- La désertification touche un sixième de la population mondiale et un quart de la superficie totale des terres dans le monde.
- Selon l’ONU, 3,2 milliards d’êtres humains sont affectés à court terme par la désertification.
- La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification regroupe aujourd’hui 197 parties, 196 États et l'Union européenne en tant que groupe régional. Elle s'occupe essentiellement des questions de terre et de la sécheresse.
- Un programme phare du continent africain pour combattre les changements climatiques et la désertification, et lutter contre l'insécurité alimentaire et la pauvreté, rassemble déjà plus de 20 pays africains, ainsi que des organisations internationales, des instituts de recherche, la société civile et des organisations communautaires.
Selon un rapport des Nations Unies sur la gestion des écosystèmes fragiles, la désertification touche un sixième de la population mondiale et un quart de la superficie totale des terres dans le monde. C’est un problème mondial, qui affecte la sécurité écologique de la planète, l’élimination de la pauvreté, la stabilité socio-économique et le développement durable. Mongabay s’est entretenu avec Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), sur les effets de la désertification et les actions communes dans la lutte sur le plan continental et global
Mongabay : De l’Afrique à l’Asie centrale en passant par le Proche-Orient, des centaines de millions de personnes sont aujourd’hui touchées par la désertification. La désertification est la dégradation persistante des écosystèmes de terres arides qui résulte des activités humaines et des variations climatiques. En raison du préjudice qu’elle porte au bien-être humain et à l’environnement, elle constitue l’un des plus grands défis de notre époque en matière de développement, sur le continent africain.
Selon l’ONU, 3,2 milliards d’êtres humains sont affectés à court terme par la désertification. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
Ibrahim Thiaw : Alors, lorsque la Convention a commencé, on pensait à cette époque que les questions de dégradation de terre étaient essentiellement des questions régionales, et l’Afrique s’était beaucoup battue, parce qu’elle souffrait déjà de la désertification et de la dégradation de terre. Aujourd’hui, on a beaucoup plus d’outils scientifiques et de rapports scientifiques, qui nous ont montré que c’est un phénomène global. Aucune région du monde n’est épargnée par la dégradation de terre, et il est estimé aujourd’hui que plus de 40 % de la superficie de la terre sont directement affectées par la dégradation de terre et que si les tendances que nous avons aujourd’hui continuent, d’ici 2050, jusqu’à 90 % des terres émergées vont être affectées par l’activité humaine. Et qu’un territoire aussi vaste que l’Amérique du Sud peut être affecté par la dégradation de terre.
Mongabay : A quoi sert la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification ?
Ibrahim Thiaw : Vous vous rappelez certainement de Rio de Janeiro, en 1992, lorsque le monde s’est retrouvé pour traiter des questions de développement durable et, donc la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification, parmi d’autres, avait été créée, signée en 1994. Elle regroupe aujourd’hui 197 parties, 196 États et l’Union européenne en tant que groupe régional. Elle s’occupe essentiellement des questions de terre et de la sécheresse.
Mongabay : Quelles sont les avancées palpables jusqu’ici réalisées par la CNULCD dans la lutte contre la désertification, 30 ans après sa création ?
Ibrahim Thiaw : Premièrement, c’est davantage de connaissances scientifiques. Aujourd’hui, avec les rapports qui sortent à la fois du GIEC, le groupe intergouvernemental sur le climat, mais également du panel intergouvernemental sur la biodiversité et les écosystèmes, les rapports que nous faisons nous-mêmes, par nos scientifiques, ont prouvé qu’il y a pas mal de connaissances nouvelles qui nous permettent aujourd’hui de faire la différence. Deuxièmement, il y a une prise de conscience politique. Et ensuite, il y a des plans d’action pour également apporter des financements au pays qui sont les plus nécessiteux. Donc, il y a aussi des sources de financement nouvelles qui ont été établies, c’est comme ça que les fonds globaux ont été établis, tel que le Fonds pour l’Environnement Mondial qui est accessible à la Convention, tel que le Fonds Climat qui avait été également créé.
Et puis, au sein de la Convention elle-même, il y a ce qu’on appelle le mécanisme mondial qui permet également d’apporter des appuis. Donc, puisqu’on travaille ensemble, et ça fait 30ans que nous nous réunissons régulièrement, nous avons des connaissances les uns les autres des conséquences sévères, qui peuvent avoir lieu, dues à un phénomène climatique tel que la sécheresse ou le manque d’eau. Et donc, cette solidarité internationale ne peut s’exprimer que dans la mesure où nous avons une connaissance mutuelle des questions, qui concernent une région ou une autre dans le monde.
Mongabay : Avez-vous des exemples d’actions communes dans la lutte contre la désertification sur le plan continental et global ?
Ibrahim Thiaw : Oui. Aujourd’hui, vous avez dans les discours des campagnes électorales, même dans certains pays, on parle beaucoup de la migration sans apporter de solution, mais c’est considéré comme un programme. C’est un problème. Les conflits, qui sont connus à travers le monde aujourd’hui, en particulier entre éleveurs et agriculteurs, sont dus à la rareté des ressources.
