheminer les aides humanitaires à Goma et ses environs.
Ce corridor, selon Roger Kamba, est Nairobi-Kigali-Goma, a-t-il laissé entendre lors d’une conférence de presse tenue à Kinshasa, capitale de la RDC.
De nombreuses morgues des différents hôpitaux à Goma sont saturées par des corps décédés à Goma et ses environs, lors des récents combats.
Des odeurs puantes de corps humains en décomposition sont signalées à Goma et ses périphéries, suite à la carence d’énergie électrique.
La SNEL a fournit difficilement de l’électricité à Goma et ses environs de mi-janvier à mi-février, suite à l’endommagement de son réseau, alors que les combats faisaient rage aux environs de la ville, notamment à Minova et Bweremana.
Des corps de certains présumés combattants, tués par vindicte populaire, trainent toujours dans Goma et ses environs. Apeurés, de nombreux habitants de Goma ne peuvent plus s’exprimer publiquement sur la situation politique et sécuritaire de la région, chacun doutant désormais des autres.
Mais, l’électricité est totalement rétablie à Goma par toutes les sociétés distributrices depuis la mi-Février, soit près de 1 mois après sa coupure générale.

Timide reprise de la vie économique
Côté économique, la vie a repris, mais peine à atteindre son apothéose, parce que les banques et autres institutions financières n’ont pas ouvert leurs portes.
Les responsables des institutions financières disent attendre l’autorisation de la Banque centrale du Congo pour rouvrir les portes, affirmant que l’argent liquide avait été acheminé à Kinshasa avant la prise de Goma par la coalition du M23-AFC.
Cependant, les produits alimentaires inondent facilement la ville de Goma depuis les villages, mais les habitants de Goma, sans liquidité, ont du mal à s’en procurer et plaident pour la réouverture des institutions financières.
Un autre aspect, en dépit des certaines poches d’insécurité dans la ville, qui n’est plus militarisée : désormais, tout mouvement armé est surveillé par les nouveaux « maitres » de la région.
Les gens circulent désormais librement à Goma et ses environs. Les miliciens progouvernementaux étaient accusés de commettre d’exactions contre les populations civiles. Ils sont accusés d’avoir assassinés, pillés et extorqués les paisibles voyageurs.
Aujourd’hui, la réalité est tout autre : on peut circuler dans un rayon de 100 km autour de Goma à moto ou en véhicule, sans être inquiété. Ceci soulage, quand même, les populations de Goma et ses environs.
Image de bannière : Une mère de famille déplacée de guerre à Goma dans une famille d’accueil avec ses enfants. Image par Mongabay.
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