- Kodjovi Dansou, un jeune maraîcher de 37 ans, transforme la sécheresse et l'insécurité alimentaire en opportunité agricole en exploitant une ferme située sur une digue, non loin d'Afagnan, au sud du Togo.
- Grâce à une motopompe solaire, il a révolutionné sa production. Cet équipement permet une irrigation précise et économe en eau lui permettant d’augmenter ses récoltes de légumes juteux qui passent de 1 à 10 tonnes par an, tout en réduisant l'épuisement des ressources.
- Pour préserver la biodiversité et la fertilité des sols, Dansou utilise des engrais naturels à base de champignons. Il soutient ainsi la durabilité agricole et minimise les impacts environnementaux.
- Il projette de créer un centre de formation pour partager ses connaissances en agriculture durable, afin que d'autres puissent cultiver tout respectueux de l'environnement.
Le chemin pour arriver à la ferme de Kodjovi Dansou est une aventure en soi. Il faut traverser des sentiers étroits et boueux, parsemés de racines et de pierres, qui rendent chaque pas incertain. Le jeune homme, la trentaine, a choisi d’installer sa ferme de maraîchage au sommet d’une digue à Avegbo, une localité située à 15 km d’Afagnan.
Cette parcelle, autrefois sujette aux inondations du fleuve Mono, est désormais son terrain de bataille contre la sécheresse. Malgré les difficultés d’accès, cette digue lui offre une protection partielle contre les crues soudaines et un avantage unique : l’accès direct à l’eau du fleuve Mono.
« Réussir sa vie, c’est persévérer malgré les obstacles ». Cet adage, le jeune maraîcher originaire d’Afagnan au sud du Togo, l’a bien assimilé et en a fait une devise dans son village natal Avegbo.
Après une scolarité arrêtée au cycle secondaire à cause de la situation de sa mère, qui devait labourer la terre pour nourrir ses frères, ses sœurs et lui, Dansou s’est lancé dans l’agriculture en 2015. Au fil du temps, il s’est forgé en tant qu’acteur du développement communautaire.
Enfant du monde rural et fils de paysanne, le jeune a décidé de s’adonner à ce qu’il savait faire le mieux, l’agriculture. Cela, pour aider sa mère, qui souffrait de la qualité des semences, mais aussi des outils rudimentaires.
Accroupi à même le sol, Dansou, taille moyenne, jette un coup d’œil à son matériel d’irrigation : une motopompe couplée à une plaque solaire.
Après les salamalecs d’usage, le jeune maraîcher nous invite, avec un large sourire à découvrir son exploitation. L’espace de 2 hectares est recouvert de cultures de corète potagère (Corchorus olitorius), appelée adémè au sud du Togo. Une culture qui exige un entretien rigoureux et surtout une bonne maitrise de l’eau. Nous trouvons également des femmes dans cet espace, lames en mains récoltant quelques feuilles de ce légume très consommé dans la région. Toutefois, nous précise-t-il, les 2 ha ne servent pas forcément à faire uniquement de la culture de légumes.
L’irrigation solaire : un tournant décisif pour la productivité
Sous un soleil de plomb, la vie végétale prospère dans cette localité du Bas-Mono, grâce à un système d’irrigation innovant: une motopompe solaire, un précieux allié dans cette quête d’autonomie agricole.
Au début de son projet, les choses n’étaient pas aussi simples. En pleine sécheresse, sans équipement adéquat, Dansou devait parcourir de longues distances pour puiser de l’eau, arrosant chaque plante à la main. « J’étais seul, souvent fatigué, mais je me disais qu’il fallait que ça marche. C’était une promesse que je m’étais faite, pour ma mère, pour ceux qui comptent sur moi », confie-t-il.
L’arrivée de la motopompe solaire, offerte par une structure locale, a tout changé. « Cette pompe, alimentée par l’énergie solaire, réduit considérablement mes efforts quotidiens tout en préservant les ressources locales. Avec elle, je gagne du temps et j’économise l’eau en contrôlant précisément le débit », explique Dansou.
Les résultats sont impressionnants: sa production est passée d’1 tonne de légumes à 10 tonnes cette année. Un bond spectaculaire, qui témoigne de l’impact de cette innovation.
« Au début, moi-même je n’y croyais pas. Mais finalement, cela a pris une autre tournure. La terre m’a donné au-delà de ce que je pouvais imaginer. Aujourd’hui, toute la communauté du Bas-Mono vient acheter chez moi », confie-t-il.
L’engagement et la détermination de Dansou à surmonter les épreuves a, en effet, permis aux femmes de sa communauté de résoudre la question de l’approvisionnement en produits maraîchers. Une activité qui permet à plusieurs d’entre elles de prendre soin de leurs enfants.
