- L'escalade du conflit armé en République démocratique du Congo (RDC) a eu des impacts significatifs sur l’environnement. Le taux de perte de couverture forestière dans les parcs nationaux de Kahuzi-Biega et des Virunga a fortement augmenté depuis la reprise du conflit, fin 2021.
- Les groupes armés, qu'ils soient étatiques ou non, ont profité de la taxation du commerce illégal de charbon de bois et de bois provenant de l'intérieur de ces zones protégées.
- Cependant, les impacts du conflit sont complexes : le contexte géopolitique dans lequel il opère incite malgré tout le M23 à soutenir les efforts de conservation afin de promouvoir son image de pouvoir compétent et légitime localement.
- Cet article est une analyse. Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de Mongabay.
La résurgence du M23 (mouvement du 23 mars) dans l’Est de la RDC a remis la région sous le feu des projecteurs ces dernières semaines – à juste titre, au vu de l’ampleur de la crise humanitaire qu’elle a engendrée. Pourtant, une autre tragédie silencieuse se joue, moins médiatisée, mais tout aussi préoccupante : la destruction des écosystèmes locaux.
Les provinces du Nord et du Sud-Kivu, théâtre des affrontements, constituent un hotspot de biodiversité, abritant des espèces menacées comme les gorilles de montagne, ainsi que deux sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO : les parcs de Virunga et de Kahuzi Biega. Ces zones protégées ont historiquement servi de bases opérationnelles pour divers groupes armés. Le principal camp d’entrainement du M23 se trouve d’ailleurs à Tchanzu, jouxtant le secteur sud du Parc national des Virunga (PNV).
Depuis les années 1990, une succession de conflits a profondément affecté ces écosystèmes – les déplacements de civils et l’implication des milices dans l’exploitation des ressources perturbant grandement les efforts de conservation. Dans le Parc national de Kahuzi-Biega (PNKB), les éléphants ont frôlé l’extinction dans les années 2000. Les populations de gorilles ont aussi chuté, avant de retrouver leurs effectifs d’avant-guerre avec le retrait progressif des groupes armés du PNKB.
Le dernier épisode en date du conflit menace de réduire à néant ces gains durement acquis.
Notre analyse met en évidence une forte augmentation de la déforestation depuis le début du conflit, fin 2021. Ce phénomène a plusieurs causes, dont les déplacements de population, la difficulté d’appliquer la législation en matière de conservation, et l’implication de différents acteurs armés dans le commerce illégal du charbon de bois et du bois de construction. Mais le conflit a également eu des répercussions inattendues sur l’environnement. Le M23 semble aujourd’hui soutenir la conservation en essayant de se projeter comme un fournisseur de bonne gouvernance dans la région.
Comment la crise du M23 affecte-t-elle l’environnement ?
Virunga, le plus vieux parc national d’Afrique, se situe partiellement dans la zone d’opération du M23, qui contrôle désormais les cités de Rutshuru, Masisi, Kanya Bayonga ou encore Saké, encerclant le parc.
Le parc de Kahuzi-Biega n’a vu arriver les rebelles qu’en février 2025. Les villes adjacentes au secteur montagneux du parc (Tchivanga, Kabamba, Katana, Kavumu), sont désormais sous contrôle du M23.
Bien avant la crise actuelle, le parc des Virunga fournissait du charbon de bois et du bois essentiels aux 5 millions de personnes vivant autour du parc. L’éruption récente de la violence a intensifié la pression sur ses forêts. En plus de ses 1.9 millions d’habitants, Goma, au Sud du parc, a absorbé environ 800,000 déplacés depuis 2021. La majorité d’entre eux n’ont d’autre choix que d’y collecter du bois, malgré les risques encourus.
Nos analyses montrent que la partie inférieure du secteur Sud du parc, bordant Goma, a vu sa couverture forestière baisser de 1 222 hectares (12.22 km²), en 2023, suite à l’arrivée en masse des déplacés. Les pentes du volcan Nyiragongo, à présent dépourvues de végétation, en témoignent. C’est une augmentation considérable comparée à la moyenne annuelle de 571 hectares (5.71 km²), entre 2019 et 2022.

