- Charles Balogoun, Représentant pour l’Afrique de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), expose l’état alarmant de la dégradation des terres et les menaces croissantes qui pèsent sur les écosystèmes marins, tout en proposant des actions concrètes pour y remédier.
- Lors de cette COP16, les discussions portent sur des enjeux cruciaux tels que la protection des espèces menacées, la restauration des écosystèmes dégradés, et la lutte contre la désertification, qui affecte de vastes régions en Afrique.
- Charles Balogoun a souligné l’importance d’une coopération internationale renforcée pour mettre en œuvre des solutions durables, notamment en matière de reforestation et la gestion intégrée des zones côtières, afin de protéger à la fois les terres et les océans.
Alors que s’achève la COP16 sur la biodiversité à Cali, en Colombie, Charles Balogoun, représentant pour l’Afrique de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), a partagé ses observations lors d’une interview exclusive accordée à la rédaction de Mongabay. Il y a exposé l’état alarmant de la dégradation des terres et les menaces croissantes qui pèsent sur les écosystèmes marins, tout en proposant des actions concrètes pour y remédier.
La Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification est la plus récente des trois conventions adoptées à la suite du Sommet de la Terre à Rio en 1992, les deux autres étant la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention sur la diversité biologique (CDB). Moins médiatisée que la Conférence des parties (COP) sur le climat, la COP sur la biodiversité, qui se réunit tous les deux ans, vise à enrayer l’érosion de la biodiversité mondiale et à protéger les écosystèmes terrestres et marins en péril.
Lors de cette COP16, les discussions ont porté sur des enjeux cruciaux tels que la protection des espèces menacées, la restauration des écosystèmes dégradés, et la lutte contre la désertification, qui affecte de vastes régions en Afrique. Charles Balogoun a souligné l’importance d’une coopération internationale renforcée pour mettre en œuvre des solutions durables, notamment en matière de reforestation et la gestion intégrée des zones côtières, afin de protéger à la fois les terres et les océans.
Mongabay : La feuille de route de la COP15 sur la biodiversité de 2022 avec l’accord “Kunming Montréal” entend restaurer 30 % des écosystèmes dégradés. Quel est l’état des lieux de la dégradation des terres arables en Afrique ?
Charles Balogoun : Avant la COP15, les statistiques nous montrent que 70 % des terres arables étaient déjà dégradées dans le monde. C’était vraiment inquiétant. Et vous comprenez combien de milliards de personnes sont sur la terre, et si pratiquement il ne nous reste que 30 %, alors qu’est-ce qui va nous rester ? Parce que pratiquement tout ce que nous mangeons vient de la terre. Il faut se réjouir car, de 2022 à aujourd’hui, ce taux a drastiquement baissé. Nous sommes aujourd’hui pratiquement entre 40 et 45 % des terres qui sont dégradées. Donc franchement, après la COP15, il y a eu vraiment beaucoup d’avancées sur ce plan-là. Mais quand on prend l’Afrique, qui nous concerne directement, nous avons pratiquement 65 % des terres arables qui sont dégradées. Et vous voyez, la conséquence économique, c’est pratiquement 150 à 200 milliards de dollars en pertes économiques.
Mongabay : Quelles sont les menaces qui pèsent sur le littoral en Afrique de l’Ouest ?
Charles Balogoun : De grandes menaces pèsent sur les écosystèmes marins et côtiers. Parmi elles, la destruction des mangroves et l’accélération de la pollution marine, notamment due aux sachets plastiques et autres déchets qui se retrouvent dans la mer. Il ne faut pas oublier non plus les grands cargos énergétiques qui déversent leurs déchets dans les océans. La sensibilisation, le partage d’informations et la collaboration avec toutes les parties prenantes sont essentiels pour que la société civile ne soit pas la seule gardienne de l’environnement. Il s’agit d’un combat commun qui concerne l’État, les journalistes et tous les acteurs impliqués. Aujourd’hui, nous avons évoqué la désertification, un autre enjeu lié au plastique, qui peut rester des centaines d’années dans le sol et inhiber la croissance des plantes. Nous devons donc travailler ensemble, de manière unanime.
