Nouvelles de l'environnement

Cameroun : Les éléphants déjà menacés d’extinction de plus en plus en danger

  • Dans plusieurs pays, la cohabitation entre les communautés et les éléphants devient de plus en plus difficile. D’une part, les communautés braconnent les éléphants ; d’autre part, les pachydermes détruisent les plantations, les maisons et menacent la sécurité des habitants.
  • Ce conflit est exacerbé par plusieurs facteurs, notamment les éléphants qui migrent dans des zones où leurs couloirs naturels sont obstrués, l'empiètement des humains sur les réserves forestières et un possible déséquilibre démographique dans les populations d'éléphants.
  • Le compromis entre la préservation de la vie humaine et la biodiversité semble complexe, car la solution souvent envisagée pour protéger les populations humaines est la battue des éléphants, qui sont pourtant des espèces en voie d'extinction.

Un éléphant a été abattu en janvier 2025 dans l’Extrême-Nord du Cameroun. C’était la solution trouvée par le gouverneur de la région pour calmer le conflit né de la cohabitation homme-pachyderme. Les habitants avaient érigé des barricades et protesté toute une journée pour manifester leur mécontentement après de nouvelles destructions de leurs plantations et de leurs maisons dans la commune de Kalfou par les éléphants.

Djafsia, agriculteur à Kalfou, a encore de l’émotion dans la voix lorsqu’il se rappelle cette journée. « Tout le temps, les éléphants mangent toutes nos cultures et détruisent nos maisons. Ils blessent et tuent les gens et nous ne pouvons pas nous défendre, parce qu’on nous a dit que l’éléphant est un animal protégé ; si quelqu’un touche un éléphant, il ira en prison. La population a décidé de barrer la route pour que ceux qui ont le pouvoir viennent régler ce problème », dit-il à Mongabay.

Oumarou Tamboutou est l’adjoint au maire de Kalfou. Il apporte des précisions sur ce conflit hommes-faune. « Le voisinage avec les éléphants nous dérange. Quand les gens rentrent du marché le soir, ils rencontrent les éléphants, les éléphants les piétinent. Nous avons des maisons en paille, l’éléphant arrache la toiture de la maison et cherche le mil dans la maison. Nous avons déjà envoyé plusieurs rapports. L’administration ne réagit pas et dit que ce sont des animaux protégés », dit Tamboutou à Mongabay.

« Au début du mois de janvier, un éléphant est passé dans la maison d’une veuve, il a arraché la toiture, est entré dans sa cuisine, a bouffé plus de 10 sacs de mil et a écrasé la maison. La veuve est restée sans cuisine, sans nourriture et avec cinq enfants à nourrir. C’est cet incident qui a déclenché la colère des gens et les a poussés à manifester pour se faire entendre », ajoute-t-il.

Suite à ces drames le 6 janvier 2025, Midjiyawa Bakary, le gouverneur de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, a signé une autorisation de battue administrative. Dans le document dont Mongabay a pu avoir copie, il est dit que le gouverneur  « autorise la battue administrative d’un éléphant solitaire qui détruit les cultures et les biens des populations dans l’arrondissement de Kalfou, département du Mayo-Danaï. Les populations locales pourraient se servir des viandes issues desdites battues si elles le désirent et les trophées seront remis à l’administration locale des Forêts et de la Faune territorialement compétente ».

L’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana), plus grand animal terrestre vivant, dans la région de Gorom, au Cameroun. Image de Daniel Tiveau/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Le délégué régional du ministère des Forêts et de la Faune dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, Jean Nyemeg, explique, selon lui, les raisons qui ont amené l’éléphant à détruire les champs. « On a à Kalfou près de 400 éléphants. Ce sont des éléphants et des éléphanteaux qui sont divisés en microgroupes de deux ou trois, parfois des groupes d’une trentaine. Ces animaux sont en principe grégaires et vivent en groupe avec des liens familiaux très soudés. Mais quand l’un d’eux est rejeté ou bien se désolidarise du groupe, en général, il développe un taux hormonal élevé, ce qui le rend agressif et dévastateur. Donc, quand on identifie un individu comme cela, s’il n’est pas possible de le réintégrer dans son groupe, on organise une battue pour limiter les dégâts. Voilà les raisons qui ont amené à abattre l’éléphant de Kalfou », dit-il à Mongabay.