Et donc, il y a pas mal d’interrelations entre ces questions, si bien que la solidarité internationale est obligatoire.
Mongabay : Que conseillez-vous aux gouvernements africains pour atteindre leurs objectifs en matière de dégradation des terres dans leurs politiques économiques et environnementales ?
Ibrahim Thiaw : D’abord, nous leur conseillons de faire le bon diagnostic. Dans chaque pays, qu’on arrête de croire que la neutralité en matière de dégradation des terres peut être obtenue par un ministère sectoriel. Donc, il est important que les gouvernements, les leaders africains, prennent cette question-là pour ce qu’elle est de manière très sérieuse. Et, de voir ce que l’Afrique peut faire avec ses ressources. Et ensuite, puisqu’on reconnaît qu’il y a un besoin d’avoir une approche globale, c’est d’intégrer ces questions dans les plans de développement national, où il y a des plans quinquennaux, triennaux, décennaux, qui sont importants, qui constituent des visions adoptées par les pays. L’Union africaine a elle-même son plan 2063, qui est une vision à long terme.
Mongabay : Quelles sont les limites à cette action commune ? Y a-t-il des pays qui seraient enclins à moins participer, notamment ceux du Nord qui sont pour l’instant moins touchés par ces phénomènes-là et qui retardent leur action sur la solidarité ?
Ibrahim Thiaw : Je ne traiterai pas ça comme un antagonisme entre le Nord et le Sud. Nous sommes tous interconnectés. Bien sûr, il faut plus de solidarité. Il est évident que les pays les plus pauvres, laissés à eux-mêmes, ne peuvent pas résoudre tout seuls les questions qui se posent. On parle d’un monde où, bien sûr, on a un gagnant-gagnant. On produit, on transforme et on exporte. Les pays producteurs ont besoin de l’exportation autant que les pays qui importent. Mais il est important que ce commerce soit fait de manière un peu plus équitable.
Mongabay : Dans le bassin du Congo et partout en Afrique, pensez-vous qu’il est possible de concilier préservation des terres, communautés et zones de développement de l’État ?
Ibrahim Thiaw : Alors, la bonne nouvelle, c’est que la préservation des ressources naturelles n’est pas contraire avec le développement et avec le bien-être humain. Donc ça, c’est une très bonne nouvelle. Au contraire, la dégradation des terres est une érosion économique. Jusqu’à 50 % de la richesse mondiale peut être perdue du fait de la dégradation des terres. Et que si on inverse la vapeur et qu’on restaure les terres, on peut créer 50 % de richesses supplémentaires. Donc, dans les zones qui reçoivent davantage de pluviométrie, il est beaucoup plus facile de gérer et de restaurer les terres plutôt que dans les zones qui reçoivent 100 mm d’eau par an, c’est évident.
Mongabay : Parlons de l’initiative de la Grande Muraille verte, la campagne de plantation d’arbres, lancée par l’Union africaine en 2007, devenue une initiative mondiale pour le développement rural. 10 ans après son démarrage, quel bilan en faites-vous ?
Ibrahim Thiaw : L’Afrique a été un continent pionnier. Onze pays africains ont mutualisé leurs efforts pour dire que nous voulons restaurer 100 millions d’hectares de terres. La “Grande Muraille Verte” du Sahel a inspiré d’autres régions du monde. Dix-ans après le démarrage de la “Grande Muraille Verte”, l’UNCCD a fait un bilan avec une étude indépendante, qui a fait un bilan à date, qui a été publié en 2020, qui a montré que la restauration des terres est possible, et que c’est faisable à grande échelle. Et la somme des terres restaurées, en fait, peut être considérée comme allant jusqu’à 20 % des objectifs de 100 millions d’hectares.
Mongabay : Certains qualifient cette initiative de mirage. Qu’avez-vous envie de leur répondre ?
Ibrahim Thiaw : La “Grande Muraille Verte” est plutôt un programme d’investissement. Des centaines de millions de dollars ont été investis par les gouvernements nationaux et par l’aide internationale pour restaurer des espaces, qui autrement auraient été perdus à jamais. La ‘’Grande Muraille Verte’’ plante de l’espoir. Le nom est mal choisi, je l’avoue. Je ne l’aurais pas appelé ‘’Grande Muraille Verte’’, parce que ça donne l’impression qu’on plante des arbres pour stopper l’avancée du désert, ce n’est pas vrai. La Gambie, la Somalie, la Côte d’Ivoire tapent à la porte, c’est une très bonne nouvelle, ça veut dire que ça marche. Alors, si c’était un mirage, je ne suis pas sûr que la Côte d’Ivoire ou la Somalie ou la Gambie viendraient pour rejoindre un mirage.
Image de bannière: Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD). Image de de Thomas-Diego Badia pour Mongabay.