- La raréfaction des ressources naturelles, le manque des points d’eau et l’absence des couloirs de passage intensifient les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs.
- Les récurrentes inondations traduisent l’impact du changement climatique sur les cultures des agriculteurs et sur les enclaves pastorales des éleveurs.
- Au niveau de la région de Zinder, sur un total de 605 couloirs dénombrés, seuls 11 ne sont pas menacés.
- En la matière, les textes règlementaires de l’Etat ne sont pas respectés. Si le Code rural est appliqué et respecté à la lettre, il n’y aurait pas de conflit entre agriculteurs et éleveurs au Niger.
Le 14 janvier 2025, trois habitants de Amourzouk dans le département de Tanout, dans la région de Zinder, au nombre desquels figure le chef du village, ont perdus la vie. Cette tragédie fait suite à la descente précoce des éleveurs dans les champs, c’est-à-dire avant la date butoir fixée au 31 janvier 2025, pour la libération des champs aux animaux.
Zinder, qui couvre une superficie de 155.778 km2, soit 12,3 % du territoire national, est une région agropastorale par excellence, car elle regorge un cheptel important et un potentiel de terres agricoles. La cohabitation entre agriculteurs et éleveurs est marquée par l’accès et le partage des ressources naturelles. Cependant, plusieurs facteurs entravent cette relation, qui vire parfois en violences fatales, comme celles d’Amourzouk.
Selon Idi Leko, Secrétaire permanent du Secrétariat national du Code rural, « on a d’un côté les espaces ressources qui se raréfient et qui sont dégradés et de l’autre côté, le pays fait face à une pression démographique. Cela crée la compétition entre les humains et le cheptel par rapport aux ressources rurales naturelles. L’autre raison réside dans les dégâts champêtres causés pendant la période de descente, c’est-à-dire au moment où les éleveurs quittent leur zone pastorale, du fait de l’asséchement des points d’eau et du manque de pâturage. En descendant dans la zone agropastorale, les agriculteurs n’ont pas fini de récolter ; et là commence le problème ».
Pour Salaou Makeri Mamane Sani de l’Institut universitaire technologique à l’université Andre Salifou de Zinder, deux éléments importants expliquent ces conflits.
D’abord, l’amenuisement progressif des ressources pastorales telles que les aires de pâturages, les couloirs de passage, les aires de pacage ou de repos, les forêts classées et les forêts classées. « Par exemple, pour les couloirs de passage, sur un total de 605 couloirs dénombrés dans la région de Zinder, seuls 11 ne sont pas menacés. Ces derniers sont balisés et répartis dans huit communes de la région et ne totalisent que 256,37 km. Ainsi, pour l’essentiel, les couloirs de passage de la région de Zinder sont occupés par des champs (97 %). Pour les forêts, évoquons par l’exemple la forêt classée de Berberkia de 1275 hectares, dans la commune rurale de Tirmini, devenue pratiquement une aire de culture. Il en est de même de la forêt protégée de Kongomé, qui a une superficie de 1840 ha ».
Ensuite, la transformation de la vocation des aires de pâturages sont également sujettes à l’agriculture en dépit des efforts, que consentent les pouvoirs publics pour leur sécurisation, surtout avec la loi n°61-05 du 26 mai 1961, qui fixe une limite Nord des cultures, à savoir les cercles de Filingué et Tahoua, les subdivisions de Dakoro et Tanout et les cercles de Gouré et de N’guimi.
Au Nord de cette limite, toutes nouvelles cultures d’hivernage et toute installation de groupement de cultures sont interdites. La limite Nord est fondamentalement menacée par l’avancée du front agricole, qui se traduit par l’accaparement des terres (champs de cultures, ranch…).

Habillé en grand boubou avec son turban, assis sur son trône royal en présence de ses notables dans le palais, le Chef de groupement Peulh de Zinder, Hadi Gourgoudou, estime que la situation va au-delà de ces facteurs. « C’est un conflit qui date de très longtemps et entretenu de part et d’autre (les agriculteurs, les éleveurs, les autorités administratives et coutumières) parce que, quelque part, il y a un intérêt qui est en train d’être joué. Les autorités administratives et les chefs coutumiers ont du mal à le résoudre. C’est peut-être une seule vache qui va commettre un dégât et on exige que l’éleveur paye une somme colossale allant de 100.000 à 200.000 francs (soit 154 à 308 dollars). Or il n’y a pas une vache qui peut manger un aliment de cette somme par jour. Et s’il paye ce montant, même le lendemain, un autre agriculteur peut essayer de faire la même. Du côté des éleveurs, il y a un autre problème, certains se disent que si leurs animaux n’ont pas mangé les haricots muris, ils ne peuvent pas passer l’année en bonne santé. Ils préfèrent mettre leurs animaux dans les champs et payer l’amende ».
Le Code rural : un outil nécessaire, mais pas toujours appliqué
Au Niger, dans le cadre de la gestion des ressources partagées (les couloirs de passage, les enclaves pastorales, les aires de pâturage), l’Etat a institué un Code rural, qui précise la démarche à suivre pour gérer tout différend entre agriculteurs et éleveurs.
Puis, l’ordonnance No 2010- 029 relative au pastoralisme institutionnalise le système traditionnel de fermeture et de libération des champs. Cette libération prend en compte la situation agricole, notamment l’avancement de la récolte et la situation pastorale après une large consultation des acteurs concernés.
Pour le cas de Tanout, selon certains acteurs interrogés sur place, cette catastrophe pouvait être évitée si les dispositions du Code rural ont été appliquées. C’est ce que confirme Abdoul Malik, l’un des témoins de ce conflit de Amouzouk « Les champs n’ont pas été libérés et tout le monde est au courant du délai qui a été arrêté, mais malheureusement, les éleveurs sont venus très vite et les choses se sont mal tournées. Dans le camp des paysans, Maman Dan Nana et le chef du village ont perdu la vie, et deux autres ont été blessés par flèche. Après avoir informé les autorités, certains ont été interpellés ».
Pour Elhadji Issoufou Moustapha, président du réseau des organisations paysannes et éleveurs du Niger (ROPEN), basé à Zinder, « on a été informé par nos point focaux par rapport à cette situation de Tanout. C’est vraiment grave, puisqu’on a enregistré des pertes en vie humaine. Mais il faut dialoguer et continuer à sensibiliser l’ensemble des acteurs. Après le forum de Tanout, le travail de sensibilisation se poursuit à notre niveau ».