La commune de Kalfou, située près du Tchad, abrite une réserve forestière, qualifiée de « réserve de transit » par Nyemeg. Ce dernier explique qu’il y a une période de l’année où les éléphants qui étaient au parc de Waza, situé dans la même région, migrent vers la commune de Moulvoudaye et entrent dans la zone appelée le triangle agropastoral de Mindif.

« Après Mindif, les éléphants arrivent dans la réserve de Kalfou où ils passent environ 4 à 6 mois, en fonction des saisons.  Les éléphants existent depuis des centaines d’années entre Waza et Kalfou, ce n’est que ces dernières années qu’on enregistre la recrudescence des conflits. C’est dû au fait que leurs couloirs de migration sont obstrués, au fait que la population empiète la réserve forestière, empiète aussi les aires protégées qui devaient mieux les abriter, c’est-à-dire le Parc national de Waza et le Parc national de Mah Mbed Mbed qui est non loin de la réserve de Kalfou », dit Nyemeg.

Tamboutou affirme que le corridor n’est pas obstrué et penche pour une surpopulation des éléphants dans la réserve. « Les éléphants se retrouvent au quartier : est-ce que c’est leur corridor ? Parfois, nous sommes assis à la mairie et nous voyons passer un éléphant derrière : est-ce que c’est leur corridor ? Notre patriarche, le lamido de Kalfou, qui a aujourd’hui 100 ans, dit qu’il n’avait jamais vu les éléphants divaguer. C’est depuis 2008 qu’ils ont commencé à marcher partout. Ils ont même tué deux personnes l’année dernière. Nous pensons que les éléphants sont déjà trop nombreux et la réserve est petite pour eux », dit-il.

L’adjoint au maire affirme que la cohabitation homme-éléphant devient difficile. « Les éléphants viennent à Kalfou vers le mois de septembre jusqu’à juillet. À cause de leur présence, nous sommes obligés de récolter rapidement toutes nos cultures de saison pluvieuse, sinon les éléphants vont tout bouffer. Pour ce qui est des cultures de saison sèche et de contre-saison comme le sorgho, le manioc, les oignons, on ne peut plus les repiquer parce que les éléphants dévastent tout. Ils aiment les herbes fraiches. Dès que les cultures commencent à pousser, ils sortent de la réserve et viennent tout manger », explique Tamboutou.

Carte de localisation de la réserve de Kalfou au sein du complexe du Parc National de Waza et du Parc National de Mah Mbed Mbed à l’Extrême-Nord du Cameroun. Image par Mongabay.

Difficile compromis entre vie humaine et biodiversité

Depuis 2021, l’éléphant de forêt d’Afrique (Loxodonta cyclotis) est désormais classé comme « en danger critique d’extinction » en raison de la diminution de ses populations au cours des dernières décennies.

Parallèlement, l’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana) est classé « En danger » sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) des espèces menacées. Malgré cela, l’une des solutions trouvées est parfois de l’abattre.

L’année dernière au Gabon, un enseignant est décédé dans un accident impliquant un troupeau d’éléphants, ce qui a conduit le président de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, à ordonner l’abattage systématique des pachydermes pour protéger les vies humaines. « Les populations victimes de ce conflit homme-faune, je vous autorise à abattre ces éléphants (…). Je suis un humaniste. J’ai instruit le ministre de faire libérer sans délai et sans conditions toutes les personnes emprisonnées pour avoir tué des éléphants », avait rapporté Mongabay lorsque les faits se sont produits.

Cette déclaration a suscité l’indignation des défenseurs de la biodiversité, surtout après que plus de 48 000 éléphants aient été abattus dans le pays entre 2011 et 2023, et le président Oligui Nguema s’est rétracté un mois plus tard.

