- Les forêts du bassin du Congo jouent un rôle essentiel dans la conservation de la biodiversité mondiale, notamment en agissant comme puits de carbone.
- Le bassin du Congo, considéré comme le deuxième poumon vert de la planète après l'Amazonie, peut contribuer substantiellement à résoudre les problèmes de changement climatique, grâce à des pratiques agricoles durables comme l'agroforesterie et l'agroécologie.
- Un appel à l'action est lancé pour que les gouvernements et les organisations internationales collaborent, afin de développer des cadres politiques favorables à l'agroécologie.
Selon Carmel Kifukieto, docteur en sciences agronomiques et en gestion des ressources naturelles en République Démocratique du Congo (RDC), le bassin du Congo peut jouer un rôle déterminant dans la régulation du climat, la lutte contre le changement climatique et la durabilité des systèmes alimentaires.
Le chercheur s’exprimait ainsi au cours du forum sur l’agroécologie, organisé à Yaoundé, du 18 au 20 novembre 2024, par l’ONG camerounaise Service d’Appui aux Initiatives Locales de Développement (SAILD) en partenariat avec le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, ainsi que d’autres partenaires.
Le forum a mobilisé des experts de 15 pays d’Afrique et d’Europe, qui ont discuté de la durabilité des systèmes alimentaires et de la protection de l’environnement dans le bassin du Congo. « Le bassin du Congo est le deuxième poumon vert de la planète après l’Amazonie. Il peut donc contribuer substantiellement à résoudre les problèmes de changement climatique, à travers des pratiques comme l’agroforesterie et l’agroécologie. En fait, le bassin du Congo est une région solution pour le changement climatique », affirme Kifukieto.
Le bassin du Congo est un immense écosystème forestier tropical, qui couvre une grande partie de l’Afrique centrale, s’étendant sur une superficie de plus de 251 millions d’hectares, soit l’équivalent d’environ 358,57 millions de terrains de football.
Les forêts de cette région représentent la deuxième plus grande réserve de forêts tropicales humides et denses, constituant environ un cinquième des forêts tropicales à canopée fermée restantes dans le monde.
Ces forêts, abritent notamment trois des quatre espèces de Grands Singes à savoir le chimpanzé (Pan troglodytes), le gorille de plaine de l’Est (Gorilla beringei) et le bonobo (Pan paniscus) et jouent un grand rôle dans la préservation de la biodiversité mondiale. Elles agissent également comme puits de carbone, offrant des services écologiques essentiels à l’échelle locale et globale.
Josué Aruna, activiste à Congo Conservation Society (CBCS), une ONG congolaise qui milite pour la gestion rationnelle des ressources naturelles et de la biodiversité du bassin du Congo, a pris part également aux travaux du forum.
Pour ce dernier, bien qu’une partie du bassin du Congo ait été protégée ces dernières années, les écosystèmes forestiers sont toujours menacés par la déforestation, la surexploitation des ressources en bois et en minéraux, ou encore le braconnage. « Les communautés locales et les peuples autochtones du bassin du Congo sont de plus en plus confrontés aux effets néfastes du réchauffement climatique et du dysfonctionnement des systèmes alimentaires. On constate aussi la perturbation dans l’approvisionnement en eau. Il est probablement nécessaire de passer de l’agriculture conventionnelle à une agriculture plus résiliente, qui va contribuer à la durabilité des systèmes alimentaires », a dit Aruna à Mongabay.
Equilibre entre protection de l’environnement et satisfaction des besoins alimentaires
Les participants (près de 200) au forum font le constat que la pratique de l’agroécologie dans le bassin du Congo est freinée par plusieurs défis comme la déforestation, la pollution et des impacts négatifs sur la biodiversité et la santé. Ils reconnaissent aussi qu’elle peine à se développer en raison de sa faible intégration dans les politiques publiques, du manque de sensibilisation des agriculteurs et des obstacles liés à l’accès aux marchés et au financement.
A l’issue des travaux, ils ont déclaré que « l’agroécologie comme modèle agricole alternatif, durable et porteur de transformation des modes de production, des systèmes alimentaires et nutritionnels, doit être reconnue, établie et intégrée dans les politiques agricoles nationales et sous-régionales comme moyen de construction des systèmes alimentaires et nutritionnels durables dans le bassin du Congo ».
