- Le sorgho de décrue, une solution innovante face aux défis climatiques. Cette variété, cultivée après le retrait des eaux, permet de récolter deux fois par an,
- Cette culture améliore la sécurité alimentaire et offre des revenus supplémentaires. La culture du sorgho de décrue, peu exigeante en eau et en investissement, permet aux femmes de contribuer davantage à la sécurité alimentaire tout en économisant leurs ressources.
- Les ravageurs (insectes, chenilles, oiseaux) et le besoin d’une bonne maîtrise des techniques agricoles restent des obstacles majeurs pour les agriculteurs.
- Adaptée aux zones inondables, cette technique renforce la résilience face aux aléas climatiques et pourrait transformer les inondations en opportunités agricoles dans la région sahélienne.
Djassou Mikidaï, agriculteur de 45 ans du village de Margalao, situé dans la province du Mayo-Kebbi Ouest, au sud-ouest du pays, un des greniers du Tchad, cultive le sorgho de décrue depuis cinq ans. « Avant, je comptais uniquement sur la saison pluviale. Si les pluies étaient mauvaises, c’était la famine. Avec le sorgho de décrue, j’ai deux récoltes par an. Cela me permet de nourrir ma famille et de vendre l’excédent au marché », raconte-t-il.
Accroupi ce matin, au beau milieu de son champ, daba en main, occupé à désherber, il explique que cette variété offre un rendement comparable à celui du sorgho de pluies, avec l’avantage de compenser les pertes en cas de mauvaise saison pluviale. Il présente son calendrier agricole : « Je commence les pépinières en septembre. En octobre, je mets en terre et je récolte entre février et mars. Ensuite, je suis prêt pour une culture pluviale en mai ».
Yoma Jonsala, un autre agriculteur du même village, partage son expérience : « Lorsque les pluies étaient rares, mes récoltes suffisaient à peine à nourrir ma famille. Avec le sorgho de décrue, je peux maintenant sécuriser la nourriture pour mes enfants et vendre une partie au marché local ». Il ajoute que cette culture demande moins d’efforts en irrigation et en entretien que les cultures pluviales, bien que le succès repose sur une bonne maîtrise du calendrier des semis.
Mikidaï et Jonsala ne sont pas les seuls agriculteurs tchadiens à se tourner vers le sorgho de décrue pour faire face aux aléas du climat, qui perturbe leur production agricole. Ils sont nombreux les paysans à cultiver désormais le sorgho de décrue. C’est le cas d’Amina Tchérif, une agricultrice de Taoza Grang, situé à 5 kilomètres de Pala, qui insiste sur l’importance de cette méthode pour les femmes rurales. « Le sorgho de décrue est moins exigeant. Il ne demande ni beaucoup d’eau ni de gros investissements. Cela nous permet, à nous les femmes, de contribuer davantage à la sécurité alimentaire de nos foyers tout en économisant nos ressources », dit-elle.
En effet, au Tchad, l’agriculture, encore rudimentaire, est dépendante des précipitations. Les sécheresses prolongées, alternées par des inondations dévastatrices, affectent le rendement de l’agriculture pluviale et compliquent davantage la situation des paysans obligés de se tourner vers d’autres alternatives ou pratiques agricoles.
Avec son climat aride, l’insécurité alimentaire constitue un problème chronique dans le pays. Plus de 3,7 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire sévère, soit 20 % de la population tchadienne, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA). Une crise aggravée par les conflits et l’afflux de réfugiés soudanais depuis 2023.

Une solution adaptée aux zones inondables
La variété de sorgho appelée communément Béré-Béré (en langue dazaga, une langue parlée par les Toubous au Tchad, au Niger et en Libye), cultivée après le retrait des eaux, ne dépend pas directement des précipitations. Elle exploite l’humidité laissée par les crues saisonnières. Grâce à cette technique, les agriculteurs tchadiens peuvent espérer deux récoltes par an : une pendant la saison des pluies et une autre en contre-saison. Ce qui est une aubaine, car ces derniers dépendent, jusqu’à un passé récent, de l’agriculture pluviale. Ce mode de culture, dépendant uniquement des eaux de pluie, exposait les agriculteurs à de grandes incertitudes. En effet, les périodes de faible précipitation, fréquentes au Tchad, entraînaient des baisses de rendement significatives et fragilisaient la sécurité alimentaire des communautés.
En adoptant le “Béré-Béré”, les agriculteurs transforment une contrainte naturelle, les inondations, en une ressource précieuse. Ce phénomène souvent perçu comme une punition ou une catastrophe est ainsi revalorisé. En utilisant l’humidité des sols laissée par les crues, ils peuvent augmenter leur production, tout en réduisant leur dépendance aux aléas climatiques.
Ce modèle innovant de pratiques agricole ouvre la voie à une meilleure résilience face aux défis climatiques, tout en contribuant à l’amélioration des conditions de vie des populations rurales.

