- L’Union européenne a décidé de mettre fin à ses Accords de partenariat volontaire (APV) du Forest Law Enforcement Governance and Trade (FLEGT) au Cameroun et au Liberia, en raison des progrès insuffisants relevés dans la mise en œuvre de ces accords.
- Le processus FLEGT permet, au secteur privé, de répondre aux défis de la gestion forestière, et de garantir le maintien des services, qu'il procure aux acteurs du secteur forestier.
- Les défenseurs de l’environnement alertent sur les risques de déforestation et de dégradation des forêts tropicales, qui pourraient s’accélérer avec cette rupture.
- Au plan économique, cette décision unilatérale de l’UE est perçue plutôt comme une opportunité d’accès au bois légal chez les industriels camerounais de la seconde transformation du bois.
Au début du mois octobre dernier, l’Union européenne (UE) a annoncé officiellement aux gouvernements du Cameroun et du Liberia, la rupture de ses accords commerciaux sur les forêts appelés « Accords de partenariat volontaires (APV) sur l’application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (FLEGT) », en raison de progrès insuffisants enregistrés dans la mise en œuvre par ces deux pays africains.
Au lendemain de cette annonce, des voix s’élèvent sur cette position jugée controversée. Les militants écologistes, les experts forestiers et les juristes disent presqu’à l’unisson, que la renonciation aux APV par l’UE est susceptible d’accélérer le rythme de déforestation et de dégradation des forêts dans ces deux pays, et d’avoir des effets induits sur le changement climatique, les communautés locales et les peuples autochtones.
Dans un communiqué rendu public, le 7 novembre 2024, l’organisation à but non lucratif Sustainable Development Institute (SDI), la branche libérienne du mouvement écologiste international « Les Amis de la Terre », soutient que l’abandon des APV risque d’accroître l’exploitation forestière illégale. Une hypothèse que partage l’expert forestier Guy Beloune, en service à Global Forest Environment Consulting (GFEC), un cabinet d’ingénierie au Gabon spécialisé en forêt-bois, en environnement et en développement local durable. Il soutient que « la déforestation accélérée et la mal gouvernance forestière pourraient s’aggraver, car l’APV-FLEGT visait à améliorer la gestion durable des forêts et à réduire l’exploitation forestière illégale ». « Sans cet accord, les mécanismes de contrôle des administrations forestières des pays signataires de l’accord pourraient s’affaiblir, de même que l’observation indépendante menée par les organisations de la société civile. Ce qui pourrait accroitre les coupes illégales de bois, et entrainer la déforestation », a-t-il dit à Mongabay au téléphone.
Cadre juridique contraignant
Au Cameroun, l’ONG Forêts et Développement Rural (FODER) fait partie des entités ayant participé aux négociations des APV-FLEGT avec l’UE depuis 2007, jusqu’à sa signature en 2010. Elle a ensuite travaillé pour sa mise en œuvre, dans le renforcement des mécanismes visant à appliquer la loi, au renforcement de la participation des communautés et à l’amélioration de la transparence dans le secteur forestier. Le Coordonnateur de cette organisation, Justin Christophe Kamga, s’inquiète également de cette position de l’UE, qu’il considère comme une entorse à la transparence et à l’application de la loi, et aussi pour le partage des revenus issus de l’exploitation forestière. « Si en l’état actuel, les communautés et la société civile éprouvent déjà beaucoup de difficultés pour pouvoir bénéficier des retombées de l’exploitation forestière légale, on imagine qu’avec l’absence de l’APV-FLEGT, les choses vont aller s’empirant », déplore-t-il. Au plan climatique, il dit à Mongabay que : « S’il n’y a pas de mécanismes permettant de préserver les forêts, on tendrait vers tout ce qui peut accroitre le changement climatique. La coupe des arbres induit une émission des gaz à effet de serre et une absence des moteurs de séquestration de ces gaz ».
Le processus FLEGT révise la gouvernance forestière dans les pays producteurs de bois, en adoptant une approche qui permet aux populations vulnérables de s’exprimer, et de garantir leurs droits, eux qui sont les plus touchées par la destruction des forêts. Dans le même temps, le processus offre des incitations commerciales importantes aux gouvernements et au secteur privé, en leur promettant un accès aux marchés de l’UE par la « voie verte ». Pour créer des conditions plus équitables, l’APV insiste sur la participation des parties prenantes, la transparence et la responsabilité –généralement là où de telles traditions politiques n’existaient pas comme sur les marchés asiatiques–, ce qui a profondément amélioré le paysage de la gouvernance forestière. L’ONG SDI estime d’ailleurs que le Cameroun et le Libéria ont réalisé des progrès satisfaisants dans la mise en œuvre de ces accords. Jonathan Yiah, Coordonnateur de SDI, a d’ailleurs dit à Mongabay, que le retrait de l’UE des APV-FLEGT risque « d’anéantir les progrès réalisés, et de mettre en péril la gouvernance future de la gestion durable des forêts dans ces deux pays ».
