Nouvelles de l'environnement

Comment les semences de qualité et la mise en commun des terres ont changé la vie des agriculteurs au Burundi

  • Suite à la diminution du rendement des semences de maïs traditionnelle et à la dégradation de terres, le gouvernement burundais subventionne l’achat des semences de maïs de qualité (maïs hybride).
  • Les agriculteurs cultivent ensemble leurs terres. Cette pratique culturale collégiale permet de les encadrer, de lutter contre les maladies et les ravageurs des plantes.
  • Les pratiques culturales ont augmenté la production de maïs, amélioré les conditions de vie des agriculteurs, contribué à contenir la hausse des prix des graines de maïs et ses importations.

Même sous la pluie, Théodore Ndayisenga continue de sarcler son champ. Nous sommes sur la colline Munanira II, située dans la province de Muramvya, au centre du pays. Ndayisenga travaille d’arrache-pied depuis qu’il cultive les semences de maïs de qualité et récolte une production abondante. Néanmoins, ce rendement est récent.

Pendant la dernière décennie, la production agricole a baissé suite aux changements climatiques, selon la troisième communication nationale sur les changements climatiques, publiée en octobre 2019. En raison de la dégradation des terres, le Burundi perd chaque année 5,2 %  de sa superficie depuis 2020, ce qui représente 1,6 % de son PIB, indique un rapport de la Banque mondiale en date de 2022.

Cette situation a poussé les agriculteurs comme Ndayisenga à quitter le milieu rural et à se reconvertir dans d’autres métiers. « J’ai quitté ma colline natale Munanira II en 2018, pour exercer le métier de conducteur de taxi-vélo à Bujumbura ».

Pour relancer la production agricole en baisse depuis une décennie, le gouvernement burundais a mis d’abord en place le Programme national de subvention des engrais. Cependant, la production escomptée n’a pas été atteinte. A l’époque, la production de graines de maïs évoluait en dent de scie et tournait autour de 200 000 tonnes l’an, selon le rapport annuel de l’Institut national des statistiques du Burundi (INSBU).

Afin d’améliorer le rendement qui s’élevait à moins d’une tonne par hectare (1 t/ha), le gouvernement a ensuite mis en place le Programme national de subvention des semences de qualité.

Depuis 2020, les semences de maïs de qualité sont subventionnées à hauteur de 60 %. Les agriculteurs paient en deux tranches (avance et solde) les frais de semences de maïs de qualité, qui s’élèvent à 40 % et qui s’équivalent à 4200 BIF par kilogramme  (soit 1,4 USD). Ils récupèrent leurs intrants dans leurs communes respectives, indique Adelin Niyonsaba, directeur provincial de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage (DPEAE) de Kayanza, province située au nord du pays.

Théodore Ndayisenga, en train de sarcler son champ de maïs situé sur la colline Munanira II, dans la province de Muramvya, au centre du pays. Image de Arthur Bizimana pour Mongabay.

Amélioration de la production

Selon Théodore Ndayisenga, les agriculteurs de sa colline natale, qui cultivent les semences de maïs hybride dites « PAN 53 », récoltent une production abondante. A son tour, il a décidé d’abandonner pendant la saison agricole de septembre 2023 à février 2024, le métier de conducteur de taxi-vélo au profit de la culture de maïs. « J’ai semé trois paquets et demi de maïs de type PAN 53 [un paquet contient 2 kg de graines de maïs de qualité]. Au total, j’ai dépensé environ 280 000 BIF [soit 94 USD]. J’ai récolté une production de maïs d’1,35 tonne dans une parcelle où j’ai l’habitude de récolter au maximum 300 kg », raconte Ndayisenga.

En cette saison agricole qui s’étend de septembre 2024 à février 2025, il a cultivé quatre sachets de maïs qui coûtent 33 600 BIF (soit 11,3 USD), précise-t-il. « La croissance des plants de maïs va bon train, il n’y a aucun doute que la production soit bonne », dit-il.