Et pourtant cela n’a jamais été facile. « Vous savez, sur 10 carrés, nous pouvons investir entre 200 000 francs CFA et 300 000 francs CFA (environ USD 319,46). La grande partie des charges est faite dans l’achat de semences. Cela nécessite 25 bassines et l’unité est souvent comprise entre 1 500 francs CFA et 2 500 francs CFA (USD 3). En plus de l’achat des semences s’élevant à 37 500 francs CFA (USD 60) au moins, il faut ajouter l’entretien de la culture, surtout le désherbage du champ. Celui-ci se faisant manuellement, revient le plus souvent très cher ».
De plus, les défis climatiques ne sont jamais bien loin. Le calendrier agricole est devenu imprévisible, rendant les saisons de plus en plus incertaines. « Avant, je savais quand semer, quand récolter. Maintenant, tout est décalé », admet Dansou.
Toutefois, sa motopompe solaire et ses méthodes lui permettent de cultiver même en contre-saison, atténuant ainsi l’impact des variations climatiques.
Parfois, la montée des eaux du fleuve Mono rend l’accès à la ferme difficile, voire impossible, et peut submerger certaines parties de sa parcelle. Mais en installant sa ferme sur la digue, il a réussi à limiter les dégâts. Cette installation ingénieuse témoigne de son esprit d’adaptation face à l’adversité.
Interrogé sur ce système d’irrigation, Mayaba Tawelsi, expert en biotechnologie végétale et amélioration des plantes à l’Institut togolais de recherche agronomique (ITRA), estime qu’il est important de noter que les cultures maraîchères sont très sensibles à la sécheresse.
« Pour réussir ces cultures, il faut une maîtrise de l’eau, et cela nécessite des moyens d’irrigation appropriés. La motopompe, par exemple, permet de puiser l’eau et de l’acheminer jusqu’à une parcelle, ce qui est particulièrement utile dans des zones marécageuses ou inondables. Pendant les fortes pluies, ces zones sont naturellement irriguées, mais une fois l’eau retirée, les producteurs doivent continuer à arroser leurs cultures, d’autant plus que le soleil est intense ».
A la question de savoir quel est l’importance de l’irrigation dans la croissance des plantes, il répond : « Les plantes ont des besoins spécifiques en eau, et ces apports ne peuvent se faire que par l’irrigation. Utiliser une motopompe et un système d’irrigation, qu’il s’agisse de bandes perforées ou de tourniquets, est donc essentiel, car le goutte-à-goutte serait difficile à appliquer dans ces conditions. Que ce soit avec une motopompe ou un surpresseur, ces outils sont indispensables pour les producteurs de cultures maraîchères. Sans maîtrise de l’eau, la culture ne peut prospérer. Pendant les périodes de forte chaleur, les plantes montrent rapidement des signes de stress hydrique si elles ne sont pas suffisamment arrosées. Quelle que soit la méthode, gravitaire ou à l’aide d’une motopompe, l’essentiel est d’apporter l’eau nécessaire pour assurer les processus physiologiques de la plante ».
Abordant dans le même sens, Housseini Houmrak, Docteur en sciences de la vie et de l’environnement aux îles Comores, indique qu’une mauvaise qualité d’eau peut gravement affecter la sécurité alimentaire, surtout pour les cultures consommées crues.
Selon lui, la performance des systèmes d’irrigation dépend de divers facteurs, tels que le type de culture, la qualité du sol et la gestion de l’eau.
Le projet de Kodjovi Dansou bénéficie de l’appui technique du ministère de l’Agriculture via l’’Institut de Conseil et d’Appui technique (ICAT), qui s’engage à encourager les pratiques agricoles durables. Conscient des défis posés par le changement climatique sur la sécurité alimentaire, le ministère voit en Dansou un modèle d’innovation et de résilience pour les agriculteurs togolais.
« Soutenir des agriculteurs comme Kodjovi permet de montrer la voie à d’autres et d’inciter à adopter des pratiques agricoles durables au Togo », explique un représentant de l’ICAT au ministère de l’agriculture.
Pour le directeur de cabinet du ministère de l’Agriculture, Konlani Dindiogue, le gouvernement s’efforce de multiplier des partenariats techniques et les programmes de formation pour améliorer les pratiques agricoles chez les agriculteurs.
Selon ses explications, le pays possède un potentiel de terres irrigables estimé à environ 540 000 ha (environ 756 720 terrains de football) sans classification/subdivision, d’après les niveaux d’aptitudes ou de maîtrise de l’eau pour soutenir une agriculture diversifiée et durable.
Des sols vivants et des récoltes abondantes grâce à la préservation de la biodiversité
Pour préserver la fertilité du sol et la biodiversité, le jeune togolais n’utilise que des engrais naturels à base de champignons. Ces fertilisants améliorent la structure du sol et stimulent la croissance des plantes sans effets néfastes. « Avec ces engrais, le sol reste vivant et mes légumes poussent en bonne santé », précise-t-il.
