- Le règlement « zéro déforestation » de l’Union européenne, qui devrait entrer en vigueur en octobre 2025, interdit les produits agricoles issus des terres où des forêts ont été coupées.
- Cette règlementation touche notamment le cacao, un des produits les plus consommés et dont l’Afrique est la principale productrice mondiale et qui figure parmi les moteurs de la déforestation.
- Les acteurs du cacao que Mongabay a contactés considèrent que cette mesure européenne risque de favoriser la baisse des prix du produit sur le marché mondial, d’autant plus que l’Afrique ne transforme pas ce produit et n’en est pas grande consommatrice.
A partir du 15 octobre 2025, les produits agricoles issus des sols, où est pratiquée la déforestation, ne pourront plus être admis sur le marché de l’UE (Union européenne). Il ne sera pas non plus possible d’exporter de l’UE les produits bovins, de bois, de cacao, de soja, d’huile de palme, de café, de caoutchouc, et certains de leurs produits dérivés issus des terres ayant subi la déforestation.
Par cette mesure de « Zéro déforestation », la Règlementation de l’Union Européenne sur la déforestation (RDUE), appelé aussi Règlement 2023/1115, compte réduire la déforestation et ses émissions de gaz à effets de serre, ainsi que la perte de biodiversité.
Voulue contraignante, la RDUE s’applique à toutes les productions liées à la déforestation à partir du 30 décembre 2020. Il faudra donc que chaque exportateur des produits bruts vers l’UE, ou que l’exportateur des produits transformés à partir de cet espace démontre l’absence de lien avec des terres, ayant fait l’objet de déforestation ou de dégradation de forêts, et qu’il fournisse les coordonnées de géolocalisation pour une vérification.
Principaux producteurs de cacao, faible consommation locale
Conformément à l’Annexe 1 de la RDUE, même les produits dérivés de ceux qui sont concernés par cette mesure doivent respecter les processus de traçabilité et de diligence raisonnable. Les producteurs de cacao, grands ou petits, ainsi que ceux de la chaîne des produits dérivés, – fèves, coques, pelures, pâte de cacao, beurre, graisse, poudre de cacao, chocolat, sont concernés aussi.
Le cacao est un produit de grande consommation en Europe. Pour l’Afrique où se trouvent les principaux producteurs mondiaux comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, la RDUE pourrait priver certains producteurs de leurs clients européens.
Le Congolais Xavier Kazadi, déclarant en douane investi dans la filière du cacao produit dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), pense que la demande pourrait baisser si l’UE arrêtait d’acheter ce produit issu des champs de déforestation. « En Afrique, il n’y a pas assez d’usines de transformation et la population africaine consomme moins le cacao. Notre produit dépend du marché mondial : même le prix est fixé par le marché », explique Kazadi.
D’après la Plateforme Suisse du Cacao Durable, le monde a produit 5 millions de tonnes de cacao en 2023 dont 50 % proviennent du Ghana et de la Côte d’Ivoire. Ce dernier pays est producteur de 1.8 millions de tonnes en 2023-2024, en baisse par rapport à la saison précédente qui en avait compté 2,241 millions, d’après la base de données allemande Statista.
Même si la production mondiale de cacao n’a cessé d’augmenter au cours des 4 dernières décennies, jusqu’à USD 6 000 la tonne en 2023-2024, les producteurs qui sont africains pour la majeure partie, n’en tirent pas grand profit, du fait du faible niveau de transformation des fèves.
Créer un marché local africain
D’après la Plateforme suisse de cacao durable, « un peu plus d’un tiers de la récolte annuelle est moulue en Europe. Rien qu’aux Pays-Bas, 590 000 tonnes de fèves, soit 12 % de la récolte mondiale, sont moulues. La Suisse transforme environ 55 000 tonnes de cacao, ce qui correspond à 1 % de la production mondiale de cacao ».