Ezéchiel Nyambikiye, moniteur agricole sur la colline Munanira II confie : « Les semences de maïs de qualité ont beaucoup amélioré la production. Sur une superficie où l’on a l’habitude de récolter dix kg de graines de maïs, on y récolte environ cinquante kg. La production agricole a presque quintuplé ».

Champ de maïs dans le marais de Mandansi, qui divise la commune Kayanza avec la commune Gatara, au Nord du Burundi. Image de Arthur Bizimana pour Mongabay.

Mise en commun des terres : autre facteur d’augmentation de la production

A Kayanza, la direction provinciale de l’agriculture a sensibilisé la population à semer, non seulement les semences de qualité de maïs, mais aussi à mettre en commun leurs terres cultivables.

« L’approche consiste d’abord à cultiver les champs le même jour, à planter les semences de qualité conventionnelle dans tous les champs et à les sarcler simultanément. En outre, elle consiste à pulvériser à l’aide des produits phytosanitaires et à récolter le même jour », dit Niyonsaba.

« Cette pratique culturale permet d’encadrer facilement la population, de lutter efficacement contre les maladies et les ravageurs des plantes ainsi que les voleurs », explique-t-il

Désiré Niyomwungere, expert de l’AUXFIN Burundi, une organisation qui développe des solutions agricoles digitales, que nous avons rencontré dans son bureau à Bujumbura, dit: « cette pratique culturale est très efficace dans la lutte contre les ravageurs, car lorsqu’un agriculteur pulvérise seul son champ, les ravageurs migrent dans le champ voisin non pulvérisé. Au contraire, si les agriculteurs pulvérisent simultanément leurs champs, les ravageurs sont vite maîtrisés ».

Gratien Hatungimana, machette à la main, dans son champ, situé dans le marais de Mandasi, qui divise la commune Kayanza avec la commune Gatara, en province Kayanza, au Nord du Burundi. Image de Arthur Bizimana pour Mongabay.

Avec ces nouvelles pratiques culturales, le rendement a sensiblement augmenté, passant de moins d’une tonne par hectare à plus de trois tonnes par hectare (3t/ha), estime Niyonsaba. « Cela dépend aussi des sols. Par exemple, dans les marais, on peut récolter cinq tonnes par hectare sans problème », dit-il.

Au cours des deux dernières années, cette pratique culturale a suscité l’admiration des délégations d’autres provinces et des pays voisins. « Des provinces telles que Bubanza, Cibitoke, Karusi, Muramvya ou encore Rumonge sont tour à tour accueillies à Kayanza pour un échange d’expériences. Fin août 2024, nous avons accueilli une délégation de Bukavu de la République Démocratique du Congo », indique Niyonsaba.

Des agriculteurs témoignent….

A la tête de cinq parcelles, Gratien Hatungimana, machette à la main, dans son champ, situé dans le marais de Mandasi, qui divise la commune de Kayanza avec la commune de Gatara, assure qu’il récoltait à peine 20 kg de graines de maïs avant l’introduction des semences de maïs de qualité et les nouvelles pratiques culturales. « Actuellement, je récolte entre 500 et 600 kg, voire plus ».

Célestine Niyonsaba, agricultrice rencontrée dans le même marais de Mandasi confie aussi qu’elle récolte plus de 200 kg de graines de maïs dans un champ où elle récoltait environ 50 kg.

« Même si on n’a pas assez récolté, on peut s’approvisionner chez son ami à un prix abordable. Ce n’est pas comme dans les années passées », dit-elle.

Célestine Niyonsaba, agricultrice dans la commune Gatara, province de Kayanza, au Nord du Burundi. Image de Arthur Bizimana pour Mongabay.

Lors de la deuxième campagne de collecte de la production du maïs entre février et juin 2024, l’Agence nationale de gestion des stocks stratégiques alimentaires (ANAGESSA), a collecté plus de 70 000 tonnes de grains de maïs sur 25 000 tonnes attendues au départ, soit plus du double de la prévision, selon Joseph Nduwimana, Directeur général de l’ANAGESSA.

