- Une vingtaine de membres des peuples autochtones Winnin, originaires du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, sont emprisonnés depuis décembre 2024, accusés de troubler l’ordre public et de divulguer de fausses informations.
- Ils dénoncent un projet d’aménagement agroforestier et écotouristique de la forêt classée de Monogaga, confié par l’État ivoirien à l’organisation Roots Wild Foundation (RWF).
- RWF rejette l’accusation de l’accaparement des terres, et soutient qu’elle est en phase d’élaboration d’un plan d’aménagement participatif, qui prendra en compte les besoins des communautés vivant dans cette forêt de près de 40 000 hectares (98,000 acres).
Le 13 janvier 2025, Vincent Djiropo et Dominique Mensah, deux leaders des peuples autochtones Winnin, originaires du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, comparaitront devant le juge d’instruction du Tribunal de première instance de San Pedro. Ceci, un mois environ après leur détention par la police locale. Ils sont accusés des faits d’atteinte à l’ordre public et de divulgation de fausses informations dans le cadre d’un litige concernant la gestion d’une forêt protégée.
Ils y ont été rejoints depuis lors par 18 autres personnes, des ressortissants des cantons de la forêt classée de Monogaga, située dans la région de San-Pedro au sud-ouest du pays. Ceux-ci sont également accusés de trouble à l’ordre public par la justice ivoirienne, après avoir manifesté pour exiger la libération de leurs leaders communautaires susmentionnés.
Ils dénoncent aussi l’accaparement de leurs terres, à travers un processus de privatisation controversée de la forêt classée de Monogaga, d’une densité de 39 828 hectares (98,000 acres), concédée à l’ONG ivoirienne Roots Wild Foundation (RWF) par l’État ivoirien, pour un projet d’aménagement agroforestier et écotouristique.
En février 2024, RWF s’est vu confier le projet d’aménagement de cette forêt classée en 1973, qui était gérée jusqu’à lors par le ministère des Eaux et forêts. En dépit de son statut de protection, elle reste habitée par des communautés au cours des 50 dernières années, y compris les peuples autochtones Winnin, dont l’existence en dépend également.
Une analyse des données satellitaires, réalisée par des chercheurs de l’Université de Nangui-Abrogoua en 2019, a révélé une dégradation importante des forêts dans la réserve. Ils ont signalé que près de 90 % des 11 000 ha (27,000 acres) de forêts à canopée fermée, restantes au cœur de la réserve, ont été perdus entre 1986 et 2017, défrichés par les communautés locales pour faire place à la culture du cacao, de l’hévéa et des cultures de subsistance ainsi qu’au bois d’œuvre et de chauffage.
Fort de ce constat, le projet du RWF a pour objectifs de développer l’agroforesterie, de promouvoir la conservation des reliques de forêts et de la faune, et de transformer le littoral en une destination touristique de renommée internationale.
Cependant, les villageois n’auraient pas été pris en compte dans la mise en œuvre de ce projet, fait savoir Daleba Nahounou, Coordonnateur du programme “ Justice sociale et climatique ” au sein de la branche ivoirienne de l’ONG internationale Jeunes volontaires pour l’environnement (JVE).
« Les communautés ont trouvé qu’au-delà de la reforestation, c’était un deal qui n’a pas inclus les communautés, donc qui les privait de leurs droits. C’est ainsi qu’elles ont commencé à dénoncer et par la suite, leurs leaders ont été arrêtés, sous le fallacieux fait qu’ils ont réalisé une vidéo avec un journaliste », a dit ce défenseur des droits de l’homme à Mongabay au téléphone.
Au sujet de l’implication des communautés, le président de RWF, Bilal Hallal, a expliqué à Mongabay par email que son organisation travaille à l’élaboration d’un plan d’aménagement participatif, qui prendra en compte les besoins des communautés villageoises. « Une fois le plan validé, les populations bénéficieront d’enclaves définitives (une partie de la forêt qui leur sera rétrocédée, où elles pourront profiter de toutes les infrastructures nécessaires pour leur bien-être). Ensuite, notre mission sera la restauration de la forêt, la réintroduction et la conservation des espèces fauniques, ainsi que la création de projets écotouristiques et écoresponsables ».
Il ajoute par ailleurs que de nombreuses actions sociales ont déjà été réalisées par son organisation au profit des communautés villageoises de Kounouko, notamment des écoles, des forages d’eau potable et bien d’autres.

Des campings de naturistes qui fâchent ?
Les représailles des autorités locales, contre les défenseurs de la terre de Monogaga, seraient parties d’une enquête du journaliste indépendant ivoirien, Alain Ahimou, diffusée, fin novembre 2024, sur la toile. Dans le document vidéo, Vincent Djiropo déclare que son peuple n’a pas été consulté par le gouvernement ivoirien avant la privatisation de la forêt classée, et que les populations du village Kounouko ont découvert des campings de naturistes américains et européens sur les plages à sable blanc du village.
Les villageois dénoncent la profanation de leurs espaces ancestraux par les naturistes, et accusent le concessionnaire RWF d’avoir organisé leur séjour sur les terres de Monogaga.
« On l’accuse [Dominique Mensah] de diffusion de fausses informations par un canal digital. Et, pourtant, c’est plutôt moi qui suis l’auteur de la diffusion. C’est plutôt moi qui devrais être accusé, pas lui. Il a parlé, et j’ai diffusé », a dit le journaliste Ahimou à Mongabay, au téléphone, depuis son exil qu’il garde secret, car il serait lui aussi recherché par la justice ivoirienne à la suite de la diffusion de son enquête.
Pour autant, la tension serait toujours vive entre les communautés Winnin et RWF à Kounouko, depuis l’incarcération de certains de ses membres. L’organisation internationale World Rainforest Movement (WRM), et 73 autres organisations à travers le monde, parmi lesquelles JVE Côte d’Ivoire, ont initié une lettre au préfet de San-Pedro, le 15 décembre 2024, pour dénoncer une « criminalisation des défenseurs de la terre dans la région ».
Elles exigent la libération des personnes interpelées, en l’occurrence leurs leaders Vincent Djiropo et Dominique Mensah. Mongabay a tenté de joindre les autorités de la préfecture de San Pedro, responsables de l’ordre public des territoires, mais en vain.
Dans la foulée, l’avocat de ces derniers, Me Mathys Allegra, a confié à Mongabay, au téléphone, qu’il a introduit une demande de mise en liberté provisoire de ses clients, ainsi que des autres membres arrêtés, mais que celle-ci a été rejetée par le Tribunal de première instance de San Pedro.
Image de bannière : Vue aérienne d’une partie de la forêt de Monogaga. Image reproduite avec l’aimable autorisation de Bilal Hallal/Roots Wild Foundation.
Citation :
Douffi, K. G., Koné, M., Kouassi, K. I., N’Guessan, Y. J., & Bakayoko, A. (2019). Farmers establishment impact on the forest dynamic of Monogaga protected forest, in the Southwest of Cote d’Ivoire: Remote sensing and geographical information systems (GIS) approach. European Journal of Engineering and Technology Research, 4(5), 12-20. doi:10.24018/ejeng.2019.4.5.1230
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