- Au Bénin, des menaces planent sur la survie des semences endogènes. Ce qui inquiète les paysans.
- Voyant venir le danger, ces agriculteurs retroussent les manches et œuvrent pour que ces produits séculaires ne disparaissent pas.
- Ils multiplient des initiatives de plaidoyer et de préservation de ces semences afin de les avoir chaque saison à portée de main.
Sous la houlette de la Fédération agro-écologique du Bénin (Faeb), les agriculteurs ont initié du 8 au 10 novembre 2024, à Grand-Popo, une commune frontalière du Bénin avec le Togo, des plaidoyers pour la conservation des semences paysannes et des actions en faveur de l’agro-écologie. Toujours, au cours de l’année 2024, selon Patrice Sagbo, Vétérinaire, défenseur de le nature, membre du réseau Jinukun et de la Faeb, des organisations paysannes et des organisations de la société civile, ont adressé une lettre ouverte au Président de l’Assemblée nationale du Bénin et à l’ensemble des députés, pour que les paysans et paysannes ne soient pas privés de leurs semences endogènes.
La semence est l’un des intrants en agriculture. Selon Firmin Amadji, ingénieur agronome, formateur principal en agro-écologie pour une gestion durable des terres et adaptation au changement climatique, président du bureau d’études Sol Consult Africa SolCA SAS, joint au téléphone par Mongabay, « les semences, en agriculture, sont les moyens que l’homme s’est offert pour aller à une production facile au niveau de toutes les ressources naturelles qui l’intéresse pour se nourrir, se traiter et pour alimenter les animaux. Les premières semences sont des produits cueillis dans la nature. L’homme a domestiqué ces produits, que ce soit les céréales, les légumineuses, les racines et tubercules ».
Le président de la Faeb, Pierre Bédiyé, ingénieur agronome, rencontré à Allada, sur une ferme agroécologique explique que les semences sont fondamentales et constituent le facteur de production le plus important pour l’agriculture. « C’est la semence qu’il faut mettre en terre, entretenir ; c’est elle qui pousse et qui donne des fruits et des graines ».

Selon ce dernier, il y a plusieurs types de semences : les améliorées ou certifiées provenant de la recherche, les semences Ogm (Organismes génétiquement modifiés), soit d’origine végétale, animale ou d’un microorganisme, dans laquelle le patrimoine génétique est modifié, soit par ajout ou retrait de gènes à la recherche d’un caractère. D’après Bédiyé, le troisième type de semences est constitué des semences paysannes (endogènes), qui ne sont pas issues de la recherche. Il explique que ce sont les semences des paysans, des grands-parents, entretenues par eux, gardées, multipliées chaque année dans les champs et conservées à chaque génération, sans passer par le protocole d’une recherche formelle.
Il existe plusieurs variétés de semences paysannes dont le maïs, le niébé et les tubercules. « On est allé jusqu’à parler de semences paysannes agro-écologues pour être sûr que ces semences n’ont subi aucune manipulation et aucune production avec les intrants chimiques de synthèse », renchérit Sagbo.
Apportant une précision sur le bienfondé des foires et plaidoyers, Sagbo clarifie, « les foires, que nous organisons, sont des actions de protestation et de démonstration pour montrer ce qu’on peut tirer des semences paysannes. Notre problème, c’est qu’on ne nous propose pas les semences industrielles, mais c’est de promouvoir les semences, dont nous avons la maitrise, l’indépendance, la souveraineté, pour nous permettre de nourrir la plupart de nos populations sans recourir aux lois. Un pays qui n’est pas indépendant, du point de vue semencier pour nourrir ses populations est encore dans la dépendance alimentaire. Et ce n’est pas un gage de développement pour les pays africains ».
Bédiyé ajoute, « tous les ans, nous organisons une foire semencière au cours de laquelle nous menons une de campagne de sensibilisation sur les semences paysannes. Nous sommes en discussion avec le gouvernement pour que ces semences soient reconnues dans le système de production agricole ». Parlant de la saveur des produits des semences paysannes, il témoigne : « une pâte préparée avec la farine de maïs issue des semences paysannes, a une certaine élasticité avec un bon goût, comparativement à celle préparée avec la farine de maïs provenant d’autres semences ».

Des variétés qui résistent
Les défenseurs des semences paysannes soutiennent qu’elles résistent aux stress climatiques comparativement aux autres semences dites améliorées et certifiées. « Les semences paysannes résistent aux intempéries des saisons. Quand vous les semez dans les conditions de variabilités climatiques, vous allez récolter. Ces semences ne sont pas exigeantes dans la production. Ce ne sont pas des semences habituées aux engrais chimiques de synthèse en faisant des traitements réguliers », dit Bédiyé.