Cette opinion est également partagée par Augustin Mpoyi, Avocat et expert en droit de l’environnement en République Démocratique du Congo (RDC), pour qui, il n’existe pas de « motif sérieux » pouvant justifier la décision de l’UE. « Il est curieux que l’UE se retire (de ces accords) alors que les pays (du bassin du Congo) ont fait le maximum de ce qu’il fallait faire selon ces exigences sur ce processus de traçabilité », a dit l’activiste du Conseil pour la défense environnementale par la légalité et la traçabilité (CODELT), dans un échange téléphonique avec Mongabay.
Mpoyi affirme que, même dans l’hypothèse du retrait de ces accords par l’UE, le cadre international juridiquement contraignant peut servir d’instrument, pour réglementer le partenariat existant. « Le principe fondamental repose sur la consultation dans la traçabilité sous certification dans la filière bois, et la traçabilité industrielle sur fond d’expertise judiciaire est complètement violée », dit-il à Mongabay.
En termes d’efforts vantés par le SDI, au Libéria par exemple, signataire de ces accords en 2013, une partie des recettes fiscales provenant de la gestion des forêts sert à financer des projets de développement communautaire, tels que la construction de dispensaires, d’écoles et de centres de formation professionnelle.
Le Cameroun, quant à lui, a révisé sa loi forestière en juillet 2024, et a mis sur pied un Système informatisé de gestion de l’information forestière (SIGIF), avec pour objectif de lutter contre l’abattage illégal des essences forestières, et d’accroitre les recettes issues de la redevance forestière payée par les exploitants forestiers.
« Une chance pour le Cameroun de repenser sa politique forestière »
Au demeurant, la rupture des APV-FLEGT est diversement appréciée au Cameroun. Chez certains industriels réunis au sein de la Fédération camerounaise des associations et des professionnels de la seconde transformation du bois (FECAPROBOIS), elle est plutôt perçue comme une opportunité d’accès au bois légal, prioritairement destiné à l’exportation.
Joint au téléphone, Pamphile Ntanga, Secrétaire général adjoint de cet organisme, estime que cette décision est « une chance pour le Cameroun de repenser sa politique forestière en faveur des opérateurs locaux ». « La politique forestière est orientée vers l’exportation, ce qui fait que nous, en tant qu’opérateurs locaux, nous sommes marginalisés. Bien que l’article 9 alinéa 3 de l’APV-FLEGT prend en compte le marché intérieur du bois, nous avons du mal à accéder au bois, à cause des procédures qui sont assez complexes et onéreuses (…) Même si la loi (forestière) a été révisée, elle ne favorise pas l’accès au bois pour les Petites et moyennes entreprises (PME) locales. Elle fait toujours la part belle aux entreprises étrangères. Nos intérêts ne sont pas préservés. Nous ne pouvons pas continuer indéfiniment à réfléchir aux voies et moyens à même d’améliorer les économies des pays étrangers. Ça nous choque énormément ».
En dépit des débats suscités par cette décision, les défenseurs de la nature restent optimistes sur d’autres options de gouvernance forestière promues par l’UE, notamment l’European Regulation on Deforestation (EUDR), votée en 2022, qui oblige les entreprises qui commercialisent des produits tels que le bœuf, le café, le chocolat, l’huile de palme et le bois sur le marché européen, à prouver que leurs produits ne sont pas issus de la déforestation. Ceci, alors que le Parlement européen a voté le 14 novembre 2024, le report de l’application de la législation sur la déforestation, pour retarder la mise en exécution de cette mesure jusqu’au 30 décembre 2025. Ce vote suscite d’ailleurs l’indignation de l’ONG américaine Greenpeace. Cela « ouvre la voie à une nouvelle année de déforestation pour les produits commercialisés sur le marché européen », a-t-elle indiqué dans un communiqué, publié le 14 novembre 2024, sur son site internet.
Yiah souligne la nécessité pour l’Union européenne de travailler avec ses deux partenaires africains, pour relever les défis émergents, afin de faire avancer le processus déjà entamé dans la traçabilité des produits forestiers, tant au niveau du bassin du Congo qu’en Afrique de l’Ouest. Le but étant de mettre fin à l’exploitation forestière illégale et au commerce associé pour les deux pays africains ciblés par ces mesures, notamment. Toutefois, son développement a fait l’objet de divergences importantes entre l’UE et les deux pays africains, selon une déclaration officielle rendue publique par les responsables de l’UE, en marge de la 29ᵉ Conférence des Parties (COP) sur le changement climatique, qui se tient en ce moment (11-22 novembre 2024), à Bakou, en Azerbaïdjan.
Image de bannière : Un ouvrier inscrit des mesures sur des grumes abattues et débusquées hors de la forêt au Libéria. Image de Flore de Preneuf/PROFOR via Flickr (CC BY-NC 2.0).
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