Les phénomènes sont pratiquement les mêmes sur toute la côte. Quand on observe, par exemple, l’avancée de la mer en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, c’est presque identique. Parfois, je prends l’exemple du Sénégal où les gens ont acheté des maisons construites tout près de la mer. C’est une situation compliquée, voyez-vous. Je pense que les phénomènes de dégradation des écosystèmes marins sont quasiment les mêmes partout, et la plupart du temps, c’est l’homme qui en est responsable.
Les menaces ont plusieurs causes. Il est préférable d’en parler avant de voir comment y faire face. Parmi ces causes, on trouve les transports marins, avec les accidents de bateaux transportant des substances énergétiques, qui aggravent la situation. Il y a aussi la destruction des mangroves, une espèce végétale située entre la mer et les populations. Les mangroves jouent un rôle crucial en atténuant les effets de la mer sur les populations riveraines. Par exemple, en Côte d’Ivoire, dans les années 1970, il y avait près de 500 kilomètres carrés de mangroves, mais aujourd’hui, il n’en reste plus que 40. Tout le monde sait que les mangroves ont une capacité exceptionnelle à séquestrer le carbone, mais elles ont presque disparu.
Mongabay : Quelles sont les conséquences de ces menaces sur les écosystèmes marins et côtiers?
Charles Balogoun : Les grandes menaces qui nuisent à la bonne santé des écosystèmes marins et côtiers incluent l’extraction minière. Vous savez que ces industries, parfois artisanales, lorsqu’elles se terminent, génèrent une pollution chimique qui se déverse souvent vers les mangroves et les eaux, détruisant ainsi ces écosystèmes. C’est un exemple.
Un peu partout le long de la côte, cette situation sévit. Il y a aussi les populations riveraines qui, faute d’énergie, détruisent ces mangroves, qui ont une grande capacité de séquestration et sont des lieux de régénérescence des ressources. Quand elles les coupent, la mer est à proximité avec tous ces effets. De plus, la population riveraine pollue parfois les plages, et lorsque la mer monte, les vagues ramènent ces déchets à l’intérieur, ce qui affecte la régénérescence des poissons. Ce sont autant de problèmes. J’allais terminer en mentionnant ces cargos qui nous apportent du pétrole et qui échouent parfois, déversant leurs produits dans la mer. Tout cela constitue des freins à l’éclosion et à la santé des écosystèmes marins et côtiers.
Mongabay : Sur cette question, pour lutter contre la dégradation des mangroves et l’érosion côtière, les pays d’Afrique concernés travaillent-ils en coopération, et pourriez-vous nous en donner un exemple ?
Charles Balogoun : Le PRCM, c’est le Partenariat Régional pour la Conservation de la Nature. Il est composé de sept pays : la Mauritanie, le Sénégal, le Cap-Vert, ainsi que tous les pays jusqu’en Sierra Leone. Ils travaillent sur tout ce qui concerne la protection des écosystèmes marins et côtiers. C’est un processus très avancé, et ils ont beaucoup de bonnes pratiques. Moi, je les ai suivis depuis 2000, je crois, et j’ai souhaité que cette belle initiative puisse être répliquée dans les autres pays de la côte afin de protéger tout ce que vous savez des menaces qui pèsent sur la côte et les écosystèmes marins. Nous sommes donc en train de réfléchir avec eux à la manière dont, lors de la prochaine COP, le panel pourrait réunir cette initiative pour réfléchir au cours d’un certain événement afin d’attirer l’attention des partenaires. Parce que ce sont forcément les partenaires qui nous aident à pouvoir implémenter cette deuxième phase du PRCM.
Le PRCM accomplit un travail colossal, et nous espérons, pour la COP16, présenter un projet visant à intéresser les partenaires à étendre les efforts du Libéria au Nigéria, en passant par la Sierra Leone. Voilà autant de défis sur lesquels nous travaillons.
Mongabay : Et quelles seraient les options pour lutter contre la dégradation des terres ?
