- Plus d’une centaine de dauphins ont été récemment retrouvés par des habitants sur une plage en Somalie. Le gouvernement, qui enquête sur cet incident, soupçonne des filets de pêches illégales et une pollution de l’eau.
- Les échouages massifs de cétacés se multiplient et touchent aussi bien les côtes africaines qu’européennes et américaines.
- La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), est un phénomène inquiétant. Il constitue une menace importante pour la biodiversité.
- Les solutions contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée existent. Mais, elles sont appliquées de manière variable d’un Etat à un autre ; il faut de plus en plus des applications concertées inter-étatiques et même interrégionales, selon Ysaac Mbile Nguema, expert des questions de lutte contre la pêche INN.
Plus d’une centaine de dauphins ont été récemment retrouvés par des habitants sur une plage en Somalie. Une trentaine, encore en vie, a pu être remise à l’eau. Le gouvernement, qui enquête sur cet incident, soupçonne des filets de pêches illégales et une pollution de l’eau. L’échouage des cétacés est en augmentation en Afrique et ailleurs, ce qui met en lumière certains dangers auxquels ces espèces font face.
Dr Ysaac Mbile Nguema est expert des questions de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), ainsi que consultant en Economie bleue. Il a notamment étudié le rôle des institutions internationales dans le processus de lutte et d’éradication de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Dans une interview accordée à Mongabay, l’expert camerounais parle de l’échouage des cétacés, de l’impact de l’utilisation des filets de pêche non réglementés sur les espèces marines, des conséquences de la pêche illicite ; il préconise par ailleurs des solutions.

Mongabay : Plus d’une centaine de dauphins ont été retrouvés par des habitants sur une plage en Somalie. Une trentaine, encore en vie, a pu être remise à l’eau. Le gouvernement qui enquête sur cet incident soupçonne des filets de pêche illégaux et une pollution de l’eau. Quel est votre sentiment par rapport à cette situation ?
Ysaac Mbile Nguema : La situation des cétacés est dramatique, avec des échouages massifs qui se multiplient à travers le monde. Parmi les plus marquants, on note l’échouage historique de 146 dauphins à Cape Gold, aux États-Unis, le 28 juin 2024, ainsi que celui de 70 dauphins sur l’île de Sanday, au nord-est de l’Écosse, le 11 juillet 2024. De plus, des échouages massifs dans le golfe de Gascogne, en France, ont touché des milliers de cétacés depuis 2016. Ces événements tragiques ne concernent pas seulement les côtes européennes et américaines, mais aussi les côtes africaines. Bien que ces échouages ne soient pas toujours spectaculaires, ils restent extrêmement préoccupants, car la place d’un cétacé est dans l’eau, et non sur les plages.
Parmi les incidents sur les côtes africaines, on relève la découverte d’un lamantin d’Afrique mort le 15 septembre 2021 à Limbé Down Beach, au Cameroun. En 2021, près d’une centaine de dauphins morts ont été retrouvés échoués, sur les plages du Ghana. En 2024, plus de deux tonnes de poissons morts ont été retrouvées sur les berges de la baie de Biétry, en Côte d’Ivoire. Bien que ces poissons ne soient pas des cétacés, ce phénomène ne peut être ignoré, car il traduit des perturbations importantes dans l’écosystème marin.
D’autres événements inquiétants ont aussi été rapportés, comme l’échouage de deux baleines sur une plage de Lomé, au Togo, en 2020. En 2021, une baleine bleue, une espèce menacée, a été retrouvée échouée sur une plage en Namibie. Elle portait des blessures suggérant qu’elle avait été percutée par un navire.
Il est à espérer que l’enquête du gouvernement apporte des éclaircissements sur la cause effective de ce drame historique en Somalie. Cette situation milite en faveur du renforcement des mesures internationales au-delà des mesures nationales prises par les États.
Mongabay : Comment l’utilisation de filets non réglementés peut-elle entraîner de tels incidents pour les espèces marines ?
