- Une étude récente a découvert qu’un groupe de caracals d’Afrique du Sud chasse aujourd’hui régulièrement des oiseaux marins, y compris des cormorans du Cap et des manchots du Cap en danger d’extinction.
- Ce changement d’alimentation est le résultat de nombreux changements de grande ampleur provoqués par les humains sur la péninsule du Cap depuis l’arrivée des premiers colons européens.
- L’évolution du paysage a entraîné un plus grand chevauchement des aires de répartition des espèces, ce qui a mis en contact des prédateurs avec de nouvelles proies.
- Dans ce système, les solutions et les actions de conservations sont complexes, comme le sont les avis sur la bonne façon de gérer la zone.
La ville du Cap — Le bruit sec d’un pistolet à air comprimé retentit à travers les flancs boisés de Constantia, alors que des volontaires rabattent une troupe de babouins pour les éloigner de la banlieue aisée du Cap, qui s’est développée dans leur aire de répartition historique. Les babouins chacma (Papio ursinus) jouent un rôle écologique important, mais grâce à un accès facile à la nourriture des humains riche en calories et à la disparition de leurs prédateurs naturels, leur population a fortement augmenté. Elle se heurte maintenant régulièrement aux habitants mécontents de la ville.
La ville fait partie d’un système « complexe », explique Gabriella Leighton, une chercheuse post-doctorante à l’université du Cap. Près de 5 millions de personnes y vivent, mais la deuxième ville la plus peuplée d’Afrique du Sud fait également partie de la région florale du Cap, un haut lieu de la biodiversité. Alors que les impacts de siècles de changements provoqués par l’homme se répercutent à travers le système, les altercations sont inévitables.
Cependant, Leighton, une spécialiste en écologie urbaine et en conservation des carnivores, dit que la péninsule du Cap, une zone de près de 500 kilomètres carrés de biodiversité exceptionnelle, qui recouvre la ville et ses banlieues, est également un laboratoire naturel. Récemment, elle a publié le premier constat de félins sauvages chassant régulièrement des proies marines. Un groupe local de caracals (Caracal caracal), des félins de taille moyenne, qui se distinguent par leurs oreilles pointues se terminant par de longs pinceaux de poils noirs, chassent des oiseaux marins, y compris des cormorans du Cap (Phalacrocorax capensis) et des manchots du Cap (Spheniscus demersus) en danger d’extinction.
Le changement très opportuniste de régime alimentaire du prédateur est probablement le résultat de changements de grande ampleur provoqués par les humains, qui ont entraîné des rencontres plus fréquentes entre des caracals et des oiseaux marins, dit Leighton. La cascade complexe de changements a commencé il y a longtemps, et s’est intensifiée avec l’arrivée des colons européens.
L’histoire des caracals de la péninsule du Cap
Avant l’arrivée des colons européens, la péninsule du Cap, regorgeait d’animaux sauvages. Les grandes antilopes étaient nombreuses, et les éléphants (Loxodonta africana), les rhinocéros noirs (Diceros bicornis), les lions (Panthera leo), les léopards (Panthera pardus) et les caracals étaient répandus.
Jan van Riebeek, le fondateur de la colonie hollandaise du Cap a abattu son premier hippopotame (Hippopotamus amphibius) 12 jours après son arrivée au Cap en 1652, sonnant le glas des grands troupeaux sauvages.
Le changement a été rapide et de grande ampleur. Vers les années 1700, les hippopotames ont été exterminés de la péninsule du Cap, et les lions, les léopards et la plupart des grands mammifères ont suivi. Certaines espèces, comme le couagga (Equus quagga quagga), une sous-espèce de zèbre, et l’hippotrague bleu (Hippotragus leucophaeus), une sorte d’antilope, ont été exterminées à jamais.
Les colons ont également abattu des arbres de la région pour la construction et d’autres besoins domestiques ; ils ont planté des espèces importées pour leurs fruits, le bois de chauffage et l’ombre.
« C’est un endroit fascinant », dit Deborah Winterton, l’agente de liaison scientifique de SANParks (South African National Parks), l’autorité de gestion du Parc national de la Montagne de la table. Elle fait toutefois remarquer, qu’il s’agit également d’un système endommagé, dans lequel l’équilibre naturel est perturbé.
L’expansion urbaine a transformé la péninsule du Cap en une île écologique cernée par la ville et la mer. Cette péninsule est aujourd’hui un paysage fragmenté géré par différents propriétaires et autorités indépendantes.
Dans cet environnement en évolution rapide, la survie d’une espèce dépend en partie de sa flexibilité alimentaire. Le caracal est le roi en la matière. Le félin est devenu de fait le principal prédateur dans la région après la disparition des lions et des léopards. Leighton dit que l’espèce très généraliste change son alimentation en fonction de son environnement. Les chercheurs ont identifié plus de 70 espèces dans l’alimentation du caracal. Les oiseaux et les rongeurs sont leurs proies les plus courantes, mais ils chassent également des lièvres, des damans, des petits singes, des reptiles et même des insectes.