Allant dans le même sens, Sagbo lâche : « Les semences paysannes résistent aux temps, à la distance, à toutes les conditions climatiques. Il n’y a pas une semence paysanne jetée dans la nature et qui n’a pas germé. Face aux effets pervers des changements climatiques et aux difficultés du temps, les semences paysannes résistent ».
Pour Amadji, « ces semences ont traversé assez de périodes, beaucoup de situations, beaucoup d’agressivités. Il y a eu naturellement, une sélection à leur niveau ; c’est-à-dire, les semences qui ne peuvent pas subir certains chocs ou stress climatiques disparaissent. Les semences qui restent sont celles qui peuvent survivre et résister à toutes les situations. Ce qui fait dire que les semences paysannes sont très adaptées aux situations locales. Ces semences ont traversé toute une histoire pour s’adapter aux temps ». Hubert Codjo Glin, agroécologiste, militant de la préservation de la nature, fait remarquer que « les gènes des semences paysannes s’adaptent aux conditions climatiques. Ce qui n’est pas le cas des semences améliorées ».
La question de rendement
« Tout le monde prend les points faibles pour montrer que ce n’est pas bon. Il s’agit des rendements qui sont faibles. Les rendements ne sont pas génétiques. Du point de vue génétique, ce que nous avons hérité de nos parents représente 6 % de ce que nous sommes. Les faibles rendements dépendent de ce qui est mis dans le sol pour faire la production. Des paysans ont semé ces semences et ont eu de très bons rendements dans leurs champs », explique Bédiyé. « Le rendement dépend des zones agroécologiques dans lesquelles on a semé telles ou telles semences paysannes », dit Sagbo.
Faisant une comparaison des semences, du climat et du rendement, Amadji confie que « les semences paysannes n’ont pas un potentiel de production autant que les semences améliorées. La semence paysanne peut donner 600 kilogrammes, et la semence améliorée peut donner deux tonnes. Mais lorsque les situations deviennent très difficiles, ce n’est que la semence paysanne qui donne quelque chose pendant que la semence améliorée donne zéro production ».
Un kilogramme de tomates issues d’une variété améliorée a perdu quatre fois sa valeur comparativement à une semence issue d’une variété paysanne. « Manger beaucoup, mal manger, manger peu et bien manger, de ces options nous devons savoir ce qu’il faut mettre à la disposition de la population. Tout ce qui est offert en quantité, relève du business. On ne peut pas emblaver une petite superficie de terre et espérer assez de produits, si ce n’est pas des produits empoisonnés qui sont mis sur le marché. Avec les semences paysannes, le producteur est autonome. Mais avec les semences améliorées, non seulement le producteur n’est pas indépendant, mais également les semences coûtent chères », dit-il. « Lorsqu’un producteur se procure une semence dite améliorée, ce n’est pas la semence qu’il achète. Ce sont plutôt les accessoires qui sont le fertilisant et les pesticides qui sont aussi chers au même titre que la semence », ajoute-t-il.
Il pense que « les semences dites améliorées rendent le producteur esclave. Si toutes les semences paysannes sont éliminées et qu’il faut attendre les autres semences dites améliorées au début d’une saison des pluies, et qu’elles ne sont pas disponibles, c’est qu’il n’y a pas de production. Les semences dites améliorées rendent dépendantes d’autres personnes, alors que c’est l’indépendance avec les semences paysannes », précise-t-il.

Sur la question des rendements, les intrants jouent un rôle primordial. Les semences paysannes ou endogènes sont cultivées avec des engrais naturels. « Elles sont produites en milieu agroécologique, sans intrants chimiques de synthèse. Ce système consiste à utiliser les intrants naturels comme les composts, les purées, les matières organiques en général. Quel que soit le nombre d’hectares emblavés, le paysan peut utiliser les intrants naturels pour enrichir le sol », dit Bédiyé.
Abondant dans la même veine, Glin souligne que « les fientes de volaille et les bouses de vaches entrent dans la fertilisation et donnent de la nourriture aux sols, qui alimentent en retour les cultures ». Des paysans confirment qu’ils ne font recours qu’aux composts pour enrichir les sols. « Pour la production, j’utilise des engrais naturels que sont des bouses de vache et des herbes, transformées en composts. Avant le semis, le compost est appliqué aux sols. Le résultat obtenu m’a toujours satisfait », témoigne Dorothée Cossi Agassounon, cultivateur, producteur de semences, rencontré sur une ferme à Ouidah, à une trentaine de kilomètres de Cotonou.