« Quand on a bien produit, quand on a d’abondantes récoltes de maïs et d’autres produits dans le stock et qu’il y a les changements climatiques, cette quantité qu’on a mis en stock aide la population à traverser les périodes difficiles de famine », dit Niyonsaba sur la contribution des semences de qualité à la résilience climatique.

Le responsable de la réserve naturelle de Bururi au nord-ouest du pays, Jérôme Nishishikare, a indiqué lors d’un exposé, en décembre 2024, à l’Institut Français du Burundi que la pauvreté des communautés riveraines des forêts fait partie des défis auxquels les aires protégées du Burundi et leur biodiversité font face. Dans de pareille situation, les communautés prélèvent les ressources biologiques des aires protégées et les vendent pour leurs besoins alimentaires. C’est la raison pour laquelle ces derniers sont souvent accusés d’être à l’origine de la diminution ou de l’extinction de certaines espèces de plantes et animaux.

Professeur André Nduwimana, enseignant-chercheur à l’université du Burundi et écologue de formation, indique que la production agricole abondante contribue à réduire la pauvreté des ménages ruraux et à conserver la biodiversité. « De plus, ils n’ont pas tendance à s’accaparer des terres dans les aires protégées. S’ils ont à manger, ces derniers sont de bons conservateurs ». Il indique cependant que le meilleur moyen serait d’associer cette communauté locale à la gestion des réserves naturelles.

Un champ de maïs et de pomme de terre. Image de Arthur Bizimana pour Mongabay.

Amélioration de la vie des agriculteurs

« Quand j’étais conducteur de taxi-vélo, je vivais dans une maison de toiture en tuile, ce qui est perçu comme signe de pauvreté en milieu rural. En mars, après ma première récolte de la saison culturale A2024, j’ai vendu une tonne de graines de maïs à l’ANAGESSA et j’ai gagné environ deux millions de francs burundais, [soit environ 700 USD] », raconte Gratien Hatungimana, sourire aux lèvres.

Sa vie a changé : « Je vis dans une maison en toiture métallique, un des signe du développement d’un ménage rural. J’ai même installé un robinet chez moi. C’est un progrès que je connais actuellement grâce aux nouvelles semences de qualité. De surcroît, je suis rentré élever mes enfants. Je me sens comblé », souligne ce jeune parent qui s’était séparé de sa famille en raison de la diminution de la production agricole.

« Pendant la saison sèche, nous ne faisions rien et nous nous rencontrions pour jouer aux jeux (de carte, dame, etc.) et blaguer tout en buvant de l’alcool. Depuis ces nouvelles pratiques culturales à Kayanza, on n’a plus le temps de le faire. Nous fournissons beaucoup d’efforts pour que les plantations de maïs atteignent le stade de maturité. On ne s’absente presque plus dans les champs. En une semaine, on peut arroser le champ trois à quatre fois. En plus, personne ne peut rester les bras croisés quand il a à faire, ses champs de maïs en train de se détériorer. L’entretien de champs de maïs nous occupe tout le long de l’année », fait savoir Hatungimana.

La production abondante de maïs contribue à contenir l’insécurité alimentaire. « Nous mangeons au moins deux fois par jour. En plus, aucun enfant ne reste à la maison et n’abandonne l’école sur notre colline  », dit-il souriant.

Selon Niyonsaba, avant l’adoption des semences de maïs de qualité, les stocks s’épuisaient très vite. « A l’époque, personne ne garderait en stock même un kilogramme de graines de maïs jusqu’en novembre. Nous étions dans une insécurité alimentaire permanente. Nous menions une vie pénible. Toutefois, ceux qui n’ont pas gaspillé leur production consomment encore leur récolte jusqu’à l’heure actuelle », dit Niyonsaba.   

Image de bannière : Théodore Ndayisenga, en train de sarcler son champ de maïs situé sur la colline Munanira II, dans la province de Muramvya, au centre du pays.  

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