- Le niveau de mise en œuvre de cette initiative panafricaine, dans l’ensemble des onze pays bénéficiaires, n’est pas satisfaisant.
- Les multiples projets entrepris dans le cadre de l’initiative sont confrontés à de nombreux défis au plan sécuritaire et au manque de financements.
- Les ministres de l’environnement des pays concernés soutiennent que des financements conséquents soient dégagés pour faire avancer les projets à l’échelle des pays.
- Le Global Mechanism de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD) révèle pourtant que plus de USD 16,3 milliards ont déjà été mobilisés pour la mise en œuvre des projets de l’initiative.
RIYAD, Arabie Saoudite – Au Niger, l’Association nigérienne pour le développement florissant (ANDF) est engagée depuis cinq ans dans la restauration des sols dégradées dans la région de Tahoua, au nord-est du pays, limitrophe avec le Mali et l’Algérie. Elle procède, avec l’implication des communautés locales, à la création d’ouvrages appelés demi-lunes et banquettes dans les zones arides. Les deux procédés consistent à créer des tranchées, à y introduire de l’eau pour raffermir le sol et créer des conditions favorables à la plantation d’arbres, ou la régénération de la végétation.
Le président de l’ANDF, Alyakib Ghissa Hamed, a confié à Mongabay que, grâce à ces deux solutions basées sur la nature, son association récupère en moyenne 30 hectares de terres dégradées par an. « Sur une année, nous récupérons 40 hectares, avec une moyenne de 30 hectares dont nous sommes certains de la réussite. Nous avons déjà mené ces actions pendant cinq années. Cela signifie que si on fait le calcul, on va dire qu’on a déjà récupéré au moins 150 hectares, avec environ 10 000 arbres plantés en cinq ans », dit-il. Ces terres restaurées, dans une zone pastorale, essentiellement habitée par des éleveurs nomades Touareg, permettent de créer une régénération du pâturage pour l’alimentation du bétail.
Ce projet de l’ANDF, mené dans le cadre de l’initiative de la Grande Muraille verte (GMV) au Niger, est financé par des fonds de l’Union européenne (UE), à travers la Cellule de crise alimentaire (CCA), une structure rattachée au cabinet du Premier ministre nigérien. Les résultats du projet mené par ANDF auraient pu être plus importants si les actions menées sur le terrain ne faisaient pas face à des contraintes, notamment climatiques, en l’occurrence la sécheresse, la rareté de l’eau, et aussi des problèmes de financements. « On est obligé de transporter l’eau de la ville pour nos zones d’activité, parfois sur une distance d’au moins 40 km, pour arroser les arbres plantés. Il y a aussi des contraintes liées au financement. On mobilise par exemple les communautés pour des journées entières. On devrait normalement leur donner quelque chose (argent) pour les encourager à s’investir dans le projet, mais on n’a pas de ressources pour le faire », explique Ghissa Hamed.
Défaut de financements et insécurité
La question du financement des actions de la GMV à l’échelle des onze pays bénéficiaires (Burkina Faso, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Soudan et Tchad) est au centre des réflexions de cette COP16 sur la désertification. Les délégations ministérielles, les agences nationales de la GMV, les organisations de la société civile et les bailleurs de fonds ont tenu une réunion de concertation sur l’état des lieux de la mobilisation des ressources pour la mise en œuvre de ce programme, le 3 décembre 2024. Cette rencontre a permis de faire le point de l’état d’avancement de l’initiative à l’échelle des onze pays concernés par l’initiative. Les parties prenantes ont reconnu presqu’à l’unanimité que le niveau de réalisation des projets prévus dans le cadre de la GMV n’est pas satisfaisant, en raison de plusieurs facteurs, notamment le défaut de financement et l’insécurité.
« Le niveau de mise en œuvre au Burkina Faso n’est pas satisfaisant (…) En termes de résultats concrets, on peine à avoir des résultats à hauteur de nos ambitions », a dit Roger Baro, ministre burkinabè de l’Environnement, de l’eau et de l’assainissement, dans une déclaration à la presse. « Les défis pour la mise en œuvre de la Grande Muraille Verte sont l’inconstance des partenaires techniques et financiers et la question de la sécurité. Pour l’inconstance des partenaires techniques et financiers, on leur a dit d’aller droit au but. Nous avons déjà des actions prêtes dans nos pays pour la mise en œuvre. On leur demande d’augmenter la part des investissements et d’avoir un investissement sensible au reboisement ; d’adresser la question de la sécurité parce que sans sécurité, une grande partie de l’Afrique va rester en marge de la mise en œuvre des programmes de la Grande Muraille Verte », précise-t-il.
