- À Soubré, au sud-ouest de la Côte d'Ivoire, les producteurs de cacao font face à une crise sans précédent, marquée par des sécheresses prolongées, des pluies destructrices et l’apparition de maladies qui ravagent les plantations.
- Face à la chute des rendements, de nombreux agriculteurs abandonnent le cacao au profit de cultures comme l’hévéa ou le palmier à huile, ou se reconvertissent dans d’autres activités.
- Les producteurs de Soubré appellent les autorités et les experts à agir en urgence à travers des mesures concrètes.
Parfait Koffi Yao confie que l’année 2024 a été marquée par des pluies particulièrement violentes dans la région de Soubré, une ville du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, appartenant à la région de la Nawa dont elle est le chef-lieu. Le village d’Obrouayo, situé à 18 kilomètres de Soubré, une des principales zones de production de cacao du pays, a payé un lourd tribut. Une vingtaine de producteurs ont vu leurs plantations submergées par les eaux du fleuve Sassandra. Ces inondations ont détruit des hectares entiers de cacaoyers, anéantissant des mois de travail et laissant les producteurs sans ressources.
« Pendant la campagne de décembre, ces planteurs n’ont pu rien produire. Le fleuve Sassandra est sorti de son lit et a inondé les plantations. C’est du jamais vu dans la région. Depuis 2006 que je suis ici à Soubré, c’est la première fois que cela arrive », a dit Yao, coordonnateur régional de la Ligue ivoirienne des organisations professionnelles agricoles (Lipopa), et président du Conseil d’administration de la Société coopérative des producteurs d’Ottawa (Scopao), un gros village situé à 40 km de Soubré.
Contrairement à 2024, la sécheresse prolongée de ce début d’année 2025 aggrave encore la situation. En témoignent les nombreuses plantations de cacao aperçues sur l’axe Soubré-Obrouayo, dont les feuillages ont complètement séché.

Célestin Oura, planteur à Kossou, un campement proche d’Obrouayo, témoigne : « Depuis le début de l’année, il n’a plu que deux fois. Avant, les périodes sèches ne duraient pas aussi longtemps. Une saison sèche, à l’époque, pouvait durer tout au plus un mois. Maintenant, elles s’étendent sur trois à quatre mois, et les plantations en souffrent énormément ».
Il ajoute, décrivant les souffrances des producteurs : « Des plantations qui ont à peine 15 ans sont complètement détruites. Chaque année, des pieds de cacao meurent. On essaie d’apporter des engrais sur ceux qui résistent un peu, mais la production reste faible. Les dépenses sont tellement élevées qu’on n’arrive plus à faire de bénéfices. L’activité n’est plus rentable comme avant, et on ne sait vraiment plus quoi faire ».
Une visite guidée dans le campement de Kossou nous a permis d’apercevoir des champs de cacao détruits, d’autres à l’abandon, envahis par la broussaille.
Le constat est donc alarmant : les plantations disparaissent peu à peu sous l’effet conjugué des conditions climatiques extrêmes et de maladies inédites telles que le swollen shoot, une maladie qui attaque les cacaoyers et se propage rapidement en raison de la dégradation des sols. Cette maladie virale du cacaoyer transmise par des cochenilles, provoque un gonflement des tiges, un jaunissement et un enroulement des feuilles, entraînant une baisse de production et la mort des arbres.
« Le producteur souffre. Le réchauffement climatique est un fléau que nous ne maîtrisons pas. Avant, nous avions des repères précis pour traiter nos plantations. Aujourd’hui, tout est bouleversé. Il pleut à des moments inattendus, les périodes de sécheresse sont plus longues et plus intenses, et cela détruit nos cultures », dit Yao.
Selon lui, les changements climatiques perturbent profondément les cycles agricoles. Le cacao, plante exigeante en eau mais sensible aux excès d’humidité, est particulièrement touché. À l’en croire, l’alternance irrégulière de sécheresses prolongées et de pluies diluviennes empêche une bonne croissance des cacaoyers.
« Si vous prenez aujourd’hui les différentes contrées, vous verrez que toutes les plantations sont en train de disparaître. Et il y a des maladies que nous ne connaissions pas et qui sont venues s’installer sur nos vergers. Je veux parler du swollen shoot. Par le passé, un hectare de cacao produisait environ 600 kilogrammes de fèves. Aujourd’hui, nous sommes à peine à 50 kilogrammes. Même avec 4 ou 5 hectares, il devient difficile d’atteindre une tonne », a-t-il dit.

Réaction des producteurs face à cette crise climatique
Pour tenter de pallier ces difficultés, les producteurs collaborent avec le Conseil Café-Cacao à travers des initiatives visant à encourager les pratiques agricoles durables, notamment le reboisement pour protéger les sols et créer un climat plus favorable aux plantations.
« Nous sommes en partenariat avec différentes sociétés coopératives et le Conseil Café-Cacao pour sensibiliser les producteurs, dont les plantations ont été détruites, à pratiquer le reboisement, afin d’avoir un peu d’ombrage. Je ne pense pas qu’il y ait eu d’autres mesures prises pour contrer ce fléau », a indiqué Yao.
De son côté, Oura informe que des agents du Conseil Café-Cacao ont récemment distribué de nouvelles graines de cacao aux planteurs, mais, selon lui, cela n’a pas eu l’effet escompté. « L’année dernière, un contrôleur du Conseil Café-Cacao est venu à Kossou nous rencontrer. Il nous a dit qu’il nous enverrait des graines de cacao, et certains en ont pris. Mais le problème, c’est qu’une fois plantées, elles poussent normalement, mais dès que la saison sèche arrive, tout se gâte », a-t-il dit.
Le Conseil Café-Cacao, qui gère toutes les activités de la filière café-cacao en Côte d’Ivoire, dispose de plusieurs délégations régionales à travers le pays, dont une à Soubré. Nos tentatives pour rencontrer les responsables de cette délégation ont malheureusement été infructueuses.

La production du cacao, une activité de moins en moins rentable
La baisse des rendements et l’augmentation des coûts de production poussent de nombreux agriculteurs à abandonner la culture du cacao. À en croire Oura, certains producteurs se tournent vers d’autres cultures, comme l’hévéa ou le palmier à huile, perçus comme plus résistants aux aléas climatiques.
Jean Kouakou, chauffeur de taxi-brousse, rencontré sur le chemin du retour d’Obrouayo, confie : « J’ai hérité d’une plantation de deux hectares, mais elle ne produit plus rien. Entre les maladies, la sécheresse et le coût des engrais, je n’arrivais plus à m’en sortir. J’ai préféré devenir chauffeur pour pouvoir joindre les deux bouts ».
Kouakou a même marqué un coup d’arrêt au niveau d’un campement nommé Ndrikankro, situé sur l’axe Soubré-Obrouayo, afin de nous montrer ses terres, aujourd’hui envahies par des cacaoyers dont les feuilles ont complètement séché. Lui aussi prévoit de remplacer ses plants de cacao par ceux de l’hévéa.
Ce désintérêt croissant pour la culture du cacao pourrait avoir de lourdes conséquences sur l’économie nationale. La Côte d’Ivoire, premier producteur de cacao avec 45 % de la production mondiale (soit plus de 2 millions de tonnes chaque année), repose en grande partie sur cette filière. Si cette situation se pérennise, le pays pourrait voir sa production décliner drastiquement dans les années à venir.
Un appel urgent à l’action
Visiblement impuissants face à cette situation, les producteurs de la région de la Nawa, situé au sud-ouest du pays, lancent un cri de détresse aux autorités et aux experts du climat.
« Nous avons besoin d’un accompagnement concret de la part des spécialistes du climat. Ceux qui sont formés et qualifiés en la matière doivent s’approcher des sociétés coopératives pour les aider à mieux comprendre et maîtriser ces changements climatiques. Aujourd’hui, nous sommes totalement dépassés et ne savons plus comment entretenir nos plantations », a dit Yao.

Même inquiétude du côté d’Oura, qui interpelle directement les autorités ivoiriennes : « La culture du cacao est notre principale activité, c’est ce que nous savons faire de mieux. Mais la situation devient de plus en plus difficile. Nous demandons une intervention urgente des autorités pour nous aider à surmonter cette crise ».
Face à ces préoccupations, Junior Dacoury, ingénieur agronome, apporte son éclairage sur les causes de cette crise climatique. Selon lui, l’exploitation excessive des terres pour la culture du cacao est l’un des principaux facteurs responsables des perturbations climatiques.
« La situation que vivent ces planteurs est directement liée à la déforestation. Pour faire leurs plantations, les producteurs détruisent la forêt, ce qui entraîne un déséquilibre écologique et un manque de pluie », explique-t-il au téléphone à Mongabay.
Cependant, il estime que des solutions existent pour atténuer ces effets néfastes. Il a évoqué l’agroforesterie qui consiste à intégrer des arbres forestiers dans les plantations de cacao pour recréer un climat favorable, et encore la reforestation qui vise à planter des arbres sur des terres communautaires pour restaurer l’équilibre environnemental.
L’expert souligne également l’importance de la sensibilisation : « Ce sont les planteurs eux-mêmes qui, sans le vouloir, participent à la déforestation. Il est crucial de mener des campagnes de sensibilisation pour leur faire comprendre l’intérêt de l’agroforesterie et de la reforestation. En parallèle, des formations techniques doivent être initiées pour leur apprendre à appliquer ces pratiques ».
En attendant des mesures concrètes, les producteurs continuent de subir les effets du changement climatique, avec l’espoir que leur appel à l’aide sera entendu avant qu’il ne soit trop tard.
Image de bannière : Impuissants face à la destruction progressive de leurs plantations de cacao, des planteurs de Soubré ne savent plus vers qui se tourner. Image de Gaël Zozoro pour Mongabay.
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