- La région de l’Extrême-Nord du Cameroun, qui abrite plus de 1000 éléphants, fait face à de graves problèmes de dégradation des sols, exacerbés par les changements climatiques.
- La bouse des éléphants fertilise le sol le long de leur corridor de transit, apportant des nutriments essentiels malgré les défis de dégradation des terres.
- Il arrive que les éléphants détruisent les champs et les habitations. Bien que les pachydermes offrent un bénéfice écologique en fertilisant les sols, il y a un déséquilibre entre les avantages et les inconvénients de leur présence dans les communes.
- Les solutions proposées sont divergentes. La communauté souhaite le départ des éléphants, tandis que les responsables en charge de la faune préconisent un développement urbain structuré et une meilleure gestion des espaces de vie et de migration des éléphants.
Dans la commune de Kalfou, située dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, les populations bénéficient d’une fertilisation des sols inhabituelle : la bouse d’éléphant. « Au Cameroun, le Nord et l’Extrême-Nord font partie des régions confrontées aux défis de la dégradation des terres, des écosystèmes et du changement climatique. Cette zone soudano-sahélienne a été écologiquement évaluée comme étant la plus fragile avec près de 5 millions d’hectares de terres fortement dégradées », indique l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO).
Cette dégradation des terres n’empêche pourtant pas la population de Kalfou de faire de l’agriculture. L’adjoint au maire de la commune, Oumarou Tamboutou, explique à Mongabay que l’économie du coin est principalement centrée sur l’agriculture et l’élevage. « Malgré les sols arides, les habitants cultivent le mil, le sorgho, les oignons, le manioc et élèvent les bovins et les ruminants ».
En fait, Kalfou est dotée d’un patrimoine riche en espèces fauniques, une réserve forestière communale, classée comme aire protégée et abritant, entre autres animaux, les éléphants, les gazelles à front roux (Eudorcas rufifrons), les céphalophes de GRIMM, les céphalophes de Peters, les phacochères, les hyènes, les girafes, les primates et la faune aviaire sédentaire et migratrice telles que l’autruche, l’outarde, le grand Calao, les canards armés et casqués, les sarcelles.
Si les autres animaux sont sédentaires, les éléphants, eux, migrent. « La réserve de Kalfou abrite environ 400 éléphants. Mais, au niveau de la région, le nombre peut osciller entre 1000 et 1200 éléphants, avec beaucoup d’éléphanteaux. Nous faisons le suivi écologique et l’inventaire au même moment, mais c’est un inventaire non exhaustif. Nous avons deux drones qui balaient la zone en ce moment. Chaque fois qu’on identifie les éléphants, on les marque et les dénombre », dit Jean Nyemeg, le délégué régional du ministère des Forêts et de la faune dans la région de l’Extrême-Nord, à Mongabay.

Une réserve de « transit »
Nyemeg explique également que la réserve de Kalfou est une réserve de « transit », et qu’il y a une période de l’année, où les éléphants du parc de Waza, situé dans la même région, migrent vers la commune de Moulvoudaye et entrent dans la zone appelée le triangle agro-pastoral de Mindif. « Après Mindif, les éléphants arrivent dans la réserve de Kalfou où ils passent environ 4 à 6 mois, en fonction des saisons », dit Nyemeg.
Toutefois, un rapport de la Banque africaine de Développement (BAD), publié en 2023, explique que « jadis, les pachydermes effectuaient des migrations vers le Parc national de Waza. De nos jours, ils tendent à se sédentariser ».
Durant leur migration et leur séjour, les éléphants défèquent sur leur passage et, ainsi, fertilisent le corridor de transit et le lieu de leur résidence, qui est, par la suite, prisé par les communautés pour leurs champs.
Appolinaire Tetang est ingénieur agronome et occupe le poste de Chargé du conseil agricole au sein de l’ONG suisse Service d’Appui aux Initiatives locales de Développement (SAILD), basée à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Il explique ce type d’enrichissement des sols : « Les déchets d’animaux contiennent des éléments nutritifs pour le sol et peuvent être utilisés comme des fertilisants. La migration des éléphants est assimilable à la transhumance des bœufs. Quand ils passent quelque part, ils défèquent durant leur voyage et deux à trois mois plus tard, l’endroit devient fertile ».
« Il est bien connu qu’en saison sèche, par exemple, quand un troupeau de bovins séjourne sur une parcelle, bien sûr une parcelle où on a déjà récolté toutes les cultures, l’année qui suit, il y a une belle production qui se développe sur cette parcelle, parce que les déchets animaux auront fertilisé le sol. Cela peut s’appliquer aussi aux éléphants et à tous les herbivores en général », précise-t-il.
Le rapport de la BAD indique qu’à Kalfou, les populations pratiquent en grande partie l’agriculture pour leurs subsistances. Les activités agricoles se déroulent autour de la réserve, empiètent sur la réserve au niveau de certains villages comme Zangayao où les surfaces cultivables débordent sur 8 ha environ.
« Les éléphants passent le temps à déféquer dans leur couloir de migration et ça fertilise le sol. Les populations, avec la croissance démographique, ont tendance à chercher des sols fertiles, et elles trouvent ces sols fertiles dans les couloirs de migration des éléphants. Elle trouve aussi ces sols fertiles dans l’espace de vie des éléphants, des espaces qui sont des aires protégées, des réserves forestières et autres », dit Nyemeg.
L’adjoint au maire de Kalfou explique cette tendance à cultiver sur le corridor des éléphants : « L’humain est plus important que l’éléphant. On ne peut pas demander aux gens de mourir de faim alors qu’ils ont la terre pour cultiver. Nos sols sont arides, les populations de Kalfou doivent avoir l’autorisation de cultiver là où la terre est fertile ».