Charles Balogoun : Aujourd’hui, les possibilités sont multiples. À la COP22, le concept de l’agroécologie a été mis sur la table. L’agroécologie, aujourd’hui, est un moyen fort pour la restauration des terres. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il existe également le nouveau concept de l’undegradation neutrality (ndlr, undegradation neutrality ou encore neutralité en matière de dégradation des terres est définie par la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD) comme « un état dans lequel la quantité et la qualité des ressources en terres, nécessaires pour soutenir les fonctions et services écosystémiques et améliorer la sécurité alimentaire, restent stables ou augmentent dans le cadre d’échelles temporelles et spatiales déterminées et d’écosystèmes donnés »), qui permet, comme on l’appelle, de définir des cibles dans chaque pays. Quand c’est bien défini, c’est un peu comme le CDN (ndlr, Les contributions déterminées au niveau national sont des plans nationaux non contraignants mettant en évidence les actions climatiques, y compris les objectifs liés au climat pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les politiques et les mesures que les gouvernements visent à mettre en œuvre en réponse au changement climatique et en tant que contribution pour atteindre les objectifs mondiaux fixés dans l’Accord de Paris) au niveau de la Convention sur les changements climatiques. Quand c’est bien défini, on est en lien avec la Convention pour avoir les moyens de lutter contre les effets sur le terrain. Et in fine, n’oubliez pas les bonnes pratiques endogènes dans nos pays, ce que nous appelons les natural-based solutions, sur lesquelles fonctionnent les scientifiques aujourd’hui. En fait, c’est une coopération entre les scientifiques et toutes les pratiques endogènes, pour pouvoir aller de l’avant et avancer dans le processus de restauration des terres.
Mongabay : Est-ce que cette initiative est suffisante aujourd’hui face à l’ampleur de la situation ?
Charles Balogoun : Vous savez que les habitudes sont vraiment difficiles à abandonner, et cela n’a pas permis d’estomper le phénomène. Tout dernièrement, je pense qu’il y a encore un gros projet financé par l’Afrique du Sud et des pays arabes. Ce projet leur permet plutôt de capter l’énergie solaire.
Ce second projet consiste en la captation de l’énergie solaire, qu’elles peuvent utiliser pour faire cuire l’eau salée. Je ne sais pas comment appeler ces terres cuites concentrées d’où l’on tire l’eau afin d’obtenir le sel. Mais le problème n’est pas résolu. En captant le soleil, c’est-à-dire en hiver, elles ne peuvent pas travailler. La solution que nous proposons n’est pas de balayer d’un revers de main ce gros projet, mais nous offrons une légère alternative à travers la valorisation des déchets organiques, tout ce qu’elles ont autour d’elles, comme les fientes d’animaux et le reste de nourriture, que nous introduisons dans le biodigesteur, qui leur fournit du biogaz.
Ce qui est génial dans cela, c’est que cette énergie peut leur permettre de cuire, de produire de l’électricité, de faire le drainage d’eau, tout ce qu’il y a, car aujourd’hui il existe des groupes électrogènes à base de gaz. Donc, c’est la nouvelle formule que nous leur donnons. Si vous prenez la structure du biodigesteur, lorsque le gaz sort, les déchets et autres deviennent des biofertilisants. Ainsi, dans le projet, elles vont faire le reboisement de mangroves, et avec ces fertilisants, nous pourrions enrichir le sol pour que les arbres que nous allons planter puissent rapidement produire.
Mongabay : Quelles seraient donc les solutions durables dans ce contexte de changement climatique ?
Charles Balogoun : L’Afrique ne participe qu’à peine à 3 % des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, les conséquences que nous subissons sont exponentielles. Alors, comment faire face à cela ? La solution que nous avons trouvée, c’est de recourir à l’économie circulaire, qui nous permet au moins de transformer les plastiques que nous retrouvons autour de nous. Les déchets organiques qui nous embêtent dans les villes, et qui sont d’ailleurs un véritable problème en termes de gouvernance municipale ou communale, peuvent être transformés en énergie ; nous pouvons les transformer en tout ce que nous voulons pour que notre environnement soit propice à la vie.
Image de bannière : Charles Balogoun, Représentant pour l’Afrique de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD). Image de Thomas-Diego Badia pour Mongabay.