Ils ont aussi recommandé, entre autres, que « les États du bassin du Congo et les organisations internationales élaborent et mettent en œuvre des cadres politiques, juridiques et institutionnels spécifiques favorables à l’agroécologie et susceptibles d’assurer la construction de systèmes alimentaires sains, de contribuer à la résilience climatique, à la gestion durable des forêts et à la conservation de la biodiversité dans le bassin du Congo ».
Selon Kifukieto, « on ne peut pas faire de l’agriculture sans toucher à la terre ni à l’arbre. Qui dit toucher à l’arbre dit en contrepartie renvoyer dans la nature les gaz à effets de serre. Le dilemme est de savoir comment nourrir des milliards de personnes sans toucher à la terre ni à l’arbre, sans dégrader l’environnement dans le bassin du Congo ».
Il a fait savoir qu’« en appliquant les méthodes agroécologiques dans le bassin du Congo, on peut sauver la biodiversité qui y est encore et restaurer ce qui a déjà été dégradé, faisant ainsi du bassin du Congo la solution pour le changement climatique ».
Ce dernier explique qu’en plus de l’agroforesterie, plusieurs autres pratiques agricoles peuvent être utilisées pour faire de cette région la solution pour le changement climatique.
A titre d’illustration, il cite la régénération naturelle assistée, qui consiste à favoriser le retour de la végétation naturelle sur un terrain dégradé en protégeant et en améliorant les jeunes plants et les semences qui s’installent spontanément.
Il cite également l’agriculture intégrée, qui combine différentes activités agricoles (cultures, élevage, etc.) de manière harmonieuse, afin d’améliorer la productivité et la durabilité des systèmes agricoles. Enfin, l’association des cultures qui consiste à cultiver différentes espèces végétales sur une même parcelle de terre, ce qui permet de maximiser l’utilisation des ressources et de prévenir les maladies et les ravageurs en créant un écosystème agricole plus résilient. « La régénération est déjà utilisée avec succès en RDC. On y utilise également d’autres pratiques innovantes telles que le remplacement du plastique par des pots écologiques faits à partir de feuilles de bananier pour les pépinières, le compostage, l’utilisation d’engrais verts, la jachère améliorée ou encore la rotation des cultures », dit-il.
Louis Marie Kakdeu, socio-économiste et président de l’ONG Cameroon Forum for Agricultural and Advisory Services (CAMFAAS), voit également un énorme atout dans le bassin du Congo, faisant de cet espace une solution pour atténuer les changements climatiques. « Il y a un impressionnant potentiel agroécologique dans le bassin du Congo. Si nous, dans le bassin du Congo, ne réussissons pas cette transition agroécologique, ce serait incompréhensible parce que nous avons tout pour réussir », dit Kakdeu.
Challenge d’une agriculture durable sans surexploitation
Au cours de ce forum, les participants ont expliqué que le challenge des gouvernements est de s’assurer qu’on pratique une agriculture durable sans surexploiter la forêt ou couper des arbres.
« Chaque année, nous menons des campagnes de plantation d’arbres. Nous avons aussi beaucoup d’aires protégées. Nous nous attelons à résoudre constamment le dilemme qui consiste à sauvegarder les aires protégées et en même temps à améliorer la qualité de vie des communautés et contribuer à leur nutrition », a dit Erem Delphine Ikome, conseillère technique au ministère camerounais des Forêts et de la faune.
Alain Rousseau, conseiller technique principal au Cameroun à la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), adhère à l’idée de promouvoir l’agroécologie dans le bassin du Congo. « Avec l’augmentation démographique, on est obligé de travailler avec la terre, de travailler avec notre environnement et pas contre cet environnement. Il est important que, dans le futur, on puisse extraire de notre environnement l’alimentation nécessaire à la population sans détruire cet environnement. L’agroécologie est une des meilleures voies pour ce faire, tout en remplissant aussi d’autres fonctions sociales et en renforçant la résilience des populations. Tous ces éléments nous permettront, d’ici à 2050, de nourrir 10 milliards d’habitants, tout en chérissant notre terre nourricière pour les générations à venir », dit-il à Mongabay.
Image de bannière : Une femme récolte toutes les feuilles de Gnetum spp. (okok) dans le village de Minwoho, Lekié, région du Centre, Cameroun. Image de Ollivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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