- Une étude révèle que l'insécurité alimentaire en Afrique subsaharienne est croissante, en raison de l’augmentation rapide de la population et de la faible productivité agricole.
- L’étude indique que la plupart des pays d'Afrique subsaharienne ne disposent pas de ressources financières nécessaires pour les dépenses agricoles ; l'aide étrangère est donc un moyen potentiel de combler ce déficit de ressources.
- Elle souligne que des stratégies telles que le contrôle de la population, la réduction de la pauvreté et l'augmentation de l'accès à la terre agricole peuvent aussi améliorer la sécurité alimentaire.
- Les experts pensent que l’Afrique est capable de produire sans l’aide étrangère, à condition de remédier à certaines faiblesses structurelles internes.
Une étude indique que l’aide agricole étrangère contribue à améliorer la sécurité alimentaire à long terme, notamment dans les pays où la situation alimentaire est relativement précaire.
Publiée en janvier 2025, dans la revue Wiley Online Library, cette étude a analysé l’impact de l’aide agricole étrangère sur la sécurité alimentaire dans 40 pays d’Afrique subsaharienne (ASS), entre 1990 et 2020, « Il est clair que la plupart des pays d’Afrique subsaharienne ne disposent pas de ressources financières nécessaires pour allouer des fonds suffisants aux dépenses agricoles. L’aide agricole étrangère, qui peut jouer un rôle essentiel dans le soutien des initiatives de sécurité alimentaire dans la région, est un moyen potentiel de combler ce déficit de ressources », signale l’étude.
Elle révèle que « l’aide agricole étrangère est plus efficace lorsque la sécurité alimentaire est relativement faible, son impact diminuant progressivement à mesure que la sécurité alimentaire s’améliore ».
Le Secrétaire exécutif national de Agir pour la Sécurité et la Souveraineté Alimentaire (ASSA), une plateforme de la société civile en République démocratique du Congoqui intervient dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, Roger Pholo Mvumbi, n’est pas d’accord qu’on dise que les pays africains ne disposent pas de ressources financières nécessaires pour soutenir l’agriculture.
« Les pays africains ont suffisamment d’argent, mais qui est mal réparti. On privilégie les institutions budgétivores qui consomment une grande partie du budget national, alors qu’on pouvait inverser la donne en finançant un peu plus l’agriculture, l’élevage, la pêche ou la pisciculture, pour que la population ait de la nourriture à suffisance. Nous sommes contents de recevoir du riz sous la forme d’aide agricole, alors que nous pouvons produire ce riz à grande échelle », dit Mvumbi à Mongabay.
« Les politiques doivent être pensées au niveau national et ne pas attendre l’aide extérieure pour financer l’agriculture. L’accord de Maputo proposait que chaque pays réserve un budget de 10 % pour l’agriculture. Les pays n’appliquent pas toujours cela. L’année passée, par exemple, le budget de l’agriculture était de 3 % en RDC. Cette année, on parle de 13 %, il y a quand même une amélioration », a-t-il ajouté.

Pour Dr Gérard De La Paix Bayiha, consultant indépendant en économie des transitions agricoles, les pays d’Afrique subsaharienne ont beaucoup plus un problème de répartition des fonds que de disponibilité des moyens. « Depuis de longues années, nous constatons une dépendance vis-à-vis des pays dits industrialisés dans le secteur agricole à deux niveaux : le financement et les institutions. Concernant le financement, cela est dû au problème de la segmentation des ministères. Nous avons, par exemple, un ministère de l’élevage, un ministère de l’agriculture, un ministère des forêts, ce qui entraine une dispersion des ressources financières qui peuvent être mobilisées, soit au niveau national, soit au niveau régional ou international », dit Bayiha à Mongabay.
Une population sous-alimentée
L’étude met en évidence la croissance de l’insécurité alimentaire en Afrique subsaharienne et révèle. « Environ 22,5 % de la population est sous-alimentée ». « La région fait face à un défi important en matière de sécurité alimentaire, en raison de la croissance rapide de la population et de la faible productivité agricole. En 2050, la population devrait atteindre 1,5 milliard, nécessitant 360 % de nourriture en plus ? par rapport à la production de 2006 », écrivent les auteurs.
Cette recherche souligne l’importance à surveiller l’utilisation de l’aide agricole étrangère pour améliorer la sécurité alimentaire. Elle recommande de prioriser l’amélioration des infrastructures agricoles, comme les installations de stockage et les routes d’accès aux fermes, afin d’assurer une livraison efficace des produits.