L’afflux de déplacés a aussi mené à une augmentation de la demande en charbon de bois (« makala », en Swahili). Cependant, l’accès réduit aux zones de production au sein du parc, sous contrôle du M23, a mené à une hausse des prix, encourageant de nouvelles stratégies d’approvisionnement.
La meilleure alternative ? Le Parc national de Kahuzi-Biega, sur l’autre rive du Lac Kivu.
Jusque 2021, les forêts des Virunga fournissaient en charbon de bois Goma et Bukavu. Début 2023, le makala du PNKB a commencé à alimenter les deux métropoles, avec la construction de deux ports sur les berges du sud du lac Kivu : Ihimbi et Kasheke. Desservis par deux ferrys et une flotte de petites embarcations, ces ports permettaient alors le transport hebdomadaire de milliers de sacs de makala jusque Goma.
Nos analyses révèlent un accroissement majeur de la déforestation au PNKB depuis leur construction : entre 2019-2022, 521 hectares (5.21 km2) de forêt disparaissaient en moyenne chaque année, contre 1171 hectares (11.71 km2) en 2023.

Quelle est l’implication des acteurs armés dans ces dynamiques ?
Bien qu’elles ne soient pas directement à l’origine de la crise actuelle, les ressources naturelles font partie intégrante de l’économie politique du conflit. Historiquement, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), milice formée d’ex-génocidaires Hutus et cible des foudres de Kigali, dominaient le marché du charbon de bois.
L’avancée du M23 a bouleversé les forces en place, réduisant significativement l’influence du FDLR au sein du parc. Le M23 a également instauré des barrages routiers, afin de taxer les mouvements de marchandises, dont le makala et le bois, recouvrant ainsi une part significative de ce marché lucratif.
Les revenus générés par la vente de makala sont non-négligeables : un rapport estime la valeur annuelle du marché du charbon de bois du Parc national des Virunga à plus de 45 millions USD, dont 26 % (soit 11.67 millions USD) revenaient au FDLR jusque 2022. Ce trafic n’a pourtant reçu que peu d’attention comparé à la prise de sites miniers majeurs comme Rubaya, aux mains du M23 depuis avril 2024, qui génèrerait environ 9.6 millions USD de recettes par an.
Selon le rapport de juin 2024 du Groupe d’Experts des Nations Unies, le M23 contrôlerait aussi l’exploitation forestière illégale, avec une production de bois estimée entre 2.08 USD et 2.6 millions USD annuellement dans la zone du Mikeno et de Kalengera-Tongo.
Les groupes armés n’exploitent pas forcément ces ressources eux-mêmes, mais autorisent les communautés locales, pour qui ces activités représentent un réel moyen de subsistance, à s’en charger. Ces civils sont ensuite taxés par les milices qui se portent garantes de leur sécurité à l’intérieur des zones protégées, et sont ensuite soumis à un impôt aux divers barrages routiers lors du transport des sacs.
Les groupes armés entravent considérablement la mission de conservation des autorités. Au parc Kahuzi-Biega comme au parc Virunga, leur présence perturbe les activités des éco-gardes depuis 30 ans, les forçant à réduire le nombre et l’étendue de leurs patrouilles, laissant des écosystèmes fragiles exposés à diverses formes d’exploitation. Depuis 2018, plus de 31 éco-gardes du Parc national des Virunga ont été tués lors de patrouilles.

Même si l’impact du conflit sur l’environnement semble globalement négatif, ses conséquences à long terme restent incertaines. La présence de groupes armés peut avoir des effets variés et inattendus sur la conservation, par exemple en créant un obstacle majeur à l’exploitation industrielle. Parfois, ces milices peuvent même (indirectement) contribuer aux efforts de conservation.
Le contexte géopolitique au sein duquel opèrent le M23 et son parrain, le Rwanda, pourrait même inciter les rebelles à soutenir la conservation.
Quels sont réellement les enjeux (géo)politiques pour le M23?
La dégradation du Parc national des Virunga a déclenché une vague d’accusations, chaque camp cherchant à rejeter la responsabilité sur l’autre. Si aucune partie prenante ne souhaite être associée à la destruction d’un site protégé, chacune voit une opportunité inestimable de ternir la réputation de son adversaire.
Du côté du gouvernement, le directeur de l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), a déclaré que la moitié de la faune du parc avait disparu à cause des activités du M23. En face, le leader du M23 blâme le FDLR, son rival de longue date, désormais allié de Kinshasa à la suite d’une stratégie militaire plutôt maladroite. Il érige le M23 en protecteur du parc, une stratégie de communication frôlant l’absurde, alors que la taxation des ressources extraites du parc, constitue une manne financière majeure pour le groupe.
Pourtant, les rebelles cherchent activement à se dissocier de ces accusations et s’efforcent de cultiver une image de ‘bonne gouvernance’. Leur objectif ? Démontrer qu’ils sont des dirigeants plus efficaces et compétents que Kinshasa, et ainsi se forger une légitimité.
Depuis la prise de Goma, l’Alliance Fleuve Congo (AFC), le bras politique du M23, tente de renforcer cette image en tenant d’imposantes conférences de presse et en accueillant les ONG et médias internationaux. L’AFC cherche aussi à démontrer qu’elle peut assurer une gouvernance efficace en matière de conservation : après avoir pris le contrôle d’une partie du secteur sud du Parc national des Virunga fin 2022, où se concentre la production de charbon de bois, le M23 a strictement interdit sa production et imposé une interdiction de l’agriculture au sein du parc, faisant fi des conséquences pour les milliers de civils dépendant économiquement de ces activités.
De même, l’AFC a affirmé avoir permis la réparation des lignes électriques de Virunga Energies (VE), conçues pour réduire la dépendance de la ville au charbon de bois et endommagées lors des combats autour de Goma. Cette réparation est officiellement le fruit des efforts du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) ayant rendu possible l’intervention des techniciens de VE.

L’incertitude persiste quant à la manière dont le M23 abordera la conservation dans la zone du parc Kahuzi-Biega, maintenant sous leur contrôle. Comme aux Virunga, les populations locales dépendent fortement du charbon de bois du parc. Le M23 devra donc arbitrer entre l’entretien de son image de protecteur de l’environnement et une réponse adéquate aux besoins en énergie locaux. Un arrêt complet de l’approvisionnement en charbon de bois, tant au parc Kahuzi-Biega qu’au parc Virunga, s’avérerait être, non seulement impopulaire, mais surtout non tenable sans alternative crédible à ces combustibles.
Pour le Rwanda, les enjeux sont encore plus importants. Le gouvernement se positionne en leader en matière de développement durable et de conservation, une réputation qui pourrait être ternie s’il était associé à la destruction des Virunga. En outre, le tourisme représente une réelle manne financière, avec plus de 600 millions USD de recettes en 2023 (soit 4,3 % du PIB), dont une grande partie repose sur les randonnées d’observation des gorilles dans le Parc national des Volcans – qui borde les Virunga.
C’est aussi sa principale source de devises. Étant donné que de nombreuses espèces, dont les gorilles de montagne, se déplacent librement entre les deux parcs, la dégradation des écosystèmes des Virunga pourrait compromettre la capacité du Rwanda à maintenir ses propres populations de gorilles et, par conséquent, son économie.

Au cœur de ce bras de fer géopolitique, les ONG de conservation sont confrontées à un exercice d’équilibriste délicat. La Fondation Virunga (VF), ONG britannique, administre le parc Virunga dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) avec l’ICCN. A plusieurs reprises, ses rangers ont collaboré avec l’armée régulière lors d’interventions impliquant des groupes armés au sein du parc. Avec Goma et une grande partie des Virunga désormais sous contrôle du M23, il reste à déterminer comment la gestion du parc évoluera avec un nouveau dirigeant régional de facto, et comment cette situation s’articulera avec le partenariat existant entre VF et le gouvernement de jure à Kinshasa.
Au Sud-Kivu, le Parc national Kahuzi-Biega, géré dans le cadre d’un PPP entre l’ICCN et la Wildlife Conservation Society, pourrait faire face à des défis similaires.
Alors que le M23 poursuit son avancée, une question demeure: cette guerre causera-t-elle des dommages environnementaux de l’ampleur des guerres des années 1990/2000 ? La réponse est incertaine, mais les signes sont inquiétants. Les écosystèmes protégés de l’Est de la RDC restent les victimes silencieuses d’un conflit qui ne semble pas près de s’achever.
Cette analyse a été publié en anglais ici sur le site global de Mongabay.
Image de banière: Un gorille de montagne au parc national des Virunga. Image de Fanny Schertzer sur Wikimedia Commons (CC BY 3.0).
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