- Une proposition pour la plus vaste aire protégée du monde est annoncée le 15 janvier 2025 en République démocratique du Congo.
- Les autorités congolaises espèrent aussi connecter un couloir écologique long de 2 400 km.
- Selon le gouvernement, le « Couloir vert Kivu-Kinshasa » alliera aspirations économiques et préservation des forêts primaires et tourbières encore intactes.
- Il reste une série de défis à régler afin de réaliser ces ambitions, dont un besoin des fonds importants.
Long de 2 400 km, l’idée d’un « Couloir vert Kivu-Kinshasa » reliera l’est à l’ouest après avoir longé le majestueux fleuve Congo, au cœur des massifs forestiers du bassin du Congo, le 2e plus important au monde après l’Amazonie. Ce projet propose d’allier conservation de la nature et développement économique, avec en son sein plus de 100 000 km2 de forêt primaire et 60 000 km2 de tourbières.
Kinshasa espère également créer 20 000 emplois à travers des projets agricoles et de préservation de la nature, et contribuer à réduire la violence, tout en unissant l’est et l’ouest de pays. Cette aire protégée part, en effet, de la ville de Beni dans le Nord-Kivu et du sud de la province voisine de l’Ituri, où sévissent de nombreux groupes armés dont l’ougandais ADF, vers Kinshasa dans le sud-ouest.
« Le fait qu’elle donne une place importante à la consultation des communautés locales est un signal fort qui montre un début de changement de paradigm », estime Romain Duda, un anthropologue français qui a travaillé sur les peuples autochtones Twa de la RDC, « mais il faut aussi se méfier de telles annonces très politiques. L’ambition semble presque démesurée notamment compte tenu des conflits d’intérêts autour des ressources naturelles qui existent dans la zone du projet, c’est-à-dire le long de la partie navigable du fleuve Congo, qui est rappelons-le constitue l’artère économique et sociale du pays ».

Inquiétudes sur le consentement libre et éclairé des populations
L’ampleur du projet Couloir vert Kivu-Kinshasa suscite les inquiétudes depuis son annonce en novembre 2024. Joseph Bobia du BVGNR établi à Kinshasa ne comprend pas que le gouvernement se soit passé des consultations des populations s avant la création de cette aire protégée. Il érige dans celle-ci l’exigence absolue d’obtenir le consentement libre et éclairé des populations pour tout projet vert à venir. « Réaliser à posteriori tous ces préalables donne l’impression qu’à la suite de l’enquête publique, les droits préexistants des parties dans la Zone peuvent tomber ou être annulés pour besoin d’utilité publique », commente Bobia.
A ce propos, Kapupu Diwa, responsable de la Ligue nationale des peuples Pygmées (LINAPICO), contacté par téléphone par Mongabay, assure que lui et son réseau d’associations membres n’ont pas été consultés en amont.
Bien plus, il apparaît chez les personnes interrogées la confusion sur les modalités de gestion de la nouvelle aire protégée. « On se demande comment quelque chose de communautaire va être géré par l’ICCN. On a mélangé deux choses : aire protégée et communautaire. Mais comme c’est déjà officialisé, on attend voir comment ça va fonctionner », explique Diwa.
Cette situation pourrait créer de nouveaux conflits connus autours des aires protégées de création coloniale. C’est ce qu’estiment certaines ONG telle que Greenpeace. Tout en le félicitant pour le projet, Greenpeace exhorte Kinshasa « à reconsidérer son approche qui n’a pas suffisamment intégré les peuples autochtones, les communautés locales et les parties prenantes concernées, ainsi que d’autres acteurs multisectoriels ».
La RDC dispose déjà d’une diversité de types d’aires protégées, mais toutes ne présentent pas un tableau de gestion et d’efficacité pareil. Le gouvernement présente le Virunga qui sert de référence pour un « modèle de stabilisation par la combinaison du développement économique et de la conservation de la nature ».
Mais plusieurs aires protégées dépendent des apports extérieurs.