Au Cameroun où il est le PDG de Bapccull farmers Cooperative BoD LTD, une association des producteurs de cacao à Makenene, situé dans le département de Mbam-et-Inoubou et la région du Centre, le camerounais Awa Tisighe Ernest pense qu’il est temps que l’Afrique apprenne à consommer ce qu’elle produit. Pour lui, l’éventualité de refus d’acheter le cacao issu des terres de déforestation nuirait à l’économie des producteurs. Puisque la consommation des produits de cacao s’avère faible sur le continent. « Demandez-vous d’abord à quelle fréquence vous mangez du chocolat qui est le principal produit à base de cacao », dit-il.
« Pour obtenir de bons prix sur le cacao, nous devons d’abord apprendre à le consommer. Cela donnera la force de l’offre et de la demande. Notre gouvernement devrait également encourager la transformation locale pour la chaîne de valeur ajoutée », pense Tisighe.
Le Cameroun, 4e producteur mondial (soit une croissance d’un rang par rapport à 2019), a atteint 300 000 tonnes de cacao en 2023-2024, à peu près le même niveau depuis 2016, d’après Statista. Il est le 3e produit d’exportation du pays, d’après l’organisation internationale Initiative pour le commerce durable(IDH), et représente 1 % de PIB du pays (soit 350 millions d’euros) d’après le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR). Depuis 1990, selon ce dernier, le cacao est identifié comme l’un des facteurs majeurs de déforestation dans ce pays de l’Afrique centrale.
Le défi, pour certains pays africains comme le Cameroun, d’après une étude de CIFOR, c’est l’absence de définition claire de ce qu’est le cacao légal. « Plusieurs critères sont utilisables pour tenter de circonscrire les contours d’un cacao légal, comme des normes de qualité, le respect du code du travail, ou l’emplacement des cacaoyères en dehors du domaine forestier permanent. Mais ceux-ci n’ont jamais été discutés, rassemblés et encore moins contrôlés de manière systématique par les services de l’État », fait savoir le CIFOR.
« Pour la durabilité et la viabilité du cacao, le gouvernement doit introduire des lois strictes, qui peuvent nous protéger et protéger l’environnement. L’utilisation de produits pour traiter le cacao est dangereuse pour l’humanité », indique pour sa part Tisighe.
Assurer la traçabilité des produits « zéro déforestation »
Le projet « Cacao life » de l’entreprise américaine spécialisée dans la production des biscuits et de chocolats notamment, qui a son siège à Chicago Mondelēz International, s’inscrit dans cette logique. Elle dit apporter de l’aide aux agriculteurs en termes de savoirs, d’adaptation aux changements climatiques et de lutte contre la déforestation.
En vue de se conformer à la règlementation européenne sur la déforestation, Mondelēz International assure à Mongabay qu’elle participe aux discussions avec les organisations professionnelles « pour garantir une approche cohérente tout au long de la chaîne de valeurs ». Elle dit également travailler aussi bien avec l’UE pour apprendre les procédures et actions requises, qu’avec les fournisseurs pour s’assurer des vérifications nécessaires et de la mise en œuvre de la diligence raisonnable conforme à la RDUE.
Un des défis qui se pose, dans ces tentatives de normalisation du cacao, pour l’Afrique, est d’en retracer la provenance. La règlementation européenne exige la transparence en termes de déclaration de diligence raisonnable. Le producteur, l’exportateur ou l’importateur doit renseigner les coordonnées géographiques de la provenance. Puisque certaines plantations sont établies sur des terres où des forêts ont été coupées.
« Nous allons donc examiner attentivement ces documents, tout en continuant à nous préparer à la mise en œuvre de l’EUDR. La déforestation ne contribue pas seulement au changement climatique mondial, elle a également de graves répercussions sur les communautés et les écosystèmes locaux », assure Mondelēz International, qui dit viser à mettre fin à la déforestation dans ses matières premières.
Quant au Congolais Xavier Kazadi, le cacaoyer produisant pendant de longues années, il est important « de planter des arbres à caractère non-commercial, et qui ont une longue vie ». Il souhaite aussi qu’on arrête de couper les arbres en désordre. Awa Tisighe pense plutôt que les agriculteurs devraient planter les arbres économiques comme les plumiers, les orangers.
Image de bannière : Récolte de café sur le Mont Agou, plus haut sommet du Togo, culminant à 986 mètres d’altitude. Image de j_bg via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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