Les caracals sont attirés par les zones où la chasse semble meilleure, dit Leighton. Dans le sud de la péninsule, c’est le long de la côte. L’analyse des isotopes stables, dans les poils de caracals, indique qu’environ 25 félins sont désormais des chasseurs côtiers. Ils chassent sur la plage et les rivages rocheux, ainsi que dans des colonies d’oiseaux marins le long de falaise, en particulier à la pointe du Cap du Parc national de la Montagne de la table. Des oiseaux marins, dont des cormorans, des manchots, des mouettes, des fous et des sternes constituent régulièrement près d’un tiers de leur régime alimentaire.
Cependant, même certaines de leurs proies sont nouvelles dans la zone.
Bien qu’ils aient probablement passé du temps sur le continent, les manchots africains ne se sont installés sur la péninsule sud pour se reproduire que récemment. Une paire est arrivée dans les années 1980 sur la plage de Boulders à l’est de la péninsule, et a donné naissance à une colonie.
« Nous ne savons pas vraiment pourquoi des manchots sont venus à Boulder », dit Christina Hagen, une biologiste spécialiste de la conservation des manchots à BirdLife South Africa. Les manchots africains sont endémiques de petites îles au large des côtes de l’Afrique du Sud et de la Namibie, et il est possible que la paire de Boulders soit allée sur le continent à cause d’un manque de nourriture autour de leur colonie de naissance, ou qu’ils aient été contraints à partir par le surpeuplement, explique Hagen. Il est probable qu’ils aient choisi Boulders, ajoute-t-elle, car des cormorans et d’autres oiseaux marins nichaient dans la zone, indiquant qu’elle était adaptée.
D’autres ont postulé que le nombre de colonies d’oiseaux marins a augmenté sur le continent le long de la côte à mesure que des activités humaines ont détruit les habitats des colonies en mer. À l’inverse, la protection de la côte autour du Cap s’est améliorée.
Le rétrécissement de l’habitat a toutefois aussi poussé les oiseaux dans le territoire de prédateurs terrestre endémique, comme le caracal.
Un effet papillon des changements
Mais, selon Leighton, même pour les caracals, il y a un coût caché à ses proies très nutritives. Les oiseaux marins, qui se nourrissent loin des côtes, sont exposés à des polluants marins. Leighton dit que les caracals, qui se nourrissent d’oiseaux marins, sont plus exposés à des polluants organiques persistants et à des métaux contaminants, comme l’arsenic, le mercure et le sélénium.
« La plupart des caracals sont exposés à différents polluants, et nous ignorons dans quelle mesure ceux-ci interagissent et exercent un coût physiologique sur l’animal », dit-elle.
Bien qu’il soit difficile d’étudier l’impact des polluants sur les populations sauvages, des études menées sur des animaux captifs ont montré que les effets peuvent être très néfastes.
« Notre travail suggère qu’il y a des coûts physiologiques, ce qui signale que cette exposition peut impacter leur état biologique et à terme avoir des impacts à l’échelle de la population », explique Leighton.
Cela s’ajoute à l’ensemble de menaces, que les caracals doivent déjà affronter dans un environnement urbain. Des caracals sont régulièrement renversés par des voitures, empoisonnés, attaqués par des chiens domestiques et pris dans des collets installés pour attraper du gibier.
Leighton indique, que la population de caracals de la péninsule du Cap présente une diversité génétique plus faible, en raison de son isolement des autres félins. La consanguinité et une faible diversité génétique peuvent affecter davantage leur santé et abaisser leur résistance aux effets négatifs des maladies et des polluants.
Malgré tout, lorsque deux caracals ont tué près de 130 manchots en deux mois sur la plage de Boulders en 2016, les autorités sont intervenues et ont déplacé les félins, bien que des biologistes spécialistes de la conservation des caracals s’y soient ardemment opposés. Même si les colonies de manchots africains et de cormorans du Cap de la péninsule ne représentent qu’un faible pourcentage de la population globale, elles diminuent à un rythme inquiétant. Les deux espèces sont classées « en danger » sur la liste rouge de l’UICN.
Pourtant, pour Leighton, la découverte que les caracals ont l’habitude de manger des oiseaux marins n’est pas un motif d’inquiétude, mais un motif de réjouissance. Malgré les changements et les menaces, cela met en lumière l’abondance d’espèces sauvages qui peuvent encore être préservées en zones urbaines.
Image de bannière : Les manchots africains sont désormais une espèce en danger et classée comme nécessitant des mesures de conservation urgentes. Image de Petro Kotze.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 8 octubre, 2024.
Citations:
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Leighton, G. R. M., Froneman, P. W., Serieys, L. E. K., & Bishop, J. M. (2024). Sustained use of marine subsidies promotes niche expansion in a wild felid. Science of The Total Environment, 914, 169912. doi:10.1016/j.scitotenv.2024.169912