Qui financera alors ce couloir vert ?
Le décret qui crée le Couloir vert Kivu-Kinshasa n’énonce pas les sources de financements du projet. Il s’ouvre cependant aux partenariats publics-privés, avec des allègements fiscaux pour les investissements engagés dans la logique du développement durable. Ensuite, il faut signaler que même si les coûts du couloir vert ne sont pas connus à ce jour, les besoins du pays en matière de lutte contre les changements climatiques sont chiffrés à 4,8 milliards de dollars l’an, soit 48,68 milliards de dollars américains pour le quinquennat 2022-2026, d’après le Plan national d’adaptation aux changements climatiques (p.46).
Dans son document de travail sur le Couloir vert que Mongabay a consulté, l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) explique que « les nombreux fonds d’investissements verts existant déjà sur la scène financière internationale seront intéressés à financer des projets qui s’inscriront dans le cadre du Couloir vert ».
Ce projet « nécessiterait non seulement une aide étrangère et des investissements privés importants, mais également un plan cohérent pour garantir que ce financement parvienne réellement à destination du terrain », commente Joe Eisen, directeur exécutif de la Fondation Rainforest du Royaume-Uni.
Or, au niveau international, des bailleurs des fonds auraient peur d’injecter des fonds dans des projets congolais de changements climatiques selon un rapport intitulé « Attentes et désillusion de financements climatiques en République démocratique du Congo » publié le 24 octobre 2024 par l’institut de recherches Ebuteli et le Groupe d’étude sur le Congo (GEC). L’analyse d’Ebuteli et GEC souligne que l’abondance des ressources congolaises nécessaires à la lutte contre les changements climatiques ne suffisent pas pour lever des fonds.
Leur rapport estime qu’il faut des garanties sur « la bonne gouvernance, le climat des affaires, la stabilité socio-économique et politique, la capacité à mettre en œuvre des politiques de manière efficace et efficiente, la capacité à contrôler la corruption, ou encore l’existence d’un cadre juridique transparent ».

Pour une gouvernance pacifiée du « Couloir vert »
Toute la région concernée attend également que soient déterminées les modalités de conservations dans cette zone, les limites entre les villes en expansion, ou encore les villages et les propriétés des villages qui restent à clarifier.
Toutefois, l’article 4 du décret sur l’aire protégée affirme ne pas créer de droit qui annule ceux des tiers ou des communautés locales.
Cette phrase de cadrage du projet, suggère Joe Eisen de la Fondation Rainforest, demande de « travailler avec la société civile congolaise et d’autres acteurs pour élaborer une feuille de route participative pour le couloir vert et les différents outils et politiques nécessaires à sa gestion efficace ». Avant de continuer : « Pour garantir que la réserve respecte pleinement les droits des communautés locales, des réformes plus vastes, des lois sur la conservation, les peuples autochtones et les terres sont également nécessaires, tandis qu’une nouvelle politique forestière et une stratégie nationale de forêt communautaire pourraient aider à orienter le développement vert dans la région ».
D’après Joseph Bobia, les communautés locales et les peuples autochtones Twa ont besoin que soient clarifiés la vocation de cette aire protégée ainsi que leurs droits. Puisque, selon lui, l’idée d’aire protégée à caractère de réserve communautaire circonscrit en soi un conflit. Il explique sans détour que « restriction stricte [rime, Ndlr] avec aire protégée » tandis qu’une réserve communautaire suppose un libre accès.
Dès lors, pour Bobia, « la démesure » risque d’aller plus loin en RDC, pays où 14,5% de la superficie sont constitués d’aires protégées hormis la toute dernière, indique-t-il. Il pense qu’avec les engagements de Montréal qui visent à réserver 30% de la superficie nationale aux aires protégées d’ici à 2030, ce pays atteindrait ou dépasserait déjà le seuil de 30%. « Il y a encore risque d’extension démesurée comme il a été le cas avec le Parc Kahuzi Biega [dont avaient été chassés des Twa, dans le Sud-Kivu il y a 60 ans, Ndlr]. Voilà fin 2022 au 15 janvier 2025, il y a déjà une création d’une méga aire protégée sur 2.400km », explique encore Bobia.
Dans ce cadre, selon ce dernier, le gouvernement devrait organiser des échanges et consultations francs. Puisque « beaucoup d’entre les peuples autochtones pygmées et les communautés locales ne veulent point entendre parler d’aires protégées. Beaucoup ne voient dans les aires protégées que des conflits entre faune/flore et Hommes, accaparement des terres dû aux extensions démesurées des aires protégées comme il a été le cas avec le Parc Kahuzi Biega, manque de terres culturales pour les paysans ».
C’est pour ces raisons que le 29 janvier 2025, son association a déposé auprès de la première ministre Suminwa un mémorandum dans lequel sont formulées leurs recommandations.
CORRECTION : cet article a été mis à jour le 12 février pour refléter fidèlement les opinions de l’anthropologue Romain Duda. Mongabay regrette cette erreur.
Image de bannière : Jeune garçon d’une communauté locale du village de Lokolama, RDC. Image de Gosette Lubondo via Greenpeace.
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