Son homologue du Nigeria, Balarabe Abbas Lawal, abonde dans le même sens : « Au Nigeria, l’insécurité est un challenge important pour la réussite de l’initiative de la Grande Muraille Verte. La sécurité est très fondamentale dans la lutte contre la dégradation des terres. Dans nos pays en Afrique, la dégradation des terres induit aussi des migrations, et ces migrations entrainent l’insécurité. Les gens se déplacent dans les régions où ils ne sont pas familiarisés et cela entraine des conflits. Nous devons faire plus que ce que nous faisons déjà ».
Le Burkina Faso comme le Nigeria, à l’image des autres pays concernés par la GMV, font face à d’importants défis sécuritaires. Ils ont presqu’en commun les activités terroristes qui menacent l’intégrité de leurs territoires respectifs, et ne favorisent pas un environnement propice à la réalisation des projets de développement à l’image de ceux de l’initiative panafricaine. Mais, c’est surtout la question du financement qui freine l’avancée de l’initiative, à en croire Hassan Bakhit Djamouss, ministre de l’Environnement, de la pêche et du développement durable du Tchad. « Nous avons vraiment besoin des moyens financiers. On parle beaucoup, mais si à la fin on n’a pas ces moyens, on est en train d’être envahi par le désert. Le Tchad est un pays très désertique. Je demande à nos partenaires financiers, notamment la BAD, l’Union européenne, la Banque mondiale et les autres, de nous accompagner de façon conséquente et tout de suite », a dit Djamouss.
Les agences nationales déconnectées des financements
Lancée en 2007 par l’Union africaine, l’initiative panafricaine vise à restaurer 100 millions d’hectares de terres, à séquestrer 250 millions de tonnes de carbone et à créer 10 millions d’emplois dans les onze pays susmentionnés d’ici à 2030. À l’occasion du sommet One Planet Summit, tenu en janvier 2021 à Paris, plusieurs organisations multilatérales et bilatérales, ont fait la promesse d’octroyer des financements de USD 19 milliards pour accélérer la mise en œuvre de la GMV sur la période 2021-2025. Pour ce faire, une plateforme multi-acteurs nommée « Accélérateur de la Grande muraille verte » a été mise sur pied, pour faciliter la coordination et la collaboration des donateurs et les parties prenantes impliquées dans l’initiative. Elle est chapeautée par le Global Mechanism, un instrument de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, créé pour faciliter la mobilisation des ressources financières pour la mise en œuvre des projets de la Convention.
Gilles Amadou Ouédraogo est le Program management officer de l’Accélérateur de la Grande Muraille Verte au Global Mechanism. Il a assuré à Mongabay, que l’on se rapproche déjà de la mobilisation complète des USD 19 milliards promis par les partenaires financiers. Au demeurant, il existe des incompréhensions sur l’orientation de ces financements au profit des projets dédiés exclusivement à la GMV. « Les pays ont une plainte. C’est difficile pour eux d’accepter qu’il y ait des projets de la Grande Muraille Verte qui soient adoptés au niveau des pays et que les agences nationales de la Grande muraille verte ne soient pas associées à leur mise en œuvre, ni à la conception, à leur évaluation, encore moins à leur méthodologie », a-t-il dit.
Il croit savoir que les financements envoyés aux pays sont généralement centralisés au niveau des ministères des finances, de l’économie ou encore de la planification, et ne sont pas reversés aux ministères de l’environnement ou aux agences nationales compétentes pour conduire les projets de l’initiative. En conséquence, il devient difficile pour les agences nationales de fournir des données sur le niveau d’avancement des projets. Ces goulots d’étranglement constituent, pour ainsi dire, des freins à la mise en œuvre optimale des actions de la GMV. « Il faut vraiment que, lorsque les fonds identifiés comme des projets de la Grande Muraille Verte arrivent dans les pays, qu’ils soient orientés vers les ministères de l’environnement ou les agences nationales de la Grande Muraille Verte, car celles-ci, sont souvent déconnectées du processus et ne sont pas associées à la mise en œuvre technique, et c’est problématique. C’est quelque chose que nous devons résoudre, et la seule manière de le résoudre, est de le faire à travers des coalitions nationales pour la coordination des initiatives de la Grande Muraille Verte », ajoute Ouédraogo.
Les statistiques obtenues auprès de l’Accélérateur de la GMV renseignent que plus de USD 16,3 milliards ont déjà été mobilisés sur les USD 19 milliards promis par les partenaires financiers lors du One Planet Summit, avec la contribution de la Banque africaine de développement (BAD), de l’Agence française de développement (AFD), du Fonds international de développement agricole (FIDA), de la Banque mondiale, du Programme alimentaire mondiale (PAM) ou encore du Global environment facility (GEF).
Image de bannière : De jeunes arbres plantés par l’Association nigérienne pour le développement florissant (ANDF) dans la région de Tahoua, au Niger. Image de ANDF avec son aimable autorisation.
Feedback : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.