Alfassassi Arouna, ingénieur en infrastructures et réseaux hydrauliques, souligne lors d’un échange avec Mongabay que « le choix de la motopompe solaire et l’usage de produits naturels constituent une approche durable, essentielle dans le contexte du changement climatique ».
Dr Kossi Agbalegnon, biologiste environnemental ajoute: « L’usage d’engrais à base de champignons limite l’érosion chimique, renforce les sols et soutient la biodiversité locale ».
Julie Bélanger de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), soutient également cette pratique. « Les méthodes agricoles à impact réduit, comme celles de Kodjovi, sont cruciales pour préserver la biodiversité », admet-elle.
Safouratou Adaripare, directrice des services de gestion du Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (CORAF), a pour sa part affirmé que l’agriculture intelligente, face au climat, n’est pas simplement une réponse aux effets néfastes des changements climatiques.
Adaripare précise que l’irrigation à la motopompe solaire est une approche, qui associe innovations, technologies et pratiques agricoles résilientes pour, non seulement accroître la productivité, mais aussi pour réduire l’empreinte carbone des systèmes alimentaires, tout en créant des opportunités d’emploi.
Dans ce cadre, poursuit-elle, le secteur privé a un rôle crucial à jouer. « Nous devons, non seulement investir dans ces nouvelles technologies et pratiques, mais aussi être des partenaires actifs pour la formation et l’intégration des jeunes dans les chaînes de valeurs agricoles. Notre avenir commun dépend de la capacité de nous, les jeunes, à s’engager activement dans ce secteur. Nous devons être des innovateurs, des entrepreneurs, des leaders de demain », a-t-elle dit.
Avant l’adoption de ces techniques, les sols s’appauvrissaient et les rendements étaient faibles. Aujourd’hui, la ferme de Dansou est un modèle de durabilité, où chaque récolte enrichit la terre au lieu de l’épuiser.
Tout ceci grâce à son ingéniosité dans la maîtrise de l’eau, explique Gouvidé Jean Gbaguidi, doctorant en Changement climatique et gestion des risques de catastrophes au Centre ouest africain de service scientifique sur le changement climatique et l’utilisation adaptée des terres (WASCAL, sigle en anglais) à l’université de Lomé.
« L’agriculture est le secteur principal affecté par les effets du changement climatique. Nous parlons de la disponibilité en eau et nous dépendons directement des précipitations. La maîtrise de l’eau dont nous parlons ici, c’est d’avoir les outils et les capacités nécessaires pour pouvoir conserver. Premièrement, il s’agit d’utiliser l’eau à bon escient. C’est à dire traiter et réutiliser. Donc, c’est ce à quoi nous devons habituer nos maraîchers. Je pense que si ces étapes sont respectées, nous pouvons essayer de faire face en partie aux effets du changement climatique », dit-il.
Mais, « lorsque les eaux souterraines ne sont pas disponibles et sont réparties de façon inégale dans le monde et surtout en Afrique, les populations vivant dans les zones de socle ou des zones qui ont un accès très limité à ces eaux structurelles seront donc en mesure de maîtriser l’eau, si et seulement si elles arrivent à conserver les eaux pluviales. Donc, la maîtrise de l’eau face aux effets du changement climatique est un sujet d’actualité qui nécessite beaucoup d’attention», ajoute-t-il. « Et maîtriser l’eau ne veut pas dire directement que nous sommes résilients aux effets du changement climatique, puisque l’eau en général dépend de la précipitation. Alors, les systèmes d’irrigation ou bien les pratiques d’agriculture intelligente peuvent également nous aider à économiser l’eau. Il faut que nous nous tournions vers l’agriculture climato-intelligente qui va nous aider à économiser, utiliser, réutiliser et traiter l’eau », précise-t-il.
Un modèle inspirant pour la jeunesse rurale
Le natif du Bas-Mono ambitionne de créer un centre de formation pour transmettre ses connaissances aux jeunes d’Avegbo et d’ailleurs. « J’aimerais que les jeunes de mon village apprennent ce que j’ai appris, qu’ils puissent eux aussi cultiver la terre sans l’épuiser », confie-t-il.
En persévérant malgré les conditions difficiles, Dansou est devenu un modèle pour d’autres jeunes de la région. Grâce à ses techniques d’irrigation solaire, ses engrais écologiques et son esprit d’adaptation, il prouve que l’agriculture peut être une réponse efficace aux crises locales.
Pour sa communauté et ceux qui, comme lui, croient en un avenir où la terre nourrit sans s’épuiser, Dansou a tracé la voie vers une agriculture résiliente.
Image de bannière : Kodjovi Dansou et une de ses collaboratrices récoltant de la corète potagère (adémè). Image de Hector Sann’do Nammangue pour Mongabay.
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