Les défis à surmonter
Malgré ses avantages, la culture du sorgho de décrue n’est pas sans difficultés. Les agriculteurs doivent faire face à des ravageurs tels que les insectes, les chenilles et les oiseaux, qui attaquent les cultures. Yoma Jonsala souligne l’importance de surveiller régulièrement les champs pour minimiser les pertes. « Ces oiseaux, s’ils perçoivent la présence d’une personne dans le champ, évitent de venir picorer. C’est pour cette raison que, même lorsque le travail de désherbage est terminé, il est courant de passer du temps dans le champ, afin d’empêcher qu’ils ne viennent causer des dégâts.», dit Jonsala.
Aïmadje Ngueyanouba, technicien agricole et formateur de terrain de l’Agence nationale de développement rural (ANADER), explique que le sorgho (Sorghum bicolor), est une graminée dont la culture est adaptée à plusieurs types de sols. « Bien qu’il soit possible de cultiver le sorgho sur divers types de sols, il est préférable d’opter pour des sols riches et bien drainés, comme les sols argileux ou argilo-sableux, qui retiennent mieux l’humidité et les nutriments nécessaires au bon développement des plants ». Une fois le type de sol choisi, il est essentiel de sélectionner des variétés adaptées à ce sol, car cela influence directement le rendement », dit Ngueyanouba, à Mongabay. « En général, les agriculteurs ont tendance à semer le sorgho avec un certain retard, mais cette culture nécessite d’être semée dès le début de la saison. Qu’il s’agisse de variétés à cycle court ou à cycle long, il est impératif de procéder précocement aux semis pour assurer une bonne croissance et un rendement optimal », ajoute-t-il. Ce dernier rappelle que le sorgho est essentiel pour l’alimentation humaine.
« Le Tchad occupe la huitième place en Afrique pour la production de sorgho. Cette culture joue un rôle crucial dans la sécurité alimentaire de nos ménages. Toutefois, sa prédominance varie selon les régions », a-t-il indiqué. Il ajoute que le sorgho de décrue est particulièrement adapté aux zones inondables, offrant une récolte supplémentaire après les inondations sans avoir besoin d’aménagements coûteux.

Une solution durable face aux défis climatiques
Le recours à des cultures de contre-saison comme le sorgho de décrue n’est pas exclusif au Tchad. Abdoul Kader Issoufou, ingénieur agronome nigérien, explique qu’au Niger, « cette méthode permet de stabiliser les revenus et de réduire la dépendance aux pluies. Cependant, elle nécessite un accompagnement technique et financier pour atteindre son plein potentiel ».
Avec l’augmentation des niveaux d’eau et la fréquence des inondations, la culture du sorgho de décrue représente une opportunité majeure pour le Tchad. Elle permettrait, non seulement de réduire les pertes agricoles liées aux aléas climatiques, mais d’améliorer également la résilience des agriculteurs tout en augmentant leurs revenus.
Cependant, des efforts supplémentaires sont nécessaires. Cela inclut la formation des agriculteurs, à l’image du travail effectué par les agents de l’ANADER, la lutte contre les ravageurs grâce à la fourniture d’insecticides, ainsi que la priorité accordée à l’accès à des outils agricoles adaptés. En adoptant massivement cette pratique, les agriculteurs tchadiens pourraient transformer les inondations en une opportunité, faisant du sorgho de décrue un symbole d’espoir face aux crises climatiques et alimentaires.
Image de bannière : Graines de sorgo. Image de Jean Weber via Flickr (CC BY 2.0).
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