Cohabitation difficile
Malgré cet apport de l’éléphant reconnu par les communautés, la cohabitation entre les éléphants et la communauté est empreinte de tensions régulières. « Avant, il y avait un corridor et les éléphants suivaient ce corridor. Mais maintenant, ils marchent partout, ils sont éparpillés, ils sont nombreux et détruisent nos champs et nos maisons », dit Tamboutou.
« Durant leur migration, les éléphants ont l’habitude de suivre un itinéraire précis appelé corridor. Sauf que, comme ce corridor est fertilisé par les déjections animales, les communautés cultivent dessus. Lorsque l’éléphant revient l’année d’après, il trouve des champs et des habitations sur son passage. En essayant de contourner ces champs, il se perd et se retrouve en ville. Il peut aussi arriver qu’il tente quand même de suivre son chemin habituel et entre ainsi dans les champs qui ont été aménagés sur son corridor », explique Nyemeg.
Les cultures les plus pratiquées dans et autour de la réserve sont le sorgho de contre-saison appelé localement « Karal », le sorgho de saison pluvieuse, le maïs. A ces céréales, s’ajoutent les cultures comme les arachides, le niébé, le soja, le coton, les pommes de terre, le manioc, le fonio, la patate, le riz pluvial, le sésame, et, quelque fois, le taro, destinés pour l’essentiel à la consommation, mais aussi à la commercialisation, notamment le maïs, le coton, le niébé et le manioc.
L’adjoint au maire se plaint également de la perturbation des semis dans sa commune. « Depuis quelque temps, la présence des éléphants qui dévastent nous empêche de repiquer les cultures de saison sèche telles que le sorgho, puisqu’on repique les champs de sorgho à partir du mois de novembre jusqu’à avril. Pourtant, le sorgho de saison sèche produit plus que celui de saison pluvieuse. Ils aiment les herbes fraiches. Dès que les cultures commencent à pousser, ils sortent de la réserve et viennent tout manger ».

En fait, les éléphants sont des méga-herbivores qui mangent jusqu’à 150 kilogrammes de fourrage et boivent jusqu’à 190 litres d’eau. S’il est vrai que les pachydermes doivent régulièrement se déplacer pour trouver suffisamment de nourriture et d’eau, le ministère en charge de la faune du Cameroun pense que les éléphants sont également perturbés parce que leur territoire est envahi.
« On ne peut pas dire que la vie d’un animal doit être plus importante que la vie humaine. Mais si on porte un regard honnête, objectif et sans complaisance, on constate que c’est nous qui dégradons l’habitat de la faune. La recrudescence des conflits entre les hommes et les animaux à Kalfou est due au fait que le corridor de migration des éléphants est obstrué, au fait que la population empiète la réserve forestière, empiète aussi les aires protégées qui devaient mieux les abriter », dit Nyemeg.
Il ajoute : « Quand l’éléphant arrive dans son corridor de migration ou dans l’espace protégé qui lui est réservé et trouve des champs, la population ou le propriétaire de ce champ se met à faire du refoulement traditionnel, ce qui désoriente l’éléphant et l’amène à prendre une direction autre que sa direction classique. Il peut donc se retrouver hors de sa zone. Il peut faire des rencontres qui aboutissent malheureusement à des morts d’hommes », dit Nyemeg.
Pour tenter de résoudre ce problème, les autorités locales proposent des solutions divergentes. L’adjoint au maire dit : « Il est vrai que la bouse des éléphants aide à fertiliser nos sols, mais, avec le temps, ces éléphants commencent à présenter plus d’inconvénients que d’avantages. Nous ne voulons plus de ces éléphants à Kalfou. La population veut le départ des pachydermes de Kalfou, car ils ont provoqué le déplacement de plus de 1000 personnes, celles-ci ayant fui pour aller chercher les terres là où il n’y a pas d’éléphants ».
Nyemeg souligne qu’il est essentiel de repenser l’urbanisation et d’aménager des espaces définis pour l’agriculture et la faune. Il dit : « Il faudrait qu’on puisse faire un zonage pour permettre aux populations d’avoir des espaces d’agriculture bien définis. Il faut aussi que l’État puisse chercher des moyens adéquats pour que ceux qui sont en charge de la protection de ces animaux, notamment les éléphants et des hippopotames, puissent avoir des moyens pour bien faire leur travail. Dans tous les cas, on fait beaucoup et on va continuer à le faire, même avec très peu de moyens ».
En attendant l’augmentation des moyens, Nyemeg affirme : « Nous intensifions les sensibilisations des populations et nous procédons au suivi écologique de ces éléphants et à leur refoulement éventuellement ».
Image de bannière : Eléphants de savane d’Afrique (Loxodonta africana), Masai Mara. Image de Ray in Manila via Flickr (CC BY 2.0).
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