Ysaac Mbile Nguema : Les filets non réglementés désignent les filets de pêche qui ne respectent pas les normes ou les régulations établies par les autorités compétentes pour protéger les écosystèmes marins et les espèces. Chaque pays définit ses normes, mais les normes les plus fréquentes et communes à tous les pays sont liées à la taille des mailles et au matériau utilisé. Par exemple, les mailles de filet trop petites ou trop grandes facilitent des captures non autorisées. Les cadavres échoués portent souvent des traces apparentes d’engins de pêche, indiquant que les filets sont la cause ou l’une des causes de leur échouage.

Les captures accidentelles sont également liées aux filets non règlementés. Par exemple, la nouvelle loi camerounaise sur la pêche interdit les filets « monofilaments », mais, sauf erreur de ma part, elle ne donne pas de précisions sur la matière du filament. Or, il y a des monofilaments en coton, d’autres monofilaments en nylon. Dans certains pays comme la Guinée, c’est bien précisé monofilament « nylon ». Les monofilaments en nylon se dégradent très lentement. Lorsqu’ils sont perdus ou abandonnés en mer, ils deviennent ce qu’on appelle « filets fantômes » : ils continuent de piéger et de tuer des animaux marins pendant des années et peuvent être à l’origine des échouages.
Il faut également préciser que les filets sont considérés comme non réglementés, c’est en vertu de leurs capacités de nuisance pour les espèces marines. Par exemple, il est établi que les techniques de pêche aux filets maillants, qui capturent les poissons en fonction de leur taille, mais qui peuvent également capturer des espèces non ciblées, ainsi que le chalut-bœuf, une méthode où un grand filet est traîné au fond de l’océan, ne sont pas sélectives. Ainsi, ces techniques peuvent contribuer à la capture des juvéniles ou des cétacés, les blesser, favorisant parfois des échouages. C’est ce qui a amené certains États à interdire le chalut-bœuf, le chalut pélagique, les filets maillants. Dans le golfe de Gascogne en France, la majeure partie des échouages résulte de la pêche. D’où l’interdiction du chalut-bœuf, du chalut pélagique d’une part, et l’obligation de déclaration des captures accidentelles d’autre part. Le chalut pélagique est entendu ici comme une technique de pêche qui consiste à utiliser un grand filet, appelé chalut, pour capturer des poissons vivant dans la colonne d’eau, c’est-à-dire les poissons pélagiques. Ces poissons ne vivent pas au fond de l’océan, mais plutôt dans les couches d’eau supérieures. Le chalut pélagique est controversé, car il peut entraîner la capture accidentelle d’autres espèces marines non ciblées, comme des dauphins ou des tortues.
Mongabay : L’échouage des cétacés devient de plus en plus fréquent et ne semble pas toujours lié à l’activité de pêche. Qu’en pensez-vous ?
Ysaac Mbile Nguema : L’observatoire Pelagis en France a rendu public, en 2024, les résultats d’une étude qui démontre que la fermeture temporaire de la pêche a réduit de manière significative le nombre de cétacés échoués. Pendant une période de fermeture d’un mois, le nombre de dauphins retrouvés morts sur la côte atlantique a été divisé par quatre, démontrant ainsi qu’il pourrait avoir un lien entre l’activité de pêche et les échouages. Maintenant, il faut des études complémentaires pour déterminer les pourcentages d’échouages liés aux filets, à l’activité des navires, à la pollution ou à d’autres causes.
Cependant, la pêche n’est pas toujours à l’origine des échouages. Nous avons également les collisions des navires avec les cétacés et la pollution. En outre, il existe des causes naturelles. Entre autres : le vieillissement, les pathologies infectieuses, la prédation. Néanmoins, les engins de pêche restent une cause importante des échouages dans le monde, car les cétacés peuvent être capturés accidentellement dans certains types de filets ou dans les traînées de chaluts. Ces dispositifs de pêche, comme les filets maillants ou le chalut-bœuf, ne sont pas sélectifs et peuvent capturer des animaux marins de tailles et d’espèces variées, y compris les cétacés. Lorsqu’un cétacé se retrouve pris dans ces engins, il peut se noyer ou subir des blessures graves, ce qui augmente le risque d’échouage. Ces événements peuvent également être causés par des engins abandonnés ou dérivants, appelés « engins fantômes », qui continuent de piéger et de tuer des animaux marins longtemps après avoir été laissés à l’eau.
Mongabay : Dans certains pays comme le Cameroun, les pêcheurs se plaignent de la non-disponibilité des filets de pêche adéquats, ou alors lorsqu’ils sont disponibles, ils sont plus chers et moins résistants que les filets interdits. Comment expliquer cela ?
Ysaac Mbile Nguema : On est face à la loi de l’offre et de la demande qui fait que certaines choses importées sont souvent plus chères que leur équivalent fabriqué localement. Ce phénomène n’est pas unique aux filets de pêche, on peut l’observer dans d’autres domaines comme l’agroalimentaire, la mode, etc. Comme on l’a dit plus haut, chaque pays définit ses normes en matière de filet, mais les normes les plus fréquentes et communes à tous les pays sont liées à la taille des mailles et au matériau utilisé. Avec le commerce international, il se trouve que des filets conformes ailleurs, mais non conformes aux lois camerounaises, peuvent se retrouver sur le marché local. On a par exemple des filets venus du Nigeria qui sont parfois moins chers que ceux commercialisés au Cameroun.
Les mailles de filets se mesurent au Cameroun en termes de doigts. On a par exemple des filets de 2 doigts et demi jusqu’à 4 doigts utilisés pour les carpes, les machoirons et des filets de grande pêche à mailles de 5 à 8 doigts utilisés pour la pêche du Kanga, un poisson qu’on retrouve dans les eaux camerounaises. En Afrique de l’Ouest, les mailles se mesurent avec des chiffres : 8, 10, 12… Il y a des problèmes de concordance qui font que, parfois, un filet légal ailleurs, est illégal dans un autre pays, en fonction de la quantité et de la taille de la population aquatique de ce pays.
Cependant, rien ne justifie un recours intentionnel à des types de filets interdits. Cela d’autant plus que le Cameroun est engagé dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée depuis le carton rouge attribué par l’Union européenne, en janvier 2023.
Mongabay : Quelles sont les pratiques les plus fréquentes associées à la pêche illicite qui affectent directement les dauphins et d’autres espèces marines ?
Ysaac Mbile Nguema : L’impact direct sur les dauphins et les espèces marines ne peut provenir que du recours aux techniques de pêche peu sélectives et destructrices de l’environnement marin. Il s’agit notamment du chalut-bœuf, du chalut pélagique. Toutefois, il faut souligner que les pratiques licites peuvent s’accompagner de la capture des cétacés. D’où la notion de captures accidentelles et l’obligation de déclaration des captures accidentelles dans certains contextes.
Mongabay : Quelle est l’ampleur de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée en Afrique et son impact sur la biodiversité ? Pouvez-vous citer un cas qui vous a le plus marqué et pourquoi ?
Ysaac Mbile Nguema : La quantification de l’ampleur de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée n’est pas une chose facile. En 2016, le Bureau Inter-Africain pour les Ressources Animales (UA-BIRA), a publié une étude intitulée Economic, Social And Environmental Impact Of Illegal, Unreported And Unregulated Fishing In Africa, qui donne des renseignements importants sur le pourcentage des captures illicite, non déclarée et non réglementée dans chacune des cinq régions de l’Afrique. Les chiffres étant anciens, je préfère ne pas les donner.
Il y a plusieurs études qui démontrent que la pêche illicite, non déclarée et non réglementée est un phénomène inquiétant sur le continent. Les publications des ONG telles que Greenpeace, EJF, Stop Illegal Fishing et d’autres travaux s’accordent sur l’importance du fléau sur le continent. Elle constitue, pour l’Union africaine, une menace importante pour le développement de l’économie bleue en Afrique.
La pêche illicite, non déclarée et non réglementée, a des conséquences multiples sur la biodiversité. Elle a un impact sur les stocks halieutiques et l’écosystème marin du fait de l’usage des techniques et méthodes de pêche interdites et peu sélectives. L’impact sur les espèces concerne la diminution des stocks et la prise des espèces non ciblées, notamment les juvéniles et les espèces protégées comme les tortues marines ou les mammifères marins. La pêche illicite, non déclarée et non réglementée réduit les stocks halieutiques en raison de la surpêche qu’elle engendre, car les pêcheurs ne respectent ni les zones de pêche interdites, ni les temps de repos biologique pour la reproduction, ni les tailles des poissons, ni les mesures de restriction. Ainsi, ce type de pêche contribue inéluctablement à la diminution des ressources halieutiques. C’est un drame pour la durabilité des pêcheries africaines.
Le cas qui me marque le plus est l’incursion des navires de pêche industriels dans les zones réservées à la pêche artisanale. Cela met à mal la survie des communautés côtières qui dépendent des activités de pêche.
Mongabay : Quelles sont les solutions possibles pour lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée ; afin de minimiser ses impacts sur la population aquatique ?
Ysaac Mbile Nguema : La lutte contre la pêche illicite n’est pas nouvelle. Elle est d’ailleurs devenue une norme internationale depuis l’adoption du Plan d’action international de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée en 2001 par la FAO. C’est pour dire que les solutions existent, elles sont appliquées de manière variable d’un État à un autre ; il faut de plus en plus des applications concertées interétatiques et même interrégionales. Globalement, nous avons des solutions juridiques, opérationnelles, coopérationnelles et technologiques.
Les solutions juridiques concernent l’adoption des cadres juridiques nationaux suffisamment dissuasifs, sévères et intégrants les responsabilités de l’État en matière de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée.
Les solutions opérationnelles consistent au renforcement du dispositif de surveillance, des capacités opérationnelles en mer, de l’organisation des opérations conjointes de surveillance des pêches. La Commission sous-régionale des pêches est un bel exemple sur ce plan.
Les solutions coopérationnelles sont de trois ordres. Premièrement, le renforcement de la collaboration inter administrations au niveau interne. Deuxièmement, le renforcement de la coopération interétatique qui peut être bilatérale, sous-régionale, régionale ou internationale. Troisièmement, le développement des partenariats public-privé dont l’utilité a été démontrée dans certains pays africains comme le Sénégal, la Sierra-Léone, la Somalie, le Gabon…
Les solutions technologiques concernent l’utilisation des nouvelles technologies dans la surveillance des navires de pêche, tels que Global Fishing Watch, Yaris…

Mongabay : Quel est votre lien avec l’océan ? Pouvez-vous nous partager une anecdote ou un fait qui vous rend particulièrement fier lorsqu’on parle des océans ?
Ysaac Mbile Nguema : Dieu a voulu que je sois un fils du département de l’Océan dans la région du Sud-Cameroun. Ce don est un privilège que la vie m’a fait et j’en suis heureux. Ce lien naturel a eu raison de moi dans la suite de mon parcours depuis 2014 : le domaine maritime et océanique étant devenu mon principal champ de recherche. Lorsque l’on parle des océans, je vois tout de suite ces pêcheurs rentrant des jours passés en mer. Je me dis que l’océan contribue à la vie humaine. Il mérite d’être protégé.
Il y a plusieurs années, je voyais des pêcheurs revenir de la mer avec de grandes quantités de poissons. Ils étaient fiers et heureux de pratiquer cette activité qui leur permettait de vivre, de payer des études à leurs enfants, de se soigner. Aujourd’hui, le poisson se fait rare, ces pêcheurs doivent aller de plus en plus loin pour trouver du poisson. Ils n’arrivent plus à vivre de la pêche et font souvent face à la concurrence déloyale des acteurs qui utilisent des moyens illégaux et non réglementés. Je suis fier aujourd’hui d’être engagé dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et de contribuer à permettre à toutes les communautés qui vivent de la pêche de garder leur dignité.
Mongabay : Y-a-t-il quelque chose que je n’ai pas demandé, mais, que vous auriez souhaité partager avec les lecteurs ?
Ysaac Mbile Nguema : Oui, une chose qui a bouleversé ma vision sur la lutte contre les crimes en mer. Entre mai et août 2018, durant mon parcours doctoral, je menais des enquêtes de terrain à Dakar au Sénégal ; je me suis rendu à l’île historique de Gorée. L’expérience a été douloureuse. Je pouvais ressentir l’âme et les cris des esclaves noirs qui, embarqués de force, devaient traverser l’océan. Cela m’a donné une forte conviction quant à la double nécessité de l’humanité dans les cœurs des hommes et de la lutte contre tous les crimes en mer. L’océan doit continuer d’être ce pourquoi il existe : une source de vie et non de douleurs et de morts.
Image de bannière : Des cétacés dans les eaux de Sri Lanka. Image par Mongabay.
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