Sous les premiers rayons du soleil, pioche en main, il préparait les planches pour ses activités de maraichage. Agassounon, a fait savoir qu’il fait des cultures de contre-saison pendant la période de saison sèche. D’autres maraichers arrosaient des planches de légumes. De la végétation sur la berge de lac Toho, non loin du site de la ferme, s’échappaient quelques oiseaux offrant divers cris. Sur une portion de terre, quelques pieds de maïs produits à partir des semences paysannes. Revenant sur les pesticides naturels, Glin, explique qu’il « y a des plantes dans la nature qui sont utilisées en bio traitement pour améliorer le rendement ».
Il donne l’exemple du neem (Azadirachta indica), appelé margousier. Il cite aussi le ricin (ricinus communis) qui est une plante réputée pour ses composantes bioactifs. Allant dans le même sens, Agassounon confie qu’il utilise, entre autres, le mélange d’eau et d’huile de neem pour pulvériser ses plantations et lutter contre les ravageurs.

La banque de semences
Les paysans, œuvrant pour la conservation et leur indépendance semencière, ont opté pour la mise en place des banques de semences. Il y a deux banques de semences dans les communes de Ouidah et de Tori. « Nous sommes dans une société orale où les connaissances détenues par les paysans s’érodent, s’envolent, quand ils meurent. Nous avons des semences qui sont en voie de disparition. Et pour mieux conserver ces semences, dans la communauté, quand le paysan fait sa récolte, il y a une partie pour se nourrir, une partie destinée à la vente et le reste est conservé pour la saison prochaine. C’est cela qui est difficile à garder et qu’on doit apprendre à gérer dans des endroits sécurisés, pour qu’en cas de problèmes graves pour l’alimentation, on puisse recourir à ces semences et les partager aux producteurs ».
La banque de semences est une initiative communautaire, « chaque paysan apporte les semences qui sont en voie de disparition. Elles sont gardées dans de bonnes conditions pour ne pas se dégrader. C’est un acte à encourager pour que nous ayons beaucoup de banques de semences paysannes au Bénin ». Il ajoute que « dans ces banques, ce sont seulement les graines qui sont conservées ».
« Chaque année, les semences sont renouvelées. Car, à chaque saison, ces semences sont utilisées et cèdent place aux nouvelles récoltes », confie Hélène Kinidja, productrice des produits vivriers en milieu agroécologique et Responsable de la banque de semences de Tori, localité sise à 35 km de Cotonou. Kinidja dévoile que la conservation des semences suit un procédé. « Ces semences sont bien séchées au soleil. Avant la conservation, les graines sont mélangées avec des peaux d’ail, d’orange et du caolin, ou avec du piment. Le tout hermétiquement fermé dans une jarre couverte de calebasse collée avec de la bouse de vache. Et chaque deux semaines, nous ouvrons pour vérifier afin de s’assurer que tout est en état. S’il n’y a pas de charançons ou autres ravageurs qui détruisent les graines. Quand la semence reste longtemps dans la chaleur, l’embryon meurt et la graine ne donne rien après le semis. Raison pour laquelle nous prenons soin des semences comme un bébé ».
Installée en 2020, cette banque de semence fait la fierté des paysans engagés dans l’agroécologie. Kinidja, Agassounou et Louis Adantowakou, semenciers, ont fait savoir que cette banque permet de conserver les semences en disparition.
Le cri des acteurs de conservation
Responsables d’organisations paysannes, activistes et producteurs de semences sont unanimes sur le fait qu’il faut accorder du prix à la conservation des semences paysannes agroécologiques et continuer les plaidoyers pour bénéficier de l’appui des gouvernants. Kinidja demande « à tous les producteurs, que ce soit du Bénin ou d’ailleurs, de ne pas sous-estimer les semences paysannes. Avec des intrants naturels, le rendement est amélioré. L’agroécologie nous met à l’abri des maladies. Car, les engrais chimiques de synthèses, appliqués aux cultures dans les champs, sont sources de maladies ». Pierre Bédiyé lance un appel aux chercheurs qui disent que les semences paysannes n’ont pas de bons rendements et qui ne font rien pour les améliorer ».
Il suggère aux gouvernants d’accompagner les producteurs pour que les semences paysannes soient reconnues et qu’il y ait un programme de développement. « Les semences paysannes contribuent à la vie des populations à travers ce qu’elles consomment. Le meilleur médicament de l’homme repose sur ses aliments. Si ce qu’il consomme est empoisonné, le futur est en danger », conclut Glin.
Image de bannière : Semence de maïs jaune traditionnelle. Image de Patrice Soglo pour Mongabay.
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