L’aide devrait également viser à réduire l’écart de rendement, car la terre agricole produit actuellement environ 50 % de moins que sa capacité potentielle. Des financements devraient soutenir des stratégies telles que la gestion des sols et l’amélioration de la qualité des semences pour augmenter les rendements.
Enfin, l’aide pourrait être utilisée pour résoudre des problèmes liés à l’eau, notamment en améliorant les systèmes d’irrigation et en subventionnant des machines pour l’agriculture mécanisée. Les auteurs de l’étude pensent qu’« en affectant stratégiquement l’aide agricole étrangère à ces domaines, la sécurité alimentaire des pays bénéficiaires peut être améliorée de manière significative ».

Pour ce qui est de l’utilisation de l’aide agricole étrangère pour améliorer les infrastructures agricoles et réduire l’écart de rendement, Bayiha pense que le fait de la mobiliser peut conduire à une dépendance vis-à-vis des donateurs, qui vont ainsi orienter la gestion des infrastructures agricoles des pays de cette partie du continent.
« En conséquence, l’Afrique subsaharienne sera fortement dépendante de ces bailleurs et, en cas d’arrêt de l’aide, l’impact va se ressentir au plus vite. Cependant, j’ai travaillé dans un projet portant sur la sécurité alimentaire et nous avons constaté que les infrastructures agricoles sont un élément important pour renforcer les chaines de valeur agricole, qui vont concourir à la sécurité alimentaire. De ce point de vue, je suis en accord avec cette proposition de l’étude », dit-il.
Bayiha explique à Mongabay que, dans la plupart des cas, l’aide internationale porte sur le développement de l’agriculture conventionnelle. « Malgré le potentiel qu’a cette agriculture en matière de productivité, nous constatons qu’il y a toujours des personnes en situation d’insécurité alimentaire. La réflexion devrait peut-être se porter sur l’aide pour le développement d’autres modèles agricoles adaptés au continent, comme l’agroécologie. L’objectif serait de favoriser la coexistence de ces modèles pour que chacun, avec ses forces, puisse contribuer à l’atteinte de la sécurité alimentaire », affirme-t-il.
Mvumbi explique qu’au lieu de surveiller l’utilisation de l’aide agricole, les États devraient penser à des politiques agricoles qui répondent au mieux aux aspirations de la population.
« L’Afrique subsaharienne est tombée dans le piège où on pense plus à l’exploitation minière, à l’exploitation des ressources naturelles et peu à l’agriculture. Quand il y a même de grandes plantations agricoles, ce sont des cultures pérennes que nous n’arrivons pas à transformer. Nous cultivons le cacao, l’hévéa, le café et ce sont les pays développés qui en profitent. Nous ne pensons pas à produire les céréales, le riz ou le manioc à grande échelle. La RDC, par exemple, a besoin de 13 millions de tonnes de maïs par an, et le pays n’en produit que trois, alors que nous avons de grands espaces. Nous avons presque 80 millions de terres arables, mais nous pensons plus aux minerais », dit-il.

L’Afrique invitée à contrôler ses naissances
L’étude indique également que la taille de la population a un impact négatif sur la sécurité alimentaire et dans les pays confrontés à l’insécurité alimentaire, car « la corrélation entre la croissance rapide des populations et l’insécurité alimentaire généralisée dans certaines économies n’est pas une coïncidence ». « Les taux de natalité en Afrique subsaharienne sont considérablement plus élevés que dans d’autres régions du monde. Cette population croissante, combinée à une productivité agricole limitée, soulève de grandes inquiétudes concernant l’insécurité alimentaire. Les décideurs sont encouragés à aborder le contrôle de la population à travers des programmes de planification familiale ».
Bahiya partage cette proposition. « Par exemple, au Cameroun, nous retrouvons des programmes de planification familiale menés au sein des hôpitaux jusqu’au niveau décentralisé. Il est juste indispensable que ces programmes soient adaptés à chaque contexte », dit-il.
De son côté, Mvumbi pense que la population constitue une main-d’œuvre potentielle. « Je ne connais aucun pays qui s’est développé parce qu’il a contrôlé la population pour améliorer sa sécurité alimentaire. Bien au contraire, quand la population grandit, nous pouvons occuper de grands espaces et nous avons de la main-d’œuvre. L’Afrique a sa main-d’œuvre qui est mal utilisée et les politiciens n’arrivent pas à planifier de grands programmes agricoles, pour permettre de manger à suffisance. On voit que les autres continents lancent des programmes d’immigration pour avoir la main-d’œuvre. Pour moi, la question du contrôle des naissances est un faux débat, c’est juste une distraction qu’on veut nous amener, c’est une façon d’affaiblir l’Afrique », explique-t-il.