En 2023 déjà, le pays avait recensé près de 13000 victimes du conflit entre les deux espèces.

En septembre 2024, le gouvernement du Zimbabwe avait annoncé sa décision d’autoriser l’abattage de 200 éléphants, officiellement, pour nourrir la population frappée par la sécheresse et réduire la population d’éléphants, qui dépasserait largement la capacité de charge du pays.

Plusieurs médias avaient rapporté que le gouvernement avait autorisé la battue dans les zones où le pachyderme est en conflit avec les hommes.

Dans un communiqué publié sur son site internet, World Animal Protection, une organisation internationale de protection animale, avait condamné cette décision et proposé une solution de sortie de crise. « Cette décision risque de relancer le braconnage et le commerce illégal de l’ivoire et de compromettre les progrès remarquables réalisés en matière de conservation de la faune et de la flore. World Animal Protection estime que la véritable durabilité consiste à trouver des moyens de soutenir à la fois les populations et la planète, sans sacrifier l’une pour l’autre », soulignait le communiqué.

Un éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana), Masai Mara. Image de Ray in Manila via Flickr (CC BY 2.0).

Les solutions pour résoudre ce conflit entre les hommes et les éléphants sont diverses. « Nous voulons que les éléphants soient déplacés hors de Kalfou, dans une autre réserve. La population veut le départ des pachydermes de Kalfou pour que l’économie redécolle. Les éléphants ont causé le déplacement des populations. On a plus de 1000 personnes qui sont parties ailleurs, vers la falaise de l’Adamaoua, chercher les terrains pour cultiver. Ils ont fui Kalfou pour aller chercher les terres là où il n’y a pas d’éléphants. Pourtant, Kalfou a beaucoup de terrains cultivables », dit Tamboutou.

« Je conduis une équipe de près de 40 écogardes à Kalfou pour essayer d’identifier ces éléphants. On essaye de les refouler hors de Kalfou, pour qu’ils reconstituent le groupe mère et qu’on les oriente vers Waza », dit Nyemeg.

Il pense qu’il faudrait cependant  former et sensibiliser la population à une idée de cohabitation pacifique avec les animaux et permettre de tirer profit du tourisme faunique comme c’est le cas dans certains pays comme le Kenya, l’Éthiopie. « Et certains n’ont pas une richesse et une diversité faunique comme le Cameroun. Ça veut dire qu’il suffit de créer une vision progressiste, une vision qui permette que la population, qui a tendance à occuper l’espace de vie des animaux, comprenne qu’ils sont des richesses énormes », dit-il.

« La solution idéale ne peut être obtenue que si les sources du conflit sont bien connues. Pour y parvenir, il est nécessaire de mener une étude spécifique à la zone du conflit pour éviter des solutions importées qui peuvent ne pas être adaptées au contexte local. Les données doivent être collectées pour comprendre pourquoi les éléphants ont changé brusquement de comportement. Cela peut être dû à plusieurs facteurs qui sont, entre autres, le braconnage, la destruction de l’habitat ou encore les changements climatiques tels que la variabilité de la pluviométrie, le changement des saisons climatiques, les sécheresses et même les inondations », dit par courriel à Mongabay Gilles Etoga, Senior Policy and Conservation Coordinator à WWF.

Au Gabon, où la population d’éléphants est estimée à 95 000, des solutions ont été appliquées, parmi lesquelles l’installation des clôtures électriques pour repousser les éléphants loin des lieux d’habitation, ainsi que la création d’un ministère de l’Environnement, du climat et du conflit homme-faune.

Il convient de noter que le braconnage constitue également une forme de conflit entre l’homme et l’éléphant. Selon l’UICN, en Afrique, la recrudescence du braconnage a entraîné un déclin des populations d’éléphants de forêts et de certaines populations de savanes, avec des disparités régionales : environ 70 % en Afrique centrale et 30 % en Afrique de l’Est et australe.

Image de bannière : L’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana), plus grand animal terrestre vivant, dans la région de Gorom, au Cameroun. Image de Daniel Tiveau/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

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