Interrogé à Niamey, l’acteur de la société civile et secrétaire général de l’Association Agir pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, Mourtala Abdoul Aziz Nafiou, qui a adressé une lettre de cri de cœur au Chef de l’Etat, le Général Abdourahamane Tiani, président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), pour alerter sur le cas du département de Tanout, le non-respect de la date de la libération des champs fixée au 31 janvier 2025 a joué sur cette situation. « Les éleveurs ont envahi des champs qui n’avaient pas encore été libérés, créant ainsi une situation précaire et potentiellement explosive. Cette tragédie aurait pu être évitée si les autorités compétentes avaient pris des mesures plus strictes et plus rapides pour garantir le respect des décisions prises lors de la réunion. L’inaction et la lenteur dans la gestion de cette situation ont, non seulement exacerbé les tensions, mais aussi causé des pertes en vie humaine », dit-il.
Selon Idi Leko du Secrétariat du Code rural, Tanout est un cas spécifique. « Nous sommes en train de réfléchir au niveau national pour voir la procédure à instaurer par zone, de sorte à éviter ces conflits ».
Le changement climatique : entre résilience et adaptation des acteurs
Au Niger, les agriculteurs et éleveurs sont exposés aux aléas du changement climatique. Paysan de son état, Mamane Issa du village de Gangara Tanout est confronté à cette réalité. « Chaque année, les choses se compliquent pour nous. Il y a le retard dans l’installation de la saison et les inondations qui impactent les cultures et même les maisons. À la fin de la saison, le rendement n’est pas suffisant. Et là, il faut adopter de nouvelles mesures ».
Ces acteurs vivent la réalité de ce changement. « Vous avez bien vu cette année que l’abondance de la pluviométrie a causé d’énormes inondations surtout dans les enclaves pastorales et les grandes vallées. L’impact est réel, puisque le mil n’a pas beaucoup donné et, au niveau des enclaves pastorales et de certaines pistes, les éleveurs n’ont pas eu accès aux points d’eau », a indiqué d’un ton paisible, le regard tourné vers les notables avec une certaine émotion, Hadi Gourgoudou, le Chef de groupement Peulh de Zinder.
Pour Idi Leko, « ces dix dernières années, on a constaté la mauvaise répartition de la pluie dans le temps et l’espace. Aujourd’hui, la question du changement climatique impacte sérieusement la situation des ressources naturelles. À cela, s’ajoutent l’érosion et les inondations, qui impactent la vie des agriculteurs et des éleveurs ».

Pour prévenir et gérer les conflits entre agriculteurs et éleveurs, plusieurs solutions sont envisagées. Le Chef du groupement Peulh appelle à l’application du Code rural. « En la matière, les textes règlementaires de l’Etat ne sont pas respectés. Si le Code rural est appliqué et respecté à la lettre, il n’y aura pas de conflits entre agriculteurs et éleveurs au Niger ».
Pour le spécialiste Makeri Mamane Sani, il faut répertorier et exfiltrer tous les agriculteurs ayant occupé les terres et prendre des mesures incitatives pour décourager d’autres velléités et baliser aussi avec des bornes réglementaires les aires de pâturages et les couloirs de passages obstrués. « Instituer des sanctions en nature à l’encontre de ceux qui seront tentés de transgresser ces balises. Des comités de surveillance mixtes à l’échelle des villages, peuvent être institués pour veiller à l’observance du dispositif de sécurisation des ressources pastorales », dit-il.
Mongabay a cherché à interroger certaines autorités locales sur les solutions ou initiatives entreprises pour prévenir et gérer de tels conflits, mais l’administrateur délégué de la commune de Tanout et le Chef de canton n’ont pas jugé utile de répondre à votre média.
En attendant de trouver des solutions idoines pour une meilleure coexistence entre agriculteurs et éleveurs, des sanctions administratives ont été prononcées par la plus haute autorité du pays, à la suite du drame d’Amourzouk.
Image de bannière : Bétail dans le village de Ta Kuti dans l’État du Niger au Nigéria. Image de Arne Hoel / Banque mondiale via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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