Le débat sur le contrôle des naissances en Afrique n’est pas nouveau. En 2017, en marge du sommet du Groupe des 20 pays les plus riches (G20), à Hambourg, un journaliste a interrogé le président Emmanuel Macron sur l’aide des pays riches pour « sauver l’Afrique ». Le chef de l’État français lui a répondu : « Quand des pays, aujourd’hui, ont encore 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser plusieurs milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ».
Des experts avaient protesté à travers le continent à la suite de ces propos et avaient tenté de démontrer que le taux de natalité en Afrique est très variable d’un pays à l’autre et que la croissance démographique « peut s’avérer bénéfique pour l’économie africaine, à condition de s’accompagner justement d’importants investissements dans l’éducation et d’un marché de l’emploi dynamique ».
Le démographe burkinabè Jean-François Kobiané avait par exemple expliqué que la baisse de la natalité n’est pas toujours une solution. « C’est le cas de certains pays du Maghreb où l’on a enregistré une baisse importante de la fécondité accompagnée d’une hausse de l’éducation des jeunes. Mais ces derniers se sont retrouvés massivement sans emploi, à cause d’un marché du travail peu dynamique. Un phénomène qui est en partie à l’origine du Printemps arabe », a-t-il dit en 2017 dans une interview.

Solutions
L’étude explique que le risque d’insécurité alimentaire augmente avec la pauvreté. Les décideurs devraient développer des politiques visant à augmenter les revenus des citoyens.
Par exemple, il est essentiel de donner la priorité aux politiques qui réduisent le chômage à moyen et long terme ou encore d’introduire des programmes d’aide alimentaire pour les groupes vulnérables.
« Le lien entre les terres agricoles et la sécurité alimentaire est évident, car l’augmentation des terres agricoles entraîne généralement une augmentation de la production alimentaire. Cependant, de nombreuses personnes ne peuvent pas s’accorder des terres agricoles. Les responsables politiques peuvent aider, en établissant des lois pour faciliter l’accès aux terres agricoles et en mettant en œuvre des réglementations qui protègent les petits agriculteurs contre les activités de spoliation des terres », propose les auteurs de l’étude.
Mvumbi pense que le Cameroun est presque dans la même situation que la RDC. « Nous avons de grands espaces. Il y a de la nourriture en abondance qui pourrit, parce qu’elle n’est pas bien canalisée vers la population. On constate un gaspillage alimentaire à travers le monde. Si nous avons des infrastructures pour transformer et conserver nos produits agricoles, l’Afrique ne pourra pas mourir de faim », dit-il.
Pour Bayiha, la pauvreté, qui est un élément influençant la sécurité alimentaire, ne peut se concentrer uniquement sur le revenu. « La pauvreté est multidimensionnelle, c’est-à-dire qu’elle se révèle au niveau du revenu, de l’éducation, des conditions de vie et de la santé, pour ne citer que ceux-là. L’ensemble de ces éléments influence la sécurité alimentaire. Il faudrait mettre en œuvre des initiatives visant à réduire la pauvreté multidimensionnelle des citoyens », dit-il.
Les experts proposent des solutions diverses pour sortir de l’insécurité alimentaire. Mvumbi pense que pour lutter contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition, il faut mettre en place des politiques agricoles qui favorisent la promotion des initiatives de développement local, qui valorisent les marchés territoriaux et locaux et qui soutiennent l’amélioration des revenus des paysans.
« L’Afrique devra œuvrer pour une société africaine libérée de la faim, de la malnutrition et de la dépendance alimentaire. Nous devons être libérés de cette dépendance, car nous sommes des prisonniers. Nous sommes capables de produire sans cette aide, si nous avons des politiques bien planifiées. La sécurité alimentaire est à cette condition. L’Afrique doit agir ensemble et maintenant pour la souveraineté alimentaire », dit-il.
« On devrait améliorer les faiblesses au niveau des chaînes d’approvisionnement alimentaire, des environnements alimentaires et des comportements des consommateurs », conclut Bayiha.
Il faut noter que cette étude a été publiée avant le débat actuel sur le gel de l’aide internationale américaine.
Image de bannière : Des commerçants locaux enregistrent les utilisateurs du centre de distribution de bons d’achat du camp d’Abu Shouk pour personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI), au nord du Darfour. Image d’Albert González Farran – MINUAD via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citation :
Mehmet, B., Godwin, O-W., Berkan, T. (2025). Achieving National Food Security in Sub-Saharan African Countries: The Role of Foreign Agricultural Aid. Wiley Online Library. doi.org/